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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume IV

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«Voicy du grand Montaigne vne entiere figure,
Le peinctre a peinct le corps et luymesme l’esprit;
Le premier par son art egale la Nature,
Le second la surpasse en tout ce qu’il escrit.»

Une autre de ces gravures porte ces vers de l’abbé Gacon:

«Ennemi de tout fanatisme,
Après avoir réglé son esprit et ses mœurs,
Par un aimable pyrrhonisme
Il rendit ses écrits le charme des lecteurs.»

Les vers suivants en accompagnent une autre de 1837:

«Philosophe sublime en sa naïveté,
Lorsque le fanatisme appelait l’ignorance,
En enseignant le doute il illustra la France
Et sut, dans son portrait, peindre l’humanité.»

Une édition des Essais de 1611, est la première qui soit ornée d’un portrait.

Armoiries.—«Ie porte d’azur semé de trefles d’or, à une pate de lyon de mesme, armée de gueules, mise en face» (liv. I, ch. 46, I, 514); ce qui, pour les profanes, se traduit de la sorte: Mon écusson est sur fond d’azur (bleu), semé de trèfles d’or (jaune); y figure une patte de lion de même couleur, armée de gueules (ayant les griffes rouges), mise en face (posée de face) et brochant sur le tout (allant d’un bord à l’autre de l’écusson); cette dernière indication n’est pas dans le texte, mais la disposition qu’elle marque existe.—Montaigne, à sa mort, n’ayant point d’héritier mâle, légua ses armes à Charron, l’auteur de la Sagesse, qui, en ses derniers ans, était devenu son ami et son disciple.

Signature.—Cette signature est le fac-similé de celle apposée sur une lettre adressée, le 21 mai 1582, par Montaigne aux jurats (sorte de conseillers municipaux) de Bordeaux, alors qu’il en était maire.

Il est à observer que l’n de son nom est supprimée, ce qui était assez fréquent dans la façon d’écrire de l’époque, quand dans la syllabe cette lettre était suivie d’une voyelle, ainsi qu’on peut voir sur la planche IV; elle se remplaçait alors par un trait sur la lettre précédente, trait qui dans sa signature se confondait avec la barre du t.

A la mort de son père, Montaigne devenu chef de famille a cessé, dans sa signature, de faire précéder son nom de son prénom, que ses frères, au contraire, continuèrent à apposer concurremment.

Prononciation du nom de Montaigne.—Se reporter à ce sujet à la note y afférente, I, 13, Montaigne.

Planche II (IIe volume).

Plan et perspective du manoir de Montaigne au XVIIIe siècle et croquis topographique des environs.—Le manoir ou maison noble de Montaigne, sa «maison» comme il l’appelle, ne mérite le nom de château qu’on lui donne la plupart du temps, que depuis sa réfection à peu près complète vers 1860, et sa reconstruction totale, la tour exceptée, 1887.

Il est situé à environ 4 kil. N. de la route de Bergerac à Libourne par Castillon et de la Dordogne que longe cette route, et est distant de 20 kil. E. de Bergerac à l’O. et de 8 kil. de Castillon à l’E. Cet immeuble fait partie du territoire de la commune de S.-Michel-Montagne, appelée aussi Saint-Michel-Bonnefare (agglomération d’environ 400 habitants dont il est éloigné de 5 à 600m); cette commune qui relève du canton de Vélines, arr. de Bergerac, dép. de la Dordogne, est limitrophe du département de la Gironde.

Le manoir est construit sur un mouvement de terrain d’à peu près 70m d’élévation, à pentes moyennes, au pied duquel coule la Lidoire, petit affluent de la Dordogne; en ce point, la vallée est assez large et, de l’habitation dans la direction de N.-O., la vue s’étend assez loin sur les plaines du Périgord et du Bordelais. Suivant une description de 1778, quoique habité, il était, à cette époque, dans un état de délabrement complet; du reste, il n’avait jamais dû présenter rien de grandiose, ne devait d’avoir résisté à l’action du temps que grâce à la solidité de ses murs et n’était intéressant que par le souvenir de Montaigne.

Il se composait d’une enceinte rectangulaire complètement fermée.

La face S.-O. N.-E. était flanquée de deux tours. Joignant celle du S. mais sur l’autre face y attenant, était la porte d’entrée, des plus simples, quoique garnie de mâchicoulis. Elle donnait accès dans une sorte de préau étroit servant de passage, qui contournait en partie la tour et d’où par une seconde porte on débouchait dans la cour qui était de forme à peu près carrée et avait cinquante pas environ de longueur sur à peu près autant de largeur; elle était plantée d’arbres sur son pourtour.

La maison d’habitation en occupait le côté faisant face aux deux tours; les trois autres l’étaient par les communs. La maison comprenait un rez-de-chaussée et deux étages; la distribution en était assez confuse et mal entendue. Derrière était une longue et large terrasse, présentant des ombrages et des parterres, d’où l’on avait une vue belle et étendue; une balustrade, rendue nécessaire par des soutènements assez abrupts, la clôturait du côté de la vallée.

La tour S. encore existante et sur laquelle nous reviendrons à propos des illustrations de la planche III, assez massive et un peu écrasée, comprend également un rez-de-chaussée et deux étages; elle est connue sous le nom de Tour de Montaigne. L’auteur des Essais y avait une chambre où il couchait parfois et sa bibliothèque. Un beffroi surmontait cette tour et abritait une cloche dont il est fait mention au ch. 22 du liv. I des Essais, page 156, elle sonnait l’Angelus et servait à appeler les tenanciers du fief les jours de fête et aussi en cas d’alarme. L’autre tour, moins grosse et un peu plus élevée, était dite tour de Trachère et il semble que c’est uniquement par opposition avec le nom de la première, et à tort, qu’on l’appelle parfois Tour de Madame; ni la femme, ni la mère de Montaigne ne l’ont occupée. De construction beaucoup plus récente que l’autre, vraisemblablement bâtie pour accroître la force défensive de la demeure, elle était déjà en ruines au commencement du siècle dernier, et, ne faisant plus que masquer le coup d’œil, elle a depuis complètement disparu.

Vendu à diverses reprises, ce manoir en était venu, faute d’entretien, à un tel état de délabrement, qu’il n’était plus guère habitable, quand en 1857 il fut entièrement restauré, mais en tenant compte du progrès en matière de confort; seule, la tour de Montaigne le fut en conservant sa distribution intérieure, toutefois le beffroi fut supprimé. En 1885, ruiné de fond en comble par un incendie, il fut réédifié peu après, mais cette fois sans s’astreindre à respecter aussi passivement le plan primitif, dont on s’écarta aussi bien pour les détails extérieurs que dans l’aménagement; c’est devenu une très belle habitation, luxueuse à l’intérieur, justifiant aujourd’hui le nom de château qu’on lui avait donné prématurément. Par contre, de la maison de Montaigne il ne reste plus que l’emplacement et la tour, que le feu avait encore épargnée grâce à sa situation à l’écart et à l’épaisseur de ses murs; sauf le beffroi, elle garde sa physionomie d’antan.

On peut remarquer que le croquis topographique (copie de la Carte de l’Etat-Major) porte S.-Michel-Montagne, conformément à la prononciation locale que pour un centre d’habitations il y aurait en effet inconvénient à altérer sur une carte; tandis qu’il y est écrit Château de Montaigne d’après les errements anciens existant encore; la prononciation n’en est pas moins la même, dans le pays, pour l’un comme pour l’autre.

Planche III (IIIe volume).

Tour de Montaigne.—Cette tour, dont il a été indiqué, à propos de la planche II, la situation par rapport au reste du manoir, semble, par ses assises, dater du XIIIe siècle; elle a 10m de diamètre, 13m de haut; au ras du sol ses murs sont épais de près d’un mètre cinquante.

Elle comprend, a-t-il été dit, un rez-de-chaussée et deux étages, auxquels on accède par un escalier en colimaçon aménagé dans une tourelle latérale. En outre, un appentis, surmontant la porte d’entrée et son porche intérieur, la joint et faisant corps avec elle communique à chaque étage qui se trouve ainsi accru chacun d’une pièce de dégagement mesurant 3m50 sur 3m.

Le rez-de-chaussée est aménagé en chapelle. A l’extérieur, au-dessus de la porte y donnant accès, sont sculptées les armes de Montaigne, qui se retrouvent là un peu partout; l’intérieur est de forme carrée, aux angles arrondis; le plafond, de 3m d’élévation, est voûté; la pièce, assez obscure, ne reçoit de jour que par la porte et deux soupiraux; l’autel est placé dans une niche éclairée par la partie supérieure.

Au premier étage, se trouve une chambre à coucher carrée de sept mètres de côté. Il y a une cheminée et deux fenêtres assez étroites auxquelles on parvient par quatre marches pratiquées dans l’épaisseur des murs. Une ouverture, ménagée dans le carrelage du sol, permet d’avoir vue sur l’autel de la chapelle et de suivre ce qui s’y passe. La pièce de l’appentis attenante à la chambre forme débarras.

Quarante-six marches conduisent du pied de la tour au deuxième étage où était la bibliothèque de Montaigne, dont il donne si complaisamment la description au ch. 14 du liv. III des Essais (IIIe vol., page 156). Cette bibliothèque est de forme circulaire, de 8m50 de diamètre; il y a trois fenêtres et pas de cheminée; le plafond a 3m d’élévation; ses poutres et solives font saillies et sont couvertes d’inscriptions latines et grecques tracées au pinceau, nous en donnons ci-après la traduction. La pièce contiguë de l’appentis possède une cheminée, sa fenêtre permet de voir tout ce qui se passe à l’intérieur du manoir. C’était le cabinet de travail et le lieu de repos de Montaigne; il s’était plu à l’ornementer. On y retrouve des vestiges de peintures murales parmi lesquelles on distingue encore: Les amours de Mars et de Vénus, Cimon allaité par sa fille, etc.; c’est là enfin qu’était l’inscription latine dont la traduction suit, consacrant ce local aux Muses, annonçant la détermination du maître du logis de renoncer aux tracas de la vie publique et fixant la date à laquelle il a commencé à écrire: «L’an du Christ 1571, à l’âge de 38 ans, la veille des calendes de Mars, anniversaire de sa naissance, Michel de Montaigne, ennuyé déjà depuis longtemps de l’esclavage de la cour et des charges publiques, alors qu’il se sentait encore dispos, est venu ici pour s’isoler et s’y reposer sur le sein des doctes vierges, dans le calme et la sécurité; il y passera les jours qui lui restent à vivre. Espérant que le destin lui permettra de parfaire cet asile, cette douce retraite qu’il doit à ses ancêtres, il la consacre à sa liberté, à sa tranquillité et à ses loisirs.»

Voir sur le contenu de cette bibliothèque les notes: III, 156, Liures; II, 82, Lisant.

Inscriptions de la bibliothèque de Montaigne.—C’est aussi Montaigne qui a fait peindre les sentences qui se lisent sur les poutres et solives du plafond de la bibliothèque; on peut donc les considérer comme reflétant, mieux que tout, ses dispositions d’esprit; au moins à cette époque, où il fit aménager ce local; c’est à ce titre que nous en donnons le relevé fait en 1861 par MM. Galy et Lapierre, traduites par eux et consignées dans l’opuscule intitulé «Montaigne chez lui».

Ces sentences étaient au nombre de 56; quatre n’ont pu être déchiffrées. Le plus grand nombre est tiré de l’Ecclésiaste, des Epîtres de S. Paul, de Stobée et de Sextus Empiricus; elles dénotent bien dans leur ensemble le scepticisme dont Montaigne était imbu. La plupart sont insérées, soit textuellement, soit en substance, dans les Essais, notamment dans l’Apologie de Sebond: celles pour lesquelles il en est ainsi, sont signalées ci-dessous par une astérisque; celles en grec sont marquées de l’indication I. G., les autres sont en latin.

—* Pour l’homme l’extrême science, c’est d’approuver les choses telles qu’elles sont; et, quant au reste, de l’envisager avec confiance (d’après l’Ecclésiaste).

—* La curiosité de connaître les choses a été donnée aux hommes pour fléau, dit la Sainte Écriture (d’après l’Ecclésiaste).

—Le souffle enfle les outres vides, l’opinion enfle les cerveaux creux des hommes (I. G., Stobée, attribué à Socrate).

—* Tout ce qui est sous le ciel, court loi et fortune pareilles.

—* Pas plus ceci que cela; pourquoi ceci plutôt que cela? (Sextus Empiricus).

—Dieu a mis en nous l’idée des œuvres grandes ou petites qu’il a multipliées sur la terre.

—* Je vois en effet que tous, en cette vie, ne sommes que des simulacres ou des ombres légères (I. G., Stobée).

—O faible esprit humain! ô cœurs aveugles! dans quelles ténèbres, parmi quels dangers vous usez, en tous temps, votre existence! (Lucrèce).

—Celui qui compte sur son élévation, sera renversé par le premier accident venu (I. G., Stobée).

—* Tout, et le ciel et la terre et les eaux, ne sont rien auprès de l’immensité de l’univers (Lucrèce).

—* Avez-vous vu un homme qui se croit sage? Espérez mieux de celui auquel la raison fait défaut (Proverbes de Salomon).

—Par ce fait que tu ignores comment l’âme est unie au corps, tu ne connais pas l’œuvre de Dieu (d’après l’Ecclésiaste).

—Cela se peut et aussi ne se peut pas (I. G., Sextus Empiricus).

—* Le beau, digne d’admiration (I. G., d’après Platon).

—* Homme, vase fragile (I. G.).

—Ne soyez point sages à vos propres yeux (St Paul aux Romains).

—* La superstition suit l’orgueil et lui obéit comme à son père (I. G., Stobée, attribué à Socrate).

—* C’est à elle seule (la Majesté divine) qu’appartient la science et la sagesse (I. G., Hérodote).

—Ni désirer, ni craindre son dernier jour (Martial).

—Homme, tu ne sais pas si ceci te convient plutôt que cela, ou si les deux ne te sont pas nécessaires (d’après l’Ecclésiaste).

—* Je suis homme et crois être soumis à toutes les conditions de ma nature humaine (Térence).

—* Ne soyez pas plus sage qu’il n’est nécessaire, de peur que vous n’en deveniez stupide (Ecclésiaste).

—* L’homme qui croit savoir, ne sait ce que c’est que savoir (St Paul aux Corinthiens).

—* Celui qui pense être quelque chose n’est rien, et se leurre lui-même (St Paul aux Galates).

—* Ne soyez pas plus sage qu’il ne faut, soyez modéré dans votre sagesse (St Paul aux Romains).

—Nul homme n’a su, nul homme ne saura rien de certain (I. G., Xénophon).

—* La vie que nous vivons est-elle la vie, ou est-ce ce que nous appelons mort qui est la vie? (I. G., Stobée).

—Tout ce que l’homme voit est de trop grande difficulté pour qu’il puisse l’interpréter (I. G., d’après l’Ecclésiaste).

—* Il est très aisé de parler à tort et à travers, pour et contre (I. G., Iliade).

—Le genre humain est trop avide de fables (Lucrèce).

—Quelle inanité en toutes choses! (Perse).

—Partout vanité! (Ecclésiaste).

—* Garder mesure, ne pas dévier de sa voie, suivre nature (Lucain).

—* Bourbe et cendre, qu’as-tu à te glorifier? (Ecclésiaste).

—* Malheur à vous qui êtes sages à vos propres yeux! (Isaïe).

—* Jouis agréablement de ce que tu as, que t’importe le reste? (d’après l’Ecclésiaste).

—* Il n’y a pas de raison qui n’ait sa contraire (I. G., Sextus Empiricus).

—Notre esprit erre dans les ténèbres; privé de lumière, il ne peut apercevoir la vérité (Michel de l’Hospital).

—* Dieu a fait l’homme semblable à l’ombre; qui peut en juger quand le soleil n’est plus? (d’après l’Ecclésiaste.—Pline).

—* Il n’y a de certain que l’incertitude, et rien de plus misérable et de plus orgueilleux que l’homme (Pline).

—De toutes les œuvres de Dieu, rien n’est plus inconnu à l’homme que la trace du vent (d’après l’Ecclésiaste).

—Chacun s’occupe à sa manière des dieux et des hommes (I. G., Euripide).

—L’opinion que tu as de ton importance te perdra, parce que tu te crois quelque chose (I. G., Stobée).

—* Les hommes sont tourmentés par les opinions qu’ils ont des choses, non par les choses mêmes (I. G., Stobée).

—* L’homme élève sa pensée, mais il reste mortel (I. G., Stobée).

—A quoi bon charger son âme d’une ambition qu’elle ne saurait porter? (Horace).

—Les jugements de Dieu sont des abîmes profonds (Psalmiste).

—* Je n’établis rien (I. G., Sextus Empiricus).

—* Je ne comprends pas, je m’arrête, j’examine (I. G., Sextus Empiricus).

—* Je prends pour guide la coutume et les sens.

—Par le raisonnement alternatif.

—Je ne puis comprendre (I. G.).

Planche IV (IVe volume).

Fac-simile de la page 151 de l’exemplaire de Bordeaux, donnant la fin du ch. 5 du liv. II, pages 660, l. 37 à 664, l. 5 du 1er volume de la présente édition. Cette page se compose de deux éléments: l’un, typographique, est le texte de l’édition de 1588, dont le livre est un exemplaire; l’autre, manuscrit, est de la main même de Montaigne.

Ci la transcription de ces inscriptions manuscrites avec leur orthographe et leur ponctuation:

Premier renvoi figurant dans la marge de droite et prenant place après le mot asseurance: Maior animus et natura erat ac maiori fortunæ assuetus quam vt reus esse sciret et summittere se in humilitatem causam dicentium (citation de Tite-Live écrite puis rayée par l’auteur, elle n’a été reproduite dans aucune édition): il auoit le ceur trop gros de nature et acostume a trop haute fortune dit Tite Liue pour qu’il sceu estre criminel et se desmettre a la bassesse de deffandre son cause innocence (cette addition est la traduction de la citation raturée qui précède; elle figure dans l’édition de 1595).

Renvoi figurant dans la marge de gauche et prenant place après le mot verité: Et celuy qui les peut souffrir cache la verité et celuy qui ne les peut souffrir (addition introduite dans l’édition de 1595).

Première rature dans le texte: est appuie sur, substitué à vient de (variante qui n’a pas été insérée dans l’édition de 1595).

Deuxième renvoi figurant dans la marge de droite et prenant place après le mot douleurs: Etiam innocenter cogit mentiri dolor. Dou il auient que celluy que le iuge a faict geiner pour ne le faire mourir innocent il le face mourir et innocent et geiné (addition qui figure dans l’édition de 1595).

Deuxième rature dans le texte: confessions, substitué à accusations (variante qui figure dans l’édition de 1595).

Troisième rature dans le texte: loge, substitué à compte (variante qui figure dans l’édition de 1595).

Intercalation dans le texte, après le mot c’est, dict on (addition introduite dans l’édition de 1595).

Addition inscrite dans le bas de la page et faisant suite au mot inuenter. Bien inhumainement pourtant et bien inutilement a mon auis. Plusieurs nations moins barbares en cela que la grecque et la romaine qui les en apellent estiment horrible et cruel de tourmanter et desrompre un home de la faute du quel uous estes encores en doubte. Et que pour ne le tuer sans raison vous luy facies pis que le tuer. Information plus penible que le supplice. Que peut-il mais de uostre ignorance pour estre ainsi traicte. Estes vous pas iustes iniustes qui pour ne le tuer sans raison occasion luy faictes pis que le tuer. Qu’il soit ainsin; voies combien de fois il aime mieux mourir sans raison que de passer par cette information plus penible que le supplice: et qui souuent par son aspreté deuance le supplice et la comdemnation l’execute. Ie ne sçai dou ie tiens ce conte mais il raporte exactement la conscience de nostre iustice. Vne feme de village accusoit deuant un general d’armee grand iusticier un soldat pour auoir arrache a ses petits enfans ce peu de la bouillie qui luy restoit a les sustanter cette armee aiant rauage tous les villages a l’enuiron. De preuue il n’y en auoit point le iuge general apres auoir somme la feme de regarder bien a ce qu’elle disoit d’autant qu’elle seroit coupable de l’accusation si elle mantoit et elle persistant il fit ouurir le vantre au soldat pour s’esclaircir de la verite du faict. Et la feme se trouua auoir raison. Condemnation instructiue (addition introduite dans l’édition de 1595).

Remarquer la mutilation que, du fait du relieur, ont subie la plupart des mots terminant les lignes manuscrites de la marge de droite.

Fleurons divers.

QUE SÇAY IE? (I, verso du faux-titre).

C’est la devise de Montaigne (II, 276); elle répond bien au doute universel qui est le fond de sa philosophie et aux réflexions que lui suggéraient ses lectures habituelles. C’est la même pensée qui lui inspirait cette médaille qu’il faisait frapper à son nom, portant en exergue ἐπέχω «(je doute)» (N. II, 276, Que sçay-ie), qui, sous une autre forme, exprime la même idée laquelle, de fait, est celle de tout homme qui sans le secours de la foi, s’adressant uniquement à la raison, médite sur ces questions insolubles relatives à la divinité, à l’immortalité de l’âme, la vie future, etc.

FAY TON FAICT ET TE COGNOY (II, verso de la planche II).

C’est la règle de conduite des sages de l’antiquité et de toutes les époques: elle rentrait d’une façon absolue dans les idées de notre philosophe dont l’âme était foncièrement honnête et qui de plus s’étudiait constamment.

CACHE TA VIE (III, verso du faux-titre).

Il semble que cette sentence d’Épicure ou de quelqu’un des siens soit mal venue à être appliquée à l’auteur des Essais qui dit son «livre consubstantiel à son autheur» (II, 524), ajoutant que «sa fin principale et perfection c’est d’estre exactement mien» (III, 244); et cependant nul moins que lui n’a tenu ce qu’il promet. Il donne bien sur lui-même quelques détails physiques, cite quelques-uns de ses penchants, mais, sauf quelques mots sur son enfance et la mention de son élection à la mairie de Bordeaux, de son obtention de l’ordre de St-Michel et de la qualité de citoyen romain, il est absolument muet sur ses faits et gestes. En dehors de quelques allusions sur sa vie de famille, nous n’en connaissons rien, rien de ce qu’il a pu faire pendant qu’il était conseiller au parlement; il semble avoir été aux armées, rien ne nous révèle à quels moments et dans quelles conditions; les relations de ses contemporains le présentent comme ayant été employé à diverses reprises à des missions politiques, il n’en dit mot et là encore le doute subsiste. Pour savoir par quoi ont été marquées ses quatre années de mairie, sauf une circonstance, il faut avoir recours aux archives de l’époque; les seuls renseignements que l’on ait sur sa vie publique, sa vie intime et les siens, à part de rares détails bien insignifiants, c’est ailleurs que dans son livre qu’il faut les rechercher; et, pour quelqu’un qui répète en plusieurs endroits qu’il y est tout entier, il est difficile de dire moins de soi-même qu’il ne fait.

RIEN TROP (III, verso de la dernière page).

Cette maxime (citée I, 292) résume le livre et aussi la vie de Montaigne, telle qu’elle ressort de son aveu et de ce que nous en savons; il semble, de parti pris, ne s’être passionné pour rien, afin de s’assurer une existence tranquille autant que le permettaient, dans les temps troublés où il vivait, la lutte des partis et ses propres sympathies qui, avant tout, allaient à lui-même; aussi cette devise est-elle tout indiquée comme conclusion des Essais.

VIRES ACQUIRIT EUNDO (IV, verso de la planche IV).

«Plus il va, plus ses forces acquièrent de développement.» Est-il une épigraphe qui soit d’application plus exacte que celle-ci, inscrite par Montaigne en tête de l’exemplaire de Bordeaux et marquant les accroissements successifs de chaque édition des Essais, pour qualifier également le développement constant qu’à la suite de l’ouvrage lui-même, ont pris les dissertations, interprétations et notes de toute nature auxquelles il a donné lieu?


FASCICULE B

SOMMAIRE DES ESSAIS
(RELEVÉ DES SOMMAIRES INTERCALÉS DANS LA TRADUCTION).

Dès 1595, dans une édition publiée à Lyon, et jusqu’au commencement du siècle dernier, la plupart des éditions des Essais ont été pourvues de «sommaires» accompagnant le texte et insérés en marge. En l’état, outre qu’ils modifiaient légèrement la contexture apparente de l’ouvrage, ils se trouvaient forcément réduits à quelques mots et par suite manquaient parfois de clarté; c’est pourquoi, depuis, ils ont été généralement supprimés malgré leur incontestable utilité, car ils aident fort à s’y reconnaître.

Pour bénéficier des avantages qu’ils présentent et parer aux inconvénients, Amaury Duval, dans son édition de 1820-22, a établi ses sommaires par chapitre et les a placés en tête de chacun d’eux; il a pu, notamment, leur donner de la sorte plus de précision et une liaison qui leur avait manqué jusqu’alors. Mais la lecture de Montaigne ne se fait guère par chapitre; on l’ouvre au hasard et là où le livre s’est ouvert, on lit.

Ces considérations nous ont amené à intercaler ces sommaires dans la traduction, ce qui a permis de les libeller d’une façon plus intelligible, tout en respectant la physionomie du texte original; et simultanément, à les réunir à part pour l’ouvrage entier, dont ils donnent ainsi une idée d’ensemble que l’on ne peut se former en le lisant, en raison des nombreuses digressions et intercalations qui s’y trouvent.

Les sommaires de la présente édition sont, pour la plupart, reproduits, le plus souvent textuellement, d’Amaury Duval; il eût été, en effet, difficile de faire mieux.

Nota.—Les nombres en chiffres romains, sans autre indication, marquent le volume; ceux en chiffres arabes indiquent la page.


ESSAIS DE MONTAIGNE.

SOMMAIRE DES ESSAIS.
(RELEVÉ DES SOMMAIRES INTERCALÉS DANS LA TRADUCTION).


LIVRE PREMIER.

CHAPITRE I.

Divers moyens mènent à même fin, I, 17.—Par une extrême soumission on peut désarmer la colère; parfois on parvient au même but en inspirant l’estime et l’admiration (le prince Edouard, Scanderberg, Conrad III, Pélopidas, Épaminondas et les Thébains, Pompée), 17.—Mais quelquefois aussi un courage obstiné irrite le vainqueur et le rend implacable (Denys l’Ancien et Phyton, Sylla, Alexandre le Grand à l’égard de Bétis et des Thébains), 19.

CHAPITRE II.

De la tristesse, I, 23.—La tristesse est une disposition d’esprit des plus déplaisantes, 23.—Effet des grandes douleurs en diverses circonstances; tout sentiment excessif ne se peut exprimer (Psamménit et Cambyse, le cardinal Charles de Lorraine, le sacrifice d’Iphigénie, Niobé, le seigneur de Raïsciac), 23.—Saisissement causé par la joie, la honte, etc. (Sophocle, Denys l’Ancien, Thalna, Léon X, Diodore le dialecticien), 25.

CHAPITRE III.

Nous prolongeons nos affections et nos haines au delà de notre propre durée, I, 29.—L’homme se préoccupe trop de l’avenir, 29.—La sagesse voudrait qu’on s’occupât davantage du temps présent et qu’on s’appliquât à se bien connaître (Platon, Épicure), 29.—C’était une loi très sage que celle qui ordonnait d’examiner la conduite des rois après leur mort, 29.—Nous leur devons obéissance, mais l’estime et l’affection ne sont dus qu’à leurs vertus (Néron, Lacédémone), 31.—Réflexions sur ce mot de Solon que nul, avant sa mort, ne peut être dit heureux (Aristote), 33.—Honneurs rendus et influence prêtée à certains après leur mort (Duguesclin, Barthélemy d’Alviane, Nicias, Agésilas, Edouard I, roi d’Angleterre, Jean Ghiska, Tribus indiennes), 33.—Fermeté de Bayard sur le point d’expirer, 35.—Particularités afférentes à l’empereur Maximilien et à Cyrus, 35.—Nos funérailles doivent être en rapport avec notre situation, aussi éloignées d’une pompe exagérée que de la mesquinerie (Marcus Lepidus, Lycon, Saint Augustin, Socrate), 37.—Cruelle et dangereuse superstition des Athéniens sur la sépulture à donner aux morts (combat près des Iles Argineuses et Diomédon, combat près de l’île de Naxos et Chabrias), 39.

CHAPITRE IV.

L’âme exerce ses passions sur des objets auxquels elle s’attaque sans raison quand ceux, cause de son délire, échappent à son action, I, 41.—Il faut à l’âme, en proie à une passion, des objets sur lesquels elle l’exerce à tort ou à raison, 41.—Souvent même, en pareil cas, nous nous en prenons à des objets inanimés (Xerxès et le mont Athos, Cyrus et le Gyndde, Caligula; folie d’un Roi voulant se venger de Dieu lui-même, d’Auguste contre Neptune et lors du désastre de Varus, des Thraces contre le ciel en temps d’orage), 43.

CHAPITRE V.

Le commandant d’une place assiégée doit-il sortir de sa place pour parlementer, I, 45.—Jadis on réprouvait l’emploi de la ruse contre un ennemi (Lucius Marcius et Persée; les Romains envers Pyrrhus et les Phalisques, les Achéens, les peuples de Ternate, Florence), 45.—Aujourd’hui, nous tenons comme licite tout ce qui peut conduire au succès; aussi est-il de principe que le gouverneur d’une place n’en doit pas sortir pour parlementer (les seigneurs de Montmord et de l’Assigny et le comte de Nassau, Guy de Raigon et le seigneur de l’Ecut, Eumène et Antigone), 47.—Exemple d’un cas où cependant le gouverneur d’une place s’est bien trouvé de se fier à son adversaire (Henry de Vaux et Barthélemy de Bonnes), 49.

CHAPITRE VI.

Le temps durant lequel on parlemente est un moment dangereux, I, 51.—La parole des gens de guerre, même sans que cela dépende d’eux, est toujours sujette à caution (Æmilius Reggius et la ville de Phocée, Cléomène et les Argiens), 51.—C’est souvent pendant les conférences en vue de la capitulation d’une place, que l’ennemi s’en rend maître (Casilinum, Capoue, Yvoy, Gênes, Ligny en Barrois), 53.—La victoire devrait toujours être loyalement disputée (Principe italien, Chrysippe, Alexandre le Grand et Darius), 53.

CHAPITRE VII.

Nos actions sont à apprécier d’après nos intentions, I, 55.—Il n’est pas toujours vrai que la mort nous libère de toutes nos obligations (Henry VII d’Angleterre et le duc de Suffolk, les comtes d’Egmont et de Horn, l’architecte de Rhampsinet, roi d’Égypte), 55.—Il est trop tard de ne réparer ses torts qu’après sa mort, et odieux de remettre à ce moment de se venger, 57.

CHAPITRE VIII.

De l’oisiveté, I, 27.—L’esprit est comme une terre qu’il faut sans cesse cultiver et ensemencer; l’oisiveté le rend ou stérile ou fantasque, 57.

CHAPITRE IX.

Des menteurs, I, 59.—Montaigne déclare qu’il manque de mémoire, ce qui n’est pas un aussi grand désavantage qu’on le croit communément. Cela a l’inconvénient de le faire parfois taxer de manque de bonne volonté, mais lui procure l’avantage de lui interdire l’ambition, de lui faire juger des choses par lui-même, de le porter à parler peu et le dispose à l’oubli des offenses (Darius), 59.—Un menteur doit avoir bonne mémoire, 63.—Le mensonge est odieux et expose à bien des dangers; il est, avec l’entêtement, à combattre dès le début chez l’enfant, 65.—Mésaventures de deux ambassadeurs (François Ier et Francisque de Taverna, un ambassadeur du pape Jules II), 67.

CHAPITRE X.

De ceux prompts à parler et de ceux auxquels un certain temps est nécessaire pour s’y préparer, I, 69.—Certaines gens ayant à parler en public, ont besoin de préparer ce qu’ils ont à dire; d’autres n’ont pas besoin de préparation. La première de ces qualités est le propre des prédicateurs, la seconde convient aux avocats (le chancelier Poyet et le cardinal du Bellay), 69.—Il en est chez lesquels la contradiction stimule le talent oratoire (Severus Cassius), 71.—Il y a des personnes qui, sans préparation, parlent mieux qu’elles n’écrivent, quelque peine et travail qu’elles apportent à rédiger, 71.

CHAPITRE XI.

Des pronostics, I, 73.—Les anciens oracles avaient déjà perdu tout crédit avant l’établissement de la religion chrétienne, 73.—On croit encore cependant à certains pronostics. Origine de l’art de la divination chez les Toscans, art vain et dangereux qui ne rencontre la vérité que par l’effet du hasard (le marquis de Saluces, citation d’Horace, Diagoras surnommé l’athée, Joachim abbé de la Calabre, l’empereur Léon), 73.—Ce que paraît avoir été le démon familier de Socrate, 79.

CHAPITRE XII.

De la constance, I, 79.—En quoi consistent la résolution et la constance, 79.—Il est parfois licite de céder devant l’ennemi, quand c’est pour le mieux combattre (les Turcs, Socrate et Lachès, les Lacédémoniens à Platée, les Scythes et Darius), 81.—Chercher à se soustraire à l’effet du canon, quand on est à découvert, est bien inutile par suite de la soudaineté du coup (le marquis du Guast, Laurent de Médicis), 81.—Les stoïciens ne dénient pas au sage d’être, sur le premier moment, troublé par un choc inattendu; mais sa conduite ne doit pas en être influencée, 83.

CHAPITRE XIII.

Cérémonial des entrevues des rois, I, 85.—Attendre chez soi un grand personnage dont la visite est annoncée, est plus régulier que d’aller au devant de lui, ce qui expose à le manquer (Marguerite de Navarre), 85.—Dans les entrevues de souverains, on fait en sorte que celui qui a la prééminence, se trouve le premier au rendez-vous (Clément VII et François Ier; Clément VII et Charles-Quint), 85.—Il est toujours utile de connaître les formes de la civilité, mais il faut se garder de s’en rendre esclave et de les exagérer, 87.

CHAPITRE XIV.

On est punissable quand on s’opiniâtre à défendre une place au delà de ce qui est raisonnable, I, 87.—La vaillance a ses limites; et qui s’obstine à défendre une place trop faible, est punissable (le connétable de Montmorency à Pavie et au château de Villane, le capitaine Martin du Bellay à Turin), 87.—L’appréciation du degré de résistance et de faiblesse d’une place est difficile, et l’assiégeant qui s’en rend maître est souvent disposé à trouver que la défense a été trop prolongée, 89.

CHAPITRE XV.

Punition à infliger aux lâches, I, 89.—La lâcheté ne devrait pas être punie de mort chez un soldat, à moins qu’elle ne soit l’effet de mauvais desseins (le seigneur de Vervins), 89.—Les peuples anciens et modernes ont souvent varié dans la manière de sévir contre la poltronnerie (Charondas, l’empereur Julien, les Romains après la défaite de Cannes, le seigneur de Franget, etc.), 91.

CHAPITRE XVI.

Façon de faire de quelques ambassadeurs, I, 93.—Les hommes aiment à faire parade de toute science autre que celle objet de leur spécialité (Périandre, César, Denys l’Ancien), 93.—Pour juger de la valeur d’un chroniqueur, il importe de connaître sa profession, 95.—Les ambassadeurs d’un prince ne doivent lui cacher quoi que ce soit (Ambassadeurs de François Ier auprès de Charles-Quint), 95.—Rien de la part des subordonnés n’est apprécié par un supérieur comme leur obéissance pure et simple (Publius Crassus), 97.—Une certaine latitude est cependant à laisser aux ambassadeurs (fâcheux errements des Perses), 97.

CHAPITRE XVII.

De la peur, I, 99.—La peur est la plus étrange de toutes les passions; ses effets sur le vulgaire, 99.—Les soldats eux-mêmes en sont atteints (un enseigne à l’attaque de S.-Paul, lors du siège de Rome par M. de Bourbon, épisode de la guerre de Germanicus contre les Allemands), 99.—Elle a souvent des effets contraires, elle nous immobilise ou nous donne des ailes (l’empereur Théophile), 101.—Quelquefois elle détermine des actions d’éclat (les Romains à la bataille de la Trébie), 101.—Elle domine toutes les autres passions et, plus qu’aucune autre, nous démoralise (les compagnons de Pompée), 101.—Terreurs paniques (Carthage), 103.

CHAPITRE XVIII.

Ce n’est qu’après la mort, qu’on peut apprécier si, durant la vie, on a été heureux ou malheureux, I, 103.—Par suite des vicissitudes continuelles de la fortune, ce n’est qu’après notre mort qu’on peut dire si nous avons été heureux ou non; incertitude et instabilité des choses humaines (Crésus et Cyrus, Agésilas, un successeur d’Alexandre le Grand, Denys le Jeune à Corinthe, Pompée en Égypte, Ludovic Sforza, Marie Stuart), 103.—Une belle mort absout parfois une vie coupable; elle finit dignement une vie innocente et pure (Scipion, Épaminondas), 105.

CHAPITRE XIX.

Philosopher, c’est apprendre à mourir, I, 107.—Ce que c’est que philosopher, 107.—Le plaisir est le seul but de la vie, mais on ne se le procure surtout que par la vertu; la difficulté ajoute aux satisfactions qu’elle nous cause, 109.—Le mépris de la mort est l’un des plus grands bienfaits que nous lui devons, 111.—La mort est le but essentiel de la vie; le mot en était désagréable aux Romains, 113.—La mort nous surprend inopinément de bien des façons (un duc de Bretagne, Henry II roi de France, Philippe fils de Louis le Gros, Æmilius Lepidus, Aufidius, Cornelius Gallus, Tigellinus, Ludovic de Gonzague, Speusippe, Babius, Caius Julius, le capitaine S.-Martin frère de Montaigne), 115.—Il faut toujours être préparé à la mort, et l’idée en être toujours présente à notre esprit (coutume des Égyptiens, Paul Émile et Persée, raison d’être des cimetières autour des temples au milieu des villes, combats de gladiateurs chez les Romains pendant les festins), 115.—Intérêt que nous avons à y penser fréquemment. Le mépris de la vie est le fondement le plus assuré de la religion, 117.—La mort fait partie de l’ordre universel des choses; la vie n’est par elle-même ni un bien ni un mal (Socrate, les éphémères), 127.—L’immortalité n’est pas désirable. Pourquoi la mort est mêlée d’amertume (Chiron, Thalès), 131.—Pourquoi elle nous paraît autre à la guerre que dans nos foyers; pourquoi elle est accueillie avec plus de calme par les gens du commun que par les personnes des classes plus élevées, 133.

CHAPITRE XX.

De la force de l’imagination, I, 133.—Effets de l’imagination (Gallus Vibius), 133.—Des émotions violentes peuvent occasionner des modifications radicales dans notre organisme (Cippus, le fils de Crésus, Antiochus, Lucius Cossitius, Iphis, Marie Germain), 135.—L’imagination peut produire des extases, des visions, des défaillances considérées jadis comme le fait d’enchantements (le roi Dagobert, S. François, exemples rapportés par Celse, par S. Augustin, plaisante anecdote dont Montaigne a été l’auteur, Amasis roi d’Égypte et Laodice, la bru de Pythagore), 137.—Comment les mariés doivent se comporter dans la couche nuptiale, 143.—Nos organes sont sujets à aller à l’encontre de notre volonté qui, elle-même, échappe parfois à toute direction, 143.—Du seul fait de l’imagination, les maladies peuvent se guérir ou s’aggraver; exemples à l’appui, 147.—Les bêtes, elles aussi, en ressentent les effets, 149.—Notre imagination est susceptible d’agir même sur d’autres que sur nous (Femmes de Scythie, impressions ressenties par les enfants dans le sein de leur mère, fascination exercée sur des animaux), 149.—Montaigne cite les faits qui arrivent à sa connaissance, sans se préoccuper de leur exactitude; il se borne à en prendre texte pour ses réflexions. L’impossibilité de contrôler ceux qu’ils consignent fait que le rôle de chroniqueur ne convient guère ni à un philosophe, ni à un théologien; motifs pour lesquels l’auteur s’est refusé à écrire la chronique de son temps, 151.

CHAPITRE XXI.

Ce qui est profit pour l’un, est dommage pour l’autre, I, 155.—Dans toute profession, on ne fait bien ses affaires qu’aux dépens d’autrui (Demade l’Athénien), 155.

CHAPITRE XXII.

Des coutumes et de la circonspection à apporter dans les modifications à faire subir aux lois en vigueur, I, 155.—Force de l’habitude; elle s’exerce même malgré des intermittences de certaine durée (Mithridate, alimentation de certains peuples, endurcissement de l’athlète, habitants des cataractes, musique céleste, vêtements parfumés, bruit de cloches), 155.—Les vices prennent pied chez l’enfant dès le bas âge et devraient être combattus dès ce moment, 159.—Habileté à laquelle on peut atteindre par l’habitude, 161.—Puissance de la coutume sur les opinions; elle est cause de la diversité des institutions humaines, 161.—Coutumes bizarres de certains peuples, 161.—Les lois de la conscience dérivent plus des coutumes que de la nature; notre attachement au gouvernement, au pays, est notamment un fait d’habitude, 169.—L’habitude est aussi la source de grands abus, entre autres la vénalité des charges de la justice, son mode d’administration; et, en fait de choses de moindre importance, le grotesque de certains vêtements de notre époque; difficulté d’aller à l’encontre, 173.—Il n’en faut pas moins se conformer aux usages et, sauf le cas d’absolue nécessité, se garder de toute innovation dans les institutions publiques. Ébranlement causé en France par l’introduction de la Réforme (Charondas, Lycurgue, l’éphore et la cythare, la Réforme et la Ligue, le Sénat romain, l’oracle de Delphes), 177.—L’obéissance aux lois est un principe de la religion chrétienne; quant à ses propres dogmes, ils sont hors de toute discussion, 181.—Cas où l’absolue nécessité impose des modifications à l’état de choses existant (Octavius, Caton, Agésilas, Alexandre le Grand, les Lacédémoniens avec Lysandre et Périclès, Philopœmen), 185.

CHAPITRE XXXIII.

Une même ligne de conduite peut aboutir à des résultats dissemblables, I, 187.—La clémence désarme souvent des conjurés (le duc de Guise à Rouen, Auguste envers Cinna), 187.—La médecine n’est pas le seul art où la fortune ait une large part dans le succès; les beaux-arts, les lettres, les entreprises militaires sont dans le même cas, 193.—Parti à prendre lorsque ce qui peut s’ensuivre présente de l’incertitude, 195.—Il n’est pas avantageux de s’attacher à prévenir les conjurations par la rigueur (Dion et Calypsus, Alexandre le Grand et Philippe son médecin), 195.—Triste état d’un prince enclin à la défiance, 197.—La hardiesse permet seule de réaliser de grandes choses (Scipion et Syphax, Louis XI, César), 197.—Conduite à tenir en présence d’émeutes; la confiance qu’on montre doit, pour porter fruit, être ou paraître exempte de crainte, 199.—Confiance de César en sa fortune, 201.—Conseil donné à un tyran pour se mettre à couvert des complots qu’on pouvait former contre lui (Denys de Syracuse, le duc d’Athènes à Florence), 201.—Mourir vaut mieux parfois que d’être sous la menace continue d’une fin tragique, 203.

CHAPITRE XXIV.

Du pédantisme, I, 203.—Les pédants sont et ont été de tous temps méprisés et ridiculisés malgré leur savoir (du Bellay, Plutarque, Rabelais, Marguerite de Valois), 203.—Les philosophes de l’antiquité étaient au contraire généralement estimés, parce que sous leur originalité et leur dédain pour les fonctions publiques, existait une science profonde; différence essentielle entre eux et les pédants de nos jours (Archimède, Cratès, Héraclite; Empédocle, Thalès, Anaxagore), 205.—Les pédants ne s’occupent que de meubler leur mémoire et à en faire parade, sans que bénéficient de ce qu’ils apprennent ni leur jugement, ni leur conscience, 209.—Exemple de ce Romain qui se croyait savant, parce qu’il avait des savants à ses gages, 211.—La science n’est utile qu’autant qu’elle nous devient propre. Caractères distinctifs des vrais et des faux savants (Lucullus, Protagoras, Adrien Turnebus), 213.—La science sans le jugement ne saurait porter fruit, peut-être est-ce là le motif pour lequel nous la tenons comme une superfétation chez la femme (François duc de Bretagne), 217.—Nos pères n’en faisaient pas grand cas; et, chez ceux auxquels les dispositions naturelles pour en bénéficier font défaut, elle est plus dangereuse qu’utile; la plupart des pédants de notre époque est dans ce cas, parce qu’ils ne s’y sont adonnés que pour en tirer profit (Ariston de Chio), 217.—Les Perses s’appliquaient à apprendre la vertu à leurs enfants (Astyage et Cyrus); les Lacédémoniens à les mettre en présence de la réalité, les instruisant par l’exemple de ce qu’ils auraient à faire quand ils seraient devenus des hommes (Agésilas), 221.—Différence entre l’éducation que recevaient les Spartiates et celle que recevaient les Athéniens (les Lacédémoniens et Antipater, Agésilas et Xénophon), 223.—Comment Socrate se joue d’un sophiste se plaignant de n’avoir rien gagné à Sparte, 223.—Les sciences amollissent et efféminent les courages (les Turcs, les Scythes, les Parthes, Tamerlan, les Goths en Grèce, Charles VIII en Italie), 225.

CHAPITRE XXV.

De l’éducation des enfants, I, 227.—Montaigne déclare n’avoir que des données assez vagues sur les sciences; en dehors de Plutarque et de Sénèque, il n’a guère d’auteurs qui lui soient familiers. Tout en traitant des sujets sur lesquels il n’a que des connaissances superficielles, il se garde d’imiter ces trop nombreux écrivains qui, donnant dans une erreur trop commune, empruntent dans une large mesure aux auteurs anciens, croyant ainsi en imposer à leurs lecteurs (Chrysippe, Épicure, centons de Capilupus et de Juste Lipse), 227.—L’éducation de l’enfant doit commencer dès le bas âge; il est difficile de préjuger par ses premières inclinations de ce qu’il sera un jour, aussi ne faut-il pas y attacher trop d’importance (Cimon, Thémistocle, Platon), 233.—La science convient surtout aux personnes de haut rang; non celle qui apprend à argumenter, mais celle qui rend habile au commandement des armées, au gouvernement des peuples, etc., 235.—Le succès d’une éducation dépend essentiellement du gouverneur qui y préside, lequel doit avoir du jugement, des mœurs plutôt que de la science, s’appliquer à aider son élève à trouver lui-même sa voie et l’amener à exposer ses idées au lieu de commencer par lui suggérer les siennes (Socrate, Arcésilas), 235.—Chaque enfant est à instruire suivant le tempérament qui lui est propre; appliquer à tous une même méthode, ne peut donner pour le plus grand nombre que de mauvais résultats, 237.—L’élève ne doit pas adopter servilement les opinions des autres et n’en charger que sa mémoire; il faut qu’il se les approprie et les rende siennes, 239.—Le profit de l’étude est de rendre meilleur. Ce qu’il faut développer, c’est l’intelligence; savoir par cœur, n’est pas savoir. Tout ce qui se présente aux yeux doit être sujet d’observation, 241.—Les voyages bien dirigés sont particulièrement utiles; il faut les commencer de bonne heure, 243.—L’enfant gagne à être élevé loin des siens; il faut l’habituer aux fatigues, endurcir son corps en même temps que fortifier son âme, 243.—En société, l’adolescent s’appliquera plus à connaître les autres qu’à vouloir paraître; et, dans ses propos, il se montrera réservé et modeste, 245.—Il sera affectionné à son prince, prêt à le servir avec le plus grand dévouement pour le bien public, mais mieux vaut qu’il ne recherche pas d’emploi à la cour, 247.—On lui inspirera la sincérité dans la discussion; il prêtera attention à tout, s’enquerra de tout, 247.—L’étude de l’histoire est de première importance; supériorité de Plutarque comme historien (Marcellus, Alexandridas), 249.—La fréquentation du monde contribue beaucoup à nous former le jugement (Socrate), 251.—Le monde doit être notre livre d’étude de prédilection (Pythagore et les jeux olympiques), 253.—La philosophie servant à diriger notre vie, est ce qui doit tout d’abord être enseigné à l’homme quand il est jeune, 253.—Avant d’observer le cours des astres, il doit observer ses propres penchants et s’attacher à les régler, 255.—Il pourra ensuite se livrer aux autres sciences, les scrutant à fond au lieu de se borner à n’en apprendre que quelques définitions vides de sens, 257.—La philosophie, dégagée de l’esprit de discussion et des minuties qui la discréditent trop souvent, loin d’être sévère et triste, est d’une étude agréable (Démétrius le grammairien et Héracléon de Mégare, Bradamante et Angélique), 257.—La vertu est la source de tous les plaisirs de l’homme par cela même qu’elle les légitime et les modère, 261.—L’éducation à donner à l’enfant ne doit pas se régler d’après le rang des parents dans la société, mais d’après ses propres facultés, 261.—La philosophie est de tous les âges; trop de science abêtit (Aristote et Alexandre le Grand, Épicure et Meniceus, Carnéade), 263.—Toutes les circonstances, même le jeu, prêtent à l’étude de la philosophie (Socrate), 265.—Le dressage du corps chez l’enfant, doit être mené de front avec celui de l’âme, 265.—L’étude doit lui être rendue attrayante, et tout procédé violent pour l’y astreindre être banni, 267.—L’homme ne doit se singulariser en rien; être capable de se conformer aux usages de son milieu quel qu’il soit, mais n’aimer à faire que ce qui est bien (Germanicus, Callisthène et Alexandre le Grand, Alcibiade chez les Perses et les Lacédémoniens, Aristippe), 269.—C’est par ses actes qu’on jugera du profit qu’un jeune homme a retiré de l’éducation qu’il a reçue (Platon, Héraclide du Pont, Diogène et Hégésias, Zeuxidamus), 271.—Ce qu’il saura bien, il arrivera toujours à l’exprimer suffisamment; la connaissance des choses importe plus que les mots pour les rendre (Cléomène et les ambassadeurs de Samos, deux architectes d’Athènes, Cicéron et Caton), 273.—Dans un poème, l’idée et le vers sont deux choses essentiellement distinctes (Ménandre, Ronsard, du Bellay), 275.—Les subtilités sophistiques qui s’enseignent dans les écoles sont à mépriser; un langage simple est à rechercher (Aristippe, Chrysippe, Aristophane le grammairien et Épicure, caractéristiques du langage chez les Athéniens, les Lacédémoniens et les Crétois, Philologues et Logophiles), 277.—Comment Montaigne apprit le latin et le grec; causes qui empêchèrent ce mode d’instruction de porter tous ses fruits, 281.—Comment naquit chez lui le goût de la lecture, 285.—Les jeux et les exercices publics sont utiles à la société, 287.

CHAPITRE XXVI.

C’est folie de juger du vrai et du faux avec notre seule raison, I, 289.—L’ignorance et la simplicité se laissent facilement persuader; mais si l’on est plus instruit, on ne veut croire à rien de ce qui paraît sortir de l’ordre naturel des choses, 289.—Et cependant, autour de nous, tout est prodige, et l’habitude seule nous empêche de tout admirer (Chilon), 291.—S’il est des choses que l’on peut rejeter, parce qu’elles ne sont pas avancées par des hommes qui peuvent faire autorité, il en est de très étonnantes qu’il faut au moins respecter, lorsqu’elles ont pour témoins des personnes dignes de notre confiance (Froissart, Plutarque, César, Pline, Bouchet, S. Augustin), 293.—En matière de religion, ce n’est pas à nous à décider ce que l’on peut ou non concéder aux ennemis de la foi, 295.

CHAPITRE XXVII.

De l’amitié, I, 297.—Le discours de La Boétie sur la servitude volontaire, a été le point de départ de l’amitié qui l’unit si étroitement à Montaigne, 297.—L’amitié vraie est le sentiment le plus élevé de la société; il est essentiellement différent des autres affections qui s’y rencontrent communément et en ont l’apparence, 299.—Toute contrainte exclut l’amitié; c’est ce qui fait que les rapports entre les pères et les fils revêtent un autre caractère; de même entre les frères que divisent souvent des questions d’intérêt (Aristippe), 299.—Entre hommes et femmes, dans le mariage comme en dehors, un autre sentiment prédomine et l’amitié ne saurait y trouver place, 301.—Les unions contre nature admises chez les Grecs y tendaient parfois (Plaidoyer à ce sujet des philosophes de l’Académie; Achille et Patrocle, Harmodius et Aristogiton), 303.—Caractère essentiel de l’amitié parfaite; elle ne se raisonne pas et deux âmes, unies par ce sentiment, n’en font qu’une (La Boétie et Montaigne, Tiberius Gracchus et Blosius), 307.—Dans les amitiés communes, il faut user de prudence et de circonspection (Chilon, Aristote), 311.—Entre amis véritables, tout est commun; et, si l’un est assez heureux pour pouvoir donner à son ami, c’est celui qui donne, qui est l’obligé (Diogène le philosophe, testament d’Eudamidas et Aréthée le Corinthien), 311.—Aussi, dans l’amitié véritable, les deux amis ne s’appartenant plus, ce sentiment est exclusif chez eux et ils ne sauraient l’étendre à une personne tierce, 313.—Dans les autres relations que l’on peut avoir, peu importent d’ordinaire le caractère, la religion, les mœurs des personnes avec lesquelles on est en rapport; il n’en est pas de même en amitié, 315.—Regrets profonds qu’a laissés à Montaigne, jusqu’à la fin de ses jours, la perte de son ami, 317.—Pourquoi Montaigne substitue au Discours sur la servitude volontaire de La Boétie, qu’il avait dessein de transcrire ici, la pièce de vers du même auteur qu’il donne dans le chapitre suivant, 319.

CHAPITRE XXVIII.

Vingt-neufs sonnets d’Étienne de La Boétie, I, 319.

CHAPITRE XXIX.

De la modération, I, 345.—Il faut de la modération, même dans l’exercice de la vertu (Horace, S. Paul, Henri III, la mère de Pausanias, le dictateur Posthumius), 345.—La philosophie elle-même poussée à l’extrême, comme toutes autres choses, est préjudiciable (Calliclès), 345.—Dans tous les plaisirs permis, entre autres dans ceux du mariage, la modération est nécessaire (S. Thomas, les Musulmans, Zénobie, Jupiter, les rois de Perse, Épaminondas et Pélopidas, Sophocle et Périclès, l’empereur Ælius Vérus), 347.—L’homme s’applique à aggraver les misères de sa condition: c’est avec des privations et des souffrances qu’on croit guérir ou calmer les passions, c’est donner d’un excès dans un autre, 351.—C’est à ce sentiment qu’il faut rattacher les sacrifices humains généralement pratiqués dans les temps passés et qui subsistaient également en Amérique, lors de sa découverte (Amurat, les peuples d’Amérique, Fernand Cortez), 351.

CHAPITRE XXX.

Des Cannibales, I, 353.—Fausse opinion que l’on a quelquefois des peuples que l’on dit «barbares» (Pyrrhus et les Romains, Flaminius, Publius Galba et les Grecs), 353.—De la découverte de l’Amérique; il n’est pas probable que ce soit l’Atlantide de Platon, ni cette terre inconnue où voulurent s’établir les Carthaginois (Villegaignon, Solon, Aristote), 355.—Qualités à rechercher chez ceux qui écrivent des relations de voyage; chacun devrait exposer ce qu’il a vu et ne parler que de ce qu’il sait pertinemment, 357.—Pourquoi et combien à tort nous qualifions de «sauvages» les peuples d’Amérique, 359.—Description d’une contrée du nouveau continent; manière de vivre de ses habitants, leurs demeures, leur nourriture, leurs danses, leurs prêtres, leur morale (les Scythes), 363.—Comment ils font la guerre; pourquoi ils tuent et mangent leurs prisonniers; en quoi ils sont, en cela même, moins barbares que nous dans certains de nos actes (les Scythes, les Portugais, les Stoïciens, les Gaulois à Alésia, les Gascons), 365.—Ils ne se proposent, dans leurs guerres, que d’acquérir de la gloire sans rechercher d’agrandissement de territoire; tous leurs efforts auprès de leurs prisonniers tendent à leur faire demander merci (les Hongrois), 369.—La vaillance consiste essentiellement dans notre force d’âme et non dans notre supériorité physique; aussi y a-t-il des défaites plus glorieuses que des victoires (Léonidas aux Thermopyles, Ischolas contre les Arcadiens), 371.—Constance des prisonniers chez ces peuplades sauvages, en présence des tourments qui les attendent, 373.—Les femmes, dans cette contrée, mettent un point d’amour-propre à procurer d’autres compagnes à leurs maris (les femmes d’Abraham et de Jacob, Livia femme d’Auguste, Stratonice), 373.—Opinions émises sur nos mœurs par trois de ces sauvages venus visiter la France, 375.—Privilèges que confère chez eux la suprématie, 377.

CHAPITRE XXXI.

Il faut apporter beaucoup de circonspection quand on se mêle d’émettre un jugement sur les décrets de la Providence, I, 377.—On ne croit à rien si fermement qu’aux choses qui ne peuvent être soumises au raisonnement, 377.—Pour appuyer la vérité de la religion chrétienne, il ne faudrait jamais apporter en preuve le succès de telle ou telle entreprise; c’est donner matière à toutes sortes de contestations (combats de la Roche-Abeille, de Montcontour et de Jarnac; bataille de Lépante, Arrius et le pape Léon, Héliogabale, S. Irénée), 379.—Les événements sont dus à des causes que Dieu seul connaît et qu’il n’est pas donné à l’homme de pénétrer, 381.

CHAPITRE XXXII.

Les voluptés sont à fuir, même au prix de la vie, I, 381.—Abandonner la vie, quand elle est misérable et tourmentée, n’a rien que d’ordinaire et naturel; mais se donner la mort au milieu de toutes les prospérités et pour se soustraire aux joies de ce monde et de la volupté est plus singulier (Sénèque et Lucilius, Épicure et Idoménée; S. Hilaire, sa fille Habra et sa femme), 381.

CHAPITRE XXXIII.

La fortune marche souvent de pair avec la raison, I, 385.—La fortune agit dans les conditions les plus diverses: parfois elle se substitue à la justice (le duc de Valentinois et le pape Alexandre VI), 385.—Elle détermine les événements les plus bizarres qui vont jusqu’à tenir du miracle (le Sieur de Liques, les deux Constantin, Clovis à Angoulême, le roi Robert près d’Orléans, le capitaine Rense à Erone), 385;—opère des cures inespérées (Jason de Phères), 387;—produit dans les arts, dans nos affaires les effets les plus inattendus (le peintre Protogène, Isabelle reine d’Angleterre, Timoléon, les deux Ignatius), 387.

CHAPITRE XXXIV.

Une lacune de notre administration, I, 389.—Utilité dont serait dans chaque ville un registre public où chaque habitant pourrait insérer des annonces et des avis, proposer ce qu’il veut vendre ou acheter, etc. (Lilius Gregorius Giraldi et Sébastien Chasteillon), 389.—Intérêt que présenterait également la tenue dans chaque famille d’un livre où seraient consignés, jour par jour, les petits événements qui l’intéressent: mariages, naissances, décès, voyages, nouvelles bonnes et mauvaises, etc., 391.

CHAPITRE XXXV.

De l’habitude de se vêtir, I, 393.—La nature nous a-t-elle formés pour être vêtus? Dans des contrées où cependant le froid est rigoureux, il y a des nations, comme des individus, qui se sont accoutumés à vivre nus ou presque nus (les peuplades d’Amérique, nos paysans, le fou du duc de Florence, le roi Massinissa, l’empereur Sévère, les Égyptiens et les Perses, Agésilas, César, Annibal, les habitants du Pégu, le Roi de Pologne), 393.—Du froid en certaines circonstances (dans le Luxembourg, au Palus Méotides, les Romains et les Carthaginois à la bataille près de Plaisance, en Arménie lors de la retraite des Dix mille; arbres fruitiers enterrés pour les protéger du froid), 395.—Usages à la cour de l’empereur du Mexique, 397.

CHAPITRE XXXVI.

Sur Caton le Jeune, I, 399.—Il ne faut pas juger des autres d’après soi, 399.—Aujourd’hui la vertu n’est qu’un vain mot; on n’est vertueux que par habitude, par intérêt ou par ambition (les Spartiates et Aristodème), 399.—Il est des hommes qui cherchent à rabaisser les personnages éminents par leurs vertus; il faudrait au contraire les offrir sans cesse comme des modèles à l’admiration du monde (Caton d’Utique), 401.—Comment cinq poètes anciens ont parlé de Caton; la vraie poésie nous transporte, mais ne peut s’analyser (Martial, Manilius, Lucain, Horace et Virgile), 403.

CHAPITRE XXXVII.

Une même chose nous fait rire et pleurer, I, 405.—Un vainqueur pleure souvent la mort d’un vaincu, et ce ne sont pas toujours des larmes fausses (Antigone vis-à-vis de Pyrrhus, René de Lorraine vis-à-vis de Charles de Bourgogne, le comte de Montfort vis-à-vis de Charles de Blois, César vis-à-vis de Pompée), 405.—Des passions multiples et souvent contraires subsistent en effet simultanément dans le cœur de l’homme (Néron; Xerxès), 407.—D’ailleurs nous n’envisageons pas sans cesse une même chose sous un même aspect (Timoléon), 409.

CHAPITRE XXXVIII.

De la solitude, I, 411.—Les méchants sont nombreux; nul doute que leur société ne soit funeste, c’est un motif de rechercher la solitude (Bias, l’Ecclésiastique, Albuquerque, Charondas, Antisthène), 411.—Ce que la plupart des hommes y recherchent, c’est d’y vivre loin des affaires et dans le repos; mais elle ne nous dégage ni de tous soins domestiques, ni surtout de nos vices (Socrate), 413.—Affranchir notre âme des passions qui la dominent, la détacher de tout ce qui est en dehors de nous, c’est là la vraie solitude; on peut en jouir au milieu des villes et des cours (Stilpon, Antisthène, l’évêque Paulin), 415.—Les hommes se passionnent pour mille choses qui ne les concernent pas, 417.—La retraite convient surtout à ceux qui ont consacré la majeure partie de leur vie au service de l’humanité (Thalès), 419.—Il faut être capable de faire abstraction de toutes nos obligations, et, faisant un retour sur nous-mêmes, être exclusivement à nous; tempéraments qui s’y prêtent le mieux; comment y arriver, 419.—Il faut user de ce que nous avons, mais sans nous en faire une nécessité, et être prêts à nous en passer, si la fortune vient à nous en priver, 421.—Occupations qui conviennent davantage dans la vie solitaire (Cyrus, Démocrite), 423.—Pline et Cicéron conseillent de mettre à profit la retraite pour se faire un nom par quelque œuvre littéraire, 423.—Cas particulier de ceux qui, par dévotion, recherchent la vie solitaire, 425.—Combien peu est raisonnable le conseil de Pline et de Cicéron, 425.—Études et soins auxquels on peut se livrer dans la solitude; sciences dont, à ce moment, il ne faut pas s’embarrasser l’esprit, 427.—La gloire et le repos sont choses incompatibles (Épicure et Sénèque), 427.

CHAPITRE XXXIX.

Considérations sur Cicéron, I, 431.—Cicéron et Pline le Jeune étaient des ambitieux pleins de vanité; ils ont été jusqu’à solliciter les historiens de faire l’éloge de leurs faits et gestes, 431.—Même dans leurs lettres intimes, ils ont recherché l’élégance du style; elles semblent n’avoir été écrites que pour être publiées (Xénophon et César; Scipion, Lælius et Térence), 431.—Les rois et les grands ne doivent pas tirer vanité d’exceller dans les arts et les sciences; seuls les talents et qualités qui importent à leur situation sont susceptibles de leur faire honneur (Cyrus, Charlemagne, Philippe et Démosthène, Philippe et Alexandre, Iphicrate, Antisthène), 433.—Dans ses Essais, Montaigne dit avoir intentionnellement évité de développer les sujets qu’il traite; il se borne à les esquisser, sans même se préoccuper de la forme sous laquelle il les présente, 435.—Combien sont différents de Pline et de Cicéron, Épicure et Sénèque qui critiquent cette soif de célébrité dans un style moins brillant, mais plus sensé, 437.—Raisons qui font que Montaigne préfère la forme qu’il donne à ses Essais au genre épistolaire pour lequel il avait cependant des dispositions particulières, 437.—Rien de ridicule comme les formules oiseuses de respect et d’adulation qu’on prodigue de nos jours dans la correspondance privée; comment lui-même procédait (Annibal Caro, Montaigne), 439.

CHAPITRE XL.

Le bien et le mal qui nous arrivent ne sont souvent tels que par l’idée que nous nous en faisons, I, 441.—La diversité des opinions sur les biens et les maux est grande; la mort elle-même n’apparaît pas à tous comme un mal, 441.—Des gens plaisantent sur son seuil même, en allant au supplice, etc. (Théodore et Lysimaque, les habitants d’Arras; plaisanteries de condamnés conduits au supplice, de bouffons à leurs derniers moments), 443.—Dans les Indes, les femmes s’ensevelissent ou se brûlent vivantes sur le corps de leurs maris; fréquemment les vicissitudes de la guerre amènent des populations entières à se donner volontairement la mort (au royaume de Narsingue, le peuple de Milan, les Xanthiens, les Grecs lors des guerres médiques), 447.—Souvent l’homme sacrifie sa vie à la conservation de ses opinions religieuses (les Turcs, les Juifs sous Jean et Emmanuel de Portugal, les Albigeois), 447.—Parfois la mort est recherchée comme constituant un état préférable à la vie; elle ne saurait donc être un sujet de crainte (Pyrrhon), 449.—La douleur est tenue par certains comme le plus grand des maux; il en est qui nient sa réalité, tandis que d’autres au contraire, mentant à eux-mêmes, prétendent faussement ne redouter dans la mort que la douleur qui d’ordinaire l’accompagne (Aristippe, Hiéronyme, Posidonius et Pompée, Saint Augustin), 451.—La réalité de la douleur n’est pas douteuse, c’est même le propre de la vertu de la braver, 453.—Plus elle est violente plus elle est courte, et plus il est possible à l’homme d’en diminuer l’acuité en réagissant contre elle, ce que nous permettent de faire les forces de l’âme, et ce à quoi nous parvenons tous sous l’empire de sentiments divers (les femmes en couches, en particulier celles des Suisses et les Bohémiennes; la femme de Sabinus, des enfants de Lacédémone, Mutius Scevola, les gladiateurs, les femmes par coquetterie, une fille de Picardie, les Turcs, S. Louis, Guillaume dernier duc de Guyenne, Foulques comte d’Anjou, Q. Maximus, M. Caton, L. Paulus, Térez roi de Thrace, les Espagnols, austérité du cardinal Borromée, accident funeste que certains supportent sans peine), 455.—Est-ce un bien ou non d’avoir beaucoup d’enfants (Montaigne, Thalès)? 465.—L’opinion que nous en avons fait seule le prix des choses, 465.—Comment Montaigne réglait ses dépenses alors qu’il n’était pas encore maître de ses biens, 467.—L’indigence peut subsister chez le riche comme elle existe chez le pauvre, 469.—Être riche est un surcroît d’embarras; on est bientôt en proie à l’avarice et à ses tourments (Montaigne, César, Denys et un Syracusain), 469.—Vivre au jour le jour suivant ses revenus, sans trop se préoccuper de l’imprévu, est le parti le plus sage (Féraulez seigneur Persan, un vieux prélat), 471.—Les biens ne sont donc pas plus réels que les maux; les uns comme les autres ne sont tels que par l’appréciation que nous en portons, 475.—En somme, il faut savoir se commander et, finalement, il nous est toujours loisible de mettre un terme à ce que nous envisageons comme des maux, quand ils nous deviennent intolérables, 475.

CHAPITRE XLI.

L’homme n’est pas porté à abandonner à d’autres la gloire qu’il a acquise, I, 477.—Le vain désir d’acquérir de la réputation nous fait renoncer à des biens plus réels, tels que le repos, la santé, etc.; et nous porte même à sacrifier notre vie. La gloire n’est qu’une illusion, une ombre, et cependant on voit jusqu’à des philosophes qui, tout en la décriant, la recherchent, 477.—On trouve rarement des hommes qui abandonnent aux autres leur part de gloire; exemples de cette abnégation de soi-même (Catulus Luctatius, Antoine de Lève et Charles-Quint, Archélonide mère de Brasidas, Edouard III d’Angleterre, Lælius et Scipion, Théopompe roi de Sparte, l’évêque de Beauvais à la bataille de Bouvines), 479.

CHAPITRE XLII.

De l’inégalité qui règne parmi les hommes, I, 481.—Extrême différence que l’on remarque entre les hommes; on ne devrait les estimer qu’en raison de ce qu’ils valent par eux-mêmes et après les avoir dépouillés de tout ce qui n’est pas eux; c’est par leur âme qu’il faut les juger, 481.—De vaines apparences extérieures distinguent seules le roi du paysan, le noble du roturier, etc. Que sont les rois? des acteurs en scène, des hommes plus méprisables quelquefois que le dernier de leurs sujets, soumis aux mêmes passions, aux mêmes vices (les rois de Thrace, Alexandre le Grand et ses flatteurs, Antigone et le poète Hermodore), 485.—Le bonheur est dans la jouissance et non dans la possession; or peut-il jouir des avantages de la royauté celui qui ne sait apprécier son bonheur, celui dont l’esprit est borné, l’âme grossière, ou qui est tourmenté par des douleurs physiques? 487.—Combien le sort des rois est à plaindre; leurs devoirs constituent une lourde charge (Séleucus, Cyrus), 489.—La satiété leur rend tous les plaisirs insipides (le roi Hiéron, le Grand Seigneur), 489.—Ils sont constamment sous les yeux de leurs sujets qui les jugent avec sévérité (le roi Hiéron; le roi Alphonse), 491.—La vie d’un seigneur retiré dans ses terres, loin de la cour, est bien préférable, 493.—Les rois ne connaissent pas l’amitié, la confiance; ils n’ont autour d’eux que des flatteurs et des hypocrites (Hiéron, l’empereur Julien), 493.—Les commodités effectives dont ils jouissent leur sont communes avec les autres hommes (l’empereur Dioclétien), 495.—Gouvernement idéal (Anacharsis), 495.—Une folle ambition les porte souvent à ravager le monde lorsqu’ils pourraient, sans effort, se procurer le repos et les vrais plaisirs (Cinéas et Pyrrhus), 495.

CHAPITRE XLIII.

Des lois somptuaires, I, 497.—Interdire l’usage de l’or et de la soie à certaines classes de la société dans le but d’enrayer le luxe, c’est aller à l’encontre de ce que l’on se propose, 497.—L’exemple des grands fait loi, c’est pourquoi ils devraient se distinguer par leur simplicité (Zeleucus), 497.—Bizarrerie et incommodité de certaines modes, 499.—Même dans les modes, les changements sont dangereux pour la jeunesse (Platon), 501.

CHAPITRE XLIV.

Du sommeil, I, 501.—Sans doute le sage peut commander à ses passions; mais il n’est pas impassible et il ne peut les empêcher d’émouvoir son âme; aussi, faut-il regarder comme très extraordinaires ces hommes qui, dans les plus importantes circonstances de leur vie et lorsqu’ils devraient éprouver les plus vives agitations, ont pu se livrer au sommeil (Alexandre le Grand, l’empereur Othon, Caton d’Utique, le jeune Marius), 501.—Le sommeil est-il nécessaire à la vie (Persée, Pline, Hérodote, Épiménide)? 505.

CHAPITRE XLV.

Sur la bataille de Dreux, I, 505.—Il importe peu que, dans une action de guerre, un chef ne fasse pas tout ce que commande le devoir ou la bravoure, pourvu qu’il obtienne la victoire; le succès est le seul objectif à poursuivre (le duc de Guise, Philopœmen, Agésilas), 505.

CHAPITRE XLVI.

Des noms, I, 509.—Il est des noms qui sont pris en mauvaise part; certains sont, par tradition, plus particulièrement usités dans telle ou telle famille de souverains, d’autres plus ou moins répandus chez tel ou tel peuple (noblesse répartie en un festin suivant la ressemblance des noms; mets servis dans l’ordre alphabétique), 509.—Il est avantageux de porter un nom aisé à prononcer et qui se retient facilement, 509.—Influence des noms (un jeune homme de Poitiers; Pythagore, les Calvinistes), 511.—Il serait bon de ne jamais traduire les noms propres et de les laisser tels qu’ils sont écrits et se prononcent dans leur langue d’origine (Jacques Amyot), 511.—Inconvénient qu’il y a à prendre, comme cela se fait en France, des noms de terre; la tendance à falsifier les généalogies s’en trouve favorisée, 513.—Les armoiries passent également des uns aux autres (Armoiries de Montaigne), 515.—On se donne bien de la peine pour illustrer un nom qui souvent sera altéré par la postérité; un nom, après nous, n’est en fin de compte qu’un mot et un assemblage de traits sans objet (Duguesclin), 515.—Parfois, de notre vivant même, ce n’est qu’un pseudonyme (Nicolas Denoist, Suétone, Bayard, Escalin), 515.—A qui le souvenir que les noms consacrent, s’applique-t-il parmi le grand nombre d’êtres connus et inconnus de l’histoire, qui ne sont plus et qui ont porté le même nom? 517.—Qu’importe après eux aux grands hommes la gloire de leur nom (Épaminondas, Scipion l’Africain)? 547.

CHAPITRE XLVII.

Incertitude de notre jugement, I, 519.—En maintes occasions on peut être incertain sur le parti à prendre, par exemple: Faut-il poursuivre à outrance un ennemi vaincu? L’adversaire peut regarder comme un témoignage de faiblesse que vous ne poursuiviez pas le cours d’un succès; et, d’autre part, c’est quelquefois une imprudence qui peut devenir fatale, le désespoir pouvant donner de nouvelles forces au vaincu (le duc d’Anjou à Montcontour, les Espagnols à S.-Quentin, Pompée à Oricum, Sylla et Marius pendant la guerre sociale, M. de Foix à Ravenne, les Lacédémoniens, Clodomir, roi d’Aquitaine), 519.—Faut-il permettre que les soldats soient richement armés? Leur courage en est quelquefois exalté; ils sont plus fiers et ont davantage le désir de conserver des armes précieuses, mais on présente à l’ennemi un appât de plus (les peuples d’Asie, les Romains et les Samnites, réponse d’Annibal à Antiochus, Lycurgue), 521.—Faut-il permettre aux soldats de braver l’ennemi par leurs propos au moment d’en venir aux mains? S’il est bon de maintenir en eux l’idée de leur supériorité sur leurs adversaires, il peut arriver aussi que les injures rendent le courage à ceux qui l’avaient perdu (Vitellius et Othon), 523.—Un général doit-il, pour le combat, se déguiser pour n’être pas reconnu des ennemis? Cette ruse a quelquefois du succès, mais elle expose le chef à être méconnu de ses troupes (le roi Pyrrhus, Alexandre, César, Lucullus, Agis, Agésilas, Gylippe), 523.—Est-il préférable au combat de demeurer sur la défensive ou de prendre l’offensive? D’une part celui qui attend en position sent faiblir son courage; mais, de l’autre, en se portant à l’attaque, on risque de se désagréger et d’épuiser ses forces dans la course finale (bataille de Pharsale, Cléarque à Cunaxa), 525.—Vaut-il mieux attendre l’ennemi chez soi ou aller le combattre chez lui? Chez soi, le pays est foulé par les deux partis, ses ressources sont annihilées, les habitants molestés, un échec peut les conduire à prendre de fâcheuses résolutions; par contre, on y dispose de tout, il vous est favorable et connu dans tous ses détails, les communications de l’ennemi y sont difficiles, il est obligé de se garder de toutes parts, en cas de revers la retraite peut lui être coupée (invasion de la Provence par les Espagnols sous François Ier, Scipion et Annibal, les Athéniens en Sicile, Agathocle en Afrique), 525.—Cette même indécision, que nous relevons dans des circonstances ayant trait à la guerre, existe dans toutes les déterminations, de quelque nature qu’elles soient, que nous pouvons avoir à prendre, 529.

CHAPITRE XLVIII.

Des chevaux d’armes, I, 529.—Chez les Romains, les chevaux avaient différents noms suivant l’emploi auquel ils étaient destinés; usage simultané à la guerre de deux chevaux chez eux et chez les Numides, 529.—Il y a des chevaux dressés à défendre leurs maîtres, à se précipiter sur ceux qui les attaquent (Artibius général Persan, Charles VIII à Fornoue, chevaux des Mameluks), 531.—Particularités relatives aux chevaux d’Alexandre et de César, 531.—L’exercice du cheval est salutaire, 533.—Pour combattre, les Romains faisaient parfois mettre pied à terre à leurs gens à cheval; aux peuples nouvellement conquis ils ôtaient leurs armes et leurs chevaux, 533.—Nos ancêtres combattaient généralement à pied afin de moins compromettre leurs chances de succès, 533.—Les armes les plus courtes sont les meilleures, une épée vaut mieux qu’une arquebuse, 535.—Aussi faut-il espérer qu’on abandonnera cet usage des armes à feu, pour reprendre les armes anciennes; ce qu’était la phalarique, 535.—Autres armes des anciens qui suppléaient à nos armes à feu, 537.—Plusieurs peuples ont excellé dans l’art de manier les chevaux, 537.—Dans certains pays les mules et mulets sont considérés comme des montures déshonorantes, dans d’autres comme fort honorables (les chevaliers de l’Écharpe, les Abyssins), 539.—Comment en usaient les Assyriens avec leurs chevaux, 539.—Dans des cas de nécessité, les chevaux ont servi à nourrir les hommes (les Sarmates, les Crétois, les Turcs, les Tartares, les Moskovites), 539.—Effet produit par l’apparition des chevaux, lors de la découverte de l’Amérique, sur les peuplades qui n’en avaient jamais vu, 541.—Montures diverses en usage dans les Indes, 541.—Comment, au combat, accroître l’impétuosité des chevaux (Rutilianus contre les Sarmates, Flaccus contre les Celtibériens), 541.—Autres particularités relatives au cheval (Acte de vassalité du duc de Moskovie vis-à-vis des Tartares, chevaux éventrés pour se garantir du froid, Bajazet fait prisonnier, chevaux déconsidérés par la perte de leur crinière et la mutilation des oreilles, manière de combattre des Dahes), 541.—Aucun peuple ne surpasse les Français pour leur adresse et leur grâce à cheval; exemples d’habileté hippique (M. de Carnavalet, tours de force équestres, le prince de Sulmone), 543.

CHAPITRE XLIX.

Des coutumes des anciens, I, 545.—Il est naturel de tenir aux usages de son pays; cela rend plus surprenant encore l’instabilité des modes en France, 545.—Coutumes diverses des anciens, en particulier des Romains; ils combattaient l’épée d’une main, l’autre enveloppée dans un pan de leur manteau; ils se baignaient avant leurs repas, mangeaient couchés, s’épilaient (Caton après la bataille de Pharsale), 547.—Comment ils se saluaient (Pasiclès le philosophe), 547.—Usage auquel ils employaient les éponges; récipients disposés dans les rues pour les besoins des passants, 549.—Ils faisaient rafraîchir le vin avec de la neige, se servaient de réchauds et avaient pour les voyages des cuisines portatives, 549.—Nous n’arrivons pas plus à les égaler dans leurs débauches que dans leurs vertus, 549.—Être nommé avant ou après un autre n’était d’aucune importance chez les Romains au point de vue de la prééminence, 551.—Les dames Romaines aux bains, 551.—Les passages en bateau se payaient au départ, 551.—Les femmes couchaient du côté de la ruelle du lit; elles portaient le deuil en blanc (César et Nicomède, les dames à Argos et à Rome), 551.

CHAPITRE L.

Sur Démocrite et Héraclite, I, 553.—En toutes choses le jugement est nécessaire; Montaigne, dans les Essais, en fait une application constante. Dans la composition de cet ouvrage, il ne s’astreint à aucune règle, tout sujet lui est bon, et il l’effleure ou l’approfondit plus ou moins, suivant l’idée qui lui vient, 553.—Dans n’importe quel acte de la vie le caractère de l’homme se révèle, et à toutes choses notre âme imprime un cachet personnel; aussi peut-on juger les hommes dans leurs petites comme dans leurs plus grandes actions, à table, au jeu, comme à la tête des armées: au jeu d’échecs par exemple, si ridicule par la contention d’esprit qu’il nécessite pour un passe-temps, ont part toutes les facultés de notre âme (Cicéron, Caton, Socrate, Alexandre), 555.—Démocrite riait, Héraclite pleurait de nos sottises; le premier était dans le vrai, il faut rire de ce que l’on méprise et non s’en affliger (Diogène, Timon le Misanthrope, Statilius et Brutus, Hégésias, Théodore), 559.

CHAPITRE LI.

Combien vaines sont les paroles, I, 559.—La rhétorique est l’art de tromper (Thucydide et Périclès), 559.—Les républiques bien ordonnées ont toujours fait peu de cas des orateurs; c’est surtout dans celles en décadence qu’a fleuri l’éloquence (la Crète, Lacédémone, Athènes, Rhodes, Rome; Ariston, Socrate, Platon; les Mahométans, les Athéniens; Pompée, César, Crassus, Lucullus, Lentulus, Metellus; Volumnius), 559.—Ayant surtout action sur les masses, l’art de la parole est moins en honneur dans les monarchies (Macédoine, Perse), 561.—Abus qu’on en fait dans toutes les professions (le maître d’hôtel du cardinal Caraffa, les architectes, les grammairiens), 561.—Abus qui se produisent également dans les titres pompeux que nous donnons à certaines charges et les surnoms glorieux que nous attribuons à de médiocres personnages (Platon et l’Arétin), 563.

CHAPITRE LII.

Parcimonie des anciens, I, 565.—Exemples de la parcimonie avec laquelle ont vécu certains personnages illustres de l’antiquité et de Rome en particulier (Attilius Regulus, Caton l’ancien, Scipion Émilien, Homère, Platon, Zénon, Tiberius Gracchus), 565.

CHAPITRE LIII.

A propos d’une phrase de César, I, 565.—L’imperfection de l’homme est démontrée par l’inconstance de ses désirs; à peine possède-t-il un bien, qu’il soupire après un autre; il ne sait jamais jouir du bonheur présent (Lucien, Épicure, César), 565.

CHAPITRE LIV.

Inanité de certaines subtilités, I, 567.—Certaines subtilités et les talents frivoles ne méritent pas d’être encouragés; il est plus facile qu’on ne pense d’exceller en ce genre (certains poètes, l’homme au grain de millet), 567.—En bien des choses les extrêmes se touchent; la peur et un courage excessif produisent parfois en nous les mêmes effets physiques (dénominations de Sire, de Dame; Don Sanche), 569.—Aux prises avec la souffrance, la bêtise et la sagesse en arrivent aux mêmes fins, 571.—Les esprits simples sont propres à faire de bons chrétiens et les esprits élevés des chrétiens accomplis; les esprits médiocres sont sujets à s’égarer (paysans, philosophes et demi-savants), 571.—La poésie populaire est souvent comparable à la plus parfaite (villanelles), 573.—Ayant fait de vains efforts pour sortir de la médiocrité, Montaigne pense que si ses Essais ne plaisent ni aux esprits vulgaires ni aux intelligences supérieures, peut-être pourront-ils se soutenir dans la région moyenne, 573.

CHAPITRE LV.

Des odeurs, I, 575.—On a dit de certaines personnes que les émanations de leur corps avaient une odeur suave; mieux vaut encore ne rien sentir que sentir bon (Alexandre le Grand, les femmes scythes), 575.—Il est des personnes extrêmement sensibles aux odeurs qui, pourtant, ne sont pas plus sujettes que les autres aux maladies épidémiques qui se propagent par l’air (Montaigne, Socrate), 575.—Il semble que les médecins pourraient tirer plus de parti des odeurs, car elles ont sur nous une action très sensible (emploi de l’encens dans les églises), 577.—En Orient on fait emploi des parfums dans l’apprêt des viandes (le roi de Tunis), 577.—La puanteur est une des incommodités des grandes villes (Venise, Paris), 577.

CHAPITRE LVI.

Des prières, I, 579.—Profession de foi de Montaigne: elle prime tout ce qu’il peut dire ou écrire sur la religion, 579.—De toutes les prières, l’oraison dominicale est celle dont on devrait faire le plus fréquemment usage, 579.—Dieu ne devrait pas être indifféremment invoqué à propos de tout; on devrait avoir l’âme pure, quand on le prie, 579.—Mais le plus souvent on prie par habitude; on donne une heure à Dieu, le reste au vice, 581.—Que peuvent valoir les prières de ceux qui vivent dans une inconduite persistante; on en voit qui vont jusqu’à sacrifier leurs convictions religieuses à leurs intérêts temporels, 583.—Quelle prétention que de penser que toute croyance autre que la nôtre est entachée d’erreur, 583.—Les psaumes de David ne devraient pas être chantés indifféremment par tout le monde, c’est les profaner; la Bible ne devrait pas davantage se trouver dans toutes les mains, elle ne doit être lue qu’avec respect et lorsqu’on y est préparé, son étude n’amende point les méchants, 585.—Il n’y a pas d’entreprise plus dangereuse qu’une traduction de la Bible en langage vulgaire, peu de personnes étant aptes à prononcer sur les difficultés d’interprétation (les Juifs, les Musulmans), 587.—Une grande prudence est à apporter dans l’étude des questions dogmatiques sur lesquelles, aujourd’hui, les femmes et même les enfants se mêlent de discuter (les mystères du temple de Delphes, les empereurs Théodose et Andronic Comnène, les habitants de l’île Dioscoride, les Païens), 587.—On ne devrait jamais mêler la théologie aux discussions philosophiques; c’est une science à part, qui a son objet propre et sur laquelle les initiés seuls devraient être appelés à écrire (S. Jean Chrysostome), 589.—Le nom de Dieu ne devrait être invoqué que dans un sentiment de piété, 591.—Abus qu’on fait de la prière (anecdote contée par Marguerite de Navarre), 591.—Que de choses on demande à Dieu, qu’on n’oserait lui demander en public et à haute voix (les Pythagoriciens, Œdipe), 593.—On dirait que pour beaucoup, la prière n’est qu’une sorte de formule cabalistique pouvant faciliter l’accomplissement de nos désirs, 593.

CHAPITRE LVII.

De l’âge, I, 595.—Qu’entend-on par la durée naturelle de la vie de l’homme, alors que tant d’accidents surviennent qui en interrompent le cours (Caton d’Utique)? 595.—Mourir de vieillesse n’est pas un genre de mort plus naturel qu’un autre et c’est la mort la plus rare de toutes, 597.—C’est un vice des lois d’avoir retardé jusqu’à 25 ans l’âge auquel il est permis de gérer soi-même ses affaires; dès l’âge de vingt ans, on peut le plus souvent augurer ce que nous serons (Servius Tullius, l’empereur Auguste), 597.—On cite un bien plus grand nombre d’hommes qui se sont distingués par de belles actions avant leur trentième année, qu’on n’en cite qui se sont rendus célèbres après (Annibal, Scipion), 599.—La vieillesse arrive promptement; aussi ne faudrait-il donner à l’apprentissage de la vie, c’est-à-dire à l’éducation, que le temps strictement nécessaire, 599.


LIVRE SECOND.

CHAPITRE I.

De l’inconstance de nos actions, I, 601.—On trouve dans l’homme tant de contradictions, qu’on chercherait en vain à les expliquer (Marius le jeune, Boniface VIII, Néron), 601.—Tout homme a un caractère indéterminé (l’empereur Auguste), 601.—Rien de plus ordinaire en nous que l’inconstance; à peine l’antiquité nous offre-t-elle quelques hommes toujours fermes dans leurs desseins, cependant le caractère de la sagesse est la constance dans tout ce qui est juste et bon (Sénèque, Démosthène), 601.—C’est toujours l’occasion qui fait les hommes tels qu’ils nous apparaissent (fille de vertu équivoque qui tente de se tuer parce qu’elle craint d’être violentée; soldat d’Antigone qui, venant à guérir d’une maladie, perd sa valeur; autre soldat devenu courageux pour avoir été dévalisé), 603.—Essentiellement variable, l’homme est tantôt humble, tantôt orgueilleux; un jour chaste, un autre jour débauché; avare et prodigue, etc. (le chef des Janissaires de Mahomet II), 607.—Pour être véritablement vertueux, il faudrait l’être dans toutes les circonstances de la vie; autrement c’est à l’action et non à l’homme que l’on doit des éloges (les Grecs, les Cimbres, les Celtibériens), 609.—Peu d’hommes ont de belles qualités qui ne présentent des taches. La vaillance même d’Alexandre le Grand n’en est pas exempte; quoique extrême en son genre, elle n’a pas toujours été parfaite et ne s’est pas étendue à tous ses actes, 609.—Notre inconstance dans les diverses circonstances de la vie n’a rien qui puisse surprendre, attendu que nul d’entre nous n’a de règle de conduite bien définie (Sophocle, les Pariens et les Milésiens), 611.—On ne saurait porter un jugement sur les hommes d’après les actes isolés dont l’ambition, l’amour ou toute autre passion ont pu les rendre capables; pour les bien connaître, il faudrait pénétrer profondément dans leur âme et les examiner longuement; devant une tâche aussi difficile beaucoup, qui se mêlent de juger, devraient s’abstenir, 611.

CHAPITRE II.

De l’ivrognerie, I, 613.—Tous les vices ne sont pas de même gravité; il y a entre eux des degrés, 613.—L’ivrognerie est un vice grossier qui n’exige pas, comme d’autres, de l’adresse, du talent, du courage, 615.—Dans l’ivresse on n’est plus maître de ses secrets. On a vu cependant quelques hommes conserver, en cet état, le sentiment de leurs devoirs; mais d’autres, en pareille situation, ont pu éprouver les plus grands outrages sans même en rien sentir (l’historien Josèphe et un ambassadeur, Auguste et Lucius Pison, Tibère et Cossus, Cimber, Cassius, les Allemands, Attale et Pausanias, une villageoise des environs de Bordeaux), 615.—Les anciens ont peu décrié le vice de l’ivrognerie; c’est en effet celui qui porte le moins de dommage à la société, il est des plus faciles à satisfaire et dans les mœurs de certains peuples (Socrate, Caton le Censeur, Cyrus), 617.—Les anciens passaient les nuits à table et quelquefois les jours; nous avons tendance en France à nous modérer sous ce rapport, mais nous nous dédommageons en nous adonnant davantage au libertinage, 619.—Portrait et caractère du père de Montaigne; ce qu’il pensait de la chasteté des femmes, 619.—Boire est à peu près le dernier plaisir qui demeure à la vieillesse. D’où vient l’usage de boire de grands verres à la fin des repas (Anacharsis), 621.—Platon interdit le vin aux adolescents tout en le permettant aux hommes faits; encore devraient-ils s’en abstenir lorsqu’ils sont à la guerre ou dans l’exercice de fonctions publiques; son abus est nuisible aux vieillards (les Carthaginois, Stilpon, Arcésilas), 623.—Le vin peut-il triompher de la sagesse? Pour répondre, il ne faut que réfléchir combien est grande la faiblesse humaine (Lucrèce, Virgile, Plutarque), 625.—Les faits d’impassibilité au milieu des tourments que nous fournissent les philosophes et aussi les martyrs chrétiens, sont des effets de surexcitation due à un enthousiasme frénétique (Métrodore, Anaxarque, les martyrs), 627.—Cette surexcitation apparaît également dans les propos tenus sous l’effet d’idées fixes; nous la constatons aussi chez les guerriers, les poètes chez lesquels l’âme peut, sous cette influence, s’élever au-dessus d’elle-même (Antisthène, Sextius, Épicure, Aristote, Platon), 627.

CHAPITRE III.

A propos d’une coutume de l’île de Céa, I, 629.—Il y a des accidents pires que la mort; celui qui ne la craint pas, brave toutes les tyrannies et toutes les injustices (Damindas, Agis, un enfant de Lacédémone, les Lacédémoniens et Antipater, les Lacédémoniens et Philippe), 629.—C’est un bienfait de la nature que d’avoir mis constamment, comme elle l’a fait, la mort à notre portée, et, par elle, de nous avoir faits libres d’accepter ou de refuser l’existence qui nous est faite. Arguments en faveur du suicide (Boiocalus, le grammairien Servius, les Stoïciens, Hégésias, Diogène et Speusippe), 631.—Objections contre le suicide; c’est une lâcheté de fuir l’adversité; c’est aller contre les lois de la nature que de ne pas supporter l’existence telle qu’elle nous l’a faite (Regulus et Caton, Martial, Lucain, Platon), 633.—Pour ceux qui admettent comme licite de se donner la mort, dans quel cas est-on fondé à user de cette faculté? Tant que demeure un reste d’espérance on ne doit pas disposer de sa vie, et les revirements de la fortune sont tels qu’il n’y a jamais lieu de désespérer (les vierges de Milet, Therycion et Cléomène, Josèphe, Cassius et Brutus, le duc d’Enghien à Cérisoles), 637.—Cependant des maladies incurables, d’irrémédiables infortunes peuvent autoriser une mort volontaire (Démocrite chef des Étoliens, Antinoüs et Theodotus, un Sicilien à Goze, les femmes juives lors de la persécution d’Antiochus, subterfuge employé par sa famille vis-à-vis d’un criminel, Scribonia et son neveu Libo, mort courageuse de Razias lors de la persécution de Nicanor), 639.—Elle est glorieuse chez les femmes qui n’ont d’autre moyen de conserver leur honneur, ou auxquelles il a été ravi par la violence, ce dont beaucoup pourtant finissent par prendre leur parti (Pelagia et Sophronia, une femme de Toulouse, Clément Marot), 641.—Les raisons les plus diverses ont été cause de semblables résolutions (L. Aruntius, Gr. Silvanus et Statius Proximus, Spargapizez, Bogès, Ninachetuen seigneur indien, Cocceius Nerva), 643.—Femmes se donnant la mort pour encourager leurs maris à faire de même (Sextilia femme de Scaurus, Paxea femme de Labeo, la femme de Fulvius), 645.—Mort de Vibius Virius et de vingt-sept autres sénateurs de Capoue, 645.—Inhumanité de Fulvius consul romain (Taurea Jubellius), 647.—Indiens qui se brûlent tous dans une ville assiégée par Alexandre le Grand, 647.—Fin tragique des habitants d’Astapa, ville d’Espagne assiégée par les Romains, 649.—Fin analogue des habitants d’Abydos; de semblables résolutions sont plus facilement décidées par les foules que par les individus, 649.—Privilège accordé du temps de Tibère aux condamnés à mort qui se la donnaient eux-mêmes, 649.—Parfois on se donne la mort dans l’espoir des félicités d’une vie future (S. Paul, Cléombrote, Jacques du Chatel évêque de Soissons, les Indiens), 651.—Plusieurs coutumes et institutions politiques autorisaient le suicide et s’y prêtaient (à Marseille, dans l’île de Céa; mort courageuse, dans ces conditions, d’une femme de haut rang de cette île qui s’empoisonne en public; chez une nation hyperboréenne), 651.—Conclusion: de grandes douleurs et une mort misérable en perspective sont les motifs les plus excusables qui peuvent nous porter à nous ôter la vie, 653.

CHAPITRE IV.

A demain, les affaires, I, 655.—Amyot nous a rendu un réel service en traduisant Plutarque, ouvrage si plein d’enseignements; il ferait également œuvre utile en traduisant Xénophon, 655.—Plutarque nous cite, entre autres, un exemple de discrétion donné par Rusticus différant d’ouvrir un message de l’empereur, pour ne pas troubler une conférence, 655.—Si trop de curiosité est répréhensible, trop de nonchalance ne l’est pas moins et, de la part de quelqu’un chargé des affaires publiques, ce peut avoir les plus graves inconvénients (M. de Boutières, Jules César, Archias tyran de Thèbes), 657.—Ligne de conduite qu’il semble possible de tracer à ce sujet (Place consulaire), 657.

CHAPITRE V.

De la conscience, I, 659.—On dissimule en vain; l’âme se révèle toujours par quelque côté (un gentilhomme du parti contraire à celui de Montaigne, Bessus), 659.—Qui va contre sa conscience, l’a contre lui; le châtiment d’une faute commence au moment même où elle se commet (Platon, Hésiode, Apollodore, tyran de Potidée, Épicure, Juvénal), 659.—Par contre, une bonne conscience nous donne confiance (Scipion), 661.—Injustice et danger de la torture pour obtenir des aveux des accusés (Publius Syrus, Philotas), 663.—Ce procédé d’information est réprouvé par certaines nations que nous qualifions de barbares et qui, en cela, le sont moins que nous (Bajazet Ier), 663.

CHAPITRE VI.

De l’exercice, I, 665.—Le raisonnement et la science ne suffisent pas pour lutter contre les difficultés de la vie; il faut nous y exercer pour pouvoir en triompher le cas échéant, 665.—Mais si l’on peut par l’expérience fortifier son âme contre la douleur, l’indigence, etc., contre la mort, nous n’avons pas cette ressource parce qu’on ne la souffre qu’une fois, 665.—Exemple mémorable de J. Canius qui, au moment de mourir, ne songeait qu’à observer l’impression qu’il en pouvait ressentir, 667.—Il y a pourtant possibilité de se familiariser avec la mort et presque de l’essayer; le sommeil en est une image, les évanouissements lui ressemblent plus encore, 667.—Comme tant d’autres choses, la mort produit plus d’effet de loin que de près, 669.—Accident survenu à Montaigne qui lui causa un long évanouissement, 669.—Ce qu’il éprouva pendant cette défaillance et en reprenant ses sens, 671.—Ce fut pour lui une preuve de l’idée, qu’il s’était faite depuis longtemps, que les affres de la mort sont les effets d’une désorganisation à laquelle l’âme ne participe pas, 671.—L’agonie est un état analogue à celui d’un homme qui ne serait ni tout à fait éveillé, ni complètement endormi, 673.—Au début de son accident Montaigne demeure anéanti, ses mouvements comme ses réponses sont inconscients, seul règne en lui un sentiment de bien-être qui le tient tout entier; à ce moment où la mort était si proche, sa béatitude était complète, 675.—Peu à peu renaissant à l’existence, la mémoire lui revient, et en même temps les souffrances l’envahissent et prennent une place prépondérante, 677.—Si Montaigne s’est si longuement arrêté sur cet accident, c’est que son but est de s’étudier dans toutes les circonstances de la vie, afin d’offrir aux autres d’utiles documents (Pline l’Ancien), 677.—C’est à tort que l’on accuse de vanité ceux qui se confessent publiquement et qui, en toute sincérité, montrent à découvert leurs actes et leurs passions; nous sommes à nous-mêmes, pour qui sait s’observer, une précieuse source d’enseignements (Socrate), 679.—Il faut reconnaître toutefois que cette étude de soi-même est des plus délicates, 681.—S’occuper de soi n’est pas se complaire en soi, c’est le moyen de se connaître; par suite d’arriver à mieux, ce qui est le but de la sagesse, 683.


DEUXIÈME VOLUME

CHAPITRE VII.

Des récompenses honorifiques, II, 11.—Les distinctions honorifiques sont éminemment propres à récompenser la valeur (l’empereur Auguste), 11.—A cet égard, l’institution des ordres de chevalerie est une conception des plus heureuses (ordre de S. Michel), 11.—Les récompenses pécuniaires s’appliquent à des services rendus de tout autre caractère, 13.—La vaillance est une vertu assez commune qui prime chez nous la vertu proprement dite, laquelle est bien autrement rare, 13.—Conditions dans lesquelles se décernait l’ordre de Saint-Michel; abus qui en a été fait, discrédit en lequel il est tombé; mieux vaudrait ne pas le donner à des gens le méritant, que l’avilir en le prodiguant, 13.—Ce discrédit rend difficile de mettre en honneur un nouvel ordre de chevalerie (ordre du S.-Esprit), 15.—En France, la vaillance tient chez l’homme le premier rang comme la chasteté chez la femme, 17.

CHAPITRE VIII.

De l’affection des pères pour leurs enfants, II, 19.—Comment Montaigne a été amené à écrire et à faire de lui-même le sujet de ses Essais, et pourquoi il consacre ce chapitre à Madame d’Estissac, 19.—L’affection des pères pour les enfants est plus grande que celle des enfants pour leurs pères, ce qui tient à ce que tout auteur s’attache à son œuvre et que, toujours, celui qui donne aime plus que celui qui reçoit, 21.—Il ne faut pas trop se laisser influencer par les penchants que l’on nomme naturels; on ne doit d’amitié aux enfants que s’ils s’en rendent dignes; et c’est une faute qui se produit fréquemment, d’être plus généreux envers les enfants lorsqu’ils sont très jeunes, que lorsque à un âge plus avancé leurs besoins se sont accrus; il semble qu’alors on les jalouse, 21.—Il faudrait, au contraire, partager de bonne heure ses biens avec eux; cela leur permettrait de s’établir plus tôt et dans de meilleures conditions, et ne les inciterait pas, comme il arrive parfois, à commettre par besoin des actions viles, des vols par exemple, auxquelles ils s’habituent (un gentilhomme adonné au vol), 23.—Mauvaise excuse des pères qui thésaurisent pour conserver le respect de leurs enfants; c’est par leur vertu et leur capacité seules qu’ils peuvent se rendre respectables, 25.—Trop de rigueur dans l’éducation forme des âmes serviles (Montaigne, Léonore sa fille), 27.—Il ne faut pas se marier trop jeune; l’âge le plus favorable au mariage semble être de trente à trente-cinq ans, cette règle ne s’appliquant pas toutefois aux classes inférieures de la société où tout homme vivant du travail de ses mains a intérêt à avoir beaucoup d’enfants (Aristote, Platon, Thalès, les Gaulois, un roi de Tunis, les athlètes en Grèce, coutume dans les Indes), 27.—Un père ne doit pas se dépouiller trop jeune en faveur de ses enfants, 29.—Celui qu’accablent les ans et les infirmités ne devrait garder pour lui que le nécessaire (l’empereur Charles-Quint), 29.—Mais peu de gens savent se retirer à temps quand l’âge les gagne, 31.—En faisant l’abandon de l’usufruit de son superflu à ses enfants un père doit se réserver la faculté de les surveiller, de vivre avec eux et même de reprendre ses biens s’il a des motifs de plainte (singularité d’un doyen de S.-Hilaire de Poitiers), 31.—Appeler les parents des noms de père et de mère, ne devrait pas être interdit aux enfants; on se trompe quand on croit se rendre plus respectable à eux par la morgue et la hauteur; il vaut mieux s’en faire aimer que s’en faire craindre, 33.—Exemple d’un vieillard qui, voulant se faire craindre, était joué par tout son entourage, 35.—Quand les vieillards sont chagrins, grondeurs, avares, toute leur maison: femme, enfants, domestiques, se ligue contre eux pour les tromper (Caton), 37.—Profitons pour nous diriger à ce moment de la vie, des exemples que nous voyons autour de nous, 39.—Un père regrette parfois de s’être montré trop grave, trop peu bienveillant pour ses enfants (le maréchal de Montluc), 39.—Dans la vieillesse c’est surtout un ami qu’il faudrait; l’amitié est préférable à toutes les liaisons de famille, 41.—C’est un tort de laisser à sa veuve les biens dont les enfants devraient jouir. Ce n’est pas non plus toujours une bonne affaire que d’épouser une femme ayant une belle dot, quoique une femme pauvre ne soit pas par cela même plus maniable, aucune considération ne modifiant sur ce point le caractère de la femme, 41.—Un mari ne doit attribuer à sa veuve que ce qu’il lui faut pour se maintenir dans le rang qu’elle a dans la société; on ne doit la laisser maîtresse de disposer de la fortune de ses enfants que durant le temps de leur minorité, 43.—Pour la répartition des biens qu’on laisse en mourant, le mieux est de s’en rapporter aux lois admises dans le pays; les testaments sont presque toujours injustes, 43.—Les substitutions en vue d’éterniser notre nom sont ridicules. On fait fréquemment erreur en déshéritant des enfants dont l’extérieur ne pronostique pas un avenir avantageux; dans son enfance, Montaigne était lourdaud et peu dégourdi, 45.—Raisons données par Platon pour que les questions d’héritage soient réglées par les lois, 45;—Revenons aux femmes: Il ne faut pas leur laisser le droit de partager les biens que les enfants tiennent de leur père, la mobilité et la faiblesse de leur jugement ne leur permettant pas de faire de bons choix; le plus souvent ce sont ceux qui le méritent le moins, qu’elles affectionnent le plus, 47.—On compte en vain sur ce qu’on appelle la tendresse maternelle; en ont-elles celles qui confient à des étrangères, et souvent aux mamelles des animaux, les enfants qu’elles devraient allaiter? 47.—Les hommes chérissent les productions de leur esprit bien plus que leurs propres enfants, et en effet c’est bien plus exclusivement leur ouvrage (Labienus, Cassius Severus, Cremutius Cordus, Lucain, Épicure, S. Augustin, Montaigne, Épaminondas, Alexandre et César, Phydias, Pygmalion), 49.

CHAPITRE IX.

Des armes des Parthes, II, 55.—Mauvaise habitude, aux armées, de la noblesse de nos jours de ne s’armer qu’au dernier moment, 55.—Nos armes actuelles sont plus incommodes par leur poids qu’elles ne sont propres à la défense (Alexandre le Grand, les anciens Gaulois, Lucullus et les Mèdes), 55.—On est plus vigilant, quand on se sent moins protégé (Scipion Émilien), 57.—C’est le défaut d’habitude qui nous fait paraître nos armes si pesantes; poids énorme porté par les soldats romains (Caracalla, les soldats de Marius, Scipion Émilien en Espagne), 57.—Ressemblance des armes des Parthes avec celles dont nous faisons usage nous-mêmes aujourd’hui (Démétrius et Alcinus), 57.

CHAPITRE X.

Des livres, II, 61.—En écrivant ses Essais, Montaigne n’a pas de plan arrêté, il donne libre cours à sa fantaisie; il sait combien il est ignorant, aussi, tout en disant sur chaque chose ce qu’il juge à propos, peu lui importe les erreurs que l’on pourra relever, 61.—Double motif qu’il a pour ne pas nommer les auteurs auxquels il emprunte des idées, voire même des passages entiers et dont il donne des citations; il veut orner son ouvrage et rire de la critique que l’on fera peut-être en lui, et sans s’en douter, des auteurs de l’antiquité auxquels il fait des emprunts, 61.—Il renouvelle l’aveu de son ignorance, mais la science coûte trop à acquérir et il préfère passer doucement la vie; aussi, ne lit-il que les auteurs qui l’amusent et ceux qui lui apprennent à bien vivre et à bien mourir, 63.—Parmi les auteurs des temps modernes simplement amusants, Montaigne n’apprécie guère que Boccace, Rabelais et Jean Second; il a toujours trouvé insipides les romans des Amadis et, l’âge ayant modifié ses goûts, Arioste et même Ovide qui dans son enfance lui plaisait tant, n’ont plus d’attrait pour lui, 65.—Il regrette d’avoir à confesser qu’il n’apprécie pas l’Axioche de Platon, c’est probablement un effet de son ignorance, 65.—Les fables d’Ésope renferment généralement un sens plus profond que celui qui ressort à première vue, 67.—Parmi les poètes latins, les premiers pour lui, sont: Virgile, surtout par ses Géorgiques et le cinquième livre de l’Énéide; Lucrèce, Catulle et Horace; il prise aussi Lucain, mais plus pour ses pensées que pour son style, 67.—Combien Térence est au-dessus de Plaute; quelle élégance, quelle grâce inimitable, un rien lui suffit pour provoquer l’intérêt; quelle différence sous ce rapport entre eux et les poètes comiques de nos jours! 67.—Les bons poètes ont toujours évité l’affectation et la recherche: c’est ce qui fait que les épigrammes de Catulle sont si supérieures dans leur simplicité, aux satires de Martial dont les pointes sont aiguisées avec tant de soin, 69.—Comme les bons plaisants, les bons poètes n’ont pas non plus besoin de déguisements, d’ornements superflus pour exciter l’intérêt: Que l’on compare Virgile et Arioste: le premier fend l’air d’un vol hardi, le second ne fait que voleter de branche en branche, 71.—D’entre les ouvrages sérieux, Plutarque et Sénèque sont ceux que préfère Montaigne; comparaison entre ces deux auteurs, 71.—Quant à Cicéron, ce que Montaigne apprécie le plus en lui, ce sont ses ouvrages philosophiques; mais il l’ennuie par ses longs préambules et ses éternelles définitions, il arrive trop tard au sujet. On peut en dire autant de Platon dont la forme dialoguée alourdit le style, ce n’est point ainsi qu’écrivent Pline et quelques autres, 73.—Les lettres de Cicéron à Atticus sont d’un grand intérêt par les particularités qu’elles contiennent sur les mœurs et le caractère de l’auteur qui, bon citoyen, avait peu d’énergie, était dévoré d’ambition et de vanité et avait la faiblesse de se croire un grand poète (Brutus), 75.—Son éloquence hors de pair, a trouvé cependant des censeurs; on lui a reproché ses trop longues périodes et les mots à effet par lesquels il les termine si souvent (Cicéron le jeune et Cestius), 75.—De tous les auteurs de divers genres, les historiens sont ceux que Montaigne affectionne le plus, parce qu’ils font connaître l’homme en général; et, parmi les historiens ceux qui, tels que Plutarque et Diogène Laerce, ont écrit la vie de grands personnages, 77.—Éloge des Commentaires de César, 77.—Les meilleurs historiens, sont ceux, assez rares du reste, qui, ayant le génie de l’histoire, s’imposent par leur valeur, et ceux qui l’écrivent avec simplicité et bonne foi; les autres nous induisent en erreur par leurs relations tronquées ou altérées et leurs jugements erronés (Froissart), 79.—Les bonnes histoires sont surtout celles faites par des hommes ayant pris part aux événements qu’ils racontent; difficulté de fixer, même dans ce cas, les détails de certains faits (Asinius Pollio et les Commentaires de César, Bodin), 81.—Jugements de Montaigne sur Guichardin, Philippe de Comines, Guillaume et Martin du Bellay; ces deux derniers paraissent avoir eu pour but de faire le panégyrique de François Ier, plutôt que d’écrire des mémoires (Sire de Joinville, Éginhard), 81.

CHAPITRE XI.

De la cruauté, II, 85.—La bonté a l’apparence de la vertu; mais celle-ci lui est supérieure en ce qu’elle suppose une lutte perpétuelle contre les passions (les Stoïciens, Épicuriens et Arcésilas), 85.—C’est par les combats qu’elle livre, que la vertu se perfectionne (Épaminondas, Socrate, Metellus), 87.—Dans les âmes touchant à la perfection, la vertu est facile à pratiquer parce qu’elle y est à l’état d’habitude (Socrate), 89.—Combien est belle la mort de Caton d’Utique, étant donnés ses circonstances et son mobile, 91.—L’espèce de gaîté qui accompagne la mort de Socrate met encore celle-ci au-dessus de celle de Caton (Aristippe), 93.—La vertu comporte divers degrés: résister au vice d’une façon continue et en triompher, est plus beau que de réagir après y avoir cédé de prime abord; et cette réaction elle-même est plus méritoire que de ne pas s’abandonner à mal faire par nonchalance de tempérament, 93.—Certaines vertus nous sont attribuées qui ne proviennent que de la faiblesse de nos facultés, ce dont il y a lieu de tenir compte avant de porter un jugement sur nos actes (appréciation sur la bravoure chez les Italiens, les Espagnols, les Français, les Allemands et les Suisses), 93.—Montaigne déclare qu’il a dû à son tempérament, plus qu’aux efforts qu’il a faits pour leur résister, de ne pas céder à ses passions, et qu’il était plus réglé dans ses mœurs que dans ses pensées et ses propos, ainsi que cela arrive chez bien d’autres (Aristippe, Épicure), 95.—Il estime, contrairement à ce qu’en pensent les Stoïciens, que, pour être adonné à un vice, on n’est pas nécessairement sujet à tous les autres (Socrate, Stilpon), 99.—Il est possible à l’homme, quoique le contraire ait été soutenu, de demeurer maître de ses pensées et de sa volonté sous les caresses les plus ardentes de la femme la plus désirée, plus encore que sous l’excitation de la chasse pour qui a cette passion, 101.—Sensibilité de Montaigne; son horreur pour tout ce qui est cruauté (Jules César), 101.—Même à l’égard des criminels, la peine de mort devrait être appliquée sans aggravation de tourments barbares qui n’ajoutent rien à son effet (un soldat prisonnier), 103.—Ces barbaries devraient, tout au plus, s’exercer sur les corps inanimés des suppliciés; d’autant qu’il est à remarquer que mutiler les cadavres, produit une grande impression sur le peuple. Aujourd’hui, au contraire, on en est arrivé à tuer et à torturer les gens uniquement pour le plaisir de leurs souffrances (le voleur Catena, Artaxerxès, les Égyptiens), 103.—Humanité de Montaigne vis-à-vis des bêtes, 105.—Le dogme de l’immortalité de l’âme a conduit au système de la métempsycose auquel, pour sa part, Montaigne ne croit guère (Pythagore, les Égyptiens, les anciens Gaulois), 107.—Chez certains peuples, certains animaux étaient divinisés; c’était un hommage rendu, soit aux services que nous en retirons, soit aux qualités essentielles qui les caractérisent, 107.—Nous devons nous montrer justes envers nos semblables et avoir des égards pour toutes les autres créatures susceptibles d’en sentir les effets; des peuples entiers, des hommes célèbres ont témoigné par des monuments et autrement leur reconnaissance à des animaux (les Turcs, les oies du Capitole, les bêtes de somme employées à Athènes à l’érection d’un temple, les Agrigentins, les Égyptiens, Cimon, Xantippe, Plutarque), 109.

CHAPITRE XII.

Apologie de Raimond Sebond, II, 111.—Est-il vrai que la science soit mère de toutes les vertus, comme l’ignorance de tous les vices? 111.—Son père avait les savants en haute estime et les accueillait avec distinction; pour lui, Montaigne, il se contente de les aimer, 111.—Un de ces savants, Pierre Bunel, qui avait prévu les immenses conséquences de la Réforme, laquelle commençait à poindre en France, ayant donné le traité de Raimond de Sebond sur «la Théologie naturelle» au père de Montaigne, celui-ci le fit traduire d’espagnol en français par son fils, traduction qui depuis a été publiée, 111.—Éloge de ce livre (Adrien Turnebus), 113.—Cet ouvrage a soulevé des objections; la première c’est qu’«il ne faut pas appuyer de raisons humaines ce qui est article de foi», 115.—Il est vrai que la raison est insuffisante pour démontrer par elle-même des faits au-dessus de notre intelligence; il faut que d’abord nous soyons éclairés par la foi qui est une grâce de Dieu; la raison a alors son utilité en venant corroborer ce que la foi enseigne, 115.—Chez le Chrétien, la foi fait généralement défaut; aussi sa vie qui, dirigée par la Divinité elle-même, devrait être si édifiante, prête-t-elle si fort au reproche; les uns font semblant de croire, les autres se persuadent qu’ils croient et ne savent ce que c’est que croire (les Mahométans, les Païens, S. Louis et un roi tartare converti, un Juif voyageant à Rome), 117.—Dans les guerres de religion, ce sont les intérêts des partis qui les guident, si bien que parfois les maximes de l’un sont abandonnées par lui et reprises par l’autre qui les combattait, 119.—Chacun fait servir la religion à ses passions; le zèle du chrétien éclate surtout pour produire le mal; si notre foi était sincère, outragerions-nous sans cesse Dieu comme nous le faisons et craindrions-nous la mort qui doit nous réunir à lui (Antisthène, Diogène)? 121.—C’est ne pas croire, que croire par faiblesse ou par crainte, 123.—Les athées ne le sont guère que par vanité; ils veulent se montrer au-dessus des croyances populaires; en présence de la mort, ils reviennent aux idées religieuses (Bion), 125.—L’opinion de Platon, que les enfants et les vieillards sont plus portés à la religion que les hommes dans la force de l’âge, n’est pas exacte; ce n’est pas par faiblesse d’esprit que nous y sommes amenés, mais parce que Dieu se manifeste à nous par ses œuvres; ce que nous en saisissons explique ce qui nous en échappe; c’est ce que Sebond s’applique à démontrer, 127.—Ses arguments, par leur conformité avec ce que nous enseigne la foi, ont une valeur indéniable (Socrate, Caton, Sebond), 129.

La seconde objection faite à Sebond, c’est que «ses arguments sont faibles»; mais est-il possible d’en produire d’autres, étant donné le peu que nous pouvons par nous-mêmes? 129.—Il faut tout d’abord reconnaître qu’il est bien des choses qui ne peuvent s’expliquer par la raison seule (S. Augustin), 131.—L’homme se croit une grande supériorité sur toutes les autres créatures; examinons ce qui en est, 133.—Est-il fondé à prétendre que le ciel, la mer et toutes les merveilles de la nature n’ont été créés que pour lui? 135.—S’il est vrai que les astres ont de l’influence sur nos destinées, pouvons-nous dire que nous commandons, quand nous ne faisons qu’obéir? 135.—Que savons-nous de ces astres, sur quoi pouvons-nous appuyer les suppositions que nous émettons à leur sujet? mais notre présomption est sans limites (Anaxagore), 135.—Vis-à-vis des animaux, en quoi consiste notre supériorité? nous pensons, nous parlons, mais est-il sûr que les bêtes n’aient pas, elles aussi, des idées et un langage (l’Age d’or d’après Platon)? 137.—Les bêtes se comprennent entre elles; si nous ne les comprenons pas, est-ce à elles ou à nous que cela est imputable? 139.—Celles qui n’ont pas de voix se font comprendre par les mouvements du corps; que de choses n’exprimons-nous pas nous-mêmes, par gestes (un ambassadeur d’Abdère et Agis roi de Sparte)? 139.—Leur habileté surpasse celle de l’homme, si bien qu’il semblerait que la nature les a traitées plus favorablement que nous (les abeilles, les hirondelles, l’araignée), 141.—Il n’en est rien; en dépit des apparences, elle a donné à l’homme tout ce qui est nécessaire à sa conservation, 145.—Il ne tiendrait qu’à nous de nous passer de vêtements, même dans les climats froids; et, sans cultiver le sol, ni nous livrer à aucune préparation d’aliments, nous pourrions trouver partout notre nourriture (certaines peuplades sauvages, les Gaulois, les Irlandais), 145.—L’homme est naturellement mieux armé que beaucoup d’autres animaux; et s’il a recours, pour accroître sa force, à des moyens de défense artificiels, d’autres animaux, qui ont des armes naturelles, agissent de même (l’éléphant, le taureau, le sanglier, l’ichneumon), 147.—Le langage n’est pas chez l’homme une chose naturelle; mais, de même que les animaux manifestent leurs sentiments et se font comprendre en donnant de la voix, il y a lieu de penser que nous-mêmes avons un parler inné, car nous nous faisons comprendre d’eux; et, de ce langage, il semble qu’il y ait trace chez l’enfant, 149.—Tout cela dénote que nous ne sommes ni au-dessus ni au-dessous du reste des animaux, 151.—Les bêtes, comme les hommes, suivent librement leurs inclinations; comme eux, elles sont susceptibles de réflexion dans ce qu’elles font (renards employés par les Thraces pour vérifier l’adhérence de la glace), 151.—Si nous les asservissons, n’en est-il pas de même des hommes vis-à-vis les uns des autres? Souvent même, nous nous astreignons à l’égard des bêtes, à ce que ne feraient pas pour nous nos propres serviteurs (les Climacides, les femmes de Thrace, les gladiateurs, les Scythes, Diogène), 151.—Les animaux (les tigres, les lions, le chien, le brochet, l’hirondelle, l’épervier, la cigogne, l’aigle, les faucons en Thrace, les loups dans les Palus-Méotide, la seiche) pratiquent la chasse comme font les hommes, parfois de commun accord, 155.—La force de l’homme est inférieure à celle de bien des animaux, et de bien plus petits que lui en triomphent aisément (Sylla), 157.—Les bêtes savent discerner ce qui peut leur être utile soit pour leur subsistance, soit en cas de maladie (les chèvres de Candie, la tortue, le dragon, les cigognes, les éléphants), 157.—Exemple caractéristique de raisonnement chez le chien, 157.—Les bêtes sont capables d’être instruites (chiens savants, chiens d’aveugle, chien du théâtre de Marcellus, les bœufs des jardins de Suze), 159.—On constate que quelques-unes se livrent à l’instruction des autres, et il y en a qui s’instruisent elles-mêmes (le rossignol, des éléphants de cirque, une pie, un chien qui veut se désaltérer), 161.—Subtilité et pénétration des éléphants, 163.—D’hommes à hommes, nous traitons de sauvages ceux qui n’ont pas les mêmes usages que nous; de même nous nous étonnons de tout ce que, chez les animaux, nous ne comprenons pas, 167.—Il semble que chez l’éléphant, il y ait trace de sentiment religieux; l’échange d’idées entre animaux auxquels la voix fait défaut, n’est pas niable (les fourmis de Cléanthe), 167.—Propriétés que nous ne possédons pas et dont jouissent certains animaux (le remora, le hérisson, le caméléon, le poulpe, la torpille), 169.—Les prédictions fondées jadis sur le vol des oiseaux, pouvaient avoir leur raison d’être (les oiseaux de passage), 171.—N’attribue-t-on pas aux chiennes de savoir discerner, dans une portée, le meilleur de leurs petits? 171.—Sous bien des rapports, nous devrions prendre modèle sur les animaux, 171.—Ils ont le sentiment de la justice, leur amitié est plus constante que celle de l’homme (le chien du roi Lysimaque, celui de Pyrrhus), 173.—Dans leurs goûts, leurs affections, en amour, ils sont délicats, bizarres, extravagants comme nous-mêmes (propension des chevaux pour ceux de même robe, l’éléphant et la bouquetière d’Alexandrie, le bélier de Glaucia), 173.—Subtilité malicieuse d’un mulet, 177.—Certaines bêtes paraissent sujettes à l’avarice, d’autres sont fort ménagères (La fourmi et le grain de blé), 177.—Quelques-unes, ce sont des exceptions, se font la guerre à l’instar des hommes chez lesquels elle dénote une si grande imbécillité, les princes, qui sont soumis aux mêmes passions que nous, la faisant pour des motifs aussi futiles que ceux qui occasionnent les querelles des particuliers et son issue étant souvent amenée par des incidents des moins importants de la vie ordinaire (causes de la guerre de Troie, de la guerre civile entre Antoine et Auguste; intervention de la poussière dans les batailles livrées par Sertorius à Pompée, par Eumène à Antigone, par Suréna contre Crassus; des abeilles au siège de Tamly), 177.—Fidélité et gratitude des animaux (le chien d’Hésiode et autres, le lion d’Androclès), 161.—Comme nous, ils se constituent en sociétés pour se défendre mutuellement; des individus d’espèces différentes s’associent pour pourvoir à leur sûreté et à leur subsistance (les bœufs, les pourceaux, etc.; l’escare, le barbier; la baleine et son guide, le crocodile et le roitelet, la nacre et le pinothère; les thons), 187.—Nous trouvons en eux des exemples de magnanimité, de repentir, de clémence (fierté d’un chien, repentir d’un éléphant, clémence d’un tigre), 189.—L’ingéniosité de l’alcyon dans la construction de son nid défie notre intelligence, 189.—Les animaux nous ressemblent et nous égalent aussi par l’imagination puisque, comme nous, ils ont des songes et des souvenirs (le cheval, les chiens), 191.—Quant à la beauté, pour savoir si nous avons sur eux quelque avantage de ce fait, il faudrait tout d’abord être fixé sur ce en quoi elle consiste; or, que d’opinions diverses sur ce point: telles formes, telles couleurs appréciées dans un pays, sont rebutantes dans un autre (les Orientaux, les femmes Basques, les Mexicaines, les Italiens, les Espagnols), 193.—A cet égard, nous ne sommes nullement fondés à nous croire privilégiés par rapport aux bêtes, celles qui ont le plus de ressemblance avec nous sont les plus laides, 195.—L’homme a plus de raisons que tout autre animal de couvrir sa nudité, tant il y a d’imperfections en son corps, 197.—Du reste tous les biens qu’il s’attribue sont imaginaires, et les biens réels il les départ aux animaux (Héraclide et Phérécide, Ulysse et Circé), 199.—Malgré cela, estimant notre forme extérieure au-dessus de tout, nous n’admettons de supériorité sous aucun rapport de qui n’est pas formé à notre image, 199.

Examinons maintenant si l’homme a lieu de s’enorgueillir de ses connaissances. Avec tant de vices et d’appétits déréglés, est-il en droit de se glorifier de sa raison? 201.—La science ne nous garantit ni des maladies, ni des incommodités de la vie (Varron, Aristote), 201.—Les ignorants sont plus sages et savent plus que bien des savants, 203.—Dès le principe, Dieu nous a interdit la science; la religion veut que nous demeurions ignorants et obéissants (la Genèse, les Sirènes et Ulysse, S. Paul), 203.—Mais la présomption est le partage de l’homme (Cicéron, Lucrèce, Démocrite, Aristote, Chrysippe, Sénèque), 205.—Et pourtant, combien la force d’âme de nos philosophes est impuissante contre les douleurs physiques devant lesquelles l’ignorant souvent demeure impassible (Posidonius, Arcésilas, Denys d’Héraclée), 207.—Les effets de l’ignorance sont préférables à ceux de la science; selon quelques philosophes, reconnaître la faiblesse de son jugement est le souverain bien (Pyrrhon, au Brésil), 209.—Les maladies du corps et de l’esprit sont souvent causées par l’agitation de notre âme, le génie est proche de la folie (Le Tasse), 211.—L’indolence de l’esprit, non toutefois une indolence complète laquelle n’est du reste ni possible ni durable, produit la vigueur corporelle et la santé (Crantor et Épicure), 213.—La science nous renvoie souvent à l’ignorance pour nous adoucir les maux présents, 215.—La philosophie agit de même, lorsqu’elle nous incite à oublier les maux passés (Lycas, Thrasylaus), 215.—En nous concédant de mettre fin à notre vie quand elle nous est devenue insupportable, elle témoigne encore plus nettement de son impuissance (Cicéron, Horace, Démocrite, Antisthène, Chrysippe, Cratès, Sextius), 219.—La simplicité et l’ignorance sont des conditions de tranquillité (Valens, Licinius, Mahomet, Lycurgue), 221.—Il est dans le Nouveau Monde des nations qui, sans magistrats et sans lois, vivent plus régulièrement que nous ne faisons, 221.—Funestes effets de la curiosité et de l’orgueil, 223.—A quoi Socrate a dû le nom de Sage, 223.—Les recherches sur la nature divine sont condamnables; nos notions sur l’Être suprême sont imparfaites, lui seul peut se connaître et s’interpréter (S. Augustin, Tacite, Platon, Cicéron), 223.—Ce que nous possédons de la vérité, ce n’est point avec nos propres forces que nous y sommes arrivés, nous en sommes incapables (S. Paul), 225.—A la fin de leur vie, les plus savants philosophes se sont aperçus qu’ils n’avaient rien appris (Velleius, Phérécide, Socrate, Platon, Cicéron), 227.—Examinons jusqu’à quel degré de connaissances ont pu parvenir les plus grands génies, 229.—Il y a trois manières de philosopher: l’une dogmatique, qui est celle de ceux qui assurent avoir trouvé la vérité; l’autre, académique, est appliquée par ceux qui déclarent qu’elle est au-dessus de notre compréhension; la troisième, sceptique, est le propre de ceux qui la cherchent encore, 229.—État d’esprit et doctrine des Pyrrhoniens qui personnifient ce dernier mode, 231.—Avantage de leur doctrine; toutes les opinions étant contestables, il n’y a pas de raison pour se décider et adopter plutôt l’une que l’autre, 233.—Dans la vie ordinaire, ils agissent comme tout le monde, se soumettant aux lois, aux usages, parce qu’ils doutent qu’on puisse leur en substituer de meilleurs (Pyrrhon), 235.—Combien sont plus faciles à gouverner les esprits simples et peu curieux; plus que tous autres, ils sont préparés à recevoir la parole de Dieu, 237.—Quant aux Dogmatistes qui prétendent avoir trouvé la vérité, leur assurance ne fait guère que masquer leur doute et leur ignorance (Socrate, Cicéron, Aristote, Épicure), 239.—Souvent les philosophes affectent d’être obscurs, pour ne pas révéler le vide de leur science (Aristote, Carnéade, Épicure, Héraclite), 241.—Certains ont dédaigné les arts libéraux et même les sciences, prétendant que ces études détournent des devoirs de la vie (Cicéron, Zénon, Chrysippe, Plutarque, Épicure, Socrate), 241.—On ne sait si Platon était dogmatiste ou sceptique; ses opinions ont donné naissance à dix sectes différentes, 243.—On peut en dire autant de la plupart des philosophes anciens de quelque renom; combien se contredisent eux-mêmes (Anaxagore, Parménide, Xénophane, Sénèque, Plutarque, Euripide, Démocrite, Empédocle)! 243.—Il ne faut pas s’étonner de voir tant de gens s’efforcer ainsi de découvrir la vérité, il y a quelque charme à cette recherche (les Stoïciens, Démocrite), 245.—L’étude de la nature est également une occupation où se complaît notre esprit (Eudoxe), 247.—Mais il est peu probable qu’Épicure, Platon et Pythagore nous aient donné comme réels, l’un ses atomes, l’autre son spiritualisme, le dernier ses nombres; en émettant ces théories, ils n’ont sans doute que voulu faire échec à d’autres systèmes préconisés, ne reposant pas sur des bases plus solides, 247.—La vraie philosophie consiste à ne rien donner comme certain et à respecter ostensiblement la religion et les lois de son pays, tout en réservant son jugement, 249.—Malgré notre impuissance à déterminer ce que c’est que Dieu, la question a été fort agitée par les anciens; l’opinion la plus fondée est celle qui le représente comme une puissance incompréhensible qui a produit et conserve tout (Valerius Seranus, S. Paul, Pythagore, Numa), 251.—Mais il faut au peuple une religion palpable qui émeuve l’homme dans ses croyances et quand il prie; et, de tous les cultes, le plus excusable est celui du Soleil, 258.—Opinions diverses des philosophes sur la nature de Dieu; elles sont sans nombre (Thalès, Anaximandre, Anaximène, Anaxagore, Alcméon, Pythagore, Parménide, Empédocle, Protagoras, Démocrite, Platon, Socrate, Speusippe, Aristote, Héraclide du Pont, Théophraste, Straton, Zénon, Diogène d’Apollonie, Xénophane, Ariston, Cléanthe, Persée, Chrysippe, Diagoras, Théodore, Épicure, Ennius), 255.—Cette diversité montre la faiblesse de notre raison; mais ce qui est le comble de l’extravagance, c’est de faire des dieux des hommes que nous connaissons tant, on comprend mieux que des bêtes on ait fait des dieux parce qu’elles nous sont moins connues. Une autre folie, est de déifier certaines abstractions, comme la concorde, la liberté, ou certains de nos maux comme la peur, la fièvre, etc., 257.—Impudente prudence des Égyptiens au sujet de leurs dieux, 259.—Est-ce sérieusement que les philosophes ont traité de la hiérarchie de leurs divinités, comme aussi de la condition des hommes dans une autre vie (Platon, Mahomet)? 259.—Il n’est pas concevable que notre âme dégagée des sens ses organes, puisse conserver ses goûts, ses affections; et si, dans une autre vie, nous n’existons plus tels que nous sommes sur la terre, ce n’est pas nous qui sentirons, qui jouirons; ce qui a cessé d’être, n’est plus (Pythagore, le Phénix, le ver a soie), 261.—Et puis, pourquoi les dieux récompenseraient-ils ou puniraient-ils l’homme, après sa mort? n’est-ce pas par leur volonté qu’il a été tel? 263.—Il est ridicule de prétendre arriver à connaître Dieu, sa nature, etc., en prenant l’homme pour terme de comparaison, ainsi que cela s’est toujours fait, 265.—C’est en partant de là qu’on a cru l’apaiser par des prières, des fêtes, des présents, et même en immolant des êtres humains sur ses autels (Tiberius Sempronius, Paul Émile, Alexandre le Grand, Énée, les Gètes, Amestris, les idoles de Themixtatan, les Carthaginois, les Lacédémoniens, Iphigénie, les deux Decius), 265.—Prétendre satisfaire à la justice divine en choisissant soi-même son expiation, est un contre-sens; est-ce au criminel à fixer le châtiment qu’il a encouru (Polycrate, les Corybantes, les Ménades, certains Mahométans)? 267.—Il n’est pas moins ridicule de juger d’après nous-mêmes du pouvoir et des perfections de Dieu; de croire qu’il peut se réjouir, se fâcher, etc., que ses règlements, sa juridiction ressemblent aux nôtres, et que c’est à notre intention qu’il a fait les lois qui régissent le monde (Stilpon), 269.—Non seulement ces lois s’appliquent à notre monde mais aux autres encore si, comme il est vraisemblable, il en existe en nombre infini, probablement bien différents de celui-ci où l’éloignement des lieux suffit pour que de grandes différences subsistent entre les êtres qui s’y trouvent (Platon, Démocrite, Épicure, Pline, Hérodote, Plutarque), 271.—Les règles que nous avons cru déduire de la nature sont sans cesse démenties par les faits; tout est obscurité et doute; nous ne savons même pas si nous vivons. Diversité des opinions sur le monde et la nature (Métrodore de Chio, Euripide, Melissus, Protagoras, Nausiphane, Parménide, Zénon), 275.—C’est que la puissance divine ne peut être définie par aucun langage humain, dont l’imperfection est cause de toutes les erreurs et contestations qui se produisent, 277.—C’est par suite de cette même imperfection que nous disons qu’il y a des choses impossibles à Dieu, comme de ne pas être, de faire que le passé ne soit pas, etc.; du reste notre outrecuidance à vouloir tout soumettre à notre examen, à faire Dieu à notre image, fait que nous lui prêtons des attributs qui, pour lui, sont dépourvus de sens, alors qu’il ne nous est pas donné d’avoir de lui la moindre conception (Pline, Épicure, Thalès, Platon, Pythagore, Tertullien, Straton, Cicéron, S. Augustin, S. Paul), 279.—Nous l’avons tellement rabaissé que nous, incapables de créer quoi que ce soit, sommes arrivés à faire des dieux à la douzaine (Faustine, Auguste, les Thasiens et Agésilas, Trismégiste), 281.—Énoncé de quelques-uns des arguments que les philosophes ont mis en avant pour déterminer la nature de Dieu, 283.—On allait jusqu’à admettre couramment que les dieux pouvaient entrer en rapport avec la femme (Pauline; un gardien du temple d’Hercule, Laurentina et Teruncius, Apollon, Ariston et Périctione, les Merlins), 285.—Chaque être s’estimant la perfection, si les bêtes s’avisaient de faire des divinités, chacune les ferait, elle aussi, à son image (Xénophane), 287.—L’homme s’est imaginé que tout, dans le monde, n’existe que pour lui; que pour lui seul il fait jour, il pleut, il tonne; que les dieux ne parlent et n’agissent que pour lui, qu’ils épousent ses querelles, partagent ses plaisirs (Neptune et Junon, les Cauniens), 289.—Il donnait à chacun d’eux telle ou telle attribution: l’un guérissait de la toux, l’autre de la fièvre, etc.; il y en avait dont la puissance était si bornée, qu’il en fallait bien cinq ou six pour produire un épi de blé, 289.—Outre qu’il était de principe que, dans son propre intérêt, on doit laisser ignorer au peuple beaucoup de choses vraies et lui en donner à croire de fausses, dès que l’esprit humain veut pénétrer certains mystères, il s’y perd. Combien d’idées n’ont-elles pas été émises sur la matière dont est formé le soleil? en vérité, mieux eût valu s’abstenir (Scévola, Varron, S. Augustin, Anaxagore, Zénon, Archimède, Socrate, Polyenus), 291.—N’a-t-on pas imaginé que le mouvement des corps célestes fonctionne d’après les mêmes moyens que les machines de notre invention! 293.—En somme, la philosophie nous présente toutes choses comme font les poètes, sous forme d’énigmes (Timon et Platon), 293.—Du reste l’homme n’a pas d’idées plus nettes sur lui-même que sur tout ce qui l’entoure: en combien de parties différentes du corps n’a-t-on pas logé l’âme? quelle explication a pu être donnée de ce que celle-ci s’unit à une substance matérielle (une servante de Milet, Cicéron et Démocrite, Socrate)? 295.—Ce qui fait qu’on ne révoque pas en doute ces théories, c’est qu’on ne les discute jamais; on les accepte sous l’autorité du nom de qui les a émises et, si on vient à tenter de les soumettre à l’examen, on s’égare soi-même (Aristote, Pythagore), 299.—Voulons-nous, pour nous décider, recourir à l’expérience? les sens nous trompent; à la raison? sujette elle aussi à l’erreur, elle ne peut pas mieux nous guider que les sens, 303.—Que nous apprend celle-ci sur la nature de l’âme par exemple? A chaque philosophe elle enseigne que l’âme est une substance différente suivant l’idée que chacun s’en fait (Cratès, Dicéarque, Platon, Thalès, Asclépiade, Hésiode, Anaximandre, Parménide, Empédocle, Possidonius, Cléanthe, Galien, Hippocrate, Varron, Zénon, Héraclide du Pont, Xénocrate, les Égyptiens, les Chaldéens, Aristote, Lactance, Sénèque, les Dogmatistes, Cicéron, S. Bernard, Héraclite), 305.—Où loge-t-elle? la même divergence règne sur ce point (nombre d’entre les philosophes déjà cités; Hiérophile, Démocrite, Épicure, Moïse, Straton, Chrysippe, les Stoïciens, etc.), 305.—Ces opinions diverses ne prouvent-elles pas la vanité des recherches philosophiques, joint à cela les définitions incohérentes émises sur le monde et sur l’homme? Faiblesse du système des atomes et de quelques autres (Platon, les Épicuriens, Cotta, Zénon, Socrate), 309.—Si bien qu’on est tenté de croire que ce n’est pas sérieusement que ces philosophes ont débité leurs rêveries; de fait, il n’y a rien d’absurde qui n’ait été dit sur ces sujets, par l’un ou par l’autre, 311.—Pour en revenir à l’âme, l’opinion la plus vraisemblable est qu’elle loge au cerveau et que de là, au moyen des différents organes, elle gouverne le corps, 313.—Quant à son origine, nouvel embarras; diversité des opinions à ce sujet; est-ce une émanation de l’âme universelle? préexiste-t-elle au corps? est-elle immortelle ou non? 313.—Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle naît avec le corps, croît, se fortifie et s’affaiblit avec lui; qu’il ne faut pour la troubler, pour faire d’un sage un furieux, qu’un accident souvent léger, une maladie, la bave d’un chien (Socrate, Caton), 317.—Les plus hardis Dogmatistes eux-mêmes ne soutiennent que faiblement le dogme de l’immortalité de l’âme (Phérécyde de Syros, Thalès), 321.—Bien que certaines considérations portent à concevoir ce dogme, aucun de ceux qui l’ont admis n’ont insisté et n’ont produit à l’appui de raisons de quelque valeur; ils n’ont rencontré juste que par hasard, et il nous faut sur ce sujet nous en rapporter uniquement à ce que nous enseigne la révélation, 323.—Arguments qui, selon différents philosophes, militent pour ce principe; tous sont défectueux et, avec eux, le système de la métempsycose et autres auxquels il a donné lieu (Pythagore, Origène, Varron, Chrysippe, Platon, Pindare, Plutarque), 325.—La manière dont se forme le corps humain est aussi inconnue que la nature de l’âme, tout est mystère dans la génération (Archélaüs, Pythagore, Platon, Alcméon, Démocrite, Épicure, Aristote, Galien), 329.—D’où cette conclusion: ne se connaissant pas lui-même, l’homme ne peut arriver avec ses propres moyens à la connaissance de quoi que ce soit (Protagoras, Thalès), 331.

En raison de notre impuissance à faire la lumière par nous-mêmes, les arguments qui précèdent ne sont pas sans danger; ils peuvent se retourner contre nous, 333.—L’esprit humain malgré les mesures prises pour le contenir et le guider, ayant toujours tendance à échapper et à divaguer, mieux vaut s’en tenir sur ces questions aux enseignements de la foi et éviter toute controverse; toutefois si, avec certaines gens, on est obligé de les discuter, ces arguments pourront être utilement employés, 335.—Actuellement, les sciences sont l’objet d’un enseignement officiel, en dehors duquel toute innovation est abusivement prohibée, 337.—Il n’en est pas moins vrai que l’esprit humain ne peut outrepasser certaines limites dans la connaissance des choses, parce qu’il ignore les causes premières et que, l’âme étant incapable de distinguer entre la vérité et le mensonge, force nous est de nous arrêter dès les premiers pas, 339.—Aussi est-il plus facile et moins hasardeux d’être Pyrrhonien et de refuser à l’homme la possibilité d’une certitude sur quoi que ce soit, que d’être Dogmatiste et d’admettre dans une certaine mesure cette possibilité, 339.—En dehors de l’infinie diversité d’opinions qui nous divisent, nous varions nous-mêmes constamment dans les jugements que nous portons sur un même sujet, 343.—Ces jugements sont essentiellement variables avec nos dispositions physiques, et cette influence est bien difficile à constater; ceux qui parlent en public, par exemple, n’arrivent-ils pas à subir eux-mêmes l’effet de leur propre parole (Cléomène, l’Aréopage, Montaigne)? 345.—Les passions auxquelles l’âme est en proie, n’ont pas une action moindre; les plus grands hommes sont ceux qui éprouvent les passions les plus fortes; quelle confiance par suite avoir en notre jugement soumis à de pareils mobiles, d’autant qu’il semble que plus il est exalté plus il a part aux secrets des dieux (Thémistocle, Démosthène)? 353.—Peut-on disconvenir que sous l’influence de l’amour nous voyons, nous pensons, nous agissons tout autrement que lorsque nous sommes au calme? Sommes-nous plus dans la vérité dans un cas que dans l’autre? C’est un point qu’il n’est pas facile de décider (Montaigne, Pyrrhon), 355.—De tout cela il résulte qu’il ne faut pas se laisser aller aisément aux opinions nouvelles, on risque de perdre au change; et puis, quel privilège ont donc les nouveautés pour nous séduire et nous entraîner (Cléanthe de Samos, Nicétas de Syracuse, Copernic)? 355.—Quelles garanties particulières de stabilité présentent-elles pour l’avenir (Aristote, Paracelse, Théophraste, Jacques Peletier, Ptolémée)? 357.—Tout en ce monde et ce monde lui-même ne se modifient-ils pas continuellement? Combien sont incertaines les données que nous avons sur son origine (Platon, les prêtres d’Égypte et Hérodote, Aristote et Cicéron, Salomon et Isaie, Héraclite, Apulée, Alexandre, les Chaldéens, Zoroastre, Saïs, Athènes, Épicure), 361.—Dans le Nouveau Monde, n’a-t-on pas retrouvé des pratiques et des traditions ayant cours, qui existent ou ont existé dans le monde ancien? 363.—Malgré ces ressemblances qu’on relève en des lieux différents bien éloignés les uns des autres, il est certain que l’esprit de l’homme change suivant les climats et les siècles, et son inconstance dans ses désirs est une preuve indéniable de sa faiblesse (Végèce, les prêtres d’Égypte, Solon, Athènes, Thèbes, Cyrus), 367.—Incapables de discerner ce qui leur conviendrait, souvent les hommes demandent au ciel des biens qui sont pour eux une source de malheurs (Socrate, les Lacédémoniens, Midas, Cléobis et Biton, Trophonius et Agamède), 369.—Dans l’impossibilité où ils sont de discerner en quoi consiste le souverain bien, il semble que ce qui en est le plus approchant soit ce que les Pyrrhoniens considèrent comme tel: l’ataraxie, c’est-à-dire le calme absolu de l’esprit ne décidant jamais sur rien (Pythagore, Aristote, Archésilas), 371.—En prenant la raison pour guide, la confusion, nos embarras sont les mêmes, car tout change autour de nous, et les lois plus encore que toute autre chose; souvent ce qui est légitime ici est criminel ailleurs, 373.—On n’est même pas d’accord sur ce qu’on appelle les lois naturelles; elles sont aussi inconstantes que les autres; pas une n’est observée par toutes les nations (Protagoras, Ariston, Thrasymaque), 375.—Que de choses, sur lesquelles l’accord devrait exister, voyons-nous acceptées par les uns, proscrites par les autres, en raison du point de vue différent auquel chacun se place (Peuplades chez lesquelles les enfants mangent leurs pères et mères défunts, Lycurgue, Platon, Aristippe et Denys le tyran, Aristippe et Diogène, Solon pleurant son fils, Socrate pleuré par sa femme), 377.—Les plaidoyers des avocats et en maintes occasions les embarras des juges, prouvent combien les lois prêtent à interprétation; les idées sur la morale n’ont pas plus de fixité (Arcésilas, Dicéarque), 379.—Les lois et les mœurs tiennent surtout leur autorité de ce qu’elles existent. Si on remontait à leur origine, on constaterait parfois combien sont discutables les principes qu’elles consacrent; aussi les philosophes qui se piquaient le plus de ne rien accepter sans examen, ne se faisaient-ils nullement scrupule de ne pas les observer et de ne tenir aucun compte des bienséances (Chrysippe, Métroclès et Cratès, Diogène, Hipparchia), 381.—Des philosophes ont avancé que, dans un même sujet, subsistent les apparences les plus contraires; ce qu’il y a de certain, c’est que les termes les plus clairs peuvent toujours être interprétés différemment et que bien des écrits obscurs ont, grâce à cela, trouvé des interprétations qui les ont mis en honneur (Héraclite, Protagoras), 383.—Homère n’a-t-il pas été présenté comme ayant traité en maître les questions de tous genres? Et Platon n’est-il pas constamment invoqué comme s’étant prononcé en toutes choses, dans le sens de celui qui le cite, etc.? 387.—Quoique les notions qui nous viennent des sens puissent, comme on l’a dit, être erronées, les sens sont pourtant la source de toutes nos connaissances (Chrysippe, Carnéade), 389.—Si nous ne pouvons tout expliquer, peut-être est-ce parce que certains sens existent dans la nature et que l’homme s’en trouve dépourvu, ce qu’il lui est impossible de constater, 391.—C’est par les sens que, malgré les erreurs en lesquelles ils nous induisent, toute science s’acquiert; chacun d’eux y contribue et aucun ne peut suppléer à un autre (Épicure, Timagoras), 395.—L’expérience révèle les erreurs et les incertitudes dont est entaché le témoignage des sens qui, bien souvent, en imposent à la raison (Philoxène, Narcisse, Pygmalion, Démocrite, Théophraste, le joueur de flûte de Gracchus), 399.—Par contre, les passions de l’âme ont également action sur les opérations des sens et concourent à les altérer, 403.—C’est avec raison que la vie de l’homme a été comparée à un songe; que nous dormions ou que nous soyons éveillés, notre état d’âme varie peu, 405.—En général, les sens des animaux sont plus parfaits que ceux de l’homme; des différences sensibles se peuvent aisément constater entre eux, 405.—Même chez l’homme, nombreuses sont les circonstances qui modifient les témoignages des sens, et leur enlèvent tout degré de certitude, d’autant que souvent les indications données par l’un sont contradictoires avec celles fournies par un autre, 409.—En somme, on ne peut rien juger définitivement des choses d’après les apparences que nous en donnent les sens, 413.—En outre, rien chez l’homme n’est à l’état stable; constamment en transformation, il est insaisissable (Platon, Parménide, Pythagore, Héraclite, Épicharme, Plutarque), 415.—D’où nous arrivons à conclure qu’il n’y a rien de réel, rien de certain, rien qui n’existe que Dieu; que l’homme n’est rien, ne peut rien par lui-même; et que, seule, la foi chrétienne lui permet de s’élever au-dessus de sa misérable condition (Plutarque, Sénèque), 417.

CHAPITRE XIII.

Du jugement à porter sur la mort d’autrui, II, 421.—Peu d’hommes témoignent à leur mort d’une réelle fermeté d’âme; il en est peu qui croient à ce moment que leur dernière heure est venue, 421.—Quand nous en sommes là, nous sommes portés d’ordinaire à croire la nature entière intéressée à notre conservation et que nous ne pouvons périr sans que le monde en soit bouleversé (César), 421.—Pour juger du courage de qui s’est donné la mort, il faut examiner dans quelles circonstances il se trouvait; la fermeté que nous admirons ne vient souvent que de la crainte de souffrir une mort lente ou honteuse (Caligula, Tibère, Héliogabale), 423.—Exemples de faiblesse chez des gens qui avaient décidé de se tuer (L. Domitius, Plautius Sylvanus, Albucilla, Démosthène, G. Cimbria, Ostorius), 425.—Une mort prompte et inattendue est la plus désirable (l’empereur Adrien, César), 425.—Noble constance de Socrate dans l’attente de la mort, 427.—Exemples (Pomponius Atticus, le philosophe Cléanthe, Tullius Marcellinus), 427.—Courage de Caton aidant, en pareille circonstance, la mort à accomplir son œuvre, 429.

CHAPITRE XIV.

Comment notre esprit se crée à lui-même des difficultés, II, 431.—Le choix de l’homme entre deux choses de même valeur se détermine par si peu, qu’on est amené à en conclure que tout ici-bas est doute et incertitude (Pline), 431.

CHAPITRE XV.

Notre désir s’accroît par la difficulté qu’il rencontre à se satisfaire, II, 433.—La difficulté de les obtenir et la crainte de les perdre sont ce qui donne le plus de prix à nos jouissances; les obstacles rendent notamment les plaisirs de l’amour plus piquants; tout ce qui est étranger a pour nous plus d’attrait (Jupiter et Danaé, Lycurgue et les lois de Lacédémone, la courtisane Flora), 433.—Les femmes ne se voilent et n’affectent de la pudeur, que pour exciter davantage nos désirs (l’impératrice Poppée), 435.—C’est pour réveiller notre zèle religieux, que Dieu permet les troubles qui agitent l’Église, 437.—En interdisant le divorce, on a affaibli les nœuds du mariage, 437.—La sévérité des supplices, loin d’empêcher les crimes, en augmente le nombre; il y a des peuples qui ont existé sans lois répressives (les Argyppées), 437.—Montaigne, au milieu des guerres civiles, a garanti sa maison de toute invasion, en la laissant ouverte et sans défense, 439.

CHAPITRE XVI.

De la gloire, II, 441.—En tout, il y a lieu de distinguer le nom et la chose, 442.—A Dieu seul appartient gloire et honneur; l’homme manque de tant d’autres choses qui lui sont autrement nécessaires, qu’il est bien puéril à lui de rechercher celles-là, 441.—Plusieurs philosophes ont prêché le mépris de la gloire laquelle, chez l’homme, est cause de si grands dommages; elle n’est à rechercher que lorsque d’autres avantages plus réels l’accompagnent (Chrysippe, Diogène, les Sirènes et Ulysse), 443.—Et cependant l’homme est tellement complexe que bien que ce mépris fût un des dogmes fondamentaux de sa doctrine, Épicure lui-même, à son heure dernière, n’a pas été sans se préoccuper du soin de sa réputation, 445.—Selon d’autres philosophes la gloire est désirable pour elle-même; le plus généralement on admet qu’il ne faut ni la rechercher, ni la fuir (Carnéade, Aristote), 447.—Erreur de ceux qui ont cru que la vertu n’est désirable que pour la gloire qui l’accompagne (Cicéron), 447.—S’il en était ainsi, il ne faudrait jamais faire de belles actions que lorsqu’on est remarqué (Sextus Peduceus, Sextilius Rufus, M. Crassus et Q. Hortensius), 447.—La vertu serait chose bien frivole, si elle tirait sa recommandation de la gloire, 449.—Quant à Montaigne, toute la gloire qu’il désire, c’est de passer une vie tranquille, telle qu’il la conçoit, 449.—C’est le hasard qui donne la gloire: que de belles actions demeurent inconnues (César, Alexandre), 449.—La vertu est à rechercher pour elle-même, indépendamment de l’approbation des hommes, 451.—Le jugement des foules est méprisable; le sage ne doit pas attacher de prix à l’opinion des fous (Démétrius, Cicéron), 453.—Quand on ne suivrait pas le droit chemin uniquement parce qu’il est droit, il faudrait encore le suivre pour son propre avantage, les choses honnêtes étant ordinairement celles qui profitent le plus (Paul Émile, Fabius), 453.—On fait trop cas de la louange et de la réputation, d’ailleurs on n’est jamais jugé que sur des apparences; aussi notre juge le plus sûr, c’est nous-mêmes, 455.—Certains vont jusqu’à vouloir que leurs noms soient connus à tout prix, même par des crimes (Érostrate, Manlius Capitolinus), 457.—Qu’est-ce pourtant que la gloire attachée à un nom? n’est-il pas des noms communs à plusieurs familles, témoin celui de Montaigne? 457.—Peu d’hommes, sur un très grand nombre, jouissent de la gloire à laquelle ils pourraient prétendre (les Grecs, les Romains, les Lacédémoniens), 459.—Les écrits qui relatent leurs actions, le souvenir qui s’en conserve sont eux-mêmes de bien courte durée, 459.—A quel degré ne faut-il pas atteindre pour que notre mémoire se perpétue! dans de telles conditions, et la vertu portant elle-même sa récompense, est-ce la peine de sacrifier à la gloire? 461.—On peut cependant arguer en sa faveur qu’elle est un stimulant pour les hommes; qu’elle les porte quelquefois à la vertu, parce que redoutant le blâme de la postérité, ils recherchent son estime (Trajan, Néron, Platon), 461.—Un semblable mobile équivaut à avoir recours à la fausse monnaie quand la bonne ne suffit pas; cela a été le cas de tous les législateurs (Numa, Sertorius, Zoroastre, Trismégiste, Zamolxis, Charondas, Minos, Lycurgue, Dracon et Solon, Moïse, la religion des Bédouins), 463.—Quant aux femmes, elles ont tort d’appeler honneur ce qui est leur devoir; celles qui ne sont retenues que par la crainte de perdre leur honneur, sont bien près de céder, 463.

CHAPITRE XVII.

De la présomption, II, 465.—La présomption nous fait concevoir une trop haute idée de notre mérite, elle nous représente à nous-mêmes autres que nous ne sommes; mais, pour fuir ce défaut, il ne faut pas tomber dans l’excès contraire et, par une excessive modestie, s’apprécier moins qu’on ne vaut; en toutes choses, il faut être vrai et sincère, 465.—Se peindre soi-même est le moyen de se faire connaître pour qui mène une vie obscure; c’est ce qui, contrairement aux conventions mondaines, a déterminé Montaigne à parler de lui-même et l’incite à continuer (Lucilius), 462.—Remontant à son enfance, il remarque, qu’ainsi qu’il arrive souvent, il avait des gestes habituels qui, chez lui, pouvaient indiquer de la fierté; on ne saurait en inférer qu’il soit réellement atteint de ce défaut (Alexandre, Alcibiade, Jules César, Cicéron, Constantin), 467.—Il ne trouve bien rien de ce qu’il fait, et estime toujours moins les choses qu’il possède que celles qui appartiennent aux autres, 469.—La trop bonne opinion que l’homme a de lui-même, semble à Montaigne être la cause des plus grandes erreurs, 471.—Il sait le peu qu’il vaut, il a toujours été peu satisfait de ce que son esprit a produit, surtout lorsqu’il s’est essayé dans la poésie que cependant il aime, 471.—Accueil fait aux jeux olympiques à celle de Denys l’Ancien, 473.—Opinion que Montaigne a de ses propres ouvrages; il a grand’peine à rendre ses idées et ne s’entend nullement à faire valoir les sujets qu’il traite (Cicéron, Xénophon, Platon), 475.—Son style est embarrassé, sa nature primesautière s’accommode mieux de parler que d’écrire; sa prononciation est altérée par le patois de son pays; avec l’âge, il a perdu l’habitude qu’il avait, étant enfant, de s’exprimer et d’écrire en latin (Salluste, César, Sénèque, Plutarque, Messala), 477.—De quel prix est la beauté corporelle? c’est elle qui, la première, a mis de la différence entre les hommes, 479.—Montaigne était d’une taille au-dessous de la moyenne. A l’encontre de ce qui est pour la femme, chez l’homme une taille élevée est la condition essentielle et presque unique de la beauté (C. Marius, les Éthiopiens, les Indiens, Jésus-Christ, Platon, Philopœmen), 481.—Généralement maladroit aux exercices du corps, il était cependant vigoureux et résistant, quand les fatigues auxquelles il se livrait provenaient de sa propre volonté, 483.—Son état de fortune à sa naissance lui assurait l’indépendance, il s’en est tenu là, 485.—Sa nonchalance est telle, qu’il préfère ignorer les préjudices qu’il peut en éprouver que d’avoir à s’en préoccuper, 487.—Toute réflexion, toute délibération lui sont pénibles, bien qu’une fois sa détermination prise, la résolution ne lui fasse pas défaut, 487.—L’incertitude du succès l’a dégoûté de l’ambition, qu’il n’admet que chez ceux qui sont dans l’obligation de chercher fortune pour se maintenir dans la condition où ils sont nés (le chancelier Olivier), 489.—Son siècle, par sa dépravation, ne convient nullement à son humeur, 491.—On n’y connaît pas la franchise, la loyauté et, lui, abhorre la dissimulation (Aristote, Appollonius), 493.—La fourberie finit presque toujours par avoir de mauvais résultats; il est plus nuisible qu’utile pour les princes d’y avoir recours (Metellus Macedonicus, Louis XI, Tibère, Soliman), 495.—Montaigne, ennemi de toute contrainte et de toute obligation, apportait dans ses relations avec les grands une entière liberté de langage (Aristippe), 493.—L’infidélité de sa mémoire lui rendait impossible de prononcer des discours de longue haleine, 497.—Il était tellement rebelle à toute pression, que sa volonté elle-même était parfois impuissante à obtenir obéissance de lui-même (un archer), 497.—Son peu de mémoire qui se révélait en maintes occasions, le mettait notamment hors d’état de démêler dans ce qui lui venait à l’esprit, ce qui lui était propre de ce qui était une réminiscence de ses lectures (Messala Corvinus, Georges Trapezunce), 499.—Il avait l’esprit lent et obtus, mais ce qu’il avait une fois compris il le retenait bien (Pline le Jeune), 501.—Son ignorance à propos des choses les plus communes, 503.—Il était foncièrement irrésolu, trouvant tour à tour également bonnes les raisons alléguées pour ou contre, ce qui le portait dans les cas douteux à suivre les autres ou à s’en rapporter au hasard, plus qu’à se décider par lui-même (René de Lorraine, Chrysippe, Mathias, Socrate), 505.—Par la même raison, il est peu favorable aux changements politiques, parce qu’on n’est jamais sûr des institutions nouvelles qu’on veut substituer à celles existant depuis longtemps déjà (Machiavel), 507.—Sur quoi est fondée l’estime que Montaigne a de lui-même; il croit à son bon sens, du reste personne au monde ne s’imagine en manquer, 509.—C’est ce qui fait que les ouvrages uniquement inspirés par le bon sens, attirent si peu de réputation à leurs auteurs; chacun se croit capable d’en faire autant, 511.—Montaigne estime que ses opinions sont saines; il en voit une preuve dans le peu de cas qu’il n’a jamais cessé de faire de lui-même malgré la profonde affection qu’il se porte, 511.—Les autres regardent en avant d’eux; lui ne regarde que lui-même, s’examine, se contrôle et exerce ainsi constamment son jugement, 513.—Il estime peu son époque; peut-être ce sentiment provient-il en partie de son commerce continu avec l’antiquité autrement riche à tous égards, 513.—C’est toujours avec plaisir qu’il loue le mérite partout où il le constate, chez ses amis et même chez ses ennemis (les Perses), 515.—Les hommes complets sont rares; éloge de son ami Étienne de La Boétie, 515.—Les gens de lettres sont vains et faibles d’entendement; peut-être exige-t-on trop d’eux et est-on, envers eux, moins porté à l’indulgence, 515.—Mauvaise direction imprimée à l’éducation qui se borne, en fait de morale, à des définitions, au lieu de nous en inculquer les principes, 517.—Effets d’une bonne éducation; elle modifie le jugement et les mœurs. Les mœurs du peuple, en leur simplicité, sont plus réglées que celles des philosophes de ce temps, 517.—Hommes de guerre, hommes politiques, poètes et autres qui, seuls, parmi ceux de son siècle, semblent à Montaigne mériter une mention spéciale (le duc de Guise, le maréchal Strozzi, les chanceliers Olivier et l’Hospital, Daurat, Théodore de Bèze, Buchanan, Mont-Doré, Turnebus, Ronsard, du Bellay, le duc d’Albe, le connétable de Montmorency, M. de la Noue), 519.—Éloge de Marie de Gournay, sa fille d’alliance, 519.—En ces temps de guerre civile continue, la vaillance, en France, a atteint presque à la perfection et y est devenue une vertu commune, 521.

CHAPITRE XVIII.

Du fait de donner ou recevoir des démentis, II, 521.—Si, dans son livre, Montaigne parle aussi souvent de lui-même, dont la vie n’offre rien de remarquable, c’est pour laisser un souvenir de lui à ses amis (César, Xénophon, Alexandre, Auguste, Caton, Sylla, Brutus), 521.—Mais alors même que personne ne le lirait, il n’en aurait pas moins employé, d’une manière agréable, à s’étudier et à se peindre, une grande partie de sa vie; que lui importe le reste, 525.—Son siècle est si corrompu que l’on ne se fait plus scrupule de parler contre la vérité, défaut imputé à bien des époques aux Français (Pindare, Platon, Salvinus Massiliensis), 527.—Et cependant rien ne les offense plus que de leur en faire reproche, probablement parce que les reproches mérités blessent plus que les accusations non fondées; et aussi, parce que mentir est une lâcheté (Lysandre), 527.—Le mensonge est un dissolvant de la société; il est en abomination chez certains peuples de l’Amérique récemment découverte, 529.—Les Grecs et les Romains, moins délicats que nous sur ce point, ne s’offensaient pas de recevoir des démentis (César), 529.

CHAPITRE XIX.

De la liberté de conscience, II, 529.—Le zèle religieux est souvent excessif et conséquemment injuste, 529.—C’est à ce zèle outré des premiers chrétiens qu’il faut attribuer la perte d’un grand nombre d’ouvrages de l’antiquité (l’empereur Tacite et Cornelius Tacite), 531.—Leur intérêt les a aussi portés à louer de très mauvais empereurs favorables au christianisme, et à en calomnier de bons qui lui étaient contraires; du nombre de ces derniers est Julien, surnommé l’Apostat, qui était un homme de premier ordre; sa continence, sa justice (Alexandre, Scipion), 531.—Appréciation portée sur lui par deux historiens chrétiens ses contemporains, Ammien Marcellin et Eutrope, 533.—Sa sobriété, son application au travail, son habileté dans l’art militaire (Alexandre le Grand), 533.—Sa mort a quelque similitude avec celle d’Épaminondas, 535.—On l’a surnommé l’Apostat; c’est un surnom qu’il ne mérite pas, n’ayant vraisemblablement jamais été chrétien par le cœur. Il était excessivement superstitieux; l’exclamation qu’on lui prête, lorsqu’il se sentit frappé à mort, ne semble pas avoir été dite (Marcus Brutus), 535.—Il voulait rétablir le paganisme et détruire les chrétiens en entretenant leurs divisions par une tolérance générale, 525.—Nos rois, probablement par impuissance, suivent le même système à l’égard des catholiques et des protestants, 537.

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