Essais de Montaigne (self-édition) - Volume IV
8, L’autre.—Diogène Laerce, VI, 89.
9, Table.—Ab ovo usque ad mala (depuis l’œuf jusqu’à la pomme), dit Horace, Sat., 1.
11, Obscæne.—Sale, malpropre, répugnant en raison de l’usage qui en était fait.
16, Estouffa.—Sénèque, Epist. 70.
16, Catze.—De l’italien cazzo, pénis, membre viril.
20, Passans.—Dans toutes les grandes villes, en France, il est actuellement pourvu à cette nécessité; avant, c’était une servitude des couloirs d’entrée des maisons, dont nombre comportaient des aménagements à cet effet. C’est à M. le Préfet de police de Rambuteau, dont longtemps ils ont gardé le nom, que Paris doit depuis moins d’un siècle environ les édicules dont certaines de ses rues sont pourvues pour cet objet; mais c’est à l’empereur Vespasien, dont ils ont également porté le nom, que l’idée première appartient. En les établissant, il les avait frappés d’un impôt et son fils Titus l’en ayant plaisanté, il lui mit, dit-on, sous le nez, le premier argent en provenant, en lui disant: «Sent-il mauvais?»—A Venise, il n’y a pas encore longtemps, aucune disposition particulière n’existait à cet égard et en certains endroits se prêtant le plus à la satisfaction de ce besoin, était parfois tracée sur le mur une croix noire bien apparente avec cette inscription: Rispetto (à respecter), que Théophile Gautier, qui narre le fait, rend plaisamment par cette traduction du vers d’Horace: «Enfants, allez plus loin; cet endroit est sacré», ajoutant que la recommandation est loin d’être pieusement observée.
26, Trenchans.—Eschançons et trenchans étaient des esclaves dont l’office était, celui des premiers, de verser à boire; celui des seconds, de découper les viandes.
1, Nous.—Montaigne estimait ses contemporains inférieurs aux anciens, en vices et en vertus; était-ce exact? Les hommes semblent à cet égard avoir été, être et devoir être toujours à peu près les mêmes dans tous les siècles; et, pour un observateur consciencieux qui ne se laisse pas arrêter par les apparences et va au fond des choses, la somme des vertus et des vices dans un siècle est sensiblement la même comparée à ce qu’elle est dans un autre siècle. Naigeon.
3, Mal.—La Rochefoucault a exprimé cette même pensée de la sorte: «Un sot n’a pas assez d’étoffe pour être bon».
14, Estuues.—Les Romains, du moins dans le courant de la vie ordinaire, ne prenaient que des bains de vapeur, comme cela se pratique encore dans les pays orientaux; mais ces bains étaient d’usage journalier, ce qu’explique le climat, la vie passée continuellement au grand air et les loisirs de leur existence. Le confort moderne n’avait pas encore introduit chez eux l’eau et le feu à domicile, d’où, à peu d’exceptions près, la nécessité de thermes ou établissements de bains publics dont les ruines attestent les immenses proportions et la magnificence; entre autres, aux Thermes de Caracalla, à Rome, trois mille personnes pouvaient se baigner à la fois; il y avait seize cents sièges de marbre et de porphyre, et des baignoires de granit. On y accédait par des portiques somptueux; à l’intérieur se trouvaient des salles de conversation, des bibliothèques, des jardins décorés de statues et d’œuvres d’art, c’était quelque chose comme les établissements thermaux de nos jours dans certaines villes d’eaux, mais ils étaient publics, à Rome, du moins pendant l’empire; tout le monde y avait accès et il en existait dans la plupart des villes.—Les bains sont bien loin d’être aussi en faveur en France; Louis XIV, dit Saint-Simon, n’en prit jamais que sur ordonnance de médecin, et en ces derniers temps, il nous a été donné d’entendre une femme d’âge, venue à Lourdes y chercher la guérison, justifier son appréhension à descendre dans la piscine de la grotte, en disant qu’elle n’avait jamais pris de bain de sa vie. Actuellement on a tendance à y venir; bains et bains-douches, déjà d’usage courant dans l’armée, s’introduisent dans les populations, du moins dans celles de quelques grandes villes; des piscines municipales ont même été créées dans quelques-unes où pour quinze ou vingt centimes chacun peut se baigner; mais de fait, ce ne sont encore que de rares exceptions.
14, Hommes.—Jusque sous l’empereur Adrien, les bains des femmes n’étaient pas séparés de ceux des hommes.
19, Apollinaris.—Carm. IV, 239.
23, Naulage.—Les éd. ant. port.: voiture.—La question est de peu d’importance; actuellement on opère de deux façons: généralement on paie d’avance quand le prix est élevé ou qu’il peut y avoir grande affluence (chemins de fer, paquebots à destination lointaine, etc.), en cours de route ou à l’arrivée dans le cas contraire (omnibus, petites voitures, etc.).
28, Nicomedis.—Concubine; littéralement «la ruelle de Nicomède». Suétone, César, 49.—César, dans sa jeunesse, avait vécu quelque temps à la cour de ce prince, roi de Bithynie (Asie Mineure), et passait pour avoir été de la plus grande intimité avec lui, ce qui, en ce temps, était fréquent et admis; et c’est pourquoi il avait été gratifié de cette épithète dont l’origine provient de ce que, chez les Romains, la femme au lit couchait d’ordinaire, ainsi que le dit Montaigne, du côté de la ruelle. V. N. II, 634: Nicomedes.
33, Champisses.—Malignes, goguenardes; viendrait de «champis» qui, en Poitou, signifie enfant naturel, comme qui dirait procréé dans les champs, auquel on attribuait plus de malice qu’aux autres.
34, Iane.—Janus, le plus ancien roi d’Italie, XVe siècle. Établi dans le Latium, il y fit régner la paix. Il avait, à Rome, un temple dont les portes étaient ouvertes en temps de guerre et fermées en temps de paix et avant Auguste, elles ne furent closes que deux fois, l’une sous Numa, l’autre après la première guerre punique. C’est de Janus que le mois de Janvier passe pour avoir pris son nom.
37, Romaines.—Hérodien, IV, 2, 6.
39, Creu.—Les reines de France portaient jadis le deuil en blanc; Anne de Bretagne fut la première qui, à la mort de Charles VIII, le porta en noir. Les Chinois le portent également en blanc et, par exception, en rouge éclatant, pendant le premier mois, après la mort d’un père ou d’une mère; les Égyptiens le portaient en jaune; les Éthiopiens, en gris.
CHAPITRE L.
7, Ceux.—C.-à-d. et même de ceux.
15, Entiers.—Les éd. ant. aj.: et à fons de cuue.
17, De cent... descouure.—Var. des éd. ant.: De mille visages qu’ils ont chacun, i’en prens celuy qui me plait: ie les saisis volontiers par quelque lustre extraordinaire et fantasque: i’en trieroy bien de plus riches et pleins si i’auoy quelque autre fin proposée que celle que i’ay. Toute action est propre à nous faire connoistre.
21, Inusité.—«Dans la plupart des auteurs, je vois l’homme qui écrit; dans Montaigne, je vois l’homme qui pense.» Montesquieu.
27, Eschecs.—Le jeu d’échec ayant été inventé, dit-on, par Palamède, lors de la guerre de Troie, il est possible qu’Alexandre l’ait pratiqué.
32, Autre.—Socrate.
9, Friuole.—C’est la même idée déjà exprimée, I, 432.
24, Merite.—«Il ne faut pas permettre à l’homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant, avec les impies, que notre vie est un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs.» Bossuet.
34, Hommes.—Le mot «misanthrope» n’existait pas encore du temps de Montaigne.
2, Peine.—Plutarque, M. Brutus, 3.
4, Face.—Diogène Laerce, II, 95.
6, Fols.—Diogène Laerce, II, 95.
CHAPITRE LI.
8, Paroles.—Ce chapitre a été traduit, vers 1689, en langage de l’époque par M. de Plassac.
10, Pied.—Ce mot est d’Agésilas. Plutarque, Apophth. des Lacédémoniens.
13, Thucydidez.—Non l’historien, mais le chef à Athènes du parti aristocratique contre Périclès; frappé d’ostracisme en 444, c’est alors qu’il se trouvait à Sparte; le fait est rapporté par Plutarque, Périclès, 5.
23, Orateurs.—Sextus Empiricus, Adv. Math., II.—«Les grands diseurs ne sont pas les grands faiseurs», dit un adage.
24, Peuple.—Quintilien, II, 16.
25, Flatter.—Dans le Gorgias.
15, Rudes.—Du latin rudis, ignorant, grossier, qui n’est pas cultivé.
17, Dit-il.—Tite-Live, X, 22.
22, Caraffe.—D’une illustre famille napolitaine dont la mémoire fut abolie par le Sénat romain, en 1560, à la suite d’un procès amené par les exactions de quelques-uns de ses membres, procès qui, en 1566, fut revisé et suivi de la réintégration dans leurs titres et honneurs des survivants, parmi lesquels le cardinal dont il est ici question, qui personnellement avait été condamné à une amende de 100.000 écus.
13, Macédoine.—Plutarque, Paul-Émile, 15.—En 167. Le discernement, l’attention, l’exactitude qu’apporta Paul-Émile dans les fêtes qu’il donna à la Grèce, après sa victoire de Pydna sur Persée (jeux, sacrifices, festins, fêtes de toute nature), excitèrent l’admiration à l’égard de cet homme qui montrait tant de diligence et de soins dans ces détails, et qui, chargé de si grandes affaires, observait dans les plus petites jusqu’à la moindre bienséance. Que nous sommes donc loin ici de cet adage si fort en honneur maintenant chez nous: «De minimis non curat prætor (le préteur ne porte pas son attention sur les détails)», que l’on a si souvent à la bouche, et qui, exact quand il s’applique à des cas où on ne sait pas faire la part des nécessités, blâmable quand il constitue des empiétements sur les devoirs et attributions d’autrui au lieu de se borner à en être le contrôle, ne fait dans toutes les autres circonstances que favoriser la paresse des uns, les abus des autres, au grand détriment des affaires publiques.
18, Apollidon.—Palais merveilleux qu’éleva, avec le secours de la nécromancie, Apollidon, un des personnages du roman d’Amadis des Gaules.
20, Allegorie.—Métonymie, métaphore, allégorie, sont des termes et figures de rhétorique.
22, Pellegrin.—Fin, poli, délicat; de l’italien pellegrino qui a cette même signification.
26, Puissance.—C’est ainsi, par exemple, qu’à Rome, les consuls étaient les premiers magistrats de la République; qu’au moyen âge, c’étaient dans quelques villes les anciens échevins (conseillers municipaux), dont le mandat avait pris fin; qu’avant la Révolution, on appelait ainsi les juges des tribunaux de commerce; et qu’actuellement, certains de nos représentants à l’étranger, soit diplomatiques, soit simplement commerciaux, portent ce nom.
27, De reproche à.—Les éd. ant. port.: tesmoignage d’vne singuliere vanité de.
27, Indignement.—Var. des éd. ant.: vainement et sans aucune consideration.
CHAPITRE LII.
2, Carthaginois.—Valère Maxime, IV, 4, 6.—En 256, alors que, consul, après avoir battu les Carthaginois en Sicile, il venait de passer en Afrique et de les battre à nouveau.
3, Publique.—Au gouvernement.
5, Terre.—Environ trois hectares.
19, Dehors.—Plutarque, Caton le Censeur, 3.—Les uns regardaient cette conduite de Caton comme un effet de son avarice, les autres comme le résultat d’un parti pris pour corriger ses concitoyens de leur luxe et les ramener à la simplicité; on ne saurait cependant excuser qu’il se servît de ses esclaves comme de bêtes de somme, qu’il les chassât et les vendît quand ils devenaient vieux.—Cette exagération de sa part fut le point de départ de l’animosité avec laquelle plus tard il poursuivit Scipion. Il avait été désigné comme son questeur, lorsque celui-ci fut envoyé en Sicile, d’où il devait passer en Afrique. Voyant qu’il vivait avec magnificence et prodiguait l’argent à ses troupes sans ménagement, il l’en reprit, lui disant que le plus grand mal n’était pas dans la dépense excessive, mais dans l’altération de l’ancienne simplicité des soldats, qui employaient en luxe et en plaisirs le superflu de leur paye. A quoi Scipion répondit qu’il n’avait pas besoin d’un questeur si exact; que dans la guerre, il allait à pleines voiles, devant compte à la République non des sommes qu’il aurait dépensées, mais des exploits qu’il aurait accomplis. Sur cette réponse, Caton le quitta dès la Sicile. N. II, 60: Caton le Censeur.
21, Légation.—L’an 130. Valère Maxime, IV, 3, 13.
23, Vn.—Sénèque, Consol. ad Helv., 12.
25, Romains.—Montaigne détourne le fait du sens que lui donne Plutarque, Les Gracques, 3, qui, en l’exposant, dit bien qu’une allocation aussi dérisoire ne fut attribuée à Tiberius Gracchus que pour lui faire honte et dépit. Tribun du peuple, il venait de faire revivre une ancienne loi agraire interdisant à un même individu de posséder une étendue de terres de plus de cinq cents plèthres (le plèthre valait environ six ares); et ce qui serait ainsi rendu disponible devait être affermé à ceux ne possédant aucun fonds. Lorsqu’il dut partir pour effectuer cette opération, le Sénat, pour se venger, ne lui alloua pour sa dépense que neuf oboles par jour (un franc trente-cinq centimes), contrairement à ce qui se faisait d’ordinaire, où ces commissions étaient largement rétribuées.
CHAPITRE LIII.
6, Faut.—C’est ce qui a donné lieu à cet aphorisme: «Fac ut credes, et quod prohiberi non potes, accipe (Fais ce que dois et accepte ce que tu ne peux empêcher)», dont la deuxième partie est corroborée par cet autre: «Unquam felix, nisi sua sorte contentus (Qui n’est pas satisfait de son sort, n’est jamais heureux).»
30, Façon.—S. Jean Chrysostome nous conseille de «ne désirer que peu de choses, si nous voulons être heureux».
33, Reuerence.—S. Ambroise dit que «la concupiscence s’imagine une infinité de besoins, qu’elle tâche de satisfaire à tout prix».
35, Exterreamur.—Dans les éd. ant., cette citation est suivie de sa traduction: Il se fait, par vn vice ordinaire de nature, que nous ayons et plus de fiance, et plus de crainte des choses, que nous n’auons pas veu, et qui sont cachées et inconnues.
CHAPITRE LIV.
568,
1, Lettre.—C’était une manie des poètes latins du moyen âge, surtout aux XIIe et XIIIe siècles.
2, Haches.—Et fréquemment aussi des autels, des chalumeaux.
4, Figure.—Comme bizarrerie analogue, citons entre autres que, dans un recueil de noëls de 1740, on en trouve un de cent deux vers, dont tous les mots n’ont qu’une syllabe.
7, Plutarque.—Xénocrate, au dire de Plutarque, indiquait le nombre de cent millions deux cent mille comme celui des syllabes que forment les diverses lettres de l’alphabet.
14, Exercice.—Il semble assez difficile de faire passer, en le projetant et même sans le projeter, un grain de mil par le trou d’une aiguille. Quintilien, II, 20, d’où le fait est tiré, et qui attribue à Alexandre d’avoir récompensé cette adresse en proportion de son utilité, dit, ce qui est plus admissible, qu’elle consistait, ayant un pois chiche dans la bouche et soufflant, à le lancer sur une aiguille à certaine distance et le ficher à la pointe de cette aiguille, et que cet homme ne manquait jamais son coup. Le minot valait un peu moins d’un litre.
17, Ioinctes.—Platon, dans un cas analogue, ne fut pas plus indulgent qu’Alexandre: seul, il n’admira pas un certain Anniceris, si bon cocher qu’il faisait faire cent tours à son char sans s’écarter de la plus petite distance de la même ornière; Platon jugeait qu’un homme qui s’était appliqué avec une attention si soutenue à atteindre une perfection si inutile, était incapable de grandes choses. A quoi on peut répondre que tout le monde n’est pas tenu à être propre aux grandes choses, sans pour cela cesser d’être estimable.
23, Marche.—Le titre de «dame», qui se donne aujourd’hui indistinctement à toutes les femmes mariées, était anciennement affecté aux femmes de chevaliers; les femmes des écuyers et toutes les autres femmes, mariées ou non, étaient simplement qualifiées de «Demoiselles»; c’est ce qui explique que Montaigne écrivant à sa femme, mettait en tête de sa lettre: «A Mademoiselle Montaigne, ma femme.» Cette appellation de «Dame» était en outre, comme il le dit, appliquée aux femmes de basse extraction, et aussi dans le sens de maîtresse, etc... Quand il s’agissait de femmes de mauvaise vie, on employait indifféremment l’une ou l’autre expression.
25, Disoit.—Plutarque, De Placit. philosoph., IV, 10.
34, Appetissans.—Du latin appetitus, rendant désirable et, par extension, diminuant, affaiblissant, autrement dit dans le cas présent, dorant la pilule.
1, Desgoutement.—On dit aujourd’hui dégoût.
3, Rotissent.—Les coups de chaleur et de soleil produisent, en effet, sur les plantes et les animaux, l’homme compris, les mêmes effets que les grands froids; dans les deux cas, les plantes sont comme brûlées et dépérissent, et chez les êtres animés il y a congestion et danger de mort.
3, Cueux.—Gueuses, de l’allemand giessen, fondre; masses ou lingots de métal sortant de la première fonte.—Montaigne ne rapporte pas exactement la pensée d’Aristote qui se borne à dire que l’étain fond plus tôt que le plomb, puisqu’il se fond même dans l’eau, et indique ensuite des procédés de fusion.
6, Volupté.—Dans le Phédon, Platon fait dire à Socrate que «le plaisir et la douleur se tiennent».
16, Impression.—«La prospérité fatigue l’âme du sage, l’adversité l’affermit et la retrempe par les coups mêmes dont elle la frappe.»
24, Engendre.—C.-à-d. pour savoir qu’on ignore, il faut beaucoup savoir; ce qui est à l’adresse de ceux qu’en langage familier nous appelons des «demi-savants».
24, Premiere.—C’est ce que Bacon a traduit par: «Un peu de philosophie éloigne de la religion, beaucoup y ramène.»—J. de Maistre, dans ses Soirées de S.-Pétersbourg, a reproduit et développé cette idée de l’ignorance qui croit savoir, et de la science qui s’ignore.
25, Instruits.—Sçauants (var. de 88).
29, Sens.—Allusion à ceux qui, sans plus ample examen, séduits par leur simplicité, embrassèrent les doctrines nouvelles de Luther et de Calvin.—Gresset, dans Vert-vert, exprime la même pensée, appliquée d’une façon plus générale:
L’observation de Montaigne est d’application constante. De son temps, c’était la question religieuse qui préoccupait les esprits, depuis elle a cédé le pas à la politique; sauf cela, rien n’est changé à cet égard; peu de gens, aujourd’hui comme alors, sont capables de penser par eux-mêmes et, parmi ces privilégiés, peu prennent le temps de réfléchir et s’astreignent à l’effort de la réflexion; aussi l’influence du journal qui fournit sur chaque chose une opinion toute faite et dont chacun fait sa lecture quotidienne, est-elle considérable, on finit par ne plus penser et ne plus voir que par lui; c’est pourquoi la mauvaise presse fait tant de mal et pourquoi aussi la bonne presse, qui seule peut compenser l’influence néfaste de la première, est à soutenir et à encourager.
11, Mestis.—C.-à-d. ceux qui tiennent des uns et des autres.—Métis vient du latin mixtus, mélangé; signifie engendré du fait d’espèces différentes, tels le mulâtre, né d’un blanc et d’une négresse; le mulet, d’un âne et d’une jument.
19, Villaneles.—Poésies pastorales, dont tous les couplets sont suivis d’un même refrain.
29, Vulgaires.—Ignorans (var. de 80).
29, Singuliers et excellens.—Délicatz et sçauants (var. de 80).
31, Trop.—L’éd. de 88 aj. en errata: adioutes, ils trouueroient place entre ces deux extremites.
31, Region.—Lucilius, dans Cicéron, dit qu’il ne veut pour lecteurs de ses ouvrages, ni savants, ni ignorants, parce que les uns sont trop habiles pour lui, les autres pas assez.
CHAPITRE LV.
3, Plutarque.—Vie d’Alexandre, I.
5, D’estre... senteur.—Var. des éd. ant.: de ne sentir rien de mauuais.
9, Nihil olet.—Plaute, Mostell., I, 3, 116.—Montaigne, après avoir cité ce vers, le traduit en le modifiant quelque peu: «L’odeur de la femme, dit exactement le poète, est normale, est bonne, quand elle ne sent rien.»
10, Rien.—L’éd. de 88 et l’ex. de Bordeaux aj.: comme on dict que la meilleure odeur de ses actions, c’est qu’elles soient insensibles et sourdes.—«Une bonne réputation vaut mieux qu’un bon parfum,» dit l’Ecclésiaste, VII, 1, mais en l’appliquant à tous, hommes et femmes.
5, L’air.—La science moderne attribue la contagion à l’existence d’êtres réels bien qu’infiniment petits: bacilles, microbes; ce sont eux qui, d’après elle, sont la cause et produisent l’effet; l’odeur n’est jamais qu’un indice et une conséquence.
7, Socrates.—Diogène Laerce, II, 25.
16, Contemplation.—L’encens, brûlé lors des sacrifices, semble plutôt avoir eu pour objet dans le principe de combattre les émanations des foules assemblées dans les temples et aussi l’odeur du sang provenant des victimes immolées.
20, Thunes.—Muley Haçan, bey de Tunis, qu’au chap. VIII du liv. II, Montaigne appelle Muleasses. Il vint à Naples en 1543, mais il n’y trouva pas Charles-Quint qu’il venait implorer contre les Turcs qui le menaçaient. A son retour, son fils, qui en son absence s’était emparé du pouvoir, lui fit crever les yeux.
23, Parties.—Ses livres de compte, ses mémoires de dépense.
23, Ducats.—Monnaie d’or de la valeur de 9 à 11 francs.
30, Boue.—Par marais, il faut entendre les lagunes qui entourent Venise et les canaux si nombreux qui s’y trouvent et qui exhalent souvent des odeurs pestilentielles.—A Paris, la voirie n’était ni établie, ni entretenue comme aujourd’hui, et la boue, dans la mauvaise saison, était une des grandes incommodités de Paris; Boileau, bien que de son temps (1660) elle se fût bien améliorée, nous en a conservé le souvenir dans une de ses satires:
CHAPITRE LVI.
1, Prieres.—Ce chapitre est, en général, difficile à comprendre; on y est souvent arrêté et pas toujours sûr d’en saisir le sens; on y trouve plusieurs traits contre les calvinistes.
13, Icy.—Bien des auteurs, plus hardis que Montaigne, ont, au moyen âge et dans les siècles qui ont suivi, comme lui désavoué à l’avance, par crainte des persécutions, ce qui dans leurs écrits pourrait choquer l’Église; précaution inspirée, la plupart du temps, par la prudence plus que par les convictions.—Quoi qu’il en soit, la déclaration ici est formelle et, étant donné que l’auteur la renouvelle assez fréquemment sous une forme ou sous une autre dans le cours des Essais, elle indique nettement que la différence qu’il accuse entre Montaigne et le maire de Bordeaux (III, 500) subsiste également chez lui entre le chrétien et le moraliste. Comme chrétien, sa foi est voulue. Entretenue peut-être par le désir qui chez lui primait tout de vivre en paix avec lui-même comme avec tous autres, elle n’admet ni examen ni discussion; tandis que les réflexions qu’il couche en sa rapsodie, sont telles que son bon sens lui suggère, et qu’elles soient ou non contraires aux solutions et prescriptions de l’Église, ce qui est fréquent, le moraliste n’en a cure.
16, Dieu.—L’oraison dominicale, laquelle est tirée textuellement de l’Évangile de S. Mathieu.—On trouve dans le second Alcibiade de Platon une prière qui, en substance et tenant compte de la différence des temps, n’en diffère pas beaucoup. Dans ce même dialogue, Socrate, lui aussi, s’applique à démontrer qu’avant de prier, il faut réfléchir à l’objet de sa prière, parce qu’on risque, sans cela, de demander aux dieux des biens qui pourraient être des maux, et il conclut à la formule suivante: «Puissant Jupiter, donne-nous les biens, soit que nous les demandions, soit que nous ne les demandions pas; et éloigne de nous les maux, quand même nous te les demanderions!»
20, Fust le.—Les éd. ant. aj.: seul.
29, Cette là.—S. Cyprien tient l’oraison dominicale comme la prière la plus parfaite.—«Le Paternoster est ma prière, a dit Luther; il n’en est aucune qui lui soit comparable, je l’aime mieux qu’aucun psaume.»
4, Soit.—C’est ce qui a fait dire avec quelque exagération à Ch. Lemesle que, dans de telles conditions, la prière est une impiété.
9, D’icelle... demandes.—Var. des éd. ant.: de sa iustice non selon nos inclinations et volontez.
10, Loix.—Liv. X.
15, Vieillesse.—Cette assertion prête fort à la controverse. Que Dieu existe, personne ne le nie; mais qu’est-ce que Dieu, personne non plus ne saurait le dire; tout au plus peut-on admettre cette vague définition: qu’«Il est ce qui préside à tout ce qui existe». Dire qu’il nous a faits à son image et par conséquent qu’il est à la nôtre, aller jusqu’à lui prêter nos passions, c’est aller trop loin; notre raison, qu’en somme nous avons pour en user, se refuse à une telle proposition que rien ne justifie et qui est de la part de l’homme d’une outrecuidance dépassant toutes les bornes; de là aussi ce malentendu entre ceux qui sont dits croyants et ceux dont on dit qu’ils ne croient pas.—Ceci posé, il ne semble pas que Montaigne soit dans le vrai, quand il donne comme règle générale que ceux qui doutent en leur jeunesse, viennent à résipiscence dans leur vieillesse. Ce qui est plus vrai, c’est que chez beaucoup le scrupule de combattre, chez qui a le bonheur d’en avoir, les croyances religieuses toujours si réconfortantes et jamais préjudiciables, le respect de la liberté de conscience chez autrui, et même à certains moments les défaillances de notre être, comme aussi un certain esprit de concession à l’égard de ceux qu’ils aiment, font qu’ils ne se montrent pas toujours aussi récalcitrants pour des pratiques auxquelles ils n’attachent pas autrement d’importance, qui en définitive font généralement du bien, et même à ceux auxquels elles n’en font pas, ne font jamais de mal.
32, Malice.—«La prière des impies est un nouveau péché.» Le Père Quesnel.
2, La haine... l’iniustice.—Vsures, veniances et paillardises (var. de 88).
3, Dieu.—Autrement dit: Il faut faire tout en temps et lieu.—Dans Paris ridicule (édition de 1666), Le Petit dit à une fille galante qui l’invite à la débauche:
16, Quoy.—C.-à-d., mais que dire de ceux qui fondent leur vie entière sur...
7, L’Eglise.—Les éd. ant. aj.: Catholique.
7, Promiscue.—Confus, indifférent; du latin promiscuus qui a le même sens.
8, Dauid.—Les psaumes, dont la majeure partie est de David; cantiques sacrés des Hébreux, dont un grand nombre sont passés dans notre liturgie, et que les Protestants chantent constamment.
15, Tracasser.—Traîner.—L’éd. de 88 aj.: entre les mains de toutes personnes.
21, Sursum corda.—«Haut les cœurs!»—Paroles que le prêtre prononce à la messe, au moment où, après l’Évangile, et immédiatement avant la Préface, c’est-à-dire lorsqu’il va commencer à procéder au Saint Sacrifice proprement dit.—Cette même interjection se dit encore à propos de faits extraordinaires qu’on va énoncer, pour y préparer et pour qu’on se mette à l’unisson. Bossuet l’affectionnait d’une façon particulière, comme de mise à tous les moments de l’existence; quand le cœur souffre, que le sort est contraire; aussi bien dans la vie publique, la vie sociale, que dans la vie privée. C’est par elle que débutait la proclamation qu’en 1870 Gambetta adressait à la France, lui annonçant la capitulation de Metz et l’invitant à un nouvel effort (V. N. II, 72: Sursum corda).
25, Empirent.—«Les mauvais esprits font de la parole de Dieu ce qu’un méchant lapidaire fait d’un diamant.» S. Jérôme.
27, Gents.—Les Protestants. C’est là une charge à fond contre le Protestantisme qui admet le libre examen et les prières du culte dans la langue usuelle.
33, Chacun de.—Le traduire et (add. de 88).
5, Apparence.—En novembre 1901, des protestations unanimes, qui ont dégénéré, dans les rues d’Athènes, en une émeute sanglante, ne se sont-elles pas produites en Grèce, parce qu’une tentative a été faite d’y rendre d’usage courant une traduction en grec moderne des textes sacrés; troubles causés précisément par les difficultés d’interprétation qui faisaient que, chacun appréciant à sa façon, la traduction donnée ne satisfaisait personne.—C’est là, en effet, la raison pour laquelle l’Église maintient les langues mortes, l’hébreu, le grec et le latin, pour les liturgies de Jérusalem, de Constantinople et de Rome, qui sont actuellement les trois principales de la Chrétienté; elles se trouvent de la sorte soustraites aux fluctuations des langues vivantes qui, chaque fois qu’une adaptation serait terminée, obligeraient à en préparer une autre. Du reste le grand nombre de livres où, conjointement, les principales prières sont traduites en langage courant avec le texte ancien en regard, supplée à l’inconvénient que les cérémonies aient lieu dans une langue incomprise des fidèles.—A titre de spécimen de ce à quoi on arrive par les traductions ainsi faites par chacun, nous citerons ce verset du Miserere, relevé dans la traduction en vers des Psaumes faite à l’instigation de Marguerite de Valois en 1543 par Clément Marot, poète de valeur et zélé protestant; le roi David, s’adressant à Dieu, lui dit: «Amplius lava me ab iniquitate mea et a peccato meo munda me (Seigneur, purifiez-moi de plus en plus de mon iniquité, purifiez-moi de mon péché)»; ce que Marot traduit ainsi:
7, Langue.—Le Nouveau Testament avait déjà été traduit en basque en 1571.
8, Ardu.—Difficile, du latin arduus, qui a même signification; par extension, délicat, qui est le sens dans lequel ce mot est employé ici.
17, Gentils.—De gentes, nations. Nom sous lequel les païens sont désignés dans l’Évangile et par les premiers chrétiens; S. Paul, qui les a évangélisés et n’est point des douze apôtres, est appelé l’Apôtre des Gentils.
24, Humaine.—Ce sont pareillement les passions antireligieuses qui, de nos jours, ont fait prononcer la séparation de l’Église et de l’État: lourde faute au point de vue politique, qui fait que l’Église échappe à la main mise sur elle, grâce au Concordat. Faute d’autant plus grave de la part du Gouvernement actuel, dont les tendances ne sont rien moins que conservatrices, que, dans quelques années, remise de la secousse, l’Église rendue à elle-même, sans jouer de rôle apparent, sera un appoint sérieux dans la lutte des partis, en groupant contre le socialisme et l’anarchie avouée ou dissimulée les différents partis conservateurs républicains et autres, leur fournissant un point d’appui et de concentration qui leur fait défaut aujourd’hui et est cause que chaque jour ils vont perdant de plus en plus de terrain.
25, Théodose.—S. Ambroise ou S. Grégoire de Nazianze qui, tous deux, ont été les conseillers de Théodose le Grand.
33, Continuoyent.—La discussion, au dire de Nicétas, II, 4, historien d’Andronic Comnène, avait lieu dans la tente de celui-ci, entre Euthyme, évêque de Patras, et un nommé Jean Ciname; elle portait sur ces paroles de l’Évangile de S. Jean: «Pater major me est (Mon père est plus grand que moi)»; il n’y est pas question de Lapodius.
35, Platon.—Lois, liv. I.
1, Euesque.—Cet évêque est Osorius qui ne dit pas de ses habitants qu’ils n’épousent qu’une seule femme dans toute leur vie, mais seulement qu’ils n’en épousent qu’une à la fois, autrement dit qu’ils ne sont pas polygames (V. la note suivante).
2, Isle.—L’île en question semble celle qui aujourd’hui a nom Socotora; elle est située dans l’océan Indien, à la sortie du golfe d’Aden. Occupée par les Portugais au XVe siècle pour surveiller le détroit de Bab-el-Mandeb, elle est depuis 1886 sous le protectorat de l’Angleterre; c’est un rocher, prolongation en quelque sorte du cap Guardafui, peuplé d’indigènes pillards, de naturel fourbe, de religion musulmane, ne vivant guère que des épaves des nombreux navires qui y font naufrage, par suite des brouillards qui y règnent six mois de l’année.
17, Nom.—Plutarque, De l’Amour, 12.—Autant en peuvent dire tous les hommes, de tous les temps, de tous les lieux, en parlant de la divinité; mais leur orgueil égale leur ignorance sur ce point et les empêche d’en convenir.
33, Sacraire.—Sanctuaire; de sacrarium qui en latin a même signification.
36, Indisciplinatis.—Non orthodoxes. Ces deux mots verbis indisciplinatis ne figurent pas dans les éditions antérieures; ils ont été ajoutés, à titre d’amende honorable, pour satisfaire aux observations qu’à Rome, la censure lui avait faites sur l’emploi de certains mots et expressions. V. N. II, 528: Conscience; III, 474: Reuere.
38, Mode.—Vulgaire (add. de 88).
5, Instruisants.—Nouvelle déclaration de l’auteur, confirmant combien en lui chrétien et moraliste sont deux. V. N. I, 578: Icy.
11, Nostres.—Autrement dit les Protestants.—L’éd. de 88 port.: de nostre auis.
17, Xenophon.—Xénophon semble être nommé par erreur; c’est probablement du second Alcibiade de Platon qu’il est ici question.
22, Vitieuses.—Et détestables, aj. l’éd. de 80.
22, Pardonne.—Montaigne, peut-être par réminiscence du latin qui a été la langue de ses premiers ans et, en tout cas, conséquent avec ses idées sur les rapports qui doivent exister entre les parents et les enfants, est pour le tutoiement vis-à-vis de Dieu, ce père par excellence; les Protestants en agissent de même.
25, Toutesfois.—Ie vois qu’en nos vices mesmes.
27, Diuis.—Sénèque a dit de même: «A voix basse, ils font aux dieux des prières exécrables; et si quelqu’un vient à les écouter, ils se taisent, découvrant à Dieu ce qu’ils ne veulent pas qu’il soit su des hommes.»
32, Desgosiller.—Égorger; on disait aussi esgosiller, qui s’est conservé, mais avec un sens autre.
33, Petarder.—Faire sauter à l’aide d’un pétard (grosse cartouche remplie de poudre).
35, Auarice.—Épicure disait que «si les dieux accordaient aux mortels tout ce qu’ils demandent, le genre humain serait bientôt anéanti».
1, Marguerite.—Marguerite d’Angoulême, sœur de François Ier et femme d’Henri d’Albret, roi de Navarre.
9, Deuotion.—La reine conte qu’à l’aller il ne s’arrêtait jamais, mais qu’au retour il ne manquait pas d’entrer et de demeurer longtemps en oraison.—Louis XI demandait à la petite image de la Vierge qu’il portait à son bonnet, pardon de ses méfaits qui, pour lui être inspirés par la politique, n’en étaient pas moins grands et fort nombreux.
11, Matieres.—Var. de 88: mysteres.
20, Requestes.—Add. des éd. ant.: et prieres.
34, Mot.—Platon, second Alcibiade.—Œdipe, en apprenant qu’il était le meurtrier de son père et le mari de sa mère (V. N. I, 172: Enfants), se creva les yeux et vécut caché dans son palais; mais il en fut chassé par ses fils Étéocle et Polynice, et, dans son irritation, forma le vœu rapporté ici et qui se réalisa: l’accord entre les deux frères ne fut que de courte durée; ils en appelèrent aux armes et se livrèrent un combat singulier où, dans leur acharnement, ils se tuèrent réciproquement, XIVe siècle.
35, Prudence.—«Qui sait ce qui est bon pour l’homme dans la vie?» Ecclésiaste, VI, 12.
2, Expiation.—Générale, aj. les éd. ant.
11, Platon.—Lois, IV.
15, Penates.—Les Pénates; dieux qui, chez les Romains, présidaient aux biens domestiques; ils sont souvent confondus avec les dieux Lares qui étaient plutôt, dans les familles, chargés du soin des personnes que de celui des richesses.
CHAPITRE LVII.
22, Huict ans.—Plutarque, Caton d’Utique, 20.
24, S’entretiennent de.—Se consolant en (var. des éd. ant.).
4, Esperable.—On meurt de vieillesse, ou pour mieux dire d’usure, à tout âge, suivant le degré de force vitale que l’on a reçu en naissant, et les épreuves survenues postérieurement. Toutefois on peut admettre qu’aucune autre cause de mortalité n’intervenant, ce degré de force est normal, quand il fait durer l’homme jusqu’à 70 ans, et a fortiori au delà. Les tables de mortalité de Duvillard établissent que sur un million d’êtres humains qui viennent au monde viables: 117.000 arrivent à l’âge de 70 ans; 35.000 à celui de 80 ans; 4.000 à 90; 207 à 100; 1 à 109; aucun à 110.—Des cas de longévité plus considérable sont cependant accusés, même en assez grand nombre, dans les temps reculés, mais seule la tradition les rapporte et nous n’avons rien qui permette de les contrôler. Les plus saillants sont, d’après la Bible: Adam, qui vécut 930 ans; Mathusalem, 969; d’après les auteurs profanes: la Sibylle d’Erythrée, 1000 ans; Épiménide, en Crète, 157 ans. On cite aussi, et celui-là avec un certain caractère d’authenticité, le cas d’un Anglais, qui serait né en 1483 et mort en 1651, ayant vécu 169 ans; dix rois, dans ce laps de temps, se sont succédé sur le trône d’Angleterre.
19, Durer.—Les chances théoriques, mais non effectives, que nous avons d’arriver à tel ou tel âge, varient suivant celui auquel nous sommes parvenus. Ces chances sont actuellement assez exactement déterminées par les tables de mortalité: Montaigne, par exemple, qui avait quarante-deux ans, quand, vers 1574, il écrivait ce chapitre, avait plus de chances de longévité, infirmités à part, que lorsque, n’ayant que trente-neuf ans, il écrivait le ch. XIXe de ce même livre. V. I, 112 et N. Autant.—Toutefois ces indications, résultat de statistiques, qui vont acquérant de jour en jour plus d’exactitude, ne sont pas immuables; elles accusent un accroissement constant de longévité. La vie moyenne qui, avant la Révolution, était de 29 ans, semble, en France, être de 46 ans (45 pour les hommes, 47 pour les femmes), grâce surtout aux mesures prises pour la conservation des nouveau-nés et des enfants en bas âge, aux progrès de l’hygiène et à une plus grande préoccupation de l’homme pour sa conservation, quelque peu aussi à l’avancement des sciences médicales, mais ce, il faut bien le dire, au détriment de la santé, de plus en plus compromise par le maintien à l’existence, à force de soins et de précautions, d’individus chétifs et perpétuellement souffreteux; la sélection qui s’opérait jadis, se faisant moins bien aujourd’hui, ils vont transmettant à ceux qu’ils engendrent les tares dont ils sont eux-mêmes affectés, que viennent aggraver à chaque génération le surmenage intellectuel et physique, moins d’exercices fortifiants, moins de grand air, l’abus de l’alcool, les excès et la continuité des jouissances de toute nature, et aussi les falsifications de plus en plus nombreuses et nocives des denrées alimentaires. En somme, la durée de la vie humaine s’accroît, mais à tous les âges on se porte notablement plus mal; est-ce progrès?
25, Trente ans.—Suétone, Auguste, 12.—Les lois fixaient chez les Romains l’âge de 31 ans pour l’obtention de la questure; 37, pour l’édilité; 40, pour la préture; 43, pour le consulat; mais on accordait souvent des dispenses, témoin Scipion Émilien postulant le consulat et répondant à quelqu’un qui lui objectait qu’il n’avait pas l’âge: «Je l’aurai, si je suis nommé.» En 81, Sylla fit rendre une loi complémentaire interdisant de commander une armée avant d’être questeur, et consul avant d’en avoir commandé une; et elle interdisait d’être nommé une seconde fois à une même charge avant deux ans d’intervalle.
27, Guerre.—Aulu Gelle, X, 28.
28, Seiour.—Repos, retraite.
32, Cettuy-ci.—Auguste, dont il vient d’être parlé.
34, Trente.—Cette émancipation des souverains est générale, et partout on les voit exercer le pouvoir royal à un âge où, simples particuliers, ils ne pourraient gérer leurs propres intérêts. Il semble qu’il y ait pour la gestion des affaires publiques des grâces d’état, car indépendamment de cette anomalie, en partie justifiée par l’éducation spéciale dont ces princes sont l’objet, combien de nos hommes politiques gèrent les nôtres, qui, au su et connu de tout le monde, ne savent pas gérer les leurs et auxquels nous ne confierions pas nos intérêts privés; que les incrédules aillent se renseigner, auprès des trésoriers de nos deux Chambres, sur les oppositions dont sont l’objet les traitements, au début de leurs mandats, de nos députés et sénateurs.
35, Estre.—Montaigne se prononce ici pour l’émancipation complète de l’homme à 20 ans. De son temps, les coutumes, sur ce point, étaient variables; cependant, en général, la majorité légale était, à peu près partout, fixée à 21 ans, mais les droits qu’elle concédait étaient restreints; la majorité parfaite, qui seule permettait de disposer des immeubles, n’avait lieu qu’à 26 ans. Depuis la Révolution, sauf sous le rapport du mariage, exception dont se poursuit l’abrogation, on est absolument hors tutelle à 21 ans.
37, Arre.—Arrhe, marque, témoignage.—Philippe de Comines dit de même: «Il faut noter que tous les hommes qui jamais ont été grands et fait de grandes choses, ont commencé fort jeunes; cela tient à l’éducation, ou vient de la grâce de Dieu.»
29, Tard.—Les éd. ant. port.: longtemps.
LIVRE SECOND
CHAPITRE PREMIER.
6, Venus.—Son audace et son intrépidité dans les dangers l’avaient fait tout d’abord appeler «fils de Mars»; mais, par la suite, ses actions ayant témoigné des qualités tout opposées, on l’appela «fils de Vénus». Plutarque, Marius, à la fin.
8, Chien.—Boniface VIII, d’un caractère tout à la fois fin, impérieux et violent, eut de vifs démêlés avec l’empereur d’Allemagne et surtout avec le roi de France Philippe le Bel, parce qu’il voulait élever la puissance spirituelle du pape au-dessus de la puissance temporelle des souverains. Arrêté par ordre du roi de France qui voulait le faire juger par un concile, il fut délivré quatre jours après par le peuple; mais, tombé malade, les uns disent par suite des mauvais traitements qu’il avait subis, de dépit suivant d’autres, il mourut (1303).—Le Dante, qu’il avait voulu faire périr, l’a placé dans son enfer.
12, Mort.—Sénèque, De Clementia, II, 1.—Quand Néron fit cette réponse à Burrhus, préfet du prétoire, qui lui présentait à signer la condamnation de deux voleurs, il était jeune, venait à peine d’être élevé au pouvoir, n’était pas encore corrompu par la toute-puissance et les flatteurs de son entourage, et son caractère atrocement cruel ne s’était pas encore révélé.
18, Potest.—L’éd. de 88 aj.: C’est vn mauuais conseil qui ne se peut changer (traduction de la citation qui précède).
6, Iuges.—C.-à-d. que les juges les plus hardis n’ont pu porter sur son caractère un jugement sûr et arrêté.
12, Ancien.—Sénèque, Epist. 20.
17, Mesure.—Certains vices peuvent faire naître des qualités: l’avarice produit la sobriété; la peur, la prudence; la défiance, l’ordre; l’orgueil, la charité.
21, Constance.—«La prudence est le principe de toutes les vertus; le courage en est la perfection; l’une nous enseigne la route, l’autre nous y affermit.» Démosthène, dans le Discours funèbre, qui lui est attribué, sur les guerriers morts à Chéronée.
29, Couche.—Le caméléon, petit lézard inoffensif qui a une couleur grisâtre assez mal définie qui lui est propre, mais dont la nuance change sous l’effet de la présence des objets ambiants dont, par reflet, il prend la coloration.
6, Librement.—Certains ont vu là une réfutation embryonnaire du libre arbitre attribué à l’homme qui ferait librement ce qu’il veut, mais qui invinciblement, fatalement serait astreint à vouloir telle chose, plutôt que telle autre, ce qu’en d’autres termes on nomme la carte forcée.—La phrase elle-même est traduite de Sénèque, Epist. 52.
12, Mourir.—Diogène Laerce, VIII, 83.—Élien prête ce mot à Platon.
12, Discours.—Cette phrase est la suite de celle qui finit trois lignes plus haut par ces mots: des choses aux autres. La phrase intermédiaire, qui n’est point dans les éditions antérieures, rompt la liaison des idées, cas assez fréquent dans les Essais.
14, Touché.—C.-à-d. celui qui a posé le doigt sur une des touches d’un clavier, les fait résonner toutes.—On donnait autrefois le nom de marches aux touches des clavecins, des orgues, etc.
19, Estat.—C.-à-d. les désordres engendrés par les guerres civiles de l’époque.
29, Lucrece.—Femme romaine, épouse de Tarquin Collatin. Violée par Sextus, fils de Tarquin le Superbe, roi de Rome, elle fit l’aveu de son malheur à ses proches et se tua sous leurs yeux, en demandant vengeance (509); ce fut l’occasion du renversement de la royauté et de l’établissement de la République.
30, Non si difficile.—Bonne et amiable (var. de l’éd. de 80).
32, Pointe.—C.-à-d. quand vous n’aurez pu réussir à obtenir les faveurs de votre maîtresse.—Certains pensent qu’il y a ici une faute d’impression, qu’il faut «sailly» au lieu de failly (l’ s initial et l’ f ne différant dans les caractères d’imprimerie de l’époque que par le trait horizontal que celle-ci porte en son milieu); le sens serait alors: Parce que vous aurez satisfait votre maîtresse. Ceux qui en tiennent pour cette version, s’appuient sur le membre de phrase qui précède: «Comme dit le compte», que l’on croit être la deuxième nouvelle de la troisième journée de Boccace, intitulée «Un Palefrenier», où il est question d’un homme de cet état, qui s’introduit près de la reine des Lombards avec laquelle il couche, celle-ci s’imaginant, avant comme après, qu’elle a affaire à son mari.
34, Heure.—Voltaire a exprimé la même idée:
38, Froidement.—Var. des éd. ant.: lâchement.
1, Vie.—Plutarque, Pélopidas, 1.
17, Englouti.—En 1456, pendant les opérations se rapportant au siège de Belgrade, défendu par Hunyade et où échoua Mahomet II qui y fut blessé et faillit y être fait prisonnier.
20, Lendemain.—Les Espagnols ne disent pas d’un homme qu’il est brave, ils disent qu’il fut brave tel jour.
24, Autre.—Lasche, port. les éd. ant.
29, Simple.—Ce composé d’idées contraires qu’est l’homme est constaté par les philosophes de tous les temps, et bien souvent a été donnée en explication l’existence en lui de deux âmes, l’une végétative gouvernant l’organisme, l’autre intellectuelle; cette doctrine a même été condamnée en divers conciles et en dernier lieu et d’une manière formelle dans le concile œcuménique de Latran en 1513.—Pascal, d’après Montaigne, a dit comme lui, copiant même ses expressions: «Suyvons nos mouvements, observons-nous nous-mêmes et voyons si nous n’y trouverons pas les caractères vivants de ces deux natures. Tant de contradictions se trouveraient-elles dans un sujet simple? Cette duplicité de l’homme est si visible, qu’il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes, une seule leur semblant incapable de telles et soudaines variétés d’une présomption démesurée à un horrible abattement de cœur.»—Bacon l’admet: «L’une d’ordre divin, l’autre matérielle.»—En tout cas, il y a bien incontestablement en nous deux principes, celui du bien et celui du mal, qui, au début, sont en conflit continu; leur degré de puissance n’est pas le même chez tous, non plus qu’à tous moments chez un même individu, et suivant que l’un ou l’autre l’emporte, nous agissons bien ou mal. L’homme vertueux est celui qui d’ordinaire triomphe de la tentation, et, à la longue, cela lui devient naturel: le principe du mal est vaincu; il demeure encore, mais à l’état latent. C’est l’inverse qui se produit chez celui qui d’ordinaire n’écoute pas la voix de sa conscience: elle se fait de plus en plus faible au fur et à mesure qu’on l’éconduit davantage et finit par somnoler, le principe du mal l’emporte et règne alors sans conteste; chez l’un comme chez l’autre, l’habitude est devenue une deuxième nature.
38, Veritable.—Véridique.
4, Distinguo.—Terme de logique, emprunté du latin, signifiant: Je distingue, qui se retrouvait à tous propos dans les discussions scolastiques, faisant le pendant de ces deux autres: Concedo (j’accorde, j’admets) et Nego (je nie, je n’admets pas).
17, Assaut.—Devant l’ennemi, l’homme est retenu par l’honneur et le devoir; sa mort est exaltée à l’avance; s’il recule, c’est l’infamie et il a pour témoin l’armée entière; dans son lit, aucun de ces mobiles ne le soutient, sa pensée le reporte vers ce qu’il a sujet de regretter, son entourage gémit, l’au-delà l’inquiète, souvent ses idées sont affaiblies; les circonstances sont absolument différentes, il est naturel que l’état d’âme s’en ressente.
21, Barbiers.—La lancette du chirurgien. Les barbiers, jadis, faisaient en partie office de chirurgiens; jusqu’en 1789, ils continuèrent de saigner et de panser certaines blessures.
23, Cicero.—Tusc. Quæst., II, 27.
34, Pusillanimité.—La superstition dont fit preuve Alexandre le Grand a été expliquée par ce fait que, confiant en sa fortune, il tenait, pour soutenir le courage de ses soldats, à faire ratifier les entreprises qu’il concevait par les devins qui l’accompagnaient et passaient aux yeux de la foule pour être les interprètes de la volonté des dieux; et à cette fin, il fallait se les concilier pour s’en faire des auxiliaires. Cette appréciation se trouve confirmée par l’apostrophe qu’il adressa à l’un d’eux qui se montrait défavorable à une attaque qu’il préparait: «Si, quand tu te livres aux pratiques de ton art, quelqu’un intervenait, tu le considérerais probablement comme gênant et fort mal venu.—Sans doute.—Eh bien, que penses-tu d’un devin superstitieux qui, lorsque je suis occupé de choses autrement sérieuses, vient se jeter à la traverse en me parlant des entrailles des victimes?»
36, Courage.—«En voyant Clitus tomber à ses pieds, la colère d’Alexandre s’évanouit; il arrache la javeline du corps de sa victime et veut s’en frapper; ses gardes le retiennent et l’emportent; il passe toute la nuit et le jour suivant à fondre en larmes; épuisé, n’ayant plus la force de crier ni de se lamenter, il reste étendu par terre sans proférer une parole, ne poussant que de profonds soupirs jusqu’à ce qu’Aristandre, lui remémorant un songe se rapportant à cette mort, lui représenta que ce malheur était écrit et sa victime prédestinée à pareille fin, ce qui amena l’apaisement dans son esprit.» Plutarque, Alexandre.
1, Rapportées.—L’ex. de Bordeaux porte ici intercalée la citation suivante: «Voluptatem contemnunt, in dolore sunt molles, gloriam negligunt, franguntur infamia (Les mêmes hommes qui méprisent la volupté, montrent une extrême faiblesse quand ils souffrent, négligent le soin de leur réputation et ne peuvent supporter sans en être profondément affectés la perte de l’honneur et de l’estime publique).»
4, Visage.—Des poingts (var. des éd. ant.).
11, Auau le vent.—Comme souffle le vent.
12, Talebot.—Général anglais qui se signala pendant les guerres des règnes de Charles VI et Charles VII; fut défait et tué, ainsi que son fils, à la bataille de Castillon (1453), non loin du château de Montaigne; a été inhumé à la place où il est tombé, son tombeau s’y voit encore.—En parlant de lui, qui pendant 60 ans combattit contre nous, Montaigne dit: «Nostre Talbot», peut-être parce qu’il était d’une famille originaire du Limousin; peut-être aussi parce que nul plus que ce preux n’a laissé meilleur souvenir en Guyenne, où il s’est toujours comporté avec justice et humanité, ne manquant jamais à sa parole, dans un temps où on ne s’en faisait pas faute, et dont la mort fut celle d’un héros.—La bataille de Castillon est le dernier fait de la guerre de Cent Ans; c’est là que pour la première fois nous fîmes usage de canons.
12, Ancien.—Sénèque, Epist. 71 et 72.
23, Qu’on.—L’Aréopage. Cicéron, De Senectute, 7.
25, Tragédies.—Le procès intenté à Sophocle sur le déclin de sa vie par l’un de ses fils avait pour objet de s’opposer à la reconnaissance d’un autre comme enfant légitime: «Ou je suis un imbécile, dit le poète dans sa défense, ou je suis Sophocle; et, dans ce cas, je ne suis pas un imbécile»; et, pour convaincre ses juges, il leur récita un fragment de son Œdipe à Colone qu’il venait d’achever, celui de l’arrivée d’Œdipe dans la forêt sacrée, où se trouvent plusieurs passages applicables à sa propre situation et à la conduite de son fils, et l’enthousiasme qu’il souleva emporta leurs suffrages.—Le fait toutefois n’est pas absolument établi, et le serait-il qu’il ne prouverait pas grand’chose; on peut être grand poète et, comme tout le monde, avoir des faiblesses à certains moments.
27, Tirerent.—Hérodote, V, 29.
8, Gendarme.—Remplit de courage, de hardiesse.—A proprement parler, gendarmer signifie braver. Pasquier, dans son jugement sur les Essais, reproche à Montaigne d’avoir employé, comme dans le cas présent, des mots dans un sens incorrect, «auxquels, si je ne m’abuse, dit-il, malaisément l’usage donnera vogue».
CHAPITRE II.
23, Pas.—C’est sur le principe contraire, si inique par lui-même, qu’est fondée notre législation pénale: la même peine atteint le malheureux qui vole un objet de peu de valeur, et le banqueroutier éhonté qui réduit à la misère nombre d’individus dont il a capté la confiance; l’étendue du préjudice commis n’entre pas en considération. De ce fait, le faible et le pauvre sont bien plus frappés que le riche et le puissant: leurs peines finies, ceux-ci jouissent impunément du fruit de leurs larcins, ceux-là se trouvent dans une position pire qu’avant.
31, D’acquest.—A gagner.
34, Sien.—C.-à-d. cherche à rendre le sien plus léger, à l’atténuer; le soulève pour qu’il ne pèse pas autant dans le plateau de la balance.—La Fontaine, dans sa fable de la Besace, commente cette même idée: «Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous»; c’est, autrement dit, la question de la paille et de la poutre de l’Évangile.
37, Maux.—«La sagesse vaut mieux que la force, et l’homme prudent que l’homme robuste.» Ecclésiaste, VI, 1.
9, Credit.—D’après ce que Montaigne dit quelques lignes plus loin des Allemands servant dans nos rangs, de l’usage qu’ils font de grands verres à la fin des repas, de leur façon de boire, il se pourrait que ce soit eux qu’il veuille désigner ici.—L’ivrognerie, qui s’est bien généralisée, est plutôt un vice des pays froids que du midi, parce que, dans les pays de vignobles, on s’enivre avec du vin, dont il faut pour produire l’ivresse une certaine quantité et qui n’est pas malfaisant quand il n’est pas frelaté, tandis que, dans le nord, on a recours à l’alcool qui agit beaucoup plus sous un bien moindre volume, et avec d’autant plus de force qu’il est de plus mauvaise provenance, ce qui est le cas le plus fréquent: c’est alors un véritable poison, dont l’action délétère s’exerce sur l’organisme, l’intelligence et le moral de l’individu. La chimie moderne en augmentant chaque jour la production, et aussi malheureusement la nocivité, en même temps qu’elle en réduit le prix de revient, l’alcoolisme, inconnu aux temps jadis, va se développant de plus en plus, mal d’autant plus redoutable que l’intoxication des parents est héréditaire et pèse lourdement sur la constitution physique et les facultés intellectuelles des enfants à naître, comme font sur ceux déjà existants la misère et le mauvais exemple qu’elle introduit au foyer domestique.
10, Renuerse.—«L’ivresse est un acheminement vers la folie.» Pythagore.
24, D’autant.—Aussi fréquemment et aussi copieusement qu’on vous y convie par les toasts, sorte de défis courtois qu’on vous porte et dont la formule au temps de Montaigne était: «Je bois à vous»; à quoi l’on répondait: «Je pleige d’autant», qui peut se traduire: Et moi de même.—Les Juifs, à l’époque de Josèphe (67), étaient divisés en plusieurs factions; pour se défaire de lui, ses ennemis lui ayant envoyé un émissaire pour l’attirer dans un guet-apens, il enivra cet émissaire et apprit de lui les mauvais desseins qu’on avait sur sa personne. Josèphe, De Vita sua.
29, Yure.—Ces deux exemples sont tirés de Sénèque, Epist. 83, auquel, dans ce chapitre, plusieurs idées sont empruntées.
30, More Lyæo.—La citation diffère un peu du texte de Virgile dont elle est tirée.
31, Cassius.—L’instigateur du complot contre César, par haine de la tyrannie et aussi parce que celui-ci ne s’était pas prononcé pour lui quand il briguait le consulat; ce fut lui qui détermina Brutus, son beau-frère, à se mettre à la tête des conjurés (44).
35, Rang.—Du quartier où ils logent, du mot d’ordre, de leur place dans les rangs.
4, Macedoine.—Justin, IX, 6.—Pausanias, jeune gentilhomme macédonien, outragé par Attale, grand de Macédoine qui, dans un festin, l’avait enivré pour abuser de lui, poignarda Philippe, quelque temps après, pour se venger de ce qu’il n’avait pu obtenir, de lui, justice de cette offense; Olympias, mère d’Alexandre le Grand, que Philippe venait de répudier pour épouser la sœur d’Attale, fut soupçonnée d’avoir poussé à ce meurtre (336).
16, Consent.—Qui se sentirait coupable de ce fait.
22, Vice.—On peut même dire que les Livres saints n’y sont pas absolument opposés: «Donnez à ceux qui sont affligés, lit-on aux Proverbes, XXXI, 6 et 7, une liqueur qui soit capable de les enivrer, et du vin à ceux qui sont dans l’amertume du cœur; qu’ils boivent et qu’ils oublient leur pauvreté et perdent pour jamais la mémoire de leur douleur.»
25, D’autant.—C.-à-d. de se donner liberté de boire autant qu’ils veulent. La suppression de ce complément «d’autant» amènerait un sens tout opposé et signifierait s’exempter de boire.
25, L’ame.—Ce reproche de s’adonner à l’ivrognerie a été adressé à maints hauts personnages, entre autres: à Philippe de Macédoine; à son fils Alexandre; à l’empereur Trajan; à Michel III, empereur d’Orient (842 à 867), surnommé l’Ivrogne; à Selim II, empereur ottoman, le vaincu de Lépante, auquel fut donné ce même sobriquet; à Pierre le Grand de Russie (1672 à 1725).
27, Ferunt.—Ce qui ne veut pas dire que Socrate s’enivrât; aussi bien sous ce rapport que sous tous autres, ses mœurs étaient irréprochables, et rien, dans les accusations portées contre lui par ses ennemis, ne porte à supposer le contraire. V. III, 690.
28, Ce censeur... autres.—Et la vraye image de la vertu stoique (var. des éd. ant.).
30, Virtus.—J.-B. Rousseau a ainsi paraphrasé ces deux vers d’Horace:
«On a reproché à Caton l’Ancien de s’enivrer; ceux qui lui adressent ce reproche me feront plus facilement voir une vertu qu’un vice chez Caton; il réjouissait par le vin son esprit fatigué des affaires publiques.» Sénèque.—Plutarque ne semble pas admettre cette sorte de réhabilitation: «Au commencement, dit-il, Caton l’Ancien ne consacrait que fort peu de temps à ses repas, ne buvant qu’un seul coup; après quoi, il se levait; mais, dans la suite, il prit plaisir à boire et passait souvent une grande partie de ses nuits à table.»—V. N. II, 586: Caton le Censeur.
32, Cyrus.—Plutarque, Artaxerxès, 2.—Il s’agit ici de Cyrus le Jeune. V. N. I, 524: Perses.
36, Paris.—Célèbre par son avarice, qui lui valut de Buchanan une épitaphe en latin dont voici la traduction: «Ci-gît Silvius qui jamais ne donna rien gratis; mort, il gémit de ce que, gratis, tu peux lire ceci.»—Silvius passait pour l’homme de son temps parlant la langue latine avec le plus de pureté et d’élégance.
38, S’engourdir.—C’était aussi, paraît-il, l’avis d’Hippocrate. Payen.—L’éd. de 88 aj.: Platon luy attribue le mesme effect au seruice de l’esprit.
39, Affaires.—Hérodote, I, 133, et autres auteurs.—Les Perses discutaient bien le verre en main des affaires sérieuses, mais sans prendre de décision, laquelle était toujours remise au lendemain où la discussion reprenait alors qu’ils étaient de sang-froid.
27, Lots.—Dix bouteilles, huit litres.
34, Ressiners.—Goûter, collation qu’on fait après le dîner; vient de recænare, fait de cæna, dîner, le repas du milieu de la journée.—«Il n’est desjeuner que d’escholiers; disner que d’advocats; ressiner que de vignerons; souper que de marchands.»
40, L’amour.—«Sans Cerès et Bacchus, Vénus est languissante.» Térence, Eunuque; contradiction qui n’est qu’apparente, Montaigne ne parlant ici que de l’abus du vin poussé jusqu’à l’ivresse.
6, Marc Aurele.—Cette histoire de Marc-Aurèle ou l’Horloge des Princes, parue en 1629 à Valladolid (Espagne), est présentée par les critiques de l’époque comme un tissu d’inventions indignes d’un écrivain qui se respecte et a fortiori d’un évêque (Guerara, qui en était l’auteur, était évêque de Cadix); cet ouvrage, nonobstant très estimé en Espagne par ses contemporains, a été traduit en français deux ans après sa publication et en plusieurs autres langues.
15, Barre.—Jeter la barre; cet exercice a été remis en pratique depuis qu’en ces derniers temps la gymnastique de chambre est en faveur; c’est ce qui s’exécute soit avec des haltères, soit des boules accouplées par une barre.
16, Plombees.—Madame de Genlis faisait porter de semblables souliers à ses élèves Louis-Philippe d’Orléans, devenu roi de France, et sa sœur Madame Adélaïde.
16, Prim-saut.—De son agilité; littéralement du premier saut.—Prin ou prim est un vieux mot qui signifie premier; il nous reste dans «printemps», primum tempus. De primsault est venu «primsaultier», dont Montaigne se sert ailleurs en parlant de lui-même et qui, encore en usage, signifie un homme de prompte décision, prenant parti d’après sa première impression (V. N. II, 64: Primsautier).
17, Miracles.—Au nombre de ces petits miracles, on peut ranger la naissance de son dernier fils Mathecoulom, né le 20 août 1560, alors que lui-même était du 29 septembre 1495; ce Benjamin avait donc été engendré à plus de 64 ans.
18, Alaigresses.—De notre agilité, ou plutôt de notre peu d’agilité; vient du latin alacritas, qui a même sens qu’agilitas.
21, Propos.—De la chasteté.
22, Nommée.—Qui méritât d’être mal famée, qui eût mauvaise réputation.
30, Italie.—Le père de Montaigne, Pierre Eyquem, écuyer, seigneur de Montaigne, était né à Montaigne en 1495 et y mourut en 1568. Il demeura plusieurs années aux armées, fit la guerre en Italie sous Charles VII, fut maire de Bordeaux de 1554 à 1556; occupa un siège de conseiller à la cour des aides de Périgueux en 1554, quand cette cour fut créée, et le transmit l’année suivante à son fils; en cette même année 1554, il reconstruisait l’habitation de son domaine qu’il fortifia, la mettant en état de se défendre, ce qui n’était pas superflu, à cette époque où pour sa sûreté il fallait compter plus sur soi-même que sur les pouvoirs publics. Pierre Eyquem avait épousé en 1528 Antoinette de Louppes qui mourut en 1597; il en eut huit enfants, cinq fils dont Michel Montaigne était l’aîné et trois filles; elle était protestante, lui-même était catholique; deux de leurs enfants (un fils et une fille) furent protestants.
30, Bouteilles.—Au sujet qui nous occupe, qui a trait à l’ivrognerie.
33, Plaisir.—Naturel (add. de 80).
3, Prix.—Quoique plus réservé ici que dans d’autres passages de son livre, Montaigne n’en reste pas moins très compréhensible.
10, Manger.—Les Orientaux ne boivent pas pendant les repas, mais seulement lorsqu’ils ont fini; ils étaient étonnés de voir, en Égypte, les Français faire autrement. Payen.
13, A mesme.—Aussitôt que, lorsque.
15, Anacharsis.—Diogène Laerce, I, 104.
19, Platon.—Lois, liv. II.
20, Ans.—Une loi, portée par Zaleucus, défendait aux Locriens, sous peine de mort, de boire du vin, à moins que ce ne fût comme médicament et sur l’ordre d’un médecin.—A Marseille, il en était une prescrivant à la femme de ne boire que de l’eau.—A Rome, le vin était interdit aux esclaves, aux femmes libres et aux adolescents jusqu’à trente ans; une dame romaine ayant forcé le tiroir où son mari serrait la clef du vin, fut condamnée à mourir de faim; Mécénius tua la sienne pour en avoir bu et fut absous. Salmuth.
25, Loix.—Liv. II, vers la fin.
35, Publiques.—«Ce n’est point aux rois de boire du vin, ni aux puissants de rechercher les liqueurs fermentées, de peur qu’en buvant ils n’oublient la loi et ne faussent le droit de tous les malheureux.» Livre des Proverbes, XXX, 4 et 5.
1, Enfants.—Cette exception concernant aussi bien les femmes que les hommes, pour observer le précepte de Platon, ils auraient donc dû se donner le mot, quand ils étaient dans cette intention. Coste.
3, Pur.—Diogène Laerce, II, 120.
5, Arcesilaüs.—Diogène Laerce, IV, 44.—«On assure que Solon et Arcésilas se livraient au plaisir du vin,» dit aussi Sénèque.
7, Sapientiæ.—Citation donnée comme parodie.
17, Amoureux.—Lucrèce était sujet à des accès de frénésie, maladie qui provenait, dit-on, d’un philtre que lui avait fait prendre une maîtresse jalouse; il finit par se donner la mort dans un de ses accès; il avait 44 ans.
33, Desesperée... enroüée.—Les éd. ant. port.: vaincue du mal, au moins comme estant en vne aspre meslée.
35, Putet.—Montaigne détourne ici le sens de ce vers de Térence pour l’adapter à sa pensée.
36, Descharger.—Dispenser, exempter.
41, Iusques là.—Plutarque, Publicola, 3.—Le fils de Brutus et son neveu avaient conspiré pour le rétablissement des Tarquins (509); celui de Manlius Torquatus avait, contre son ordre, dans une guerre contre les Latins, accepté un défi d’un ennemi et l’avait vaincu en combat singulier (337). Tous deux, le premier consul, le second dictateur, prononcèrent eux-mêmes la sentence de mort et la firent exécuter en leur présence. V. N. I, 344: Reng.—Au dire de Plutarque, Darius, roi des Perses, aurait agi comme fit Brutus à l’égard de son fils Ariobarzan qui entretenait des intelligences avec Alexandre.
4, Secte.—Celle des Stoïciens. V. N. I, 18: Stoiques.
6, Molle.—Celle d’Épicure. V. N. I, 30: L’aduenir.
11, Pilez.—Diogène Laerce, IX, 58.
14, L’autre.—C’est ce que Prudence, liv. Des Couronnes, hymne II, 401, fait dire à S. Laurent.—Celui-ci était diacre et trésorier de l’Église de Rome, quand éclata en 258 la persécution contre les Chrétiens de l’empereur Valérien. Il refusa de livrer le trésor dont il était gardien et le distribua aux pauvres. Pour l’en punir, il fut d’abord déchiré à coups de fouet par le bourreau, puis attaché à un gril sous lequel étaient des charbons ardents.
14, Iosephe.—De Maccab., 8.
23, Acharne les.—Ces paroles, sans être textuelles d’après le récit qu’en fait l’historien, qui donne en grand le supplice des sept frères Macchabées et de leur mère martyrisés (167) pour s’être refusés à manger de la viande de porc proscrite par la religion juive à laquelle ils appartenaient, reproduisent ce que dans l’ensemble chacun d’eux a dit et que Montaigne met dans la bouche d’un seul.
27, Ἡσθείειν.—Aulu Gelle, IX, 5; Diogène Laerce, VI, 3; Montaigne traduit ces mots avant de les citer.
32, Luy.—Sénèque, Epist. 66 et 92, etc.—Ce passage confirme au sujet d’Épicure ce que relate la note citée plus haut, I, 30: L’aduenir, et va à l’encontre du reproche de sensualité que, par ignorance, on est porté à lui adresser.
1, Siege.—Lorsqu’elle est dans son état normal.
8, Premiers.—On conte qu’en 1756, lors de la prise de Port-Mahon par le duc de Richelieu sur les Anglais, forteresse qui passait pour imprenable, ceux-ci manifestant leur étonnement que l’assaillant eût pu escalader la muraille rocheuse qui fermait l’enceinte là où elle avait été forcée, les mêmes qui avaient pénétré dans la place par ce point, essayèrent de renouveler cet exploit, mais n’étant plus surexcités par la chaleur du combat, ne purent y parvenir.
10, Dict.—Dans son dialogue de l’Ion.
12, Aristote.—Problem., 30.
13, Folie.—Les éd. ant. port.: fureur.
17, Argumente.—Dans le Timée.
CHAPITRE III.
Il n’est question qu’à la fin de ce chapitre de ce qui fait l’objet de son en-tête, qui ne s’expliquerait guère, par ce seul fait, si, se rappelant ce passage de Strabon: «C’est un bel usage de l’île de Ceos que, lorsqu’on ne peut plus vivre avec honneur, on ne vive pas misérable», on ne se disait que Montaigne a tout simplement interverti l’ordre de son sujet et l’a commenté avant de l’exposer.
24, Cathedrant.—Docteur, celui qui enseigne en chaire.
24, Volonté.—Les éd. ant. port.: sacro-sainte volonté.
26, Contestations.—Dans ce chapitre, l’auteur penche visiblement pour le suicide; mais ne voulant pas mettre les théologiens contre lui, il débute en rééditant son adhésion à tout ce qui, chez eux, est de principe, ainsi qu’il agit chaque fois qu’il va émettre une proposition tant soit peu hardie et en opposition avec les idées en cours, déclarant que telle n’est pas sa croyance et qu’il ne fait qu’enquérir et débattre.—J.-J. Rousseau, dans ses fameuses lettres pour et contre le suicide (Nouvelle Héloïse, liv. II, lettres 1 et 2), a puisé ici plusieurs des arguments qu’il met en avant.
26, Philippus.—En 338, après la bataille de Chéronée.—Cet exemple et les suivants sont tirés de Plutarque, Apophth. des Lacédémoniens.
30, Agis.—Agis I, roi de Sparte.
31, Viure.—Vraiement (add. des éd. ant.).
3, Mesme.—Les Romains avaient rendu un décret autorisant à se tuer quiconque auquel la vie avait cessé de plaire.—Montesquieu, J.-J. Rousseau se prononcent en faveur du suicide; Madame de Stael le présente comme un acte héroïque. V. N. I, 632: Contraste.
7, Maison.—Son maître lui demandait «le pot à pisser», l’enfant refusa; son maître insistant, il préféra se tuer que d’accomplir ce qu’il considérait comme déshonorant.
10, Volontiers.—En 330, à la suite du refus qu’ils faisaient de lui donner cinquante de leurs enfants en otage. V. N. I, 226: Païs.
12, Dit.—Celui qui parle ainsi, c’est Sénèque, Epist. 70.
19, Romains.—Tacite, Annales, XIII, 56.—Boiocalus, chef d’une peuplade de Germains, revendiquait des terres disponibles, pour prix de sa fidélité envers Rome; déçu de sa demande, il fit cette réponse et tenta d’acquérir par la force ce qu’il ne pouvait obtenir autrement; mais le sort des armes lui fut défavorable, lui et ses gens furent exterminés (58).
25, Maladie.—La plupart de ces idées sont de Sénèque, Epist. 69 et 70.
41, Mediane.—C’est la veine qui paraît dans le pli du coude.
2, A tuer... insensibles.—Et vescut depuis ayant cette partie du corps morte (var. des éd. ant.).
3, Insensibles.—Pline, Nat. Hist., XXV, 3.—Cicéron le cite comme un critique émérite qui distinguait aisément de quels auteurs étaient tels ou tels vers qu’on lui citait, tellement il était fait à la manière de chacun.
6, Stoiciens.—Cicéron, De Finibus, III, 18.
14, Hegesias.—Diogène Laerce, 94.
20, Speusippus.—Diogène Laerce, IV, 3.
22, Contraste.—Euripide attache au suicide une sorte de flétrissure;—Pythagore dit que l’homme est à son poste comme une sentinelle et qu’il ne peut l’abandonner sans l’ordre de son général;—Platon érigeait en principe que nous ne devons pas quitter le poste où les dieux nous ont placé;—Aristote le tient pour une lâcheté;—Cicéron met ces paroles dans la bouche de Paul-Émile, parlant à Scipion, son fils adoptif: «Vous devez constamment retenir votre âme dans le corps où elle a son poste, autrement vous seriez coupable de rébellion envers la bonté divine»;—Martial opine dans le même sens dans plusieurs de ses épigrammes: «Il est bien facile de mépriser la vie, quand on est dans le besoin; le véritable courage consiste à soutenir dignement sa misère». «Tandis que Fannius fuyait son ennemi, il se tue lui-même; n’est-ce pas, je vous le demande, une étrange folie, que de se tuer pour échapper à la mort?» «Je n’approuve pas un homme qui achète la renommée au prix de son sang, qu’il lui est aisé de répandre; j’estime celui qui peut se rendre digne de louanges sans se donner la mort.»—Sénèque: «Mourir ainsi, c’est s’avouer vaincu.»—S. Augustin dit que c’est à tort qu’on a exalté Lucrèce, Caton et d’autres qui se sont abandonnés au suicide.—Napoléon: «S’abandonner au chagrin sans y résister, se tuer pour s’y soustraire, c’est se retirer du champ de bataille avant d’avoir vaincu.»—Lamartine: «Quant à moi, je serais déjà mort mille fois de la mort de Caton, si j’étais de la religion de Caton; mais je n’en suis pas, j’adore Dieu dans ses desseins; obéir à Dieu, voilà la vraie gloire; mourir, c’est fuir.» V. N. I, 630: Mesme.
22, Plusieurs.—Les éd. ant. aj.: outre l’authorité qui en défendant l’homicide, y enueloppe l’homicide de soy-mesme: d’autres philosophes...
36, Caton.—V. N. III, 324: Regulus; N. II, 424: Premier.
28, Vsque.—Sæpe vsque (var. de 80).
32, Loix.—Liv. IX.
42, Desdaigner.—L’assertion n’est pas établie d’une manière absolue. Certains cas de suicide semblent avoir été constatés chez quelques animaux. Outre ce qu’on dit du scorpion qui, entouré de charbons ardents, se pique de son propre dard pour se donner la mort, Montaigne donne comme exemple d’attachement (II, 172) le fait de deux chiens se jetant d’eux-mêmes dans les bûchers où brûlaient les corps de leurs maîtres. On cite comme s’étant laissé mourir de faim le cheval de Nicomède, roi de Bithynie, après que celui-ci eut été tué (N. II, 184: Ora); et Varron en mentionne (N. II, 176: Parenté) un autre qui se serait de lui-même précipité et brisé la tête, parce qu’on venait de lui faire saillir sa mère.
5, Ἐξαγωγήν.—«Sortie raisonnable»; c’était l’expression employée par les Stoïciens. Diogène Laerce, VIII, 130.
11, Milesiennes.—Plutarque, Des Faits vertueux des femmes.
11, Reliques.—Restes; du latin reliquiæ qui a même signification. Reliques en français ne se dit plus guère que des saints que l’on conserve et propose à la dévotion des fidèles.
15, Ville.—En Allemagne, de 1880 à 1903, on a relevé 1.152 cas de suicide de garçons et de fillettes dans les écoles, dont 812 âgés de moins de 15 ans, soit 44 par an, sur lesquels un tiers par peur de punition.
28, Fortune.—Plutarque, Agis et Cléomène, 14.—Cléomène III, roi de Sparte, qu’il s’était aliéné par ses efforts pour y rétablir les institutions de Lycurgue, battu à Sellasie (222) par Antigone roi de Macédoine, s’embarquait pour passer en Égypte où il allait chercher un asile et solliciter des secours, quand eut lieu entre lui et Therycion, un de ses plus fidèles partisans, le fait dont il est ici question. Trois ans après, malgré toute sa ténacité, Cléomène suivit l’exemple de Therycion, le roi d’Égypte qui l’avait accueilli étant mort et son successeur ayant manifesté à son égard des dispositions tout autres.
34, Ancien.—Sénèque, Epist. 13.
9, Si.—De tel biais (var. des éd. ant. à 88).
10, Inconuenient.—En 67, alors que Josèphe, gouverneur de Galilée au nom du grand conseil de Jérusalem en insurrection contre les Romains, se trouvait à Tarichée en butte à une sédition excitée contre lui, sous prétexte qu’il s’était approprié des prises qui provenaient d’extorsions et que, pour cette cause, il avait fait rendre à ceux qui en avaient été dépouillés. Étant parvenu à échapper par la fuite à ceux qui avaient dessein de le tuer, puis à se faire écouter par le peuple, il finit par le mettre de son côté. Josèphe, De Vita sua.
13, L’occasion.—A la première bataille de Philippes (en Macédoine) qu’après la mort de César, Antoine et Octave livrèrent à Cassius et à Brutus qu’ils poursuivaient, Cassius, qui commandait à l’aile gauche, la voyant plier et croyant à tort Brutus battu aussi de son côté, se perça de son épée. Un mois après, Brutus, vaincu en ce même lieu où il venait d’être victorieux, en fit autant (42). On dit qu’en mourant, il s’écria: «Vertu, tu n’es qu’un mot»; mais cette parole désespérante n’a rien d’authentique. V. N. II, 646: Brutus.
17, Victoire.—Montluc, Commentaires.—En 1544, dans le courant de l’action, le duc d’Enghien, voulant arrêter le gros de l’infanterie ennemie, qui, à un moment donné, devenait menaçant, le chargea à la tête de sa gendarmerie, mais ne parvint ni à le rompre, ni à l’arrêter, et éprouva des pertes énormes: «Dans son désespoir, M. d’Anguyen, dit Montluc, voyant ses gens de pied en fuite et qu’à peine lui restait cent chevaux pour soutenir le choc de cette colonne de cinq mille piquiers suivant toujours au grand trot leur victoire, deux fois se donna de l’espée dans son gorgerin, se voulant offenser soi-même.» Son acte de désespoir, comme l’effort de cette infanterie adverse, n’eurent pas de suites et la victoire se prononça en notre faveur.
24, Tuer.—Pline, XXV, 3, dit qu’il n’y a guère que trois sortes de maladie pour lesquelles on se tue: la pierre, les douleurs d’estomac et les douleurs de tête. Quant au droit de se tuer, qu’elles peuvent conférer, il n’en parle pas; du reste, les éd. ant. port.: accoustumé, au lieu de: «droit».
25, Retenüe.—Maladie dont Montaigne était atteint, c’est pourquoi il la cite à l’exclusion des deux autres que mentionnaient cependant les éd. ant.: la seconde, la douleur d’estomach: la tierce, la douleur de teste.
25, Seneque.—Epist. 58.
31, Corps.—Tite-Live, XXXVII, 46.—En 190; les Étoliens avaient été défaits par le consul Acilius Glabrio; Damocrite échappa de la sorte à la honte de figurer au triomphe qui fut décerné au vainqueur.
35, Couurir.—Tite-Live, XLV, 26.—En 167; Antinoüs et Théodotus, tous deux citoyens de Passaron, ville d’Épire, s’étaient compromis au point de ne pouvoir espérer trouver grâce auprès des Romains.
42, Siens.—Goze, petite île à l’occident de celle de Malte, dont elle n’est pas très éloignée; elle avait été cédée avec cette dernière en 1530, par Charles-Quint, aux Chevaliers de S.-Jean de Jérusalem, lorsque l’île de Rhodes leur avait été enlevée par les Turcs; ceux-ci et les corsaires d’Afrique la ravagèrent à diverses reprises, en particulier en 1551, année où se passa le fait que relate Montaigne; ils l’abandonnèrent peu après, ayant préalablement rasé le château.
1, Antiochus.—Antiochus Épiphane, roi de Syrie, voulant fusionner les peuples sous sa domination, défendit aux Juifs de circoncire leurs enfants; ceux qui contrevenaient étaient crucifiés, leurs femmes pendues à leur côté avec leur enfant pendu au cou (167). Josèphe, Antiquités judaïques, XII, 5, 4.
12, Curée.—Montaigne renverse ici les rôles: Drusus Libon délibérait s’il se donnerait la mort ou s’il l’attendrait; Scribonia lui demanda quel plaisir il trouvait à faire la besogne d’un autre. Cette observation, dit Sénèque, Epist. 70, ne persuada pas Libon; il se tua et, ajoute-t-il, il eut raison.
30, Diuine.—Macchabées, II, 14.—En l’an 162; Nicanor était général de Démétrius I, roi de Syrie.
1, Pelasgia.—Pelagia était d’Antioche (Asie Mineure) et était âgée de 15 ans seulement. Surprise chez elle par l’édit de persécution et mise en demeure de choisir entre sa virginité ou sa religion, elle obtint des soldats qui avaient envahi sa demeure un répit pour mettre ordre à sa toilette, promettant de les satisfaire; et, montant à l’étage supérieur, elle se précipita par une fenêtre. Sa mère et ses deux sœurs s’étaient enfuies; sur le point d’être atteintes, elles se dirigèrent vers la rivière qui était proche, y entrèrent comme pour s’y baigner, et s’avançant jusqu’à ce qu’elles perdissent pied, s’y noyèrent volontairement. S. Ambroise, De Virg., III.
1, Sophonia.—En 311, lors de la persécution à laquelle mit fin la victoire, sous les murs de Rome, de Constantin, qui assura le triomphe définitif du Christianisme (321). Rufin, Hist. ecclés., VIII, 27; Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 14, toutefois celui-ci ne la nomme pas, quoique ce soit la même.
15, Marot.—«De ouy et nenny», poésie de Cl. Marot:
18, Passé.—Tacite, Ann., VI, 48.—En 36. Aruntius, impliqué dans un procès d’adultère imaginé pour le perdre, se tua, alors que ses amis cherchaient à lui persuader qu’il s’en tirerait en temporisant, disant que l’avènement à l’empire de Caligula lui faisait prévoir un esclavage pire que celui que Tibère avait fait peser sur eux et qu’il voulait mettre fin à la fois au passé et à l’avenir. L’estime en laquelle on le tenait était telle, que l’empereur Auguste, près de mourir, l’avait déclaré digne du rang suprême.
18, Proximus.—Tacite, Ann., XV, 71.
25, Prinse.—S’étant emparé du camp des Perses, Spargapisez et ses Scythes avaient fait main basse sur ce qui s’y trouvait, s’y étaient enivrés et endormis, si bien que surpris par leurs ennemis, ils avaient été faits prisonniers; revenu à lui, et apprenant le fâcheux état en lequel il se trouvait, Spargapisez sollicita qu’on lui ôtât ses liens et se tua (530). Hérodote, I.
28, Cheuance.—On comprenait sous ce nom l’ensemble de tout ce que quelqu’un possédait.
35, Soy-mesme.—En 475, pendant la deuxième guerre médique, lors des opérations qui suivirent la bataille de Platée. Hérodote, VII.
16, Feu.—Le fait s’est passé sous la domination portugaise, qui, commencée en 1511, a pris fin en 1641, date à laquelle les Hollandais se substituèrent aux Portugais pour faire place en 1824 à l’Angleterre à laquelle ce territoire appartient actuellement.
20, Compagnie.—Tacite, Ann., VI, 29.—Scaurus s’était aliéné Tibère par une tragédie dont le sujet (Atrée) et quelques vers lui avaient été dénoncés comme une critique; ce fut la cause d’une accusation de lèse-majesté, que l’on renforça en y joignant une imputation d’adultère avec Livie, la mère de l’empereur, et de sacrifices magiques. A l’instigation de sa femme, qui partagea sa mort, il prévint son jugement, en se tuant (34).—Labéon, gouverneur de Mysie (Asie Mineure), était accusé de malversations; Tibère lui fit signifier qu’il lui interdisait sa maison; c’était une de ses formules de disgrâce et de proscription. Devançant la venue du bourreau, Labéon se fit ouvrir les veines; Paxéa, sa femme, imita son exemple (34).
21, Nerua.—Tacite, Ann., VI, 26.
34, Garde.—«Une femme ne cèle que ce qu’elle ne sait pas.» Proverbe.—Caton l’Ancien disait qu’il fallait se repentir de trois choses seulement: révéler son secret à une femme; passer un jour dans l’oisiveté; aller par mer dans un endroit accessible par terre.
35, Corps.—Auguste avait exprimé devant Fulvius ses regrets de laisser l’empire à Tibère son beau-fils et l’idée que, parfois, il avait de revenir sur sa détermination. Fulvius rapporta le fait à sa femme, et celle-ci à Livie, femme d’Auguste et mère de Tibère, qui vint récriminer. Aussi, le lendemain, quand Fulvius vint le saluer, lui disant suivant sa coutume: «Dieu te garde, César», Auguste lui répondit: «Dieu te fasse sage, Fulvius». Il comprit de suite par là que lui d’abord, sa femme ensuite, avaient trop parlé. Plutarque, Du trop parler, 9.—Tacite, Ann., I, 5, rapporte également le fait; mais il l’attribue à un nommé Fabius Maximus et ne dit pas que sa femme se tua, mais seulement qu’à ses funérailles on l’entendit s’accuser d’être la cause de sa mort.
36, Virius.—Tite-Live, XXVI, 13-15.—Après la défaite de Cannes, Capoue, à l’instigation de Vibius Virius, s’était détachée de Rome et avait ouvert ses portes à Annibal. Trois ans après, les Romains vinrent mettre le siège devant cette ville; il durait depuis deux ans déjà, et ils avaient dû l’interrompre à diverses reprises, mais enfin la résistance était à bout, quand Vibius, pour échapper à leur vengeance, prit la détermination dont il est ici question (211).
19, De là.—De Capoue, ou de la Campanie, comme dit Tite-Live, Ann., XXVI, 15.
33, Consul.—Lors de la reprise de Capoue par les Romains (211).—D’après une autre version, Jubellius Taurea ne se serait pas tué lui-même; compris au nombre de ceux condamnés à périr, il aurait simplement à ce moment apostrophé le consul Quintus Fulvius. Tite-Live rapporte également qu’au moment où le supplice de ces sénateurs s’apprêtait, on remit au consul un courrier arrivant de Rome, contenant un sénatus-consulte leur faisant grâce, et que Fulvius, le pressentant, remit à l’ouvrir jusqu’à ce que l’exécution fût terminée.
39, Vie.—Ce fait semble se rapporter non à une ville des Indes, mais à celle des Marmaréens, peuplade qui occupait sur les frontières de la Lycie un rocher fortifié. Ayant attaqué l’arrière-garde d’Alexandre, celui-ci revint sur ses pas et mit le siège devant leur forteresse; convaincus bientôt de l’inutilité de toute résistance, ses défenseurs décidèrent de tuer enfants, femmes et vieillards, de mettre le feu aux maisons, d’exécuter ensuite une sortie et de se sauver dans les montagnes voisines, ce qu’ils firent (334). Diodore de Sicile, XXVII, 18.
17, Suiuoit.—En 206. Astapa était assiégée par Marcius, chevalier romain, qui, après la mort des deux frères Scipions, avait pris le commandement de l’armée (V. I, 42 et N. Freres); fidèle aux Carthaginois et placée sur les communications de l’armée romaine, elle en interceptait les convois. Tite-Live, XXVIII, 22, 23.
24, Soy.—En 348. Abydos, auj. un des forts des Dardanelles, était une colonie d’Athènes; la guerre entre Philippe roi de Macédoine et les Athéniens avait été amenée par la mise à mort par ceux-ci de deux Acarnaniens (l’Acarnanie était située entre l’Étolie et l’Épire), peuple allié de Philippe, qui par suite d’une erreur de leur part, bien que non initiés, étaient entrés dans le temple de Cérès pendant la célébration des mystères d’Éleusis. Tite-Live, XXXI, 17 et 18.
27, Separées.—Que lorsqu’elles ont été prises séparément.
28, Iugements.—C’est exactement l’idée qui a cours aujourd’hui sur la mentalité des foules et la modification qu’y subissent, momentanément mais inéluctablement, les facultés intellectuelles de quiconque s’y trouve mêlé. V. N. I, 488: Roy.
2, Testament.—Tacite, Ann., VI, 29.—Au Japon, les nobles qui sont condamnés à mort peuvent encore, dit-on, par faveur spéciale obtenir de s’exécuter eux-mêmes par le harikiri, privilège des hautes classes, qui consiste à s’ouvrir le ventre et, simultanément, être décapité par un ami, suivant un rite particulier; mourant de la sorte, ils évitent eux aussi la confiscation de leurs biens qui passent à leurs héritiers.
4, Iesus-Christ.—Epist. ad Philipp., I.
5, Liens.—Epist. ad Rom., VII.
5, Ambraciota.—D’Ambracie. Cicéron, Tusc., I, 34.
6, Phædon.—Un des dialogues de Platon, ainsi appelé du nom d’un des disciples de Socrate les plus fidèles à sa doctrine; dans le Phédon, il est traité plus particulièrement de l’immortalité de l’âme. V. N. II, 72: Platon.
11, Soissons.—En 1250, quand, après la bataille de Mansourah, l’armée se retirait sur Damiette, retraite dans laquelle saint Louis fut fait prisonnier.
16, Terres.—L’Amérique. Cela se voit aussi dans l’ancien continent: au Japon, aux Indes; dans cette dernière contrée, au royaume d’Aracan, on promène chaque année l’idole Guiay-Pora dans un grand char sous les roues duquel les plus dévots du pays se font écraser.
25, La iustice... volontaires.—Ce doubte (var. des éd. ant.).
31, Soy.—Valère Maxime, II, 6, 7.—Ce désir de mort volontaire y était admis pour cause soit d’adversité, soit de prospérité: l’une si elle était de durée prolongée, l’autre de peur qu’elle ne vînt à cesser; le fait relaté dans l’alinéa suivant rentre dans ce dernier cas.
31, Ailleurs.—Suivant Amundsen, explorateur moderne (1900), le suicide est permis chez les Esquimaux.
35, Compagnie.—Valère Maxime, II, 6, 8.—Le fait se passait en 51.
19, Mercure.—Dieu de l’éloquence, du commerce et des voleurs; avait aussi la mission de conduire les âmes aux Enfers, où toutes, indistinctement, allaient après la mort: les unes aux Champs Élysées, séjour des bons; les autres au Tartare, réservé aux méchants.
25, Hyperborée.—Nation que Pline, Hist. nat., IV, 12, place au delà de l’Océan glacial arctique qu’il nomme Aquilon glacial, où, dit-il, les jours sont de six mois, les nuits de même durée; nation heureuse, ajoute-t-il, où la discorde est ignorée ainsi que toute maladie, où on ne meurt que par satiété de la vie.
31, Incitations.—Cicéron, Tusc., II, 27.—Cette opinion est conforme à la doctrine des Stoïciens, qui qualifiait de lâches ceux qui s’attachaient quand même à la vie, lorsque les infirmités les accablaient ou qu’ils étaient l’objet d’infortunes flétrissantes.—En somme, indépendamment des avis particuliers, dans un sens ou dans un autre, déjà cités (V. N. I, 630: Mesme; N. I, 632: Contraste), d’une façon générale: La loi de Moyse réprouve le suicide; les suicidés chez les Hébreux étaient privés de sépulture ou tout au moins enterrés de nuit, la Bible mentionne du reste fort peu de suicides. Les anciens livres sacrés des Hindous, les Védas, le condamnent, mais la religion de Brahma l’encourageant à titre de sacrifice religieux, le nombre de ceux qui, dans les Indes, s’immolent ainsi par fanatisme est inouï. En Chine, le suicide est fréquent; au Japon, on s’en fait souvent un point d’honneur. Zoroastre le condamne; de même Mahomet, et les suicides sont très rares chez les Musulmans. Dans l’antiquité grecque où Socrate en est un adversaire déclaré, il se produit fréquemment; et quoique condamné en principe par les lois, comme le Sénat à Marseille, l’Aréopage à Athènes l’autorisait quand il en approuvait les motifs. Nous connaissons l’opinion des Stoïciens; les Sceptiques, eux, se désintéressaient de la question. A Carthage, les fluctuations de la politique firent qu’il était de pratique courante. A Rome, rare au début, il l’est beaucoup moins vers la fin de la République, et, sous l’empire, nombreux sont ceux qui ont recours au suicide pour échapper à la tyrannie du prince; mais sous tous régimes il est réprimé avec une extrême rigueur chez le soldat dont toute tentative avortée entraîne la peine capitale. Il est fort en honneur chez les peuples primitifs de la Gaule, les vieillards y avaient souvent recours. Parmi les chrétiens, saint Augustin est le premier qui se prononce contre, sans restriction aucune; les conciles qui suivent le frappent d’excommunication; sous saint Louis, les suicidés sont jugés et les mesures prises contre leurs restes sont empreintes d’une extrême sévérité et leurs biens sont confisqués. Le protestantisme le réprouve également; J.-J. Rousseau et Voltaire se déclarent plutôt pour que contre; la Révolution abroge les peines qui le frappent.—Depuis, en France, comme partout ailleurs du reste, il tend à augmenter d’année en année particulièrement dans les grandes villes, motivé surtout par des maladies cérébrales, les souffrances physiques, et l’inconduite; puis encore par la misère, les revers de fortune, les chagrins domestiques, des amours contrariés, le désir d’éviter des poursuites judiciaires, l’ivrognerie, et chez quelques-uns le dégoût du service militaire. De 1.700 par an qu’était, en moyenne, en France, en 1827 le nombre des suicides, il s’est élevé, par une gradation ininterrompue, à 7.267 en 1865; sur ce nombre qui comprend des enfants de seize ans et au-dessous, les gens mariés entrent pour moitié, les femmes pour un quart. Cette progression est due à la même cause qui fait que la criminalité va croissant; chacun veut, chaque jour davantage, l’existence meilleure et plus facile et en supporte d’autant moins les déboires inévitables, ce qui est plutôt veulerie; on ne saurait douter non plus que n’y contribue chez beaucoup l’affaiblissement de la foi qui seule, qu’elle repose sur la vérité ou l’erreur, ce qui importe peu, donne, quoi qu’on en dise, aux croyants (heureuses gens!), patience et consolation en cette vie.—Pour conclure, on peut dire du suicide, comme de tant d’autres choses de ce monde, que le jugement à en porter est essentiellement variable suivant chaque cas particulier; s’il est en général à condamner, il est parfois excusable et dans quelques circonstances être le fait d’un grand caractère et d’un non moins grand courage, ne prêtant en rien à la critique la plus sévère.
CHAPITRE IV.
1, Auec.—Grande (add. des éd. ant.).
7, Grec.—Montaigne avait appris le grec, il n’y a pas doute à ce sujet; mais il ne l’avait jamais su à beaucoup près comme le latin, et il est fort croyable qu’à l’âge où il était arrivé il n’y entendait plus grand’chose.
7, Sens.—Si beau (add. des éd. ant.).
16, Breuiaire.—Livre dont les ecclésiastiques doivent lire journellement des passages déterminés; par extension, livre de lecture habituelle, qui «ne quitte point nos mains, nuit et jour feuilleté», a dit Boileau.
17, Resigne.—Abandonne, signale.
21, Soy.—Moins embarrassé, plus naturel.
23, Plutarque.—Traité de la Curiosité, 14.
15, De Boutieres.—Du Bellay, IX.—En 1543. Cet avis portait qu’une tentative allait être faite, à l’aide de voitures de foin qu’on chercherait à introduire dans la ville dont il était gouverneur, pour s’emparer de l’une des portes. De Boutières négligea d’en prendre connaissance et ce ne fut que par le fait du hasard qu’échoua ce coup de main consistant en cinq voitures de foin, portant au-dessous de leur fond des cages très ingénieusement aménagées, dans chacune desquelles avaient pris place six soldats qui devaient en sortir à l’improviste et, avec l’aide des conducteurs qui étaient également des soldats déguisés, assaillir le poste et s’en emparer.
20, Presenta.—Plutarque, J. César, 17.—Cet avis fut donné à César par Artémidore de Cnide, qui enseignait à Rome les lettres grecques et latines; voyant habituellement les complices de Brutus, il était en partie au courant de la conjuration. «Lisez seul et promptement,» lui dit-il en lui remettant son écrit. César essaya de lire à plusieurs reprises, mais il en fut empêché par la foule de ceux qui venaient lui parler; d’autres disent que cette même foule empêchant Artémidore d’approcher, il lui fit remettre ses papiers par un autre; toujours est-il que César entra au Sénat sans en prendre connaissance. Les éd. ant. aj. ici: contenant le faict de l’entreprise.
24, Preparoit.—Plutarque, De l’esprit familier de Socrate, 27.—En 378; le premier Archias était un capitaine thébain, gouvernant Thèbes au nom de Sparte qui l’y avait installé; l’autre, son hôte et son ami, était souverain-pontife à Athènes.
33, Faire.—En 1846, le prince de Metternich, chancelier d’Autriche, celui-là même qui avait tant contribué à la chute de Napoléon Ier, était, dit-on, jouant un soir aux cartes, quand survint une dépêche de Gallicie, où régnait une certaine fermentation. Tout entier à son jeu, ce ne fut que trois heures après qu’il décacheta cette dépêche, par laquelle on lui transmettait des propositions qui eussent tout arrangé. C’était trop tard: il y avait urgence, et la réponse n’arrivant pas, un conflit s’était produit, faisant deux mille victimes. Le prince garda tout le restant de ses jours le remords de cet instant d’oubli.
34, Consulaire.—Plutarque, Propos de table, I, 3, 2.
35, Deliure.—Plus dégagé.
36, Pour entretenir... assis.—Var. des éd. ant.: ou pour porter nouuelles à celuy qui seroit assis, ou pour lui donner quelque aduertissement à l’oreille.
CHAPITRE V.
Conscience.—«Il est au fond de nos âmes un principe inné de justice et de vertu, d’après lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises; c’est à ce principe que je donne le nom de conscience.» J.-J. Rousseau.
1, Voyageant... durant.—Var. de 80: Ie passois vn iour païs pendant.
7, Air.—Foyer (var. des éd. ant.).
19, Masque.—Sur sa physionomie et malgré la croix, signe distinctif des catholiques, qu’il portait sur sa casaque (sorte de pardessus à manches larges), bien qu’il n’appartînt pas à ce parti.—Les protestants portaient l’écharpe; celle des partisans de Henri IV était blanche.
25, Pœonien.—Ce mot signifie à la fois: chargé des soins à donner aux paons, et individu originaire de la Pœonie. Les deux sens ont cours; avec le premier, Bessus serait une sorte de valet de ferme; nous avons adopté le second, l’anecdote étant vraisemblablement tirée de Plutarque, Pourquoi la justice divine, etc., 8, qui le qualifie de capitaine, chef d’une troupe à pied, et le donne comme ayant abattu ce nid avec une pique qu’il avait en main.
31, Penitence.—On fait souvent allusion à ce mode d’intervention imprévu de la Providence, sous le nom des «Grues d’Ibycus». Ibycus assassiné par des brigands, au milieu d’une forêt, était sur le point d’expirer, quand voyant dans les airs un vol de grues, il les prit à témoin de l’attentat dont il était victime. Quelque temps après, ses assassins se trouvant aux jeux Olympiques, l’un d’eux, voyant passer un vol de grues, s’écria imprudemment: «Voilà les témoins d’Ibycus!» Ce propos, sur lequel il fut appelé à s’expliquer, révéla leur culpabilité. Erasme.
1, Peché.—Plutarque, Pourquoi la justice divine, etc., 9.
2, L’attend.—Sénèque, Epist. 105, à la fin.
2, Meschanceté.—D’elle mesme (add. de 80).
8, Cantharides.—Plutarque, Pourquoi la justice divine, etc., 9.—La cantharide est un insecte de la famille des coléoptères, qui, réduit en poudre, est la base des vésicatoires. Cette poudre, absorbée à l’intérieur, est un poison violent qui était assez en usage chez les anciens. Ils attribuaient en outre à la piqûre même de l’insecte la propriété de donner la mort qui se produisait, croyaient-ils, dans la disposition où l’on était à l’instant où l’on était piqué: si à ce moment, par exemple, on riait, on mourait en riant. La science moderne assigne le camphre comme antidote des empoisonnements par la cantharide; quant à recéler en elle-même son contrepoison, Plutarque ne le rapporte que comme un on-dit.
18, Maux.—Plutarque, Pourquoi la justice divine, etc., 9; Polyen, IV, 6, 18.
20, Mesmes.—Sénèque, Epist. 97.—Sophocle et Lucien émettent une idée analogue: «Rien n’est caché, car le temps voit, entend et révèle tout,» dit le premier. «Tu pourras peut-être, dit le second, dérober aux hommes la connaissance de tes actions coupables; tu ne le pourras envers les dieux malgré tous tes calculs.»—La formule d’Épicure que donne Montaigne et que L. Racine a traduite dans son poème de La Religion:
semble moins prêter à controverse, et cependant on peut dire que chez le méchant, c’est-à-dire chez celui en lequel le mal prédomine, la conscience est oblitérée; soit parce qu’elle a toujours été telle, soit parce que trop souvent il a négligé de l’écouter, elle ne se fait plus entendre, le remords n’existe pas. Aussi sommes-nous de ceux qui n’en voulant pas au méchant, le considérant comme inconscient, voyons en lui un être malfaisant que la société a le devoir non de punir, elle n’a guère elle-même la faculté d’en juger sainement, mais de mettre hors d’état de lui nuire, comme elle fait d’un fou, d’un pestiféré, d’une bête fauve, d’un chien enragé, lorsqu’il est avéré qu’il constitue un danger public. Contrairement à ce qu’a introduit la chicane, c’est le fait qui est à apprécier et non l’intention; la constatation du premier est généralement facile, l’autre est toujours impossible, notre état mental, à tous, à un moment donné, essentiellement variable, échappant à toute appréciation: principe qui est la base de la loi du talion et de l’action civile ou réparation du préjudice causé. Il est à portée des intelligences les plus simples et a suffi dans les sociétés primitives à assurer le maintien de l’ordre, à protéger les personnes et les choses, au moins aussi bien que nous y parvenons dans nos sociétés modernes avec notre législation si prolixe, où tout est agencé pour jeter de la confusion dans les esprits, favorisant les mauvais au préjudice des bons, à l’opposé de ce que commandent la raison et l’équité.
31, Importante.—Plutarque, Comment on peut se louer soi-même, 5.—En 190. Scipion l’Africain, la loi semblant s’y opposer et les questeurs hésitant à le faire, de lui-même, simple particulier à ce moment, mais déjà paré des lauriers de Zama, avait ouvert le trésor public réservé pour parer à une guerre contre les Gaulois, et y avait puisé pour faire face aux besoins de la guerre que Rome méditait contre Antiochus, roi de Syrie, dont les progrès commençaient à donner de l’inquiétude, guerre dont son frère allait être chargé.
33, Teste.—De juger dans une affaire pouvant entraîner une condamnation capitale.
40, Suitte.—Valère Maxime, III, 7, 1.—En 188. Il avait accompagné son frère en Asie en qualité de lieutenant, et, en réalité, dirigé la guerre qui avait contraint Antiochus à restituer aux alliés de Rome toutes les conquêtes qu’il avait faites sur eux, quand, à leur retour, les deux frères furent accusés par le tribun Nevius de s’être laissé corrompre par l’ennemi.
47, Pieces.—Tite-Live, XXXVIII, 54 et 55.—En 187. Cette accusation portée contre Scipion l’Africain et Scipion l’Asiatique est la même, renouvelée, que la seconde dont Montaigne vient de parler et à laquelle ils avaient échappé l’année précédente en évoquant le souvenir de Zama. Sommé de produire ses comptes, Scipion l’Africain lacéra le registre où ils étaient consignés, disant qu’«il ne s’abaisserait pas à se justifier d’une dépense de 4.000.000 de sesterces (800.000 fr.) pour une expédition, lui qui, par ses victoires, avait enrichi le trésor de 200.000.000 de sesterces (40.000.000 de fr.), et n’en avait rapporté que le surnom d’Africain, et que s’ils étaient riches, c’était en ennemis beaucoup plus qu’en argent»; et il s’exila volontairement à Literne en Campanie, où il mourut en 184. Son frère fut condamné à une forte amende; ne pouvant la payer intégralement, il allait être conduit en prison, quand T. Sempronius Gracchus, autre tribun du peuple, qui jusqu’alors s’était montré l’ennemi des Scipions, s’y opposa. Ruiné par cette amende, Lucius Scipion n’accepta de ses parents et amis, qui mirent à sa disposition des sommes immenses, que de quoi racheter ce qui était strictement nécessaire à son existence.
47, Cauterizée.—Ulcérée, torturée par le remords.