← Retour

Essais de Montaigne (self-édition) - Volume IV

16px
100%

DÉVOTION (Dieu, prières).

Il ne faut mesler Dieu en nos actions qu’auecque reuerence et attention pleine d’honneur et de respect, I, 584.

Nous deuons plus rarement le prier: d’autant qu’il n’est pas aisé, que nous puissions si souuent remettre nostre ame, en cette assiette reglée, reformée, et deuotieuse, où il faut qu’elle soit pour ce faire: autrement nos prieres ne sont pas seulement vaines et inutiles, mais vitieuses. Pardonne nous, disons nous, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offencez. Que disons nous par là, sinon que nous luy offrons nostre ame exempte de vengeance et de rancune? Toutesfois nous inuoquons Dieu et son ayde, au complot de nos fautes, et le conuions à l’iniustice. L’auaricieux le prie pour la conseruation vaine et superflue de ses thresors: l’ambitieux pour ses victoires, et conduite de sa fortune: le voleur l’employe à son ayde, pour franchir le hazard et les difficultez, qui s’opposent à l’execution de ses meschantes entreprinses: ou le remercie de l’aisance qu’il a trouué à desgosiller vn passant. Au pied de la maison, qu’ils vont escheller ou petarder, ils font leurs prieres, l’intention et l’esperance pleine de cruauté, de luxure, et d’auarice, I, 590.

Aux vices leur heure, son heure à Dieu, comme par compensation et composition, I, 582.

Il semble, à la verité, que nous nous seruons de nos prieres, comme d’vn iargon, et comme ceux qui employent les paroles sainctes et diuines à des sorcelleries et effects magiciens: et que nous facions nostre compte que ce soit de la contexture, ou son, ou suitte des motz, ou de nostre contenance, que depende leur effect. Car ayans l’ame pleine de concupiscence, non touchée de repentance, ny d’aucune nouuelle reconciliation enuers Dieu, nous luy allons presenter ces parolles que la memoire preste à nostre langue: et esperons en tirer vne expiation de nos fautes, I, 592.

C’est erreur, de recourir à Dieu en tous nos desseins et entreprises, et l’appeller à toute sorte de besoing, et en quelque lieu que nostre foiblesse veut de l’aide, sans considerer si l’occasion est iuste ou iniuste; et d’escrier son nom, et sa puissance, en quelque estat, et action que nous soyons, pour vitieuse qu’elle soit, I, 578.

Celuy qui appelle Dieu à son assistance, pendant qu’il est dans le train du vice, il fait comme le coupeur de bourse, qui appelleroit la iustice à son ayde; ou comme ceux qui produisent le nom de Dieu en tesmoignage de mensonge, I, 592.

Sa iustice et sa puissance sont inseparables. Pour neant implorons nous sa force en vne mauuaise cause. Il faut auoir l’ame nette, au moins en ce moment, auquel nous le prions, et deschargée de passions vitieuses: autrement nous luy presentons nous mesmes les verges dequoy nous chastier, I, 580.

Quelle prodigieuse conscience se peut donner repos, nourrissant en mesme giste, d’vne societé si accordante et si paisible, le crime et le iuge? I, 582.

L’assiette d’vn homme meslant à vne vie execrable la deuotion, semble estre aucunement plus condemnable, que celle d’vn homme conforme à soy, et dissolu par tout, I, 580.

DIEU (DÉVOTION, PRIÈRES, RELIGION).

L’humaine raison ne fait que fouruoyer par tout, mais specialement quand elle se mesle des choses diuines, II, 264.

Rien du nostre ne se peut apparier ou rapporter en quelque façon que ce soit, à la nature diuine, qui ne la tache et marque d’autant d’imperfection. Cette infinie beauté, puissance, et bonté, comment peut elle souffrir quelque correspondance et similitude à chose si abiecte que nous sommes, sans vn extreme interest et dechet de sa diuine grandeur? II, 268.

Timæus ayant à instruire Socrates de ce qu’il sçait des Dieux, du monde, et des hommes, propose d’en parler comme vn homme à vn homme; et qu’il suffit, si ses raisons sont probables, comme les raisons d’vn autre: car les exactes raisons n’estre en sa main, ny en mortelle main, II, 238.

Ie connoy par moi, dit S. Bernard, combien Dieu est incomprehensible, puis que les pieces de mon estre propre, ie ne les puis comprendre, II, 306.

Nostre arrogance nous remet tousiours en auant cette blasphemeuse appariation, II, 280.

Qu’est-il plus vain, que de vouloir deuiner Dieu par nos analogies et coniectures: le regler, et le monde, à nostre capacité et à nos loix? et nous seruir aux despens de la diuinité, de ce petit eschantillon de suffisance qu’il luy a pleu despartir à nostre naturelle condition? et par ce que nous ne pouuons estendre nostre veuë iusques en son glorieux siege, l’auoir ramené ça bas à nostre corruption et à nos miseres? II, 250.

Quand nous disons que l’infinité des siecles tant passez qu’auenir n’est à Dieu qu’vn instant: que sa bonté, sapience, puissance sont mesme chose auecques son essence; nostre parole le dit, mais nostre intelligence ne l’apprehende point. Et toutesfois nostre outrecuidance veut faire passer la diuinité par nostre estamine. Et de là s’engendrent toutes les resueries et erreurs, desquelles le monde se trouue saisi, ramenant et poisant à sa balance, chose si esloignée de son poix, II, 278.

De toutes les opinions humaines et anciennes touchant la religion, celle là me semble auoir eu plus de vray-semblance et plus d’excuse, qui recognoissoit Dieu comme vne puissance incomprehensible, origine et conseruatrice de toutes choses, toute bonté, toute perfection, receuant et prenant en bonne part l’honneur et la reuerence, que les humains luy rendoient soubs quelque visage, soubs quelque nom et en quelque maniere que ce fust, II, 250.

Pythagoras adombra la verité de plus pres: iugeant que la cognoissance de cette cause premiere, et estre des estres, deuoit estre indefinie, sans prescription, sans declaration: que ce n’estoit autre chose, que l’extreme effort de nostre imagination, vers la perfection: chacun en amplifiant l’idée selon sa capacité. Mais l’esprit humain ne se sçauroit maintenir vaguant en cet infini de pensées informes: il les luy faut compiler à certaine image à son modelle. La majesté diuine s’est ainsi pour nous aucunement laissé circonscrire aux limites corporels, II, 250.

A chaque chose, il n’est rien plus cher, et plus estimable que son estre et chacune rapporte les qualitez de toutes autres choses à ses propres qualitez. Lesquelles nous pouuons bien estendre et racourcir, mais c’est tout; car hors de ce rapport, et de ce principe, nostre imagination ne peut aller, ne peut rien diuiner autre, et est impossible qu’elle sorte de là, et qu’elle passe au delà. D’où naissent ces anciennes conclusions. De toutes les formes, la plus belle est celle de l’homme: Dieu donc est de cette forme. Nulle raison ne peut loger ailleurs qu’en l’humaine figure: Dieu est donc reuestu de l’humaine figure, II, 286.

Cette attribution à la diuinité d’vne forme corporelle est cause de ce qui nous aduient tous les iours, d’attribuer à Dieu, les euenements d’importance, d’vne particuliere assignation. Par ce qu’ils nous poisent, il semble qu’ils luy poisent aussi, et qu’il y regarde plus entier et plus attentif, qu’aux euenements qui nous sont legers, ou d’vne suitte ordinaire. Nostre arrogance nous remet tousiours en auant cette blasphemeuse appariation, II, 278.

Les hommes, dit sainct Paul, sont deuenus fols cuidans estre sages, et ont mué la gloire de Dieu incorruptible, en l’image de l’homme corruptible, II, 280.

DIEUX.

Il est bien plus aisé de satisfaire, parlant de la nature des Dieux, que de la nature des hommes: par ce que l’ignorance des auditeurs preste vne belle et large carriere, et toute liberté, au maniement d’vne matiere cachee. Il aduient de là, qu’il n’est rien creu si ferme, I, 376.

Il est impossible d’establir quelque chose de certain, de l’immortelle nature, par la mortelle, II, 262.

L’homme ne peut estre que ce qu’il est, ny imaginer que selon sa portée. C’est grande presomption, dit Plutarque, à ceux qui ne sont qu’hommes, d’entreprendre de parler et discourir des Dieux, presumant comprendre par quelque legere coniecture, des effects qui sont hors de sa cognoissance, II, 264.

Sur quel fondement de leur iustice les Dieux peuuent ils recognoistre et recompenser à l’homme apres sa mort ses actions bonnes et vertueuses: puis que ce sont eux mesmes, qui les ont acheminées et produites en luy? Et pourquoy s’offencent ils et vengent sur luy les vitieuses, puis qu’ils l’ont eux-mesmes produict en cette condition fautiue, et que d’vn seul clin de leur volonté, ils le peuuent empescher de faillir? II, 262.

Platon en ses loix fait trois sortes d’iniurieuse creance des Dieux, Qu’il n’y en ayt point, Qu’ils ne se meslent pas de noz affaires, Qu’ils ne refusent rien à noz vœux, offrandes et sacrifices. La premiere erreur, selon son aduis, ne dura iamais immuable en homme, depuis son enfance, iusques à sa vieillesse. Les deux suiuantes peuuent souffrir de la constance, I, 580.

De toutes les religions, que Sainct Paul trouua en credit à Athenes, celle qu’ils auoyent dediée à vne diuinité cachée et incognue, luy sembla la plus excusable, II, 250.

DIRE ET FAIRE.

Le dire est autre chose que le faire, il faut considerer le presche à part, et le prescheur à part. C’est sans doubte vne belle harmonie, quand le faire, et le dire vont ensemble: et ie ne veux pas nier, que le dire, lors que les actions suyuent, ne soit de plus d’authorité et efficace: mais vn homme de bonnes mœurs, peut auoir des opinions faulces, et vn meschant peut prescher verité, voire celuy qui ne la croit pas, II, 610.

Apprenons non à bien dire, mais à bien faire, I, 436.

DISSIMULATION.

Ie hay capitalement cette nouuelle vertu de faintise et dissimulation, qui est à cett’heure si fort en credit: et de tous les vices, ie n’en trouue aucun qui tesmoigne tant de lascheté et bassesse de cœur, II, 492.

DIVERS.

Tout abbregé sur vn bon liure est vn sot abbregé, III, 368.

L’accoustumance, n’est pas chose de peu, I, 158.

L’accoustumance est vne seconde nature, et non moins puissante, III, 496.

L’accoustumance à porter le trauail, est accoustumance à porter la douleur, I, 244.

Tu as bien largement affaire chez toy, ne t’esloigne pas, III, 486.

Il ne faut pas se precipiter esperduement apres nos affections et interestz, III, 504.

L’affirmation et l’opiniastreté, sont signes exprez de bestise, III, 620.

A combien de sottes ames sert vne mine froide et taciturne, de tiltre de prudence et de capacité? III, 352.

Nostre appetit est irresolu et incertain: il ne sçait rien tenir, ny rien iouyr de bonne façon, I, 566.

Il mesprise et outrepasse ce qui luy est en main, pour courir apres ce qu’il n’a pas, I, 434.

Bien apprentis sont ceux qui syndiquent leur liberté, I, 346.

O le vilain et sot estude d’estudier son argent, se plaire à le manier et recomter! c’est par là, que l’auarice faict ses approches, III, 392.

Les arts qui promettent de nous tenir le corps en santé, et l’ame en santé, nous promettent beaucoup: mais aussi n’en est-il point, qui tiennent moins ce qu’elles promettent, III, 628.

L’auarice et la profusion ont pareil desir d’attirer et d’acquerir, I, 570.

Les Barbares ne nous sont de rien plus merueilleux que nous sommes à eux: ny auec plus d’occasion, I, 162.

La bestise et la sagesse se rencontrent en mesme poinct de sentiment et de resolution à la souffrance des accidens humains: les sages gourmandent et commandent le mal, et les autres l’ignorent, I, 570.

On dit: Il ne sçauroit estre bon, puis qu’il n’est pas mauuais aux meschans. Ou bien ainsi: Il faut bien qu’il soit bon, puis qu’il l’est aux meschants mesme, III, 598.

Chacun en sa chacuniere, I, 390.

Quand nous voyons vn homme mal chaussé, nous disons que ce n’est pas merueille, s’il est chaussetier, I, 218.

Rien ne chatouille, qui ne pince, III, 564.

La plus grande chose du monde c’est de sçauoir estre à soy, I, 418.

La maladie se sent, la santé, peu ou point: ny les choses qui nous oignent, au prix de celles qui nous poignent, III, 520.

Toutes choses ont leur saison, les bonnes et tout. Et ie puis dire mon patenostre hors de propos, II, 586.

Nous admirons et poisons mieux les choses estrangeres que les ordinaires, II, 164.

La difficulté donne prix aux choses, II, 434.

L’application aux legeres choses nous retire des iustes, III, 270.

La plus part des choses du monde se font par elles mesmes, III, 358.

Toutes choses tombent en discretion et modification, III, 458.

On me faict haïr les choses vray-semblables, quand on me les plante pour infaillibles, III, 534.

Les choses se guerissent par leurs contraires: le mal guerit le mal, I, 350.

Il n’est chose, en quoy le monde soit si diuers qu’en coustumes et loix. Telle chose est icy abominable, qui apporte recommandation ailleurs, II, 376.

On commence ordinairement ainsi: Comment est-ce que cela se fait? mais, se fait-il? faudroit il dire, III, 528.

Qui ne peut venir à bout du commencement, ne viendra pas à bout de la fin. Ny n’en soustiendra la cheute, qui n’en a peu soustenir l’esbranslement, III, 510.

Il y a beaucoup de commodité à n’estre pas si aduisé, II, 218.

L’issuë authorise souuent vne tres-inepte conduite, III, 354.

La confession genereuse et libre, enerue le reproche, et desarme l’iniure, III, 444.

Ie croy des hommes plus mal aisément la constance que toute autre chose, et rien plus aisément que l’inconstance, I, 602.

Pour mesurer la constance, il faut necessairement sçauoir la souffrance, III, 506.

Tous les iours la sotte contenance d’vn autre, m’aduertit et m’aduise, III, 332.

Nous nous corrigeons aussi sottement souuent, comme nous corrigeons les autres, III, 412.

Comme si nous auions l’attouchement infect, nous corrompons par nostre maniement les choses qui d’elles mesmes sont belles et bonnes, I, 344.

Il ne faut pas croire à chacun, par ce que chacun peut dire toutes choses, II, 358.

Encore faut-il du courage à craindre, III, 288.

Ie n’ay point l’authorité d’estre creu, ny ne le desire, me sentant trop mal instruit pour instruire autruy, I, 232.

I’ay peur que nous ayons les yeux plus grands que le ventre, et plus de curiosité, que nous n’auons de capacité, I, 354.

La curiosité de cognoistre les choses, a esté donnée aux hommes pour fleau, dit la saincte Escriture, II, 470.

La defense attire l’entreprise, et la deffiance l’offense, II, 438.

Nous defendre quelque chose, c’est nous en donner enuie. Nous l’abandonner tout à faict, c’est nous en engendrer mespris, II, 434.

Il ne faut rien designer de si longue haleine, ou au moins auec telle intention de se passionner pour en voir la fin, I, 120.

Nostre desir s’accroist par la malaisance, II, 432.

Au pis aller, courez tousiours par retranchement de despence, deuant la pauureté, III, 382.

Qui est desloyal enuers la verité, l’est aussi enuers le mensonge, II, 494.

Il fait bien piteux, et hazardeux, despendre d’vn autre, III, 420.

Nous ne prestons volontiers à la deuotion que les offices, qui flattent noz passions, II, 120.

Les dieux s’esbatent de nous à la pelote, et nous agitent à toutes mains, III, 404.

La difficulté donne prix aux choses, II, 434.

Qui establit son discours par brauerie et commandement, montre que la raison y est foible, III, 536.

Il y a encore plus de discours à instruire autruy qu’à estre instruit, III, 160.

Le vray miroir de nos discours, est le cours de nos vies, I, 272.

La dissimilitude s’ingere d’elle-mesme en nos ouurages, nul art peut arriuer à la similitude, III, 600.

Il ne nous faut guere de doctrine, pour viure à nostre aise, III, 550.

Comme le donner est qualité ambitieuse, et de prerogatiue, aussi est l’accepter qualité de summission, III, 422.

La douleur a quelque chose de non euitable, en son tendre commencement: et la volupté quelque chose d’euitable en sa fin excessiue, III, 692.

Platon veut plus de mal à l’excés du dormir, qu’à l’excés du boire, III, 662.

Les effectz nous touchent, mais les moyens, nullement, III, 528.

L’eloquence faict iniure aux choses, qui nous destourne à soy, I, 278.

Nous embrassons tout, mais nous n’estreignons que du vent, I, 354.

Enfant, tu és venu au monde pour endurer: endure, souffre et tais toy, III, 648.

L’enfance et la decrepitude se rencontrent en imbecillité de cerueau, I, 570.

Nous ne faisons que nous entregloser. Tout fourmille de commentaires: d’autheurs, il en est grand cherté, III, 606.

Les esprits hauts, ne sont de guere moins aptes aux choses basses, que les bas esprits aux hautes, III, 466.

On s’appriuoise à toute estrangeté par l’vsage et le temps, III, 532.

Où cuidez-vous pouuoir estre sans empeschement et sans destourbier? III, 458.

Estant peu apprins par les bons exemples, ie me sers des mauuais: desquels la leçon est ordinaire, III, 322.

Ny vne estuue ny vne leçon, n’est d’aucun fruict si elle ne nettoye et ne decrasse, III, 460.

Les euenemens, sont maigres tesmoings, de nostre prix et capacité, III, 356.

Autant se fache le cheuelu comme le chauue, qu’on luy arrache le poil, I, 470.

Il y a moyen de faillir en la solitude, comme en la compagnie, I, 428.

Tout ce qui peut estre faict vn autre iour, le peut estre auiourd’huy, I, 118.

Ie ne me mesle pas de dire ce qu’il faut au monde: d’autres assés s’en meslent: mais ce que i’y fay, I, 214.

Toute femme estrangere nous semble honneste femme, III, 434.

Les femmes qui communiquent tant qu’on veut leurs pieces à garçonner: à medeciner, la honte le deffend, I, 346.

La fortune a meilleur aduis que nous, I, 386.

La fortune se rencontre souuent au train de la raison, I, 384.

Plaisante foy, qui ne croid ce qu’elle croid, que pour n’auoir le courage de le descroireII, 124.

La gloire et la curiosité, sont les fleaux de nostre ame. Cette cy nous conduit à mettre le nez par tout, et celle là nous defend de rien laisser irresolu et indecis, I, 296.

Le goust des biens et des maux despend en bonne partie de l’opinion que nous en auons, I, 440.

La hastiueté se donne elle mesme la iambe, s’entraue et s’arreste, III, 494.

L’homme qui presume de son sçauoir, ne sçait pas encore que c’est que sçauoir, II, 132.

L’homme n’est non plus instruit de la cognoissance de soy, en la partie corporelle, qu’en la spirituelle, II, 330.

L’homme forge mille plaisantes societez entre Dieu et luy, II, 290.

L’honneur, c’est vn priuilege qui tire sa principale essence de la rareté: et la vertu mesme, II, 12.

Qui veut guerir de l’ignorance, il faut la confesser, III, 534.

Combien en a rendu de malades la seule force de l’imagination, II, 208.

Nous sommes plus ialoux de nostre interest, que de celuy de nostre createur, II, 206.

Ie ne fay qu’aller et venir: mon iugement ne tire pas tousiours auant, il flotte, il vague, II, 348.

C’est iniustice de se douloir qu’il soit aduenu à quelqu’vn, ce qui peut aduenir à chacun, III, 648.

L’extreme espece d’iniustice, c’est que, ce qui est iniuste, soit tenu pour iuste, III, 558.

Il est force de faire tort en detail, qui veut faire droict en gros; et iniustice en petites choses, qui veut venir à chef de faire iustice és grandes, III, 612.

L’innocence ciuile, se mesure selon les lieux et saisons, III, 468.

Les ieunes se doiuent faire instruire; les hommes s’exercer à bien faire: les vieux se retirer de toute occupation ciuile et militaire, viuants à leur discretion, sans obligation à certain office, I, 418.

Il ne faut pas iuger les conseils par les euenemens, III, 358.

C’est vne mauuaise prouision de païs, que iurisconsultes, et medecins, III, 602.

Nostre licence nous porte tousiours au delà de ce qui nous est loisible, et permis, III, 462.

La licence des iugements, est vn grand destourbier aux grands affaires, II, 454.

Quiconque combat les loix, menace les gents de bien d’escourgées et de la corde, I, 244.

On est assez à temps à sentir le mal, sans l’allonger par le mal de la peur, III, 660.

La tourbe des menus maux, offence plus, que la violence d’vn, pour grand qu’il soit, III, 386.

Seruons nous pour consolation des maux presens, de la souuenance des biens passez, et appelons à nostre secours vn contentement esuanouy, pour l’opposer à ce qui nous presse, II, 214.

De nos maladies la plus sauuage, c’est mespriser nostre estre, III, 692.

Il n’est pas marchant qui tousiours gaigne, III, 366.

La maturité a ses deffaux, comme la verdeur, et pires, III, 586.

La meschanceté fabrique des tourmens contre soy, I, 660.

Ny les Dieux, ny les gens de bien, dict Platon, n’acceptent le present d’vn meschant, I, 594.

Chacun peut faire bonne mine par le dehors, plein au dedans de fiebure et d’effroy, II, 454.

On se doibt moderer, entre la haine de la douleur, et l’amour de la volupté, III, 484.

Le monde n’est que varieté et dissemblance, I, 612.

Qui se faict mort viuant, est subiect d’estre tenu pour vif mourant, III, 442.

Il est incertain où la mort nous attende, attendons la par tout, I, 116.

L’estre mort ne fasche pas, mais ouy bien le mourir, II, 426.

La moins premeditee mort, est la plus heureuse, et plus deschargee, II, 576.

Les plus mortes morts sont les plus saines, I, 120.

La plus volontaire mort, c’est la plus belle, I, 630.

Les morts ie ne les plains guere, et les enuierois plustost; mais ie plains bien fort les mourans, II, 100.

Vne mort courte, est le souuerain heur de la vie humaine, II, 424.

Le soing des morts nous est en recommandation, III, 474.

A celuy qui disoit à Socrates: Les trente tyrans t’ont condamné à la mort: Et nature eux, respondit-il, I, 142.

Nature peut tout, et fait tout, I, 218.

La vie despend de la volonté d’autruy, la mort de la nostre, I, 630.

Nature nous a mis au monde libres et desliez, nous nous emprisonnons en certains destroits, III, 428.

Les loix de Nature nous apprennent ce que iustement il nous faut, III, 494.

Tout ce qui vient au reuers du cours de nature, peut estre fascheux: mais ce, qui vient selon elle, doibt estre tousiours plaint, III, 674.

La necessité compose les hommes et les assemble. Cette cousture fortuite se forme apres en loix, III, 398.

Il fait bon auoir bon nom, c’est à dire credit et reputation, I, 508.

Le meilleur pretexte de nouuelleté est tres-dangereux, I, 178.

De l’obeyr et ceder naist toute autre vertu, comme du cuider, tout peché, II, 204.

L’offence a ses droits outre la iustice, III, 442.

L’offence a sans mesure plus d’aigreur, que n’a la perte, III, 562.

L’ordre est vne vertu morne et sombre, III, 116.

L’orgueil gist en la pensée: la langue n’y peut auoir qu’vne bien legere part, I, 682.

Est l’opiniastreté sœur de la constance, au moins en vigueur et fermeté, II, 628.

L’opiniastreté est plus excusable, que la pusillanimité, III, 516.

Toute opinion est assez forte, pour se faire espouser au prix de la vie, I, 446.

Il est impossible de voir deux opinions semblables exactement: non seulement en diuers hommes, mais en mesme homme, à diuerses heures, III, 604.

Il faut refuser l’opportunité à toute action importune, II, 28.

Il y a prou de loy de parler par tout, et pour et contre, I, 518.

Le n’oser parler rondement de soy, accuse quelque faute de cœur, III, 372.

Qui n’arreste le partir, n’a garde d’arrester la course, III, 510.

La passion nous commande bien plus viuement que la raison, II, 660.

La pauureté des biens, est aisée à guerir; la pauureté de l’ame, impossible, III, 496.

Chacun poise sur le peché de son compagnon, et esleue le sien, I, 612.

La peur extreme, et l’extreme ardeur de courage troublent également le ventre, et le laschent, I, 568.

Qui a sa pensee à prendre, ne l’a plus à ce qu’il a prins. La conuoitise n’a rien si propre que d’estre ingrate, III, 298.

Qui ne peut d’ailleurs, si se paye de sa bourse, III, 522.

Ce qui poincte, touche et esueille mieux, que ce qui plaist, III, 332.

Tout ce qui plaist, ne paist pas, III, 552.

C’est vne sotte presomption, aller desdeignant et condamnant pour faux, ce qui ne nous semble pas vray-semblable, I, 290.

Il se faut prester à autruy, et ne se donner qu’à soy-mesme, III, 484.

La priere me gaigne, la menace me rebute, la faueur me ploye, la crainte me roydit, III, 380.

La prudence et l’amour ne peuuent ensemble, III, 276.

La prudence si tendre et circonspecte, est mortelle ennemye des hautes executions, I, 196.

La raison nous ordonne bien d’aller tousiours mesme chemin, mais non toutesfois mesme train, I, 500.

La raison va tousiours torte, boiteuse, et deshanchée: et auec le mensonge comme auec la verité. Par ainsin, il est malaisé de descouurir son mescompte, et desreglement, II, 346.

Nul ne met en compte publique sa recette: chacun y met son acquest, I, 240.

Nostre religion est faite pour extirper les vices: elle les couure, les nourrit, les incite, II, 122.

La ressemblance ne faict pas tant, vn, comme la difference faict, autre. Nature s’est obligée à ne rien faire autre, qui ne fust dissemblable, III, 600.

Ie veux estre riche par moy, non par emprunt, II, 454.

Rien de noble ne se faict sans hazard, I, 196.

Rien n’est extreme, qui a son pareil, I, 314.

Il en est sur qui les belles robes pleurent, III, 294.

Nostre sagesse n’est que folie deuant Dieu: et de toutes les vanitez la plus vaine c’est l’homme, II, 132.

En beaucoup de sagesse, beaucoup de desplaisir, II, 218.

Ce n’est pas sagesse d’escrire à l’enuy de celuy, qui peut proscrire, III, 330.

Il n’est science si arduë que de bien sçauoir viure cette vie, III, 692.

La plus belle science qui soit, c’est la science d’obeir et de commander, I, 222.

L’estude des sciences amollit et effemine les courages, plus qu’il ne les fermit et aguerrit, I, 224.

Combien ay-ie veu de mon temps, d’hommes abestis, par temeraire auidité de science, I, 264.

A quoy la science, à qui n’a plus de teste? III, 498.

Toute cognoissance s’achemine en nous par les sens, ce sont nos maistres, II, 390.

On se met souuent sottement en pourpoinct, pour ne sauter pas mieux qu’en saye, III, 410.

D’apprendre qu’on a dit ou fait vne sottise, ce n’est rien que cela. Il faut apprendre, qu’on n’est qu’vn sot. Instruction bien plus ample, et importante, III, 618.

Qui craint de souffrir, il souffre desia de ce qu’il craint, III, 660.

C’est folie de rapporter le vray et le faux à nostre suffisance, I, 288.

Il est bien plus aisé et plus plaisant de suiure, que de guider, I, 488.

Le temps me laisse: sans luy rien ne se possede, III, 498.

L’achat donne tiltre au diamant, la difficulté à la vertu, la douleur à la deuotion, l’aspreté à la medecine, I, 464.

Chaque vsage a sa raison, III, 454.

L’vsage, conduit selon raison, a plus d’aspreté, que n’a l’abstinence, II, 646.

L’vsage nous faict veoir, vne distinction enorme, entre la deuotion et la conscience, III, 592.

La verité et le mensonge ont leurs visages conformes, le port, le goust, et les alleures pareilles: nous les regardons de mesme œil, III, 528.

La vertu est qualité plaisante et gaye, III, 186.

La vertu n’est pas plus grande, pour estre plus longue: la verité, pour estre plus vieille, n’est pas plus sage, II, 632.

Tel a la veuë claire, qui ne l’a pas droitte: et par consequent void le bien, et ne le suit pas: et void la science, et ne s’en sert pas, I, 218.

Le vice, n’est que des-reglement et faute de mesure; et par consequent, il est impossible d’y attacher la constance, I, 602.

C’est nostre vice, que nous voyons plus ce qui est dessus nous, que volontiers, ce qui est dessoubs, III, 402.

C’est chose tendre que la vie, et aysee à troubler, III, 386.

La deffaillance d’vne vie, est le passage à mille autres vies. Prenons, sur tout les vieillards: le premier temps opportun qui nous vient, III, 582.

On peut continuer à tout temps l’estude, non pas l’escholage. La sotte chose, qu’vn vieillard abecedaire, II, 588.

La laideur d’vne vieillesse aduouee, est moins vieille, et moins laide à mon gré, qu’vne autre peinte et lissee, III, 282.

Qui abandonne en son propre, le sainement et gayement viure pour en seruir autruy, prent à mon gré vn mauuais et desnaturé party, III, 492.

Le viure, c’est seruir, si la liberté de mourir en est à dire, I, 630.

Qui ne vit aucunement à autruy, ne vit guere à soy, III, 490.

DIVERSION.

Peu de chose nous diuertit et destourne: car peu de chose nous tient. Nous ne regardons gueres les subiects en gros et seuls: ce sont des circonstances ou des images menues et superficielles qui nous frappent: et des vaines escorces qui reiallissent des subiects, III, 172.

DOULEUR.

La douleur ne tient qu’autant de place en nous, que nous luy en faisons, I, 456.

Tout ainsi que l’ennemy se rend plus aspre à nostre fuite, aussi s’enorgueillit la douleur, à nous voir trembler soubs elle. Elle se rendra de bien meilleure composition, à qui luy fera teste: il se faut opposer et bander contre, I, 456.

D’auantage cela nous doit consoler, que naturellement, si la douleur est violente, elle est courte: si elle est longue, elle est legere, I, 454.

Mon iugement m’empesche bien de regimber et gronder contre les inconuenients que Nature m’ordonne à souffrir, mais non pas de les sentir, III, 184.

I’ay tousiours trouué ce precepte ceremonieux, qui ordonne si exactement de tenir bonne contenance et vn maintien desdaigneux, et posé, à la souffrance des maux. Pourquoi la philosophie se va elle amusant à ces apparences externes? Qu’elle laisse ce soing aux farceurs et maistres de rhetorique, qui font tant d’estat de nos gestes. Qu’elle condone hardiment au mal, cette lascheté voyelle, si elle n’est ny cordiale, ny stomacale: et preste ses pleintes volontaires au genre des souspirs, sanglots, palpitations, pallissements, que nature a mis hors de nostre puissance. Pourueu que le courage soit sans effroy, les parolles sans desespoir, qu’elle se contente. Qu’importe que nous tordions nos bras, pourueu que nous ne tordions nos pensées? Si le corps se soulage en se plaignant, qu’il le face: se tracasse à sa fantasie, qu’il crie tout à faict, III, 26.

Ce que nous deuons craindre principalement en la mort, c’est la douleur son auant-coureuse coustumiere. Toutesfois ny ce qui va deuant, ny ce qui vient apres, n’est des appartenances de la mort. Nous nous excusons faussement. C’est plustost l’impatience de l’imagination de la mort, qui nous rend impatiens de la douleur: nous la sentons doublement grieue, de ce qu’elle nous menace de mourir, I, 452.

DUEL (ESCRIME).

Qu’est-il plus farouche que de voir vne nation, où par legitime coustume il y ayt doubles loix, celles de l’honneur, et celles de la iustice, en plusieurs choses fort contraires: aussi rigoureusement condamnent celles-là vn demanti souffert, comme celles icy vn demanti reuanché: par le deuoir des armes, celuy-là soit degradé d’honneur qui souffre vn’iniure, et par le deuoir ciuil, celuy qui s’en venge encoure vne peine capitale? qui s’adresse aux loix pour auoir raison d’vne offense faicte à son honneur, il se deshonnore: et qui ne s’y adresse, il en est puny et chastié par les loix, I, 174.

L’escrime est vn art vtile à sa fin. Mais ce n’est pas proprement vertu, puis qu’elle tire son appuy de l’addresse, et qu’elle prend autre fondement que de soy-mesme. L’honneur des combats consiste en la ialousie du courage, non de la science, II, 576.

C’est aussi vne espece de lascheté, qui a introduit en nos combats singuliers, cet vsage, de nous accompagner de seconds, et tiers, et quarts. La solitude faisoit peur aux premiers qui l’inuenterent: car naturellement quelque compagnie que ce soit, apporte confort, et soulagement au danger. On se seruoit anciennement de personnes tierces, pour garder qu’il ne s’y fist desordre et desloyauté, et pour tesmoigner de la fortune du combat. Mais depuis qu’on a pris ce train, qu’ils s’engagent eux mesmes, quiconque y est conuié, ne peut honnestement s’y tenir comme spectateur, de peur qu’on ne luy attribue, que ce soit faute ou d’affection, ou de cœur. Outre l’iniustice d’vne telle action, et vilenie, d’engager à la protection de vostre honneur, autre valeur et force que la vostre, ie trouue du desaduantage à vn homme de bien, et qui pleinement se fie de soy, d’aller mesler la fortune, à celle d’vn second: chacun court assez de hazard pour soy, sans le courir encore pour vn autre: et a assez à faire à s’asseurer en sa propre vertu, pour la deffence de sa vie, sans commettre chose si chere en mains tierces. Car s’il n’a esté expressement marchandé au contraire, des quatre, c’est vne partie liée. Si vostre second est à terre, vous en auez deux sus les bras, II, 572.

Nos peres se contentoyent de reuencher vne iniure par vn démenti, vn démenti par vn coup, et ainsi par ordre. Ils estoient assez valeureux pour ne craindre pas leur aduersaire, viuant, et outragé. Nous tremblons de frayeur, tant que nous le voyons en pieds, II, 572.

ÉCONOMIE.

Ie vis du iour à la iournée, et me contente d’auoir dequoy suffire aux besoings presens et ordinaires: aux extraordinaires toutes les prouisions du monde n’y sçauroyent suffire. Et est follie de s’attendre que fortune elle mesmes nous arme iamais suffisamment contre soy. C’est de noz armes qu’il la faut combattre. Les fortuites nous trahiront au bon du faict, I, 472.

Tout compté, il y a plus de peine à garder l’argent qu’à l’acquerir, I, 470.

Mal aysément peut-on establir bornes certaines au desir d’amasser et arrester vn poinct à l’espargne: on va tousiours grossissant cet amas, iusques à se priuer vilainement de la iouyssance de ses propres biens: et l’establir toute en la garde, et n’en vser point, I, 470.

Tout homme pecunieux est auaricieux à mon gré, I, 470.

ÉDUCATION.

La plus grande difficulté et importance de l’humaine science semble estre en cet endroit, où il se traitte de la nourriture et institution des enfans, I, 232.

Ce n’est pas raison de nourrir vn enfant au giron de ses parens. Cette amour naturelle les attendrit trop, et relasche, voire les plus sages, I, 242.

Ne prenez iamais, et donnez encore moins à vos femmes, la charge de leur nourriture: laissez les former à la fortune, souz des loix populaires et naturelles: laissez à la coustume, de les dresser à la frugalité et à l’austerité; qu’ils ayent plustot à descendre de l’aspreté, qu’à monter vers elle, III, 670.

Noz plus grands vices prennent leur ply dés nostre plus tendre enfance, et nostre principal gouuernement est entre les mains des nourrices. C’est passetemps aux meres de veoir vn enfant tordre le col à vn poulet, et s’esbatre à blesser vn chien et vn chat. Et tel pere est si sot, de prendre à bon augure d’vne ame martiale, quand il voit son fils gourmer iniurieusement vn païsant, ou vn laquay, qui ne se defend point: et à gentillesse, quand il le void affiner son compagnon par quelque malicieuse desloyauté, et tromperie. Ce sont pourtant les vrayes semences et racines de la cruauté, de la tyrannie, de la trahyson. Elles se germent là, et s’esleuent apres gaillardement, et profittent à force entre les mains de la coustume. Et est vne tres-dangereuse institution, d’excuser ces villaines inclinations, par la foiblesse de l’aage, et legereté du subiect, I, 158.

La laideur de la piperie ne depend pas de la difference des escutz aux espingles: elle depend de soy. Ie trouue bien plus iuste de conclurre ainsi: Pourquoy ne tromperoit il aux escutz, puisqu’il trompe aux espingles? que, ce n’est qu’aux espingles: il n’auroit garde de le faire aux escutz, I, 158.

Les ieux des enfants ne sont pas ieux: et les faut iuger en eux, comme leurs plus serieuses actions, I, 158.

Les meres ont raison de tancer leurs enfans, quand ils contrefont les borgnes, les boiteux, et les bicles, et tels autres defauts de la personne: car outre ce que le corps ainsi tendre en peut receuoir vn mauuais ply, il semble que la Fortune se ioüe à nous prendre au mot: et i’ay ouy reciter plusieurs exemples de gens deuenus malades ayant dessigné de feindre l’estre, II, 564.

Ce nous est grande simplesse d’abandonner les enfans au gouuernement et à la charge de leurs peres, au lieu d’en commettre aux loix la discipline, tout en vn Estat despendant de leur education et nourriture? II, 606.

A vn enfant de maison, qui recherche les lettres, non pour le gaing ny tant pour les commoditez externes, que pour les sienes propres, et pour s’en enrichir et parer au dedans, ayant plustost enuie d’en reussir habil’homme, qu’homme sçauant, ie voudrois qu’on fust soigneux de luy choisir vn conducteur, qui eust plustot la teste bien faicte, que bien pleine: et qu’on y requist tous les deux, mais plus les mœurs et l’entendement que la science, I, 236.

A son eleue, il dira ce que c’est que scauoir et ignorer, qui doit estre le but de l’estude: que c’est que vaillance, temperance, et iustice: ce qu’il y a à dire entre l’ambition et l’auarice: la seruitude et la subiection, la licence et la liberté: à quelles marques on congnoit le vray et solide contentement: iusques où il faut craindre la mort, la douleur et la honte. Quels ressors nous meuuent, et le moyen de tant diuers branles en nous. Car il me semble que les premiers discours, dequoy on luy doit abreuuer l’entendement, ce doiuent estre ceux, qui reglent ses mœurs et son sens, qui luy apprendront à se cognoistre, et à sçauoir bien mourir et bien viure, I, 254.

Puis que la Philosophie est ce qui instruict à viure, et que l’enfance y a sa leçon, comme les autres aages, pourquoy ne la luy communique lon? On nous apprend à viure, quand la vie est passée. Cent escoliers ont pris la verolle auant que d’estre arriuez à leur leçon d’Aristote de la temperance, I, 262.

Vn enfant en est capable au partir de la nourrisse, beaucoup mieux que d’apprendre à lire ou escrire. La philosophie a des discours pour la naissance des hommes, comme pour la decrepitude, I, 262.

Les Perses apprenoient la vertu à leurs enfans, comme les autres nations font les lettres, I, 220.

On demandoit à Agesilaus ce qu’il seroit d’aduis, que les enfans apprinsent: Ce qu’ils doiuent faire estans hommes, respondit-il, I, 222.

C’est vne grande simplesse d’aprendre à nos enfans, la science des astres et le mouuement de la huictiesme sphere, auant que les leurs propres, I, 254.

On ne cesse de criailler à leurs oreilles comme qui verseroit dans vn antonnoir; et leur charge ce n’est que redire ce qu’on leur a dit. Ie voudrois que nostre gouuerneur corrigeast cette partie; et que de belle arriuee, selon la portee de l’ame, qu’il a en main, il commençast à la mettre sur la montre, luy faisant gouster les choses, les choisir, et discerner d’elle mesme. Quelquefois luy ouurant le chemin, quelquefois le luy laissant ouurir. Ie ne veux pas qu’il inuente, et parle seul: ie veux qu’il escoute son disciple parler à son tour. Socrates, et depuis Arcesilaus, faisoient premierement parler leurs disciples, et puis ils parloient à eux, I, 236.

Qu’il ne luy demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance. Et qu’il iuge du profit qu’il aura fait, non par le tesmoignage de sa memoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le luy face mettre en cent visages, et accommoder à autant de diuers subiects, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien faict sien, I, 238.

Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font apres le miel qui est tout leur; ce n’est plus thin, ny mariolaine. Ainsi les pieces empruntees d’autruy, il les transformera et confondra, pour en faire vn ouurage tout sien: à sçauoir son iugement, son institution, son trauail et estude ne vise qu’à le former, I, 240.

Pour nous apprendre à bien iuger, et à bien parler, il nous faut exercer à parler et à iuger. A cet apprentissage tout ce qui se presente à nos yeux, sert de liure suffisant: la malice d’vn page, la sottise d’vn valet, vn propos de table; le commerce des hommes y est merueilleusement propre, et la visite des pays estrangers, I, 242.

Ce n’est pas à dire que ce ne soit vne belle et bonne chose que le bien dire: mais non pas si bonne qu’on la faict, et suis despit dequoy nostre vie s’embesongne toute à cela. Ie voudrois premierement bien sçauoir ma langue, et celle de mes voisins, où i’ay plus ordinaire commerce. C’est vn bel et grand agencement sans doubte, que le Grec et Latin, mais on l’achepte trop cher, I, 280.

Qu’on le rende delicat aux chois et triage de ses raisons, et aymant la pertinence, et par consequent la briefueté. Qu’on l’instruise sur tout à se rendre, et à quitter les armes à la verité, tout aussi tost qu’il l’apperceura: soit qu’elle naisse és mains de son aduersaire, soit qu’elle naisse en luy-mesmes par quelque rauisement, I, 246.

Qu’on luy mette en fantasie vne honneste curiosité de s’enquerir de toutes choses: tout ce qu’il y aura de singulier autour de luy, il le verra, I, 248.

La sottise mesmes, et foiblesse d’autruy luy sera instruction: à contreroller les graces et façons d’vn chacun, il s’engendrera enuie des bonnes, et mespris des mauuaises, I, 248.

Qu’il luy face tout passer par l’estamine, et ne loge rien en sa teste par simple authorité, et à credit. Dans cette diuersité de iugemens, il choisira s’il peut: sinon il en demeurera en doubte, I, 238.

S’il embrasse les opinions de Xenophon et de Platon, par son propre discours, ce ne seront plus les leurs, ce seront les siennes. Qui suit vn autre, il ne suit rien: il ne trouue rien: voire il ne cerche rien, I, 238.

Nous nous laissons si fort aller sur les bras d’autruy, que nous aneantissons nos forces, I, 122.

La verité et la raison sont communes à vn chacun et ne sont plus à qui les a dites premierement, qu’à qui les dit apres. Qu’il oublie hardiment s’il veut, d’où il les tient, mais qu’il se les sache approprier, I, 238.

Qu’il cele tout ce dequoy il a esté secouru, et ne produise que ce qu’il en a faict. Nul ne met en compte publique sa recette: chacun y met son acquest, I, 240.

Il ne dira pas tant sa leçon, comme il la fera. Il la repetera en ses actions. On verra s’il y a de la prudence en ses entreprises: s’il y a de la bonté, de la iustice en ses deportements: s’il a du iugement et de la grace en son parler: de la vigueur en ses maladies: de la modestie en ses ieux: de la temperance en ses voluptez: de l’ordre en son œconomie: de l’indifference en son goust, I, 270.

Que sa conscience et sa vertu reluisent en son parler, et n’ayent que la raison pour conduite. Qu’on luy face entendre, que de confesser la faute qu’il descouurira en son propre discours, encore qu’elle ne soit apperceuë que par luy, c’est vn effet de iugement et de sincerité, qui sont les principales parties qu’il cherche. Que l’opiniatrer et contester, sont qualitez communes: plus apparentes aux plus basses ames. Que se r’aduiser et se corriger, abandonner vn mauuais party, sur le cours de son ardeur, ce sont qualitez rares, fortes et philosophiques, I, 246.

Si son gouuerneur tient de mon humeur, il luy formera la volonté à estre tres-loyal seruiteur de son Prince, et tres-affectionné, et tres-courageux: mais il luy refroidira l’enuie de s’attacher autrement que par vn deuoir publique, I, 246.

Que notre disciple soit bien pourueu de choses, les parolles ne suiuront que trop: il les trainera, si elles ne veulent suiure. I’en oy qui s’excusent de ne se pouuoir exprimer; et font contenance d’auoir la teste pleine de plusieurs belles choses, mais à faute d’eloquence, ne les pouuoir mettre en euidence: c’est vne baye. Sçauez vous à mon aduis que c’est que cela? ce sont des ombrages, qui leur viennent de quelques conceptions informes, qu’ils ne peuuent démesler et esclarcir au dedans, ny par consequent produire au dehors, I, 272.

Cette institution se doit conduire par vne seuere douceur, non comme il se fait. Au lieu de conuier les enfans aux lettres, on ne leur presente à la verité, qu’horreur et cruauté. Ostez moy la violence et la force; il n’est rien à mon aduis qui abatardisse et estourdisse si fort vne nature bien née. Si vous auez enuie qu’il craigne la honte et le chastiement, ne l’y endurcissez pas. Endurcissez le à la sueur et au froid, au vent, au soleil et aux hazards qu’il luy faut mespriser. Ostez luy toute mollesse et delicatesse au vestir et coucher, au manger et au boire: accoustumez le à tout: que ce ne soit pas vn beau garçon et dameret, mais vn garçon vert et vigoureux, I, 266.

I’accuse toute violence en l’education d’vne ame tendre, qu’on dresse pour l’honneur, et la liberté: et tiens que ce qui ne se peut faire par la raison, et par prudence, et addresse, ne se fait iamais par la force, II, 26.

Ie n’ay veu autre effect aux verges, sinon de rendre les ames plus lasches, ou plus malitieusement opiniastres, II, 26.

Il faut regler l’ame à son deuoir par raison, non par necessité et par le besoin, ny par rudesse et par force, II, 26.

Pour tout cecy, ie ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon, ie ne veux pas qu’on l’abandonne à la colere et humeur melancholique d’vn furieux maistre d’escole: ie ne veux pas corrompre son esprit, à le tenir à la gehenne et au trauail, quatorze ou quinze heures par iour, comme vn portefaiz. Ny ne trouueroye bon, quand par quelque complexion solitaire et melancholique, on le verroit adonné d’vne application trop indiscrette à l’estude des liures, qu’on la luy nourrist. Cela les rend ineptes à la conuersation ciuile, et les destourne de meilleures occupations. Et combien ay-ie veu de mon temps, d’hommes abestis, par temeraire auidité de science? I, 264.

A la verité nous voyons encores qu’il n’est rien si gentil que les petits enfans en France: mais ordinairement ils trompent l’esperance qu’on en a conceuë et hommes faicts, on n’y voit aucune excellence. I’ay ouy tenir à gens d’entendement, que ces colleges où on les enuoie, les abrutissent ainsin, I, 264.

Au nostre, vn cabinet, vn iardin, la table, et le lict, la solitude, la compagnie, le matin et le vespre, toutes heures luy seront vnes: toutes places luy seront estude: car la philosophie, qui, comme formatrice des iugements et des mœurs, sera sa principale leçon, a ce priuilege, de se mesler par tout, I, 264.

Ie retombe volontiers sur ce discours de l’ineptie de nostre institution. Elle a eu pour sa fin, de nous faire, non bons et sages, mais sçauans: elle y est arriuée. Elle ne nous a pas appris de suyure et embrasser la vertu et la prudence: mais elle nous en a imprimé la deriuation et l’etymologie. Nous sçauons decliner vertu, si nous ne sçauons l’aymer. Si nous ne sçauons que c’est que prudence par effect, et par experience, nous le sçauons par iargon et par cœur, II, 516.

Ceux qui, comme nostre vsage porte, entreprenent d’vne mesme leçon et pareille mesure de conduite, regenter plusieurs esprits de si diuerses mesures et formes: ce n’est pas merueille, si en tout vn peuple d’enfants, ils en rencontrent à peine deux ou trois, qui rapportent quelque iuste fruit de leur discipline, I, 236.

Il faut s’enquerir qui est mieux sçauant, non qui est plus sçauant. Nous ne trauaillons qu’à remplir la memoire, et laissons l’entendement et la conscience vuide, I, 208.

Que mon guide se souuienne où vise sa charge; et qu’il n’imprime pas tant à son disciple, la date de la ruine de Carthage, que les mœurs de Hannibal et de Scipion: ny tant où mourut Marcellus, que pourquoy il fut indigne de son deuoir, qu’il mourust là. Qu’il ne luy apprenne pas tant les histoires, qu’à en iuger, I, 248.

Les inclinations naturelles s’aident et fortifient par institution: mais elles ne se changent gueres et surmontent. Mille natures, de mon temps, ont eschappé vers la vertu, ou vers le vice, au trauers d’vne discipline contraire. On n’extirpe pas ses qualités originelles, on les couure, on les cache, III, 120.

Les ieux mesmes et les exercices seront vne bonne partie de l’estude: la course, la lucte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des cheuaux et des armes. Ie veux que la bien-seance exterieure, et l’entre-gent, et la disposition de la personne se façonne quant et quant l’ame. Ce n’est pas vne ame, ce n’est pas vn corps qu’on dresse, c’est vn homme, il n’en faut pas faire à deux. Et comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l’vn sans l’autre, mais les conduire également, comme vne couple de cheuaux attelez à mesme timon, I, 266.

Ce n’est pas assez que nostre institution ne nous gaste pas, il faut qu’elle nous change en mieux, I, 216.

Ce sont natures belles et fortes qui se maintiennent au trauers d’vne mauuaise institution, I, 216.

Vne bonne institution change le iugement et les mœurs, II, 516.

Il faut apprendre soigneusement aux enfants de haïr les vices de leur propre contexture, et leur en faut apprendre la naturelle difformité, à ce qu’ils les fuient non en leur action seulement, mais sur tout en leur cœur: que la pensee mesme leur en soit odieuse, quelque masque qu’ils portent, I, 158.

Le corps est encore souple, on le doit à cette cause plier à toutes façons et coustumes: et pourueu qu’on puisse tenir l’appetit et la volonté soubs boucle, qu’on rende hardiment vn ieune homme commode à toutes nations et compagnies, voire au desreglement et aux excés, si besoing est. Son exercitation suiue l’vsage. Qu’il puisse faire toutes choses, et n’ayme à faire que les bonnes, I, 268.

Il n’est rien qu’on doiue tant recommander à la ieunesse, que l’actiueté et la vigilance. Nostre vie n’est que mouuement, III, 660.

Qui par souhait ne trouue plus plaisant et plus doux, reuenir poudreux et victorieux d’un combat, que de la paulme ou du bal, auec le prix de cet exercice: ie n’y trouue autre remede, sinon qu’on le mette patissier: fust il fils d’vn Duc, I, 260.

Vn ieune homme, doit troubler ses regles, pour esueiller sa vigueur; la garder de moisir et de s’apoltronir. Et n’est train de vie, si sot et si debile, que celuy qui se conduict par ordonnance et discipline. Il se reiettera souuent aux excez mesme, s’il m’en croit: autrement, la moindre desbauche le ruyne. Il se rend incommode et des-aggreable en conuersation. La plus contraire qualité à vn honneste homme, c’est la delicatesse et obligation à certaine façon particuliere. Et elle est particuliere, si elle n’est ployable, et soupple. Il y a de la honte, de laisser à faire par impuissance, ou de n’oser, ce qu’on voit faire à ses compaignons. Par tout ailleurs, il est indecent: mais il est vitieux et insupportable à vn homme de guerre, lequel se doit accoustumer à toute diuersité, et inegalité de vie, III, 636.

Voicy mes leçons: Celuy-là y a mieux proffité, qui les fait, que qui les sçait. Si vous le voyez, vous l’oyez: si vous l’oyez, vous le voyez, I, 270.

Le guain de nostre estude, c’est en estre deuenu meilleur et plus sage, I, 240.

ÉLOQUENCE.

En la vertu parliere, ie ne trouue pas grand choix, entre ne sçauoir dire que mal, ou ne sçauoir rien que bien dire, I, 434.

Vn rhetoricien du temps passé, disoit que son mestier estoit, de choses petites les faire paroistre et trouuer grandes. C’est vn cordonnier qui sçait faire de grands souliers à vn petit pied, I, 558.

Au don d’éloquence, nous voyons que les vns ont la facilité et la promptitude, et ce qu’on dit, le boutehors si aisé, qu’à chasque bout de champ ils sont prests: les autres plus tardifs ne parlent iamais rien qu’elabouré et premedité. En ces deux diuers aduantages, le tardif seroit mieux Prescheur, ce me semble, et l’autre mieux Aduocat, I, 68.

La part de l’Aduocat est plus difficile que celle du Prescheur: et nous trouuons pourtant ce m’est aduis plus de passables Aduocats que Prescheurs, au moins en France. Il semble que ce soit plus le propre de l’esprit, d’auoir son operation prompte et soudaine, et plus le propre du iugement, de l’auoir lente et posée, I, 70.

Fy de l’eloquence qui nous laisse enuie de soy, non des choses, I, 436.

C’est vn vtil inuenté pour manier et agiter vne tourbe, et vne commune desreglée: et est vtil qui ne s’employe qu’aux Estats malades, comme la medecine, I, 558.

En ceux où le vulgaire, où les ignorans, où tous ont tout peu, comme celuy d’Athenes, de Rhodes, et de Rome, et où les choses ont esté en perpetuelle tempeste, là ont afflué les orateurs, I, 560.

Les republiques qui se sont maintenuës en vn estat reglé et bien policé, elles n’ont pas faict grand compte d’orateurs. Ariston definit sagement la rhetorique, science à persuader le peuple: Socrates, Platon, art de tromper et de flatter. Et ceux qui le nient en la generale description le verifient par tout, en leurs preceptes: ils font estat de tromper nostre iugement, et d’abastardir et corrompre l’essence des choses, I, 558.

L’eloquence a fleury le plus à Rome lors que les affaires ont esté en plus mauuais estat, et que l’orage des guerres ciuiles les agitoit; comme vn champ libre et indompté porte les herbes plus gaillardes. Il semble par là que les polices, qui dépendent d’vn Monarque, en ont moins de besoin que les autres: car la bestise et facilité, qui se trouue en la commune, et qui la rend subiecte à estre maniée et contournée par les oreilles, au doux son de cette harmonie, sans venir à poiser et connoistre la verité des choses par la force de raison; cette facilité, dis-ie, ne se trouue pas si aisément en vn seul, et est plus aisé de le garentir par bonne institution et bon conseil, de l’impression de cette poison, I, 560.

ENFANTS.

Vne vraye affection et bien reglée pour nos enfants deuroit naistre, et s’augmenter auec la cognoissance qu’ils nous donnent d’eux, II, 22.

Ie n’ay iamais estimé qu’estre sans enfans, fust vn defaut qui deust rendre la vie moins complete, et moins contente. La vacation sterile, a bien aussi ses commoditez. Les enfans sont du nombre des choses, qui n’ont pas fort dequoy estre desirées. Et si ont iustement dequoy estre regrettées, à qui les perd, apres les auoir acquises, III, 478.

Il faut colloquer les enfans, non selon les facultez de leur pere, mais selon les facultez de leur ame, I, 262.

ESCRIME (DUEL).

L’escrime est vn art vtile à sa fin, duquel la cognoissance a grossi le cœur à aucuns, outre leur mesure naturelle. Mais ce n’est pas proprement vertu, puis qu’elle tire son appuy de l’addresse, et qu’elle prend autre fondement que de soy-mesme. En mon enfance, la noblesse fuyoit la reputation de bon escrimeur comme iniurieuse: et se desroboit pour l’apprendre, comme mestier de subtilité, desrogeant à la vraye et naïfue vertu. Cet exercice, est d’autant moins noble, qu’il ne regarde qu’vne fin priuée: qui nous apprend à nous entreruyner, contre les loix et la iustice: et qui en toute façon, produict tousiours des effects dommageables, II, 576.

ESPÉRANCE.

Toutes choses sont esperables à vn homme pendant qu’il vit, I, 636.

O la courageuse faculté que l’esperance: qui en vn subiect mortel, et en vn moment, va vsurpant l’infinité, l’immensité, et remplissant l’indigence de son maistre, de la possession de toutes les choses qu’il peut imaginer et desirer, autant qu’elle veut! Nature nous a là donné vn plaisant iouët, I, 514.

ESPRIT.

C’est vn grand ouurier de miracles que l’esprit humain, II, 362.

Il est malaisé de lui donner bornes: il est curieux et auide, et n’a point occasion de s’arrester plus tost à mille pas qu’à cinquante, II, 338.

Sur ce mesme fondement qu’auoit Heraclitus, et cette sienne sentence, Que toutes choses auoyent en elles les visages qu’on y trouuoit, Democritus en tiroit vne toute contraire conclusion: c’est que les subiects n’auoient du tout rien de ce que nous y trouuions: et de ce que le miel estoit doux à l’vn, et amer à l’autre, il argumentoit, qu’il n’estoit ny doux, ny amer, II, 388.

C’est vne espineuse entreprinse, et plus qu’il ne semble, de suyure vne alleure si vagabonde, que celle de nostre esprit: de penetrer les profondeurs opaques de ses replis internes: de choisir et arrester tant de menus airs de ses agitations, I, 678.

Ce que ma force ne peut descouurir, ie ne laisse pas de le sonder et essayer: et en retastant et pestrissant cette nouuelle matiere, la remuant et l’eschauffant, i’ouure à celuy qui me suit, quelque facilité pour en iouyr plus à son ayse, et la luy rends plus soupple, et plus maniable. Autant en fera le second au tiers: qui est cause que la difficulté ne me doit pas desesperer; ny aussi peu mon impuissance, car ce n’est que la mienne. L’homme est capable de toutes choses, comme d’aucunes, II, 338.

Les hommes mescognoissent cette maladie naturelle de leur esprit. Il ne faict que fureter et quester; et va sans cesse, tournoyant, bastissant, et s’empestrant, en sa besogne: comme nos vers à soye, et s’y estouffe. Ce n’est rien que foiblesse particuliere, qui nous faict contenter de ce que d’autres, ou que nous mesmes auons trouué en cette chasse de cognoissance: vn plus habile ne s’en contentera pas. Il y a tousiours place pour vn suiuant, ouy et pour nous mesmes, et route par ailleurs. Il n’y a point de fin en nos inquisitions. Nostre fin est en l’autre monde, III, 606.

C’est vn outrageux glaiue à son possesseur mesme, que l’esprit, à qui ne sçait s’en armer ordonnément et discrettement. Et n’y a point de beste, à qui il faille plus iustement donner des orbieres, pour tenir sa veuë subjecte, et contrainte deuant ses pas; et la garder d’extrauaguer ny çà ny là, hors les ornieres que l’vsage et les loix luy tracent, II, 334.

C’est un vtil vagabond, dangereux et temeraire: il est malaisé d’y ioindre l’ordre et la mesure: il s’empesche soy mesmes, II, 334.

Nous ne sommes ingenieux qu’à nous mal mener: c’est le vray gibbier de la force de nostre esprit: dangereux vtil en desreglement, III, 254.

Ie hay vn esprit hargneux et triste, qui glisse par dessus les plaisirs de sa vie, et s’empoigne et paist aux malheurs, III, 186.

Les esprits, voire pareils en force, ne sont pas tousiours pareils en application et en goust, III, 376.

ESSAIS.

Si ces Essays estoient dignes, qu’on en iugeast, il en pourroit aduenir à mon aduis, qu’ils ne plairoient guere aux esprits communs et vulgaires, ny guere aux singuliers et excellens: ceux-là n’y entendroient pas assez, ceux-cy y entendroient trop: ils pourroient viuoter en la moyenne region, I, 572.

Et quand personne ne me lira, ay-ie perdu mon temps, de m’estre entretenu tant d’heures oisiues, à pensements si vtiles et aggreables? II, 524.

Combien de fois m’a cette besongne diuerty de cogitations ennuieuses? Et doiuent estre comptées pour ennuyeuses toutes les friuoles, II, 524.

Il n’est subiect si vain, qui ne merite vn rang en cette rapsodie, I, 84.

Ie parle de tout, et de rien par maniere d’aduis. Ie ne serois pas si hardy à parler, s’il m’appartenoit d’en estre creu, III, 540.

Ie discours selon moy, non ce que ie croy selon Dieu, d’vne façon laïque, non clericale: mais tousiours tres-religieuse. Comme les enfants proposent leurs essays, instruisables, non instruisants, I, 590.

Ie sçay bien que fort peu de gens rechigneront à la licence de mes escrits, qui n’ayent plus à rechigner à la licence de leur pensee. Ie me conforme bien à leur courage: mais i’offence leurs yeux, III, 186.

ÉTAT (GOUVERNEMENT).

Toute domination populaire me semble la plus naturelle et équitable, I, 38.

A l’aduis d’Anacharsis le plus heureux estat d’vne police, seroit où toutes autres choses estants esgales, la precedence se mesureroit à la vertu, et le rebut au vice, I, 494.

Non par opinion, mais en verité, l’excellente et meilleure police, est à chacune nation, celle soubs laquelle elle s’est maintenuë. Sa forme et commodité essentielle depend de l’vsage. Nous nous desplaisons volontiers de la condition presente. Mais ie tiens pourtant, que d’aller desirant le commandement de peu, en vn estat populaire: ou en la monarchie, vne autre espece de gouuernement, c’est vice et folie, III, 398.

Les maladies et conditions de nos corps, se voyent aussi aux estats et polices: les royaumes, les republiques naissent, fleurissent et fanissent de vieillesse, comme nous, II, 554.

Nostre police se porte mal. Il en a esté pourtant de plus malades, sans mourir, III, 404.

Il est bien aysé d’accuser d’imperfection vne police: car toutes choses mortelles en sont pleines: il est bien aysé d’engendrer à vn peuple le mespris de ses anciennes obseruances: iamais homme n’entreprint cela, qui n’en vinst à bout: mais d’y restablir vn meilleur estat en la place de celuy qu’on a ruiné, à cecy plusieurs se sont morfondus, de ceux qui l’auoient entreprins, II, 508.

Rien ne presse vn estat que l’innouation: le changement donne seul forme à l’iniustice, et à la tyrannie. Quand quelque piece se démanche, on peut l’estayer: on peut s’opposer à ce que l’alteration et corruption naturelle à toutes choses, ne nous esloigne trop de nos commencemens et principes. Mais d’entreprendre à refondre vne si grande masse, et à changer les fondements d’vn si grand bastiment, c’est à faire à ceux qui pour descrasser effacent: qui veulent amender les deffauts particuliers, par vne confusion vniuerselle, et guarir les maladies par la mort, III, 400.

Au reste, ie me suis ordonné d’oser dire tout ce que i’ose faire: et me deplaist des pensees mesmes impubliables, III, 186.

Ceux qui donnent le branle à vn Estat, sont volontiers les premiers absorbez en sa ruine. Le fruict du trouble ne demeure guere à celuy qui l’a esmeu; il bat et brouille l’eaue d’autres pescheurs, I, 178.

Tout ce qui branle ne tombe pas. La contexture d’vn si grand corps tient à plus d’vn clou. Il tient mesme par son antiquité: comme les vieux bastimens, ausquels l’aage a desrobé le pied, sans crouste et sans cyment, qui pourtant viuent et soustiennent en leur propre poix, III, 404.

Heureux peuple, qui fait ce qu’on commande, mieux que ceux qui commandent, sans se tourmenter des causes, II, 508.

Le monde est inepte à se guarir. Il est si impatient de ce qui le presse, qu’il ne vise qu’à s’en deffaire, sans regarder à quel prix. Il se guarit ordinairement à ses despens: la descharge du mal present, n’est pas guarison, s’il n’y a en general amendement de condition, III, 400.

Quiconque propose seulement d’emporter ce qui le masche, il demeure court: car le bien ne succede pas necessairement au mal: vn autre mal luy peut succeder; et pire, III, 400.

Qui se doit desesperer de sa condition, voyant les secousses et mouuemens dequoy l’estat de Rome fut agité, et qu’il supporta? III, 404.

La foiblesse de nostre condition, nous pousse souuent à cette necessité, de nous seruir de mauuais moyens pour vne bonne fin, II, 556.

Epaminondas ne pensoit pas qu’il fust loisible pour recouurer mesmes la liberté de son pays, de tuer vn homme sans cognoissance de cause, III, 20.

Nous sommes subiects à vne repletion d’humeurs soit de bonnes, soit de mauuaises, qui est l’ordinaire cause des maladies. De semblable repletion se voyent les estats souuent malades: et a lon accoustumé d’vser de diuerses sortes de purgation: tantost on donne congé à vne grande multitude de familles, pour en descharger le païs, lesquelles vont chercher ailleurs où s’accommoder aux despens d’autruy, tantost on se rejette en la guerre estrangere, II, 554.

Vne guerre estrangere est vn mal bien plus doux que la ciuile: mais ie ne croy pas que Dieu fauorisast vne si iniuste entreprise, d’offencer et quereler autruy pour nostre commodité, II, 556.

ÉTAT MILITAIRE (PROFESSION).

Il n’est occupation plaisante comme la militaire: occupation et noble en execution (car la plus forte, genereuse, et superbe de toutes les vertus, est la vaillance) et noble en sa cause. Il n’est point d’vtilité, ny plus iuste, ny plus vniuerselle, que la protection du repos, et grandeur de son pays. La compagnie de tant d’hommes vous plaist, nobles, ieunes, actifs: la veuë ordinaire de tant de spectacles tragiques: la liberté de cette conuersation, sans art, et vne façon de vie, masle et sans ceremonie; la varieté de mille actions diuerses: cette courageuse harmonie de la musique guerriere, qui vous entretient et eschauffe, et les oreilles et l’ame: l’honneur de cet exercice: son aspreté mesme et sa difficulté, III, 662.

La mort est plus abiecte, plus languissante, et penible dans vn lict, qu’en vn combat: les fiebures et les caterrhes, autant douloureux et mortels, qu’vne harquebuzade, III, 664.

EXPÉRIENCE.

Il n’est desir plus naturel que le desir de cognoissance. Nous essayons tous les moyens qui nous y peuuent mener. Quand la raison nous faut, nous y employons l’experience qui est vn moyen de beaucoup plus foible et plus vil, III, 598.

Comme nul euenement et nulle forme, ressemble entierement à vne autre, aussi ne differe l’vne de l’autre entierement. Ingenieux meslange de Nature. Si nos faces n’estoient semblables, on ne sçauroit discerner l’homme de la beste: si elles n’estoient dissemblables, on ne sçauroit discerner l’homme de l’homme. Toutes choses se tiennent par quelque similitude. Tout exemple cloche. Et la relation qui se tire de l’experience, est tousiours defaillante et imparfaicte. On ioinct toutesfois les comparaisons par quelque bout, III, 608.

Mais la consequence que nous voulons tirer de la conference des euenements, est mal seure, d’autant qu’ils sont tousiours dissemblables. Il n’est aucune qualité si vniuerselle, en cette image des choses, que la diuersité et varieté, III, 600.

Quel que soit doncq le fruict que nous pouuons auoir de l’experience, à peine seruira beaucoup à nostre institution, celle que nous tirons des exemples estrangers, si nous faisons si mal nostre profit, de celle, que nous auons de nous mesme, qui nous est plus familiere: et certes suffisante à nous instruire de ce qu’il nous faut, III, 644.

FATALITÉ.

Parmy noz autres disputes, celle du fatum, s’y est meslée: et pour attacher les choses aduenir et nostre volonté mesme, à certaine et ineuitable necessité, on est encore sur cet argument, du temps passé: Puis que Dieu preuoit toutes choses deuoir ainsin aduenir, comme il fait, sans doubte: il faut donc qu’elles aduiennent ainsin. A quoy noz maistres respondent, que le voir que quelque chose aduienne, comme nous faisons, et Dieu de mesmes (car tout luy estant present, il voit plustost qu’il ne preuoit) ce n’est pas la forcer d’aduenir: voire nous voyons, à cause que les choses aduiennent, et les choses n’aduiennent pas, à cause que nous voyons. L’aduenement fait la science, non la science l’aduenement. Ce que nous voyons aduenir, aduient: mais il pouuoit autrement aduenir: et Dieu, au registre des causes des aduenements qu’il a en sa prescience, y a aussi celles qu’on appelle fortuites, et les volontaires, qui despendent de la liberté qu’il a donné à nostre arbitrage, et sçait que nous faudrons, par ce que nous auons voulu faillir, II, 598.

FEMME (AMOUR, MARIAGE, MÉNAGE).

C’est vn doux commerce, que celuy des belles et honnestes femmes: mais c’est commerce où il se faut tenir vn peu sur ses gardes: et notamment ceux en qui le corps peut beaucoup. C’est folie d’y attacher toutes ses pensees, et s’y engager d’vne affection furieuse et indiscrete, III, 148.

C’est vne desplaisante coustume, et iniurieuse aux dames, d’auoir à prester leurs leures, à quiconque a trois valets à sa suitte, pour mal plaisant qu’il soit. Et nous mesme n’y gaignons guere: car comme le monde se voit party, pour trois belles, il nous en faut baiser cinquante laides. Et à vn estomach tendre, vn mauuais baiser en surpaie vn bon, III, 258.

Cette loy qui leur commande de nous abominer, par ce que nous les adorons, et nous hayr de ce que nous les aymons, est cruelle, ne fust que de sa difficulté, III, 220.

Qu’elles se dispensent vn peu de la ceremonie, qu’elles entrent en liberté de discours sur l’amour, nous ne sommes qu’enfans au prix d’elles, en cette science. Oyez leur representer nos poursuittes et nos entretiens: elles vous font bien cognoistre que nous ne leur apportons rien, qu’elles n’ayent sçeu et digeré sans nous: il n’est ny parole, ny exemple, ny démarche qu’elles ne sçachent mieux que nos liures. C’est vne discipline qui naist dans leurs veines, que ces bons maistres d’escole, nature, ieunesse, et santé, leur soufflent continuellement dans l’ame. Elles n’ont que faire de l’apprendre, elles l’engendrent, III, 208.

Celle qui est eschappee bagues sauues, d’vn escolage libre, apporte bien plus de fiance de soy, que celle qui sort saine, d’vne escole seuere et prisonniere, III, 262.

A vne femme desraisonnable, il ne couste non plus de passer par dessus vne autre. Elles s’ayment le mieux où elles ont plus de tort. L’iniustice les alleche: comme les bonnes, l’honneur de leurs actions vertueuses, II, 42.

I’en ay veu, qui desrobboit gros à son mary, pour, disoit-elle à son confesseur, faire ses aulmosnes plus grasses. Fiez vous à cette religieuse dispensation, II, 36.

Il n’y a aucune d’elles, pour malotrüe qu’elle soit, qui ne pense estre bien aymable, et ne se recommande par son aage, ou par son poil, ou par son mouuement (car de laides vniuersellement, il n’en est non plus que de belles), III, 150.

Elles n’ont pas tort du tout, quand elles refusent les regles de vie, qui sont introduites au monde: d’autant que ce sont les hommes qui les ont faictes sans elles, III, 204.

Nos peres dressoient la contenance de leurs filles à la honte et à la crainte (les courages et les desirs tousiours pareils), nous à l’asseurance: nous n’y entendons rien, III, 262.

Vne femme estoit alors estimée assez sçauante, quand elle sçauoit mettre difference entre la chemise et le pourpoint de son mary, I, 216.

Les anciens Gaulois estimoient à extrême reproche d’auoir eu accointance de femme, auant l’aage de vingt ans: d’autant que les courages s’amollissent et diuertissent par l’accouplage des femmes, II, 28.

Ce n’est pas tant pudeur, qu’art et prudence, qui rend nos dames si circonspectes, à nous refuser l’entrée de leurs cabinets, auant qu’elles soyent peintes et parées pour la montre publique, II, 196.

Elles couurent leur sein d’vn reseul, les prestres plusieurs choses sacrees, les peintres ombragent leur ouurage, pour luy donner plus de lustre. Il y a certaines autres choses qu’on cache pour les montrer, III, 254.

Les femmes ont tort de nous recueillir de ces contenances mineuses, querelleuses et fuyardes, qui nous esteignent en nous allumant. La femme qui couche auec vn homme, doit auec sa cotte laisser quant et quant la honte, et la reprendre auec sa cotte, I, 140.

Selon la loy que Nature leur donne, ce n’est pas proprement à elles de vouloir et desirer: leur rolle est souffrir, obeyr, consentir. Nature leur a donné vne perpetuelle capacité; à nous, rare et incertaine. Elles ont tousiours leur heure, afin qu’elles soyent tousiours prestes à la nostre, III, 264.

Ie loue la gradation et la longueur, en la dispensation de leurs faueurs: en toute espece d’amour, la facilité et promptitude est interdicte aux tenants, III, 264.

Se conduisant en leur dispensation, ordonnement et mesurement, elles pipent bien mieux nostre desir, et cachent le leur. Qu’elles fuyent tousiours deuant nous, ie dis celles mesmes qui ont à se laisser attraper: elles nous battent mieux en fuyant, comme les Scythes, III, 264.

Ce que nous craignons le moins chez la femme, est à l’auanture le plus à craindre. Leurs pechez muets sont les pires, III, 228.

Tout beau et honneste que vous estes, quand vous aurez failly vostre pointe, n’en concluez pas incontinent vne chasteté inuiolable en vostre maistresse: ce n’est pas à dire que le muletier n’y trouue son heure, I, 604.

Vne femme se peut rendre à tel personnage, que nullement elle ne voudroit auoir espousé: ie ne dy pas pour les conditions de la fortune, mais pour celles mesmes de la personne, III, 202.

C’est vn vilain desreglement, qui les pousse si souuent au change, et les empesche de fermir leur affection en quelque subiect que ce soit: mais si est-il vray, que c’est contre la nature de l’amour, s’il n’est violant, et contre la nature de la violance, s’il est constant, III, 264.

Ie ne conseille aux Dames, d’appeler honneur, leur deuoir. Leur deuoir est le marc: leur honneur n’est que l’escorce. Et ne leur conseille de nous donner cette excuse en payement de leur refus: l’offence et enuers Dieu, et en la conscience, seroit aussi grande de le desirer que de l’effectuer. Toute personne d’honneur choisit de perdre plus tost son honneur, que de perdre sa conscience, II, 464.

Il est tousiours procliue aux femmes de disconuenir à leurs maris. Elles saisissent à deux mains toutes couuertures de leur contraster: la premiere excuse leur sert de pleniere iustification, II, 36.

Ceux qui ont à negocier auec des femmes testues, peuuent auoir essayé à quelle rage on les iette, quand on oppose à leur agitation, le silence et la froideur, et qu’on desdaigne de nourrir leur courroux. Elles ne se courroucent, qu’affin qu’on se contre-courrouce, à l’imitation des loix de l’amour, II, 614.

Nul maniement leur semble auoir assez de dignité, s’il vient de la concession du mary. Il faut qu’elles l’vsurpent ou finement ou fierement, et tousiours iniurieusement, pour luy donner de la grace et de l’authorité, II, 36.

Il faut laisser bonne partie de leur conduite, à leur propre discretion: car ainsi comme ainsi n’y a il discipline qui les sçeut brider de toutes parts, II, 262.

En nostre siecle, elles reseruent plus communément, à estaller leurs bons offices, enuers leurs maris perdus: Tardif tesmoignage, et hors de saison. Elles preuuent plustost par là, qu’elles ne les ayment que morts. La vie est pleine de combustion, le trespas d’amour, et de courtoisie. Elles ont beau s’escheueler et s’esgratigner. Leur rechigner est odieux aux viuans, et vain aux morts. Nous dispenserons volontiers qu’on rie apres, pourueu qu’on nous rie pendant la vie. Est-ce pas de quoy resusciter de despit: qui m’aura craché au nez pendant que i’estoy, me vienne frotter les pieds, quand ie ne suis plus? S’il y a quelque honneur à pleurer les maris, il n’appartient qu’à celles qui leur ont ry: celles qui ont pleuré en la vie, qu’elles rient en la mort, au dehors comme au dedans. Aussi, ne regardez pas à ces yeux moites, et à cette piteuse voix: regardez ce port, ce teinct, et l’embonpoinct de ces iouës, soubs ces grands voiles: c’est par là qu’elle parle François. Il en est peu, de qui la santé n’aille en amendant, qualité qui ne sçait pas mentir. Cette ceremonieuse contenance ne regarde pas tant derriere soy, que deuant; c’est acquest, plus que payement, II, 662.

La plus part de leurs deuils sont artificiels et ceremonieux. On y procede mal, quand on s’oppose à cette passion: car l’opposition les pique et les engage plus auant à la tristesse. On exaspere le mal par la ialousie du debat, III, 158.

Nous sommes quasi par tout iniques iuges de leurs actions, comme elles sont des nostres, III, 264.

Il n’est passion plus pressante, que cette cy, à laquelle nous voulons qu’elles resistent seules: non simplement, comme à vn vice de sa mesure: mais comme à l’abomination plus qu’à l’irreligion et au parricide: et nous nous y rendons cependant sans coulpe et reproche, III, 206.

On les leurre en somme, et acharne, par tous moyens. Nous eschauffons et incitons leur imagination sans cesse, et puis nous crions au ventre, III, 216.

Nous les traictons inconsiderément en cecy, apres que nous auons cogneu, qu’elles sont sans comparaison plus capables et ardentes aux effects de l’amour que nous, III, 204.

De la trahison commune et ordinaire des hommes d’auiourd’huy, il aduient, ce que nous montre l’experience: c’est qu’elles se r’allient et reiettent à elles mesmes, ou entre elles, pour nous fuyr: ou bien qu’elles se rengent aussi de leur costé, à cet exemple que nous leur donnons: qu’elles iouent leur part de la farce, et se prestent à cette negociation, sans passion, sans soing et sans amour, III, 150.

Il en est, qui ayment mieux prester cela, que leur coche: et qui ne se communiquent, que par là, III, 260.

Les masles et femelles, sont iettez en mesme moule, sauf l’institution et l’vsage, la difference n’y est pas grande. Il n’y a pas de distinction entre leur vertu et la nostre. Il est bien plus aisé d’accuser l’vn sexe, que d’excuser l’autre, III, 286.

FERMETÉ (COURAGE).

La loy de la resolution et de la constance ne porte pas que nous ne nous deuions couurir, autant qu’il est en nostre puissance, des maux et inconueniens qui nous menassent, ny par consequent d’auoir peur qu’ils nous surpreignent. Au rebours, tous moyens honnestes de se garentir des maux, sont non seulement permis, mais louables. Et le ieu de la constance se iouë principalement à porter de pied ferme, les inconueniens où il n’y a point de remede, I, 78.

FESTIN.

En vn festin il ne faut pas tant regarder ce qu’on mange, qu’auec qui on mange. Il n’est point de si doux apprest, ny de sauce si appetissante, que celle qui se tire de la societé, III, 676.

Varro demande cecy au conuiue: l’assemblée de personnes belles de presence, et aggreables de conuersation, qui ne soyent ny muets ny bauards: netteté et delicatesse aux viures, et au lieu: et le temps serein, III, 684.

FLATTERIE.

C’est vn plaisir fade et nuisible, d’auoir affaire à gens qui nous admirent et facent place, III, 338.

FOLIE.

On a raison d’appeller folie tout eslancement, tant loüable soit-il, qui surpasse nostre propre iugement et discours. D’autant que la sagesse est vn maniment reglé de nostre ame, et qu’elle conduit auec mesure et proportion, et s’en respond, I, 628.

Qui ne sçait combien est imperceptible le voisinage d’entre la folie auec les gaillardes eleuations d’vn esprit libre; et les effects d’vne vertu supreme et extraordinaire, II, 210.

Dequoy se fait la plus subtile folie que de la plus subtile sagesse? Comme des grandes amitiez naissent des grandes inimitiez, des santez vigoreuses les mortelles maladies: ainsi des rares et vifues agitations de noz ames, les plus excellentes manies, et plus detraquées: il n’y a qu’vn demy tour de cheuille à passer de l’vn à l’autre, II, 210.

I’ay quelque opinion de l’enuers de cette sentence, que qui aura esté vne fois bien fol, ne sera nulle autre fois bien sage, III, 290.

FORTUNE.

La fortune ne nous fait ny bien ny mal: elle nous en offre seulement la matiere et la semence laquelle nostre ame, plus puissante qu’elle, tourne et applique comme il luy plaist: seule cause et maistresse de sa condition heureuse ou malheureuse, I, 474.

Il est malaisé és actions humaines, de donner regle si iuste par discours de raison, que la Fortune n’y maintienne son droict, I, 656.

Et de vray en toutes republiques on a tousiours laissé bonne part d’auctorité au sort, I, 76.

Les biens de la fortune tous tels qu’ils sont, encores faut il auoir le sentiment propre à les sauourer. C’est le iouïr, non le posseder, qui nous rend heureux, I, 486.

L’inconstance du bransle diuers de la fortune, fait qu’elle nous doiue presenter toute espece de visages, I, 384.

On s’apperçoit ordinairement aux actions du monde, que la fortune, pour nous apprendre, combien elle peut en toutes choses: et qui prent plaisir à rabattre nostre presomption: n’ayant peu faire les mal-habiles sages, elle les fait heureux: à l’enuy de la vertu. Et se mesle volontiers à fauoriser les executions, où la trame est plus purement sienne, III, 358.

Il semble que la fortune quelquefois guette à point nommé le dernier iour de nostre vie, pour montrer sa puissance, de renuerser en vn moment ce qu’elle auoit basty en longues années, I, 104.

C’est iniure et deffaueur de Fortune, de nous offrir des presents, qui nous remplissent d’vn iuste despit de nous auoir failly en leur saison, III, 498.

Plus nous amplifions nostre besoing et possession, d’autant plus nous engageons nous aux coups de la Fortune, et des aduersitez, III, 498.

L’heur et le mal’heur sont à mon gré deux souueraines puissances. C’est imprudence, d’estimer que l’humaine prudence puisse remplir le rolle de la fortune. Et vaine est l’entreprise de celuy, qui presume d’embrasser et causes et consequences, et mener par la main, le progrez de son faict, III, 356.

C’est chose vaine et friuole que l’humaine prudence: et au trauers de tous nos proiects, de nos conseils et precautions, la fortune maintient tousiours la possession des euenements, I, 190.

Les euenemens et issuës dependent, notamment en la guerre, pour la plus part, de la fortune: laquelle ne se veut pas renger et assuiettir à nostre discours et prudence. Mais à le bien prendre, nos conseils et deliberations en despendent bien autant; et la fortune engage en son trouble et incertitude, aussi nos discours, I, 528.

I’ay veu de mon temps mill’ hommes soupples, mestis, ambigus, et que nul ne doubtoit plus prudens mondains que moy, se perdre où ie me suis sauué, II, 454.

Qu’on regarde qui sont les plus puissans aux villes, et qui font mieux leurs besongnes: on trouuera ordinairement, que ce sont les moins habiles. Il est aduenu aux femmelettes, aux enfans, et aux insensez, de commander de grands estats, à l’esgal des plus suffisans Princes. Et y rencontrent, plus ordinairement les grossiers que les subtils. Nous attribuons les effects de leur bonne fortune à leur prudence, III, 356.

Ie suis homme, qui me commets volontiers à la Fortune, et me laisse aller à corps perdu, entre ses bras. Dequoy iusques à cette heure i’ay eu plus d’occasion de me louër, que de me plaindre. Et l’ay trouuée et plus auisée, et plus amie de mes affaires, que ie ne suis. Il y a quelques actions en ma vie, desquelles on peut iustement nommer la conduite difficile; ou, qui voudra, prudente. De celles-là posez, que la tierce partie soit du mien, certes les deux tierces sont richement à elle. Nous faillons, ce me semble, en ce que nous ne nous fions pas assez au ciel de nous. Et pretendons plus de nostre conduite, qu’il ne nous appartient. Pourtant fouruoyent si souuent nos desseins. Il est enuieux de l’estenduë, que nous attribuons aux droicts de l’humaine prudence, au preiudice des siens. Et nous les racourcit d’autant plus, que nous les amplifions, III, 594.

Ie trouue l’effort bien difficile à la souffrance des maux, mais au contentement d’vne mediocre mesure de fortune, et fuite de la grandeur, i’y trouue fort peu d’affaire, III, 322.

FOULE.

La contagion est tres-dangereuse en la presse, I, 410.

Il y a infinis exemples de conclusions populaires, qui semblent plus aspres, d’autant que l’effect en est plus vniuersel. Elles le sont moins que separées. Ce que le discours ne seroit en chacun, il le fait en tous: l’ardeur de la societé rauissant les particuliers iugements, I, 648.

Il n’est rien moins esperable de ce monstre ainsin agité, que l’humanité et la douceur, il receura bien plustost la reuerance et la crainte, I, 198.

FRANÇAIS.

I’ay honte de voir nos hommes, enyurez de cette sotte humeur, de s’effaroucher des formes contraires aux leurs. Il leur semble estre hors de leur element, quand ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, et abominent les estrangeres. Pourquoy non barbares, puis qu’elles ne sont Françoises? La pluspart ne prennent l’aller que pour le venir. Ils voyagent couuerts et resserrez, d’vne prudence taciturne et incommunicable, se defendans de la contagion, d’vn air incogneu, III, 454.

FUNÉRAILLES.

S’il estoit besoin d’en ordonner, ie seroy d’aduis, quant aux funerailles, comme en toutes actions de la vie, que chascun en rapportast la regle, au degré de sa fortune, de ne les faire ny superflues ny mechaniques; et lairrois purement la coustume ordonner de cette ceremonie, et m’en remettray à la discretion des premiers à qui ie tomberay en charge, I, 36.

GENS DE LETTRES.

Ie ne sçay comment il aduient, et il aduient sans doubte, qu’il se trouue autant de vanité et de foiblesse d’entendement, en ceux qui font profession d’auoir plus de suffisance, qui se meslent de vacations lettrées, et de charges qui despendent des liures, qu’en nulle autre sorte de gens, II, 514.

GLOIRE (RÉPUTATION).

De toutes les resueries du monde, la plus receuë et plus vniuerselle, est le soing de la reputation et de la gloire, que nous espousons iusques à quitter les richesses, le repos, la vie et la santé, qui sont biens effectuels et substantiaux, pour suyure cette vaine image, cette simple voix, qui n’a ny corps ny prise, I, 476.

C’est à Dieu seul, à qui gloire et honneur appartient. Et n’est rien si esloigné de raison, que de nous en mettre en queste pour nous, II, 442.

Toute la gloire du monde ne merite pas qu’vn homme d’entendement estende seulement le doigt pour l’acquerir, II, 442.

Toutes autres choses tombent en commerce. Nous prestons nos biens et nos vies au besoin de nos amis: mais de communiquer son honneur et d’estrener autruy de sa gloire, il ne se voit gueres, I, 478.

Combien auons nous veu d’hommes vertueux, suruiure à leur propre reputation, qui ont veu et souffert esteindre en leur presence, l’honneur et la gloire tres-iustement acquise en leurs ieunes ans? II, 460.

C’est le sort qui nous applique la gloire, selon sa temerité. Ie l’ay veuë fort souuent outrepasser le merite d’vne longue mesure. Comme l’ombre, elle va quelque fois deuant son corps: et quelque fois l’excede de beaucoup en longueur, II, 448.

Nous appellons aggrandir nostre nom, l’estendre et semer en plusieurs bouches: nous voulons qu’il y soit receu en bonne part et que cette sienne accroissance luy vienne à profit: voyla ce qu’il y peut auoir de plus excusable en ce dessein. Mais l’exces de cette maladie en va iusques là, que plusieurs cherchent de faire parler d’eux en quelque façon que ce soit, plus desireux de grande que de bonne réputation. Ce vice est ordinaire. Nous nous soignons plus qu’on parle de nous, que comment on en parle: et nous est assez que nostre nom coure par la bouche des hommes, en quelque condition qu’il y coure, II, 456.

Qui ne contrechange volontiers la santé, le repos, et la vie, à la reputation et à la gloire? la plus inutile, vaine et fauce monnoye, qui soit en nostre vsage, I, 416.

De ceux mesme, que nous voyons bien faire: trois mois, ou trois ans apres, il ne s’en parle non plus que s’ils n’eussent iamais esté, II, 460.

Infinies belles actions se doiuent perdre sans tesmoignage, auant qu’il en vienne vne à profit. Et si on prend garde, on trouuera, à mon aduis, qu’il aduient par experience, que les moins esclattantes sont les plus dangereuses: et qu’aux guerres, qui se sont passées de notre temps, il s’est perdu plus de gens de bien, aux occasions legeres et peu importantes, et à la contestation de quelque bicoque, qu’és lieux dignes et honnorables, II, 450.

Tuer vn homme, ou deux, ou dix, se presenter courageusement à la mort, c’est à verité quelque chose à chacun de nous, car il y va de tout: mais pour le monde, ce sont choses si ordinaires, il s’en voit tant tous les iours, et en faut tant de pareilles pour produire vn effect notable, que nous n’en pouuons attendre aucune particuliere recommendation, II, 458.

Au demeurant, en toute vne bataille où dix mill’ hommes sont stropiez ou tuez, il n’en est pas quinze dequoy lon parle. De tant de miliasses de vaillans hommes qui sont morts depuis quinze cens ans en France, les armes en la main, il n’y en a pas cent, qui soyent venus à nostre cognoissance. La memoire non des chefs seulement, mais des battailles et victoires est enseuelie, II, 458.

Il faut trier de toute vne nation, vne douzaine d’hommes, pour iuger d’vn arpent de terre, et le iugement de nos inclinations, et de nos actions, la plus difficile matiere, et la plus importante qui soit, nous la remettons à la voix de la commune et de la tourbe, mere d’ignorance, d’iniustice, et d’inconstance. Est-ce raison de faire dependre la vie d’un sage, du iugement des fols? II, 452.

Entre toutes les voluptez, il n’y en a point de plus dangereuse, ny plus à fuir que celle qui nous vient de l’approbation d’autruy. Il n’est chose qui empoisonne tant que la flatterie, rien par où les meschans gaignent plus aiséement credit: ny maquerelage si propre et si ordinaire à corrompre la chasteté des femmes, que de les paistre et entretenir de leurs loüanges, II, 442.

Celuy qui fait tout pour l’honneur et pour la gloire, que pense-il gaigner, en se produisant au monde en masque, desrobant son vray estre à la cognoissance du peuple? Louez un bossu de sa belle taille, il le doit receuoir à iniure: si vous estes couard, et qu’on vous honnore pour vn vaillant homme, est-ce de vous qu’on parle? On vous prend pour vn autre, III, 190.

La gloire est pour elle mesme desirable: mais il faut éviter comme deux extremes vicieux, l’immoderation, et à la rechercher, et à la fuyr, II, 446.

La vertu elle mesme est chose bien vaine et friuole, si elle tire sa recommendation de la gloire, II, 448.

Les actions de la vertu sont trop nobles d’elles mesmes, pour rechercher autre loyer, que de leur propre valeur: et notamment pour la chercher en la vanité des iugemens humains, II, 460.

Qui n’est homme de bien que par ce qu’on le sçaura, et par ce qu’on l’en estimera mieux, apres l’auoir sçeu, qui ne veut bien faire qu’en condition que sa vertu vienne à la cognoissance des hommes, celuy-là n’est pas personne de qui on puisse tirer beaucoup de seruice, II, 450.

Toute la gloire, que ie pretens de ma vie, c’est de l’auoir vescue tranquille, et tranquille selon moy, II, 448.

GUERRE CIVILE (TROUBLES INTÉRIEURS).

Monstrueuse guerre. Les autres agissent au dehors, ceste-cy encore contre soy: se ronge et se defaict, par son propre venin. Elle est de nature si maligne et ruineuse, qu’elle se ruine quand et quand le reste: et se deschire et despece de rage. Nous la voyons plus souuent, se dissoudre par elle mesme, que par disette d’aucune chose necessaire, ou par la force ennemie. Toute discipline la fuït. Elle vient guerir la sedition, et en est pleine. Veut chastier la desobeissance, et en montre l’exemple: et employee à la deffence des loix, faict sa part de rebellion à l’encontre des siennes propres. Où en sommes nous? Nostre medecine porte infection.—En ces maladies populaires, on peut distinguer sur le commencement, les sains des malades: mais quand elles viennent à durer, comme la nostre, tout le corps s’en sent, et la teste et les talons: aucune partie n’est exempte de corruption. Car il n’est air, qui se hume si gouluement: qui s’espande et penetre, comme faict la licence. Nos armees ne se lient et tiennent plus que par simant estranger: des François on ne sçait plus faire vn corps d’armee, constant et reglé. Quelle honte! Il n’y a qu’autant de discipline, que nous en font voir des soldats empruntez. Quant à nous, nous nous conduisons à discretion, et non pas du chef; chacun selon la sienne: il a plus affaire au dedans qu’au dehors. C’est au commandement de suiure, courtizer, et plier: à luy seul d’obeïr: tout le reste est libre et dissolu. Il me plaist de voir, combien il y a de lascheté et de pusillanimité en l’ambition: par combien d’abiection et de seruitude, il luy faut arriuer à son but. Mais cecy me deplaist de voir, des natures debonnaires et capables de iustice, se corrompre tous les iours, au maniement et commandement de cette confusion. La longue souffrance, engendre la coustume; la coustume, le consentement et l’imitation. Nous auions assez d’ames mal nées, sans gaster les bonnes et genereuses, III, 354.

Les guerres ciuiles ont cela de pire que les autres guerres, de nous mettre chacun en echauguette en sa propre maison. C’est grande extremité, d’estre pressé iusques dans son mesnage, et repos domestique, III, 424.

En ces temps, on battisoit les vices publiques de mots nouueaux plus doux pour leur excuse, abastardissant et amollissant leurs vrais titres, I, 178.

Ce qui fait voir tant de cruautez inouies aux guerres populaires, c’est que cette canaille de vulgaire s’aguerrit, et se gendarme, à s’ensanglanter iusques aux coudes, et deschiqueter vn corps à ses pieds, n’ayant resentiment d’autre vaillance. Comme les chiens coüards, qui deschirent en la maison, et mordent les peaux des bestes sauuages, qu’ils n’ont osé attaquer aux champs, II, 570.

La cause des loix, et defence de l’ancien estat, a tousiours cela, que ceux mesmes qui pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les defenseurs, s’ils ne les honorent, III, 86.

Mais il ne faut pas appeler deuoir, vne aigreur et vne intestine aspreté, qui naist de l’interest et passion priuee, ny courage, vne conduitte traistresse et malitieuse. Ils nomment zele, leur propension vers la malignité, et violence. Ce n’est pas la cause qui les eschauffe, c’est leur interest. Ils attisent la guerre, non par ce qu’elle est iuste: mais par ce que c’est guerre, III, 86.

Sur tout il se faut garder qui peut, de tomber entre les mains d’vn Iuge ennemy, victorieux et armé, I, 88.

Confessons la verité, qui trieroit de l’armée mesme legitime, ceux qui y marchent par le seul zele d’vne affection religieuse, et encore ceux qui regardent seulement la protection des loix de leur pays, ou seruice du Prince, il n’en sçauroit bastir vne compagnie de gens-darmes complete. D’où vient cela, qu’il s’en trouue si peu, qui ayent maintenu mesme volonté et mesme progrez en nos mouuemens publiques, et que nous les voyons tantost n’aller que le pas, tantost y courir à bride aualée? et mesmes hommes, tantost gaster nos affaires par leur violence et aspreté, tantost par leur froideur, mollesse et pesanteur; si ce n’est qu’ils y sont poussez par des considerations particulieres et casuelles, selon la diuersité desquelles ils se remuent? II, 120.

HABITUDES (COUTUMES, USAGES).

L’accoustumance nous peut duire non seulement à telle forme qu’il luy plaist, mais aussi au changement et à la variation: qui est le plus noble, et le plus vtile de ses apprentissages, III, 636.

Les gueux ont leurs magnificences, et leurs voluptez, comme les riches: ce sont effects de l’accoustumance, III, 636.

HISTOIRE.

Les historiens sont ma droitte bale: car ils sont plaisans et aysez: et quant et quant l’homme en general, de qui ie cherche la cognoissance, y paroist plus vif et plus entier qu’en nul autre lieu: la varieté et verité de ses conditions internes, en gros et en detail, la diuersité des moyens de son assemblage, et des accidents qui le menacent, II, 76.

C’est la matiere à laquelle nos esprits s’appliquent de plus diuerse façon. I’ay leu en Tite Liue cent choses que tel n’y a pas leu. Plutarche y en a leu cent; outre ce que i’y ay sçeu lire: et à l’aduenture outre ce que l’autheur y auoit mis, I, 248.

I’ayme les historiens, ou fort simples, ou excellens. Les simples, qui n’ont point dequoy y mesler quelque chose du leur, et qui n’y apportent que le soin, et la diligence de r’amasser tout ce qui vient à leur notice, et d’enregistrer à la bonne foy toutes choses, sans chois et sans triage, nous laissent le iugement entier pour la cognoissance de la verité, II, 78.

Les bien excellens ont la suffisance de choisir ce qui est digne d’estre sçeu, peuuent trier de deux rapports celuy qui est plus vray-semblable, II, 78.

Ceux d’entre-deux, qui est la plus commune façon, nous gastent tout: ils veulent nous mascher les morceaux; ils se donnent loy de iuger et par consequent d’incliner l’Histoire à leur fantasie: car depuis que le iugement pend d’vn costé, on ne se peut garder de contourner et tordre la narration à ce biais. Ils entreprennent de choisir les choses dignes d’estre sçeuës, et nous cachent souuent telle parole, telle action priuée, qui nous instruiroit mieux: obmettent pour choses incroyables celles qu’ils n’entendent pas, II, 78.

Les seules bonnes Histoires sont celles, qui ont esté escrites par ceux mesmes qui commandoient aux affaires ou qui estoient participans à les conduire, ou au moins qui ont eu la fortune d’en conduire d’autres de mesme sorte, II, 80.

Que peut on esperer d’vn medecin traictant de la guerre, ou d’vn escholier traictant les desseins des Princes? II, 80.

Ie voudroye que chacun escriuist ce qu’il sçait, et autant qu’il en sçait: non en cela seulement, mais en tous autres subiects, I, 358.

Un homme simple et grossier, est en condition propre à rendre veritable tesmoignage; les fines gens remarquent bien plus curieusement, et plus de choses, mais ils les glosent, et pour faire valoir leur interpretation, et la persuader, ils ne se peuuent garder d’alterer vn peu l’Histoire, I, 358.

Ie tien moins hazardeux d’escrire les choses passées, que presentes: d’autant que l’escriuain n’a à rendre compte que d’vne verité empruntée, I, 152.

HOMME.

Certes c’est vn subiect merueilleusement vain, diuers, et ondoyant, que l’homme: il est malaisé d’y fonder iugement constant et vniforme, I, 20.

Moy à cette heure, et moy tantost, sommes deux. Quand meilleur, ie n’en puis rien dire. Il feroit bel estre vieil, si nous ne marchions, que vers l’amendement, III, 412.

Ie connoy des hommes assez, qui ont diuerses parties belles: qui l’esprit, qui le cœur, qui l’adresse, qui la conscience, qui le langage, qui vne science, qui vn’ autre: mais de grand homme en general, et ayant tant de belles pieces ensemble, ou vne, en tel degré d’excellence, qu’on le doiue admirer, ou le comparer à ceux que nous honorons du temps passé, ma fortune ne m’en a faict voir nul, II, 514.

Il semble que considerant la foiblesse de nostre vie, et à combien d’escueils ordinaires et naturels elle est exposée, on n’en deuroit pas faire si grande part à la naissance, à l’oisiueté et à l’apprentissage, I, 598.

Les hommes sont diuers en sentiment et en force: il les faut mener à leur bien, selon eux: et par routes diuerses, III, 576.

Nous sommes tous de lopins, et d’vne contexture si informe et diuerse, que chaque piece, chaque moment, faict son ieu. Et se trouue autant de difference de nous à nous mesmes, que de nous à autruy, I, 610.

A nous autant d’actions, autant faut-il de iugemens particuliers. Le plus seur, à mon opinion, seroit de les rapporter aux circonstances voisines, sans entrer en plus longue recherche, et sans en conclurre autre consequence, I, 604.

Si par experience nous touchons à la main que la forme de notre estre despend de l’air, du climat, et du terroir où nous naissons: non seulement le tainct, la taille, la complexion et les contenances, mais encore les facultez de l’ame: que deuiennent toutes ces belles prerogatiues de quoy nous nous allons flattans? II, 366.

Pourquoy n’estimons nous vn homme par ce qui est sien? Il a vn grand train, vn beau palais, tant de credit, tant de rente: tout cela est autour de luy, non en luy, I, 482.

Pourquoy estimant vn homme l’estimez vous tout enueloppé et empacqueté? C’est le prix de l’espée que vous cerchez, non de la guaine. Il le faut iuger par luy mesme, non par ses atours. Et comme dit tres-plaisamment vn ancien: Sçauez vous pourquoy vous l’estimez grand? vous y comptez la hauteur de ses patins. La base n’est pas de la statue. Mesurez le sans ses eschaces. Qu’il mette à part ses richesses et honneurs, qu’il se presente en chemise. A il le corps propre à ses functions, sain et allegre? Quelle ame a il? Est elle belle, capable, et heureusement pourueue de toutes ses pieces? Est elle riche du sien, ou de l’autruy? La fortune n’y a elle que voir? Si les yeux ouuerts elle attend les espées traites: s’il ne luy chaut par où luy sorte la vie, par la bouche, ou par le gosier: si elle est rassise, equable et contente: c’est ce qu’il faut veoir, I, 482.

Plutarque dit qu’il ne trouue point si grande distance de beste à beste, comme il trouue d’homme à homme. Il parle de la suffisance de l’ame et qualitez internes. I’encherirois volontiers: et dirois qu’il y a plus de distance de tel à tel homme, qu’il n’y a de tel homme à telle beste, I, 480.

Là où, si nous considerons vn paisan et vn Roy, vn noble et vn villain, vn magistrat et vn homme priué, vn riche et vn pauure, il se presente soudain à nos yeux vn’ extreme disparité, qui ne sont differents par maniere de dire qu’en leurs chausses. Ce ne sont pourtant que peintures, qui ne font aucune dissemblance essentielle. Car comme les ioüeurs de comedie, vous les voyez sur l’eschaffaut faire vne mine de Duc et d’Empereur, mais tantost apres, les voyla deuenuz valets et crocheteurs miserables, qui est leur nayfue et originelle condition, I, 484.

Si nous nous amusions par fois à nous considerer, et le temps que nous mettons à contreroller autruy, et à connoistre les choses qui sont hors de nous, que nous l’employissions à nous sonder nous mesmes, nous sentirions aisément combien toute cette nostre contexture est bastie de pieces foibles et defaillantes, I, 564.

Ie croy des hommes plus mal aisément la constance que toute autre chose, et rien plus aisément que l’inconstance. Qui en iugeroit en detail et distinctement, piece à piece, rencontreroit plus souuent à dire vray, I, 602.

Il y a quelque apparence de faire iugement d’vn homme, par les plus communs traicts de sa vie; mais veu la naturelle instabilité de nos mœurs et opinions, il m’a semblé souuent que les bons autheurs mesmes ont tort de s’opiniastrer à former de nous vne constante et solide contexture. Ils choisissent vn air vniuersel, et suyuant cette image, vont rengeant et interpretant toutes les actions d’vn personnage, et s’ils ne les peuuent assez tordre, les renuoyent à la dissimulation, I, 600.

Pour iuger d’vn homme, il faut suiure longuement et curieusement sa trace: si la constance ne s’y maintient de son seul fondement, si la varieté des occurrences luy faict changer de pas, (ie dy de voye: car le pas s’en peut ou haster, ou appesantir) laissez le courre: celuy là s’en va auau le vent, I, 610.

Sauf l’ordre, la moderation, et la constance, i’estime que toutes choses soient faisables par vn homme bien manque et deffaillant en gros. A cette cause, il faut pour iuger bien à poinct d’vn homme, principalement contreroller ses actions communes, et le surprendre en son à tous les iours, II, 590.

Ce n’est pas tour de rassis entendement, de nous iuger simplement par nos actions de dehors: il faut sonder iusqu’au dedans, et voir par quels ressors se donne le bransle, I, 612.

Chaque parcelle, chasque occupation de l’homme, l’accuse, et le montre egalement qu’vn autre, I, 556.

La sagesse ne force pas nos conditions naturelles. Tant sage qu’il voudra, c’est vn homme: qu’est il plus caduque, plus miserable, et plus de neant? Il faut qu’il sille les yeux au coup qui le menasse: il faut qu’il fremisse planté au bord d’vn precipice, comme vn enfant: Nature ayant voulu se reseruer ces legeres marques de son authorité, inexpugnables à nostre raison, et à la vertu Stoique: pour luy apprendre sa mortalité et nostre fadeze. Il pallit à la peur, il rougit à la honte, il gemit à la colique, sinon d’une voix desesperée et esclatante, au moins d’vne voix cassée et enroüée, I, 624.

Comme si la bonne fortune estoit incompatible auec la bonne conscience: les hommes ne se rendent gents de bien, qu’en la mauuaise, III, 380.

L’homme en tout et par tout, n’est que rappiessement et bigarrure, II, 540.

Nostre estre est simenté de qualitez maladiues: l’ambition, la ialousie, l’enuie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d’vne si naturelle possession, que l’image s’en recognoist aussi aux bestes. Desquelles qualitez, qui osteroit les semences en l’homme, destruiroit les fondamentales conditions de nostre vie, III, 80.

La peste de l’homme c’est l’opinion de sçauoir, II, 204.

Voulez vous vn homme sain, le voulez vous reglé, et en ferme et seure posture? affublez le de tenebres d’oisiueté et de pesanteur. Il nous faut abestir pour nous assagir: et nous esblouir, pour nous guider, II, 212.

Parmy les conditions humaines, cette-cy est assez commune, de nous plaire plus des choses estrangeres que des nostres, et d’aymer le remuement et le changement, III, 380.

En aucune chose l’homme ne sçait s’arrester au poinct de son besoing. De volupté, de richesse, de puissance, il en embrasse plus qu’il n’en peut estreindre. Son auidité est incapable de moderation, III, 550.

Les hommes sont si formez à l’agitation et ostentation, que la bonté, la moderation, l’equabilité, la constance, et telles qualitez quietes et obscures, ne se sentent plus, III, 520.

La saincte Parole declare miserables ceux d’entre nous, qui s’estiment: Bourbe et cendre, leur dit-elle, qu’as-tu à te glorifier? II, 222.

Ie ne pense point qu’il y ait tant de malheur en nous, comme il y a de vanité, ny tant de malice comme de sotise: nous ne sommes pas si pleins de mal, comme d’inanité: nous ne sommes pas si miserables, comme nous sommes vils, I, 556.

Il suffit à l’homme de brider et moderer ses inclinations: car de les emporter, il n’est pas en luy, I, 624.

Nous faisons trop de cas de nous, il semble que l’vniuersité des choses souffre aucunement de nostre aneantissement, II, 420.

Dieu a faict l’homme semblable à l’ombre, de laquelle qui iugera, quand par l’esloignement de la lumiere elle sera esuanouye? II, 222.

Les hommes vont ainsin. On laisse les loix, et preceptes suiure leur voye, nous en tenons vne autre, III, 460.

Il n’y a point de beste au monde tant à craindre à l’homme, que l’homme, II, 536.

I’ay veu des coquins, pour garantir leur vie, accepter de pendre leurs amis et consorts, ie les ay tenus de pire condition que les pendus, III, 98.

Il n’est rien si beau et legitime, que de faire bien l’homme et deuëment, III, 692.

Le pire estat de l’homme, c’est où il pert la connoissance et gouuernement de soy, I, 644.

HONNÊTETÉ.

Vn cœur genereux ne doit point desmentir ses pensées: il se veut faire voir iusques au dedans: tout y est bon, ou aumoins, tout y est humain, II, 492.

On argumente mal l’honneur et la beauté d’vne action, par son vtilité: et conclud-on mal, d’estimer que chacun y soit obligé, et qu’elle soit honeste à chacun, si elle est vtile, III, 106.

Ne craignons point d’estimer qu’il y a quelque chose illicite contre les ennemys mesmes: que l’interest commun ne doibt pas tout requerir de tous, contre l’interest priué: et que toutes choses ne sont pas loisibles à vn homme de bien, pour le seruice de son Roy, ny de la cause generale et des loix, III, 104.

Voyla pourquoy en cette incertitude et perplexité, que nous apporte l’impuissance de voir et choisir ce qui est le plus commode, pour les difficultez que les diuers accidens et circonstances de chaque chose tirent: le plus seur, quand autre consideration ne nous y conuieroit, est à mon aduis de se rejetter au party, où il y a plus d’honnesteté et de iustice: et puis qu’on est en doute du plus court chemin, tenir tousiours le droit, I, 194.

Il est loysible à vn homme d’honneur, de parler ainsi que les Lacedemoniens, deffaicts par Antipater, sur le poinct de leurs accords: Vous nous pouuez commander des charges poisantes et dommageables autant qu’il vous plaira: mais de honteuses, et deshonnestes, vous perdrez vostre temps de nous en commander. Chacun doit auoir iuré à soy mesme, ce que les Roys d’Ægypte faisoient solennellement iurer à leurs iuges, qu’ils ne se desuoyeroient de leur conscience, pour quelque commandement qu’eux mesmes leur en fissent. A telles commissions il y a note euidente d’ignominie, et condemnation, III, 92.

IGNORANCE.

L’ignorance qui se sçait, qui se iuge, et qui se condamne, ce n’est pas vne entiere ignorance. Pour l’estre, il faut qu’elle s’ignore soy-mesme, II, 230.

Ce n’est pas sans raison, que nous attribuons à simplesse et ignorance, la facilité de croire et de se laisser persuader, I, 288.

IMAGINATION.

La iouyssance, et la possession, appartiennent principalement à l’imagination. Elle embrasse plus chaudement et plus continuellement ce qu’elle va querir, que ce que nous touchons, III, 434.

Nostre discours est capable d’estoffer cent autres mondes, et d’en trouuer les principes et la contexture. Il ne luy faut ny matiere ny baze. Laissez le courre: il bastit aussi bien sur le vide que sur le plain, et de l’inanité que de matiere, III, 528.

Que de choses nous semblent plus grandes par imagination, que par effect, I, 668.

Nous embrassons et ceux qui ont esté, et ceux qui ne sont point encore, non que les absens, III, 436.

Nous tressuons, nous tremblons, nous pallissons, et rougissons aux secousses de nos imaginations. Chacun en est heurté, aucuns en sont renuersez, I, 134.

Nous auons raison de faire valoir les forces de nostre imagination: car tous nos biens ne sont qu’en songe, II, 204.

Les bestes mesmes se voyent comme nous, subiectes à la force de l’imagination, I, 148.

IMMORTALITÉ DE L’AME.

Sans l’immortalité des ames, il n’y auroit plus dequoy asseoir les vaines esperances de la gloire, qui est vne consideration de merueilleux credit au monde: et c’est vne tres-vtile impression, que les vices, quand ils se desroberont de la veuë et cognoissance de l’humaine iustice, demeurent tousiours en butte à la diuine, qui les poursuyura, voire apres la mort des coupables, II, 322.

Le fruict de l’immortalité, consiste en la iouyssance de la beatitude eternelle. Confessons ingenuement, que Dieu seul nous l’a dict, et la foy: car leçon n’est-ce pas de Nature et de nostre raison. Et qui retentera son estre et ses forces, et dedans et dehors, sans ce priuilege diuin: qui verra l’homme, sans le flatter, il n’y verra ny efficace, ny faculté, qui sente autre chose que la mort et la terre, II, 324.

IMPOSTURE.

Le vray champ et subiect de l’imposture, sont les choses inconnües: l’estrangeté mesme donne credit, I, 376.

Il n’est rien creu si fermement, que ce qu’on sçait le moins, ny gens si asseurez, que ceux qui nous content des fables, I, 376.

INDÉPENDANCE.

I’essaye à auoir expres besoing de nul, III, 420.

Ie hay les morceaux que la necessité me taille. Toute commodité me tiendroit à la gorge, de laquelle seule i’aurois à despendre, III, 460.

On iouyt bien plus librement, et plus gayement, des biens empruntez: quand ce n’est pas vne iouyssance obligee et contrainte par le besoing: et qu’on a, et en sa volonté, et en sa fortune, la force et les moyens de s’en passer, III, 420.

Ie fuis à me submettre à toute sorte d’obligation. Mais sur tout, à celle qui m’attache, par deuoir d’honneur. Ie ne trouue rien si cher, que ce qui m’est donné: et ce pourquoy, ma volonté demeure hypothequee par tiltre de gratitude. Et reçois plus volontiers les offices, qui sont à vendre. Pour ceux-cy, ie ne donne que de l’argent: pour les autres, ie me donne moy-mesme, III, 416.

La subiection essentielle et effectuelle, ne regarde d’entre nous, que ceux qui s’y conuient, et qui ayment à s’honnorer et enricher par tel seruice: car qui se veut tapir en son foyer, et sçait conduire sa maison sans querelle, et sans procés, il est aussi libre que le Duc de Venise, I, 492.

Mes amis m’importunent estrangement, quand ils me requierent, de requerir vn tiers. Et ne me semble guere moins de coust, desengager celuy qui me doibt, vsant de luy: que m’engager enuers celuy, qui ne me doibt rien, III, 422.

I’ayme tant à me descharger et desobliger, que i’ay parfois compté à profit, les ingratitudes, offences, et indignitez, que i’auois reçeu de ceux, à qui ou par nature, ou par accident, i’auois quelque deuoir d’amitié: prenant cette occasion de leur faute, pour autant d’acquit, et descharge de ma debte, III, 418.

INDIGENCE.

Par diuerses causes l’indigence se voit autant ordinairement logée chez ceux qui ont des biens, que chez ceux qui n’en ont point, I, 468.

Et me semble plus miserable vn riche malaisé, necessiteux, affaireux, que celuy qui est simplement pauure, I, 468.

INITIATIVE.

En toutes choses les hommes se iettent aux appuis estrangers, pour espargner les propres: seuls certains et seuls puissans, qui sçait s’en armer, III, 562.

Nous sommes chacun plus riche, que nous ne pensons: mais on nous dresse à l’emprunt, et à la queste: on nous duict à nous seruir plus de l’autruy, que du nostre, III, 548.

INSATIABILITÉ DE L’HOMME.

Ceux qui accusent les hommes d’aller tousiours beant apres les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presens, et nous rassoir en ceux-là, comme n’ayants aucune prise sur qui est à venir, voire assez moins que nous n’auons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs: s’ils osent appeller erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le seruice de la continuation de son ouurage, I, 28.

INSPIRATION.

Chacun sent en soy quelque image d’agitations d’vne opinion prompte, vehemente et fortuite. C’est à moy de leur donner quelque authorité, qui en donne si peu à nostre prudence. Et en ay eu de pareillement foibles en raison, et violentes en persuasion, ou en dissuasion, ausquelles ie me laissay emporter si vtilement et heureusement, qu’elles pourroyent estre iugees tenir quelque chose d’inspiration diuine, I, 78.

INTOLÉRANCE.

Fascheuse maladie, de se croire si fort, qu’on se persuade, qu’il ne se puisse croire au contraire, I, 582.

IRRÉSOLUTION.

L’irrésolution me semble le plus commun et apparent vice de nostre nature, I, 600.

Nous flottons entre diuers aduis: nous ne voulons rien librement, rien absoluëment, rien constamment, I, 604.

IVROGNERIE.

L’yurongnerie entre les autres, me semble vn vice grossier et brutal, l’esprit a plus de part ailleurs: cestuy-cy est tout corporel et terrestre. Les autres vices alterent l’entendement, cestuy-cy le renuerse, et estonne le corps, I, 644.

Mon goust et ma complexion est plus ennemie de ce vice que mon discours. Ie le trouue bien vn vice lasche et stupide, mais moins malicieux et dommageable que les autres, qui choquent quasi tous de plus droit fil la societé publique. Il couste moins à nostre conscience que les autres: outre qu’il n’est point de difficile apprest, ny malaisé à trouuer: consideration non mesprisable, I, 618.

Le vin redonne aux hommes la gayeté, et la ieunesse aux vieillards, I, 622.

Boire, c’est quasi le dernier plaisir que le cours des ans nous desrobe, I, 620.

Le vin est capable de fournir à l’ame de la temperance, au corps de la santé. Toutesfois: on s’en espargne en expedition de guerre. Que tout magistrat et tout iuge s’en abstienne sur le point d’executer sa charge, et de consulter des affaires publiques. Qu’on n’y employe le iour, temps deu à d’autres occupations: ny celle nuict, qu’on destine à faire des enfants, I, 622.

Il y en a qui conseillent de se dispenser quelquefois à boire d’autant, et de s’enyurer pour relascher l’ame, I, 616.

Le vin faict desbonder les plus intimes secrets, à ceux qui en ont pris outre mesure, I, 644.

JALOUSIE.

La ialousie est la plus vaine et tempesteuse maladie qui afflige les ames humaines, III, 222.

Lors que la ialousie saisit ces pauures ames, foibles, et sans resistance, c’est pitié, comme elle les tirasse et tyrannise cruellement. Elle s’y insinue sous titre d’amitié: mais depuis qu’elle les possede, les mesmes causes qui seruoient de fondement à la bien-vueillance, seruent de fondement de hayne capitale: c’est des maladies d’esprit celle, à qui plus de choses seruent d’aliment, et moins de choses de remede. La vertu, la santé, le merite, la reputation du mary, sont les boutefeux de leur maltalent et de leur rage. Cette fiéure laidit et corrompt tout ce qu’elles ont de bel et de bon d’ailleurs. Et d’vne femme ialouse, quelque chaste qu’elle soit, et mesnagere, il n’est action qui ne sente l’aigre et l’importun, III, 224.

A dire vray, ie ne sçay si on peut souffrir d’elles pis que la ialousie. C’est la plus dangereuse de leurs conditions, comme de leurs membres, la teste, III, 236.

JEUX PUBLICS.

Les bonnes polices prennent soing d’assembler les citoyens, et les r’allier, comme aux offices serieux de la deuotion, aussi aux exercices et ieux. La societé et amitié s’en augmente, et puis on ne leur sçauroit conceder des passe-temps plus reglez, que ceux qui se font en presence d’vn chacun, et à la veuë mesme du magistrat, diuertissement de pires actions et occultes, I, 288.

JUGEMENT.

Le iugement est vn vtil à tous subiects, et se mesle par tout, I, 552.

Nature enserre dans les termes de son progrez ordinaire, comme toutes autres choses, les creances, les iugemens, et opinions des hommes: elles ont leur reuolution, leur saison, leur naissance, leur mort, comme les choux: le ciel les agite, et les roule à sa poste, II, 366.

Le sçauoir est moins prisable, que le iugement; cestuy-cy se peut passer de l’autre, et non l’autre de cestuy-cy, I, 216.

La science et la verité peuuent loger chez nous sans iugement, et le iugement y peut aussi estre sans elles: voire la reconnoissance de l’ignorance est l’vn des plus beaux et plus seurs tesmoignages de iugement que ie trouue, II, 62.

Combien diuersement iugeons nous des choses? combien de fois changeons nous noz fantasies? Ce que ie tiens auiourd’huy, et ce que ie croy, ie le tiens, et le croy de toute ma croyance; ie ne sçaurois embrasser aucune verité ny conseruer auec plus d’asseurance, que ie fay cette-cy. I’y suis tout entier; i’y suis voyrement: mais ne m’est-il pas aduenu non vne fois, mais cent, mais mille, et tous les iours, d’auoir embrassé quelque autre chose en cette mesme condition, que depuis i’ay iugé fauce? II, 342.

Nostre apprehension, nostre iugement et les facultez de nostre ame en general, souffrent selon les mouuements et alterations du corps, lesquelles alterations sont continuelles. N’auons nous pas l’esprit plus esueillé, la memoire plus prompte, le discours plus vif, en santé qu’en maladie? La ioye et la gayeté ne nous font elles pas receuoir les subjects qui se presentent à nostre ame, d’vn tout autre visage, que le chagrin et la melancholie? II, 344.

Ce ne sont pas seulement les fieures, les breuuages, et les grands accidens, qui renuersent nostre iugement: les moindres choses du monde le tourneuirent. Par consequent, à peine se peut-il rencontrer vne seule heure en la vie, où nostre iugement se trouue en sa deuë assiette, II, 346.

Qui se souuient de s’estre tant et tant de fois mesconté de son propre iugement: est-il pas vn sot, de n’en entrer iamais en deffiance? III, 618.

Si nostre iugement est en main à la maladie mesmes, et à la perturbation, si c’est de la folie et de la temerité, qu’il est tenu de receuoir l’impression des choses, quelle seurté pouuons nous attendre de luy? II, 352.

Il se tire vne merueilleuse clarté pour le iugement humain, de la frequentation du monde. Nous sommes tous contraints et amoncellez en nous, et auons la veuë racourcie à la longueur de nostre nez: nous ne regardons que sous nous. A qui il gresle sur la teste, tout l’hemisphere semble estre en tempeste et orage, I, 250.

Nos iugemens sont encores malades, et suyuent la deprauation de nos mœurs. Ie voy la plupart des esprits de mon temps faire les ingenieux à obscurcir la gloire des belles et genereuses actions anciennes, leur donnant quelque interpretation vile, et leur controuuant des occasions et des causes vaines. Grande subtilité. Qu’on me donne l’action la plus excellente et pure, ie m’en vois y fournir vraysemblablement cinquante vitieuses intentions, I, 400.

Vous recitez simplement vne cause à l’aduocat, il vous y respond chancellant et doubteux: vous sentez qu’il luy est indifferent de prendre à soustenir l’vn ou l’autre party: l’auez vous bien payé pour y mordre, et pour s’en formaliser, commence-il d’en estre interessé, y a-il eschauffé sa volonté? sa raison et sa science s’y eschauffent quant et quant: voylà vne apparente et indubitable verité, qui se presente à son entendement: il y descouure vne toute nouuelle lumiere, et le croit à bon escient, et se le persuade ainsi, II, 350.

L’ardeur qui naist du despit, et de l’obstination, à l’encontre de l’impression et violence du magistrat, et du danger: ou l’interest de la reputation, ont enuoyé tel homme soustenir iusques au feu, l’opinion pour laquelle entre ses amys, et en liberté, il n’eust pas voulu s’eschauder le bout du doigt, II, 350.

Il se faut garder de s’attacher aux opinions vulgaires, et les faut iuger par la voye de la raison, non par la voix commune, I, 354.

Les choses ne logent pas chez nous en leur forme et en leur essence, s’il estoit ainsi, nous les receurions de mesme façon: le vin seroit tel en la bouche du malade, qu’en la bouche du sain; tandis qu’il ne se void aucune proposition, qui ne soit debattue et controuersee entre nous, ou qui ne le puisse estre, ce qui montre bien que nostre iugement naturel ne saisit pas bien clairement ce qu’il saisit: car mon iugement ne le peut faire receuoir au iugement de mon compagnon: qui est signe qui ie l’ay saisi par quelque autre moyen, que par vne naturelle puissance, qui soit en moy et en tous les hommes, II, 340.

Nous recognoissons aysément és autres, l’aduantage du courage, de la force corporelle, de l’experience, de la disposition, de la beauté: mais l’aduantage du iugement, nous ne le cedons à personne. Et les raisons qui partent du simple discours naturel en autruy, il nous semble qu’il n’a tenu qu’à regarder de ce costé là, que nous ne les ayons trouuees, II, 508.

Si chascun qui oid vne iuste sentence, regardoit incontinent par où elle luy appartient en son propre: chascun trouueroit, que cette cy n’est pas tant vn bon mot comme vn bon coup de fouet à la bestise ordinaire de son iugement. Mais on reçoit les aduis de la verité et ses preceptes, comme adressés au peuple, non iamais à soy: et au lieu de les coucher sur ses mœurs, chascun les couche en sa memoire, tres-sottement et tres-inutilement, I, 170.

Il eschappe souuent des fautes à nos yeux: la maladie du iugement consiste à ne les pouuoir apperceuoir, lors qu’vn autre nous les descouure, II, 62.

Il est peu de choses, ausquelles nous puissions donner le iugement syncere, par ce qu’il en est peu, ausquelles en quelque façon nous n’ayons particulier interest, III, 324.

C’est vn tesmoignage merueilleux de la foiblesse de nostre iugement, qu’il recommande les choses par la rareté ou nouuelleté, ou encore par la difficulté, si la bonté et vtilité n’y sont ioinctes, I, 568.

Il ne faut pas iuger ce qui est possible, et ce qui ne l’est pas, selon ce qui est croyable et incroyable à nostre sens. Et est vne grande faute, et en laquelle toutesfois la plus part des hommes tombent: de faire difficulté de croire d’autruy, ce qu’eux ne sçauroient faire, ou ne voudroient, II, 628.

Tout ce qui nous semble estrange, nous le condamnons, et ce que nous n’entendons pas, II, 166.

C’est vne hardiesse dangereuse et de consequence, outre l’absurde temerité qu’elle traine quant et soy, de mespriser ce que nous ne conceuons pas, I, 294.

Condamner resolument vne chose pour fausse, et impossible, c’est se donner l’aduantage d’auoir dans la teste, les bornes et limites de la volonté de Dieu, et de la puissance de nostre mere nature: et il n’y a point de plus notable folie au monde, que de les ramener à la mesure de nostre capacité et suffisance, I, 290.

L’incertitude de mon iugement, est si également balancée en la pluspart des occurrences, que ie compromettrois volontiers à la decision du sort et des dets, II, 506.

Ie ne fay qu’aller et venir: mon iugement ne tire pas tousiours auant, il flotte, il vague. Il se fait mille agitations indiscrettes et casueles chez moy. Ou l’humeur melancholique me tient, ou la cholerique; et de son authorité priuée, à cett’ heure le chagrin predomine en moy, à cette heure l’allegresse. A iun ie me sens autre, qu’apres le repas: si ma santé me rid, et la clarté d’vn beau iour, me voyla honneste homme: si i’ay vn cor qui me presse l’orteil, me voylà renfroigné, mal plaisant et inaccessible. Vn mesme pas de cheual me semble tantost rude, tantost aysé; et mesme chemin à cette heure plus court, vne autre fois plus long: et vne mesme forme ores plus ores moins aggreable. Maintenant ie suis à tout faire, maintenant à rien faire: ce qui m’est plaisir à cette heure, me sera quelquefois peine. Quand ie prens des liures, i’auray apperceu en tel passage des graces excellentes, et qui auront feru mon ame; qu’vn’ autre fois i’y retombe, i’ay beau le tourner et virer, c’est vne masse incognue et informe pour moy. Maintes-fois, comme il aduient de faire volontiers, ayant pris pour exercice et pour estat, à maintenir vne contraire opinion à la mienne, mon esprit s’appliquant et tournant de ce coste-là, m’y attache si bien, que ie ne trouue plus la raison de mon premier aduis, et m’en despars. Ie m’entraine quasi où ie panche, comment que ce soit, et m’emporte de mon poix. Chacun à peu pres en diroit autant de soy, s’il se regardoit comme moy, II, 348.

Ma foiblesse n’altere aucunement les opinions que ie dois auoir de la force et vigueur de ceux qui le méritent. Rampant au limon de la terre, ie ne laisse pas de remarquer iusques dans les nuës la hauteur inimitable d’aucunes ames heroïques, I, 398.

JUSTICE (LANGAGE JUDICIAIRE, LOIS).

Nous appellons iustice, la dispensation et pratique, des loix tres ineptes souuent et tres iniques, III, 36.

Les Stoïciens tenoient que Nature mesme procede contre iustice, en la pluspart de ses ouurages. Les Cyrenaïques qu’il n’y a rien iuste de soy: que les coustumes et loix forment la iustice, III, 162.

L’humaine iustice est formée au modelle de la medecine, selon laquelle, tout ce qui est vtile est aussi iuste et honneste, III, 612.

Considerez la forme de cette iustice qui nous regit; c’est vn vray tesmoignage de l’humaine imbecillité: tant il y a de contradiction et d’erreur. Ce que nous trouuons faueur et rigueur en la iustice: et y en trouuons tant, que ie ne sçay si l’entre-deux s’y trouue si souuent: ce sont parties maladiues, et membres iniustes, du corps mesmes et essence de la iustice. Combien auons nous descouuert d’innocens auoir esté punis; ie dis sans la coulpe des iuges; et combien en y a-il eu, que nous n’auons pas descouuert? Combien ay-ie veu de condemnations, plus crimineuses que le crime? Il n’y a remède. I’en suis là que ie ne me representeray iamais, que ie puisse, à homme qui decide de ma teste: où mon honneur, et ma vie, depende de l’industrie et soing de mon procureur; plus que de mon innocence, III, 610.

Qu’est-il plus farouche que de voir vne nation, où par legitime coustume la charge de iuger se vende; les iugements soyent payez à purs deniers contans: et où legitimement la iustice soit refusee à qui n’a dequoy la payer? I, 174.

De ce mesme papier où il vient d’escrire l’arrest de condemnation contre vn adultere, le iuge en desrobe vn lopin, pour en faire vn poulet à la femme de son compagnon. Celle à qui vous viendrez de vous frotter illicitement, criera plus asprement, tantost, en vostre presence mesme, à l’encontre d’vne pareille faute de sa compaigne, que ne feroit Porcie. Et tel condamne les hommes à mourir, pour des crimes, qu’il n’estime point fautes, III, 460.

Tel qui rapporte de sa maison la douleur de la goutte, la ialousie, ou le larrecin de son valet, ayant toute l’ame teinte et abbreuuée de colere, il ne faut pas doubter que son iugement ne s’en altere vers cette part là, II, 346.

Quelque bon dessein qu’ait vn iuge, s’il ne s’escoute de pres, à quoy peu de gens s’amusent; l’inclination à l’amitié, à la parenté, à la beauté, et à la vengeance, et non pas seulement choses si poisantes, mais cet instinct fortuite, qui nous fait fauoriser vne chose plus qu’vne autre, et qui nous donne sans le congé de la raison, le choix, en deux pareils subjects, ou quelque vmbrage de pareille vanité, peuuent insinuer insensiblement en son iugement, la recommendation ou deffaueur d’vne cause, et donner pente à la balance, II, 346.

I’ay ouy parler d’vn iuge, lequel où il rencontroit vn aspre conflit entre Bartolus et Baldus, et quelque matiere agitée de plusieurs contrarietez, mettoit en marge de son liure, Question pour l’amy, c’est à dire que la verité estoit si embrouillée et debatue, qu’en pareille cause, il pourroit fauoriser celle des parties, que bon luy sembleroit. Il ne tenoit qu’à faute d’esprit et de suffisance, qu’il ne peust mettre par tout, Question pour l’amy. Les aduocats et les iuges de nostre temps, trouuent à toutes causes, assez de biais pour les accommoder où bon leur semble, II, 378.

Receuons quelque forme d’arrest qui die: La Cour n’y entend rien; tels les Areopagites: lesquels se trouuans pressez d’vne cause, qu’ils ne pouuoient desuelopper, ordonnerent que les parties en viendroient à cent ans, I, 536.

Certes i’ay eu souuent despit, de voir des iuges, attirer par fraude et fauces esperances de faueur ou pardon, le criminel à descouurir son fait, et y employer la piperie et l’impudence. C’est vne iustice malicieuse: et ne l’estime pas moins blessee par soy-mesme, que par autruy, III, 80.

La cholere et la hayne sont au delà du deuoir de la iustice: et sont passions seruans seulement à ceux, qui ne tiennent pas assez à leur deuoir, par la raison simple. Toutes intentions legitimes sont d’elles mesmes temperees: sinon, elles s’alterent en seditieuses et illegitimes, III, 82.

C’est vn vsage de nostre iustice, d’en condamner aucuns, pour l’aduertissement des autres. De les condamner, par ce qu’ils ont failly, ce seroit bestise, car ce qui est faict, ne se peut deffaire: mais c’est afin qu’ils ne faillent plus de mesmes, ou qu’on fuye l’exemple de leur faute. On ne corrige pas celuy qu’on pend, on corrige les autres par luy, III, 330.

C’est raison qu’on face grande difference entre les fautes qui viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice. Car en celles icy nous sommes bandez à nostre escient contre les regles de la raison, que nature a empreintes en nous: et en celles là, il semble que nous puissions appeller à garant cette mesme nature pour nous auoir laissé en telle imperfection et deffaillance, I, 88.

Ie hay moins l’iniure professe que trahitresse; guerriere que pacifique et iuridique, III, 426.

Les supplices aiguisent les vices plustost qu’ils ne les amortissent: ils n’engendrent point le soing de bien faire, c’est l’ouurage de la raison, et de la discipline: mais seulement vn soing de n’estre surpris en faisant mal, II, 438.

C’est mettre ses coniectures à bien haut prix, que d’en faire cuire vn homme tout vif, III, 540.

A tuer les gens: il faut vne clairté lumineuse et nette, III, 538.

Quant à moy, en la iustice mesme, tout ce qui est au delà de la mort simple, me semble pure cruauté, II, 102.

Nostre iustice ne nous presente que l’vne de ses mains; et encore la gauche. Quiconque il soit, il en sort auecques perte, III, 612.

LACHETÉ (PEUR).

La plus commune façon de chastier la coüardise, est par honte et ignominie. Toutesfois quand il y auroit vne si grossiere et apparente ou ignorance ou couardise, qu’elle surpassast toutes les ordinaires, ce seroit raison de la prendre pour suffisante preuue de meschanceté et de malice, et de la chastier pour telle, I, 90.

LAIDEUR.

Entre les laideurs, ie compte les beautez artificielles et forcees. La laideur d’vne vieillesse aduouee, est moins vieille, et moins laide à mon gré, qu’vne autre peinte et lissee, III, 282.

LANGAGE.

Nostre parler a ses foiblesses et ses deffaults, comme tout le reste. La plus part des occasions des troubles du monde sont Grammariens. Noz procez ne naissent que du debat de l’interpretation des loix; et la plus part des guerres, de cette impuissance de n’auoir sçeu clairement exprimer les conuentions et traictez d’accord des Princes, II, 276.

Le parler que i’ayme, c’est vn parler simple et naif, tel sur le papier qu’à la bouche: vn parler succulent et nerueux, court et serré, non tant delicat et peigné, comme vehement et brusque. Plustost difficile qu’ennuieux, esloigné d’affectation: desreglé, descousu, et hardy: chaque loppin y face son corps: non pedantesque, non fratesque, non pleideresque, mais plustost soldatesque, I, 278.

En nostre langage ie trouue assez d’estoffe, mais vn peu faute de façon. Car il n’est rien, qu’on ne fist du iargon de nos chasses, et de nostre guerre, qui est vn genereux terrein à emprunter. Et les formes de parler, comme les herbes, s’amendent et fortifient en les transplantant. Ie le trouue suffisamment abondant, mais non pas maniant et vigoureux suffisamment. Il succombe ordinairement à vne puissante conception. Si vous allez tendu, vous sentez souuent qu’il languit soubs vous, et fleschit: et qu’à son deffaut le Latin se presente au secours, et le Grec à d’autres, III, 242.

Personne n’est exempt de dire des fadaises: le malheur est, de les dire curieusement, III, 78.

Il en est de si sots, qu’ils se destournent de leur voye vn quart de lieuë, pour courir apres vn beau mot. Au rebours, c’est aux paroles à seruir et à suiure, et que le Gascon y arriue, si le François n’y peut aller, I, 276.

Qui a dans l’esprit vne viue imagination et claire, il la produira, soit en Bergamasque, soit par mines, s’il est muet, I, 274.

Le maniement et employte des beaux esprits, donne prix à la langue: non pas l’innouant, tant, comme la remplissant de plus vigoreux et diuers seruices, l’estirant et ployant, III, 240.

Le long ou le court, ne sont proprietez qui ostent ny qui donnent prix au langage, II, 476.

Les Atheniens estoient à choisir de deux architectes, à conduire vne grande fabrique; le premier se presenta auec vn beau discours premedité: mais l’autre en trois mots: Seigneurs Atheniens, ce que cettuy a dict, ie le feray, I, 274.

LANGAGE JUDICIAIRE.

Quelle chose peut estre plus estrange, que de voir vn peuple obligé à suiure des loix qu’il n’entendit oncques: attaché en tous ses affaires domesticques, mariages, donations, testaments, ventes, et achapts, à des regles qu’il ne peut sçauoir, n’estans escrites ny publiees en sa langue, et desquelles par necessité il luy faille acheter l’interpretation et l’vsage, I, 174.

Pourquoy est-ce, que notre langage commun, si aisé à tout autre vsage, deuient obscur et non intelligible, en contract et testament: et que celuy qui s’exprime si clairement, quoy qu’il die et escriue, ne trouue en cela, aucune maniere de se declarer, qui ne tombe en doute et contradiction? Si ce n’est, que les Princes de cet art s’appliquans d’vne peculiere attention, à trier des mots solemnes, et former des clauses artistes, ont tant poisé chasque syllabe, espluché si primement chasque espece de cousture, que les voila enfrasquez et embrouillez en l’infinité des figures, et si menuës partitions: qu’elles ne peuuent plus tomber soubs aucun reglement et prescription, ny aucune certaine intelligence, III, 602.

LIBÉRALITÉ.

La liberalité n’est pas bien en son lustre en main souueraine: les priuez y ont plus de droict. Car à le prendre exactement, vn Roy n’a rien proprement sien; il se doibt soy-mesmes à autruy, III, 296.

Comment assouuiroit il les enuies, qui croissent, à mesure qu’elles se remplissent? Qui a sa pensee à prendre, ne l’a plus à ce qu’il a prins. La conuoitise n’a rien si propre que d’estre ingrate, III, 298.

A nostre mode, ce n’est iamais faict: le reçeu ne se met plus en compte: on n’ayme la liberalité que future. Par quoy plus vn Prince s’espuise en donnant, plus il s’appaourit d’amys, III, 298.

Il faut à qui en veut retirer fruict, semer de la main, non pas verser du sac: il faut espandre le grain, non pas le respandre, III, 296.

Il est trop aysé d’imprimer la liberalité, en celuy, qui a dequoy y fournir autant qu’il veut, aux despens d’autruy. Et son estimation se reglant, non à la mesure du present, mais à la mesure des moyens de celuy qui l’exerce, elle vient à estre vaine en mains si puissantes. Ils se trouuent prodigues, auant qu’ils soient liberaux, III, 296.

LIBERTÉ.

La vraye liberté c’est pouuoir toute chose sur soy, III, 564.

La premeditation de la mort, est premeditation de la liberté. Qui a apris à mourir, il a desapris à seruir, I, 116.

Le sçauoir mourir nous afranchit de toute subiection et contraincte, I, 116.

LIVRES.

Les liures ont beaucoup de qualitez aggreables à ceux qui les sçauent choisir. Mais aucun bien sans peine. C’est vn plaisir qui n’est pas net et pur, non plus que les autres: il a ses incommoditez, et bien poisantes. L’ame s’y exerce, mais le corps demeure ce pendant sans action, s’atterre et s’attriste. Ie ne sçache excez plus dommageable, ny plus à euiter, en la declinaison d’aage, III, 158.

LOIS (JUSTICE, LANGAGE JUDICIAIRE).

Les loix prennent leur authorité de la possession et de l’vsage: il est dangereux de les ramener à leur naissance: elles grossissent et s’annoblissent en roulant, comme nos riuieres, II, 380.

Elles se maintiennent en credit, non par ce qu’elles sont iustes, mais par ce qu’elles sont loix. C’est le fondement mystique de leur authorité: elles n’en ont point d’autre. Qui bien leur sert. Elles sont souuent faictes par des sots. Plus souuent par des gens, qui en haine d’equalité ont faute d’equité. Mais tousiours par des hommes, autheurs vains et irresolus, III, 614.

Il n’est rien si lourdement, et largement fautier, que les loix: ny si ordinairement. Quiconque leur obeit par ce qu’elles sont iustes, ne leur obeyt pas iustement par où il doit, III, 614.

Il n’est si homme de bien, qu’il mette à l’examen des loix toutes ses actions et pensées, qui ne soit pendable dix fois en sa vie. Voire tel, qu’il seroit tres-grand dommage, et tres-iniuste de punir et de perdre, III, 462.

Tel pourroit n’offencer point les loix, qui n’en meriteroit point la loüange d’homme de vertu: et que la philosophie feroit tres-iustement foiter. Tant cette relation est trouble et inegale, III, 462.

Quelle bonté est-ce que ie voyois hyer en credit, et demain ne l’estre plus: et que le traiect d’vne riuiere fait crime? Quelle verité est-ce que ces montaignes bornent mensonge au monde qui se tient au delà? II, 374.

Pour la reuerence des lois la vraye vertu a beaucoup à se desmettre de sa vigueur originelle: et non seulement par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu, mais encores à leur suasion, III, 92.

Les loix mesmes de la iustice, ne peuuent subsister sans quelque meslange d’iniustice. Et ceux-là entreprennent de couper la teste de Hydra, qui pretendent oster des loix toutes incommoditez et inconueniens, II, 540.

Les pires nous sont si necessaires, que sans elles, les hommes s’entre-mangeroient les vns les autres; sans loix, nous viurions comme bestes, II, 334.

Quiconque combat les loix, menace les gents de bien d’escourgees et de la corde, I, 244.

Le pis que ie trouue en nostre estat, c’est l’instabilité: et que nos loix ne peuuent prendre aucune forme arrestée, II, 508.

Il n’est rien subiect à plus continuelle agitation que les loix. Depuis que ie suis nay, i’ay veu telle chose qui nous estoit capitale, deuenir legitime; prenant vne essence contraire en l’espace de peu d’années de possession, II, 372.

L’opinion de celuy-là ne me plaist guere, qui pensoit par la multitude des loix, brider l’authorité des iuges, en leur taillant leurs morceaux. Il ne sentoit point, qu’il y a autant de liberté et d’estenduë à l’interpretation des loix, qu’à leur façon, III, 600.

Toutes choses se tiennent par quelque similitude. Tout exemple cloche. Et la relation qui se tire de l’experience, est tousiours defaillante et imparfaicte. On ioinct toutesfois les comparaisons par quelque bout. Ainsi seruent les loix; et s’assortissent à chacun de nos affaires, par quelque interpretation destournée, contrainte et biaise, III, 610.

Les hommes vont ainsin. On laisse les loix, et preceptes suiure leur voye, nous en tenons vne autre. Non par desreglement de mœurs seulement, mais par opinion souuent, et par iugement contraire, III, 460.

Nous auons en France, plus de loix que tout le reste du monde ensemble; et plus qu’il n’en faudroit à regler tous les mondes d’Epicurus: et si auons tant laissé à opiner et decider à nos iuges, qu’il ne fut iamais liberté si puissante et si licencieuse. Qu’ont gaigné nos legislateurs à choisir cent mille especes et faicts particuliers, et y attacher cent mille loix? Ce nombre n’a aucune proportion, auec l’infinie diuersité des actions humaines. La multiplication de nos inuentions, n’arriuera pas à la variation des exemples. Adioustez y en cent fois autant: il n’aduiendra pas pourtant, que des euenemens à venir, il s’en trouue aucun, qui en tout ce grand nombre de milliers d’euenemens choisis et enregistrez en rencontre vn, auquel il se puisse ioindre et apparier, si exactement, qu’il n’y reste quelque circonstance et diuersité, qui requiere diuerse consideration de iugement, III, 600.

Il y a peu de relation de nos actions, qui sont en perpetuelle mutation, auec les loix fixes et immobiles. Les plus desirables, ce sont les plus rares, plus simples, et generales. Et encore crois-ie, qu’il vaudroit mieux n’en auoir point du tout, que de les auoir en tel nombre que nous auons, III, 602.

Il y a grand doute, s’il se peut trouuer si euident profit au changement d’vne loy receüe telle qu’elle soit, qu’il y a de mal à la remuer, I, 176.

La fortune nous presente aucunes-fois la necessité si vrgente, qu’il est besoin que les loix luy facent quelque place. Quand on resiste à l’accroissance d’vne innouation qui vient par violence à s’introduire, de se tenir en tout et par tout en bride et en regle contre ceux qui ont la clef des champs, ausquels tout cela est loisible qui peut auancer leur dessein, qui n’ont ny loy ny ordre que de suiure leur aduantage, c’est vne dangereuse obligation et inequalité. Il est encore reproché à ces deux grands personnages, Octauius et Caton, aux guerres ciuiles, l’vn de Sylla, l’autre de Cæsar, d’auoir plustost laissé encourir toutes extremitez à leur patrie, que de la secourir aux despens de ses loix, et que de rien remuer. Mieux vault faire vouloir aux loix ce qu’elles peuuent, lors qu’elles ne peuuent ce qu’elles veulent. C’est ce dequoy Plutarque loüe Philopœmen, qu’estant né pour commander, il sçauoit non seulement commander selon les loix, mais aux loix mesmes, quand la necessité publique le requeroit, I, 184.

Il y a ie ne sçay quelle douceur naturelle à se sentir louër, mais nous luy prestons trop de beaucoup. Ie ne me soucie pas tant, quel ie sois chez autruy, comme ie me soucie quel ie sois en moy-mesme. Les estrangers ne voyent que les euenemens et apparences externes: chacun peut faire bonne mine par le dehors, plein au dedans de fiebure et d’effroy. Ils ne voyent pas mon cœur, ils ne voyent que mes contenances, II, 454.

LOUANGE (FLATTERIE, GLOIRE, RÉPUTATION).

La louange est tousiours plaisante, de qui, et pourquoy elle vienne. Si faut-il pour s’en aggreer iustement, estre informé de sa cause, III, 412.

Louez un bossu de sa belle taille, il le doit receuoir à iniure: si vous estes couard, et qu’on vous honnore pour vn vaillant homme, est-ce de vous qu’on parle? On vous prend pour vn autre, III, 190.

MAL.

Le mal est à l’homme bien à son tour. Ny la douleur ne luy est tousiours à fuïr, ny la volupté tousiours à suiure, II, 214.

En toutes nos fortunes, nous nous comparons à ce qui est au dessus de nous, et regardons vers ceux qui sont mieux. Mesurons nous à ce qui est au dessous: il n’en est point de si miserable, qui ne trouue mille exemples où se consoler. C’est nostre vice, que nous voyons plus mal volontiers, ce qui est dessus nous, que volontiers, ce qui est dessoubs, III, 402.

Qui dresseroit vn tas de tous les maux ensemble, il n’est aucun, qui ne choisist plustost de remporter auec soy les maux qu’il a, que de venir à diuision legitime, auec tous les autres hommes, de ce tas de maux, et en prendre sa quotte part, III, 404.

Les plus griefs et ordinaires maux, sont ceux que la fantasie nous charge, III, 642.

Qui se faict plaindre sans raison, est homme pour n’estre pas plaint, quand la raison y sera. C’est pour n’estre iamais plaint, que se plaindre tousiours, faisant si souuent le piteux, qu’on ne soit pitoyable à personne, III, 440.

Le plus vieil et mieux cogneu mal, est tousiours plus supportable, que le mal recent et inexperimenté, III, 402.

Tous les maux qui n’ont autre danger que du mal, nous les disons sans danger. Celuy si grief qu’il soit, d’autant qu’il n’est pas homicide, qui le met en conte de maladie? I, 452.

MALADIE.

On n’a point à se plaindre des maladies, qui partagent loyallement le temps auec la santé, III, 654.

Nous nous perdons d’impatience. Les maux ont leur vie, et leurs bornes, leurs maladies et leur santé. Les maladies ont leur fortune limitée dés leur naissance: et leurs iours. Qui essaye de les abbreger imperieusement, par force, au trauers de leur course, il les allonge et multiplie: et les harselle, au lieu de les appaiser. Il ne faut ny obstinéement s’opposer aux maux, et à l’estourdi: ny leur succomber de mollesse: mais il leur faut ceder naturellement, selon leur condition et la nostre. On doit donner passage aux maladies: elles arrestent moins chez qui les laisse faire. Laissons faire vn peu à Nature: elle entend mieux ses affaires que nous. Mais vn tel en mourut. Si ferez vous: sinon de ce mal là, d’vn autre. Et combien n’ont pas laissé d’en mourir, ayants trois medecins à leur costé? III, 646.

Ie n’ayme point à guarir le mal par le mal. Ie hay les remedes qui importunent plus que la maladie. D’estre subiect à la colique, et subiect à m’abstenir du plaisir de manger des huitres, ce sont deux maux pour vn. Le mal nous pinse d’vn costé, la regle de l’autre. Puis-qu’on est au hazard de se mesconter, hasardons nous plustost à la suitte du plaisir. Le monde faict au rebours, et ne pense rien vtile, qui ne soit penible. La facilité luy est suspecte, III, 642.

Sinon l’allegresse, aumoins la contenance rassise des assistans, est propre, pres d’vn sage malade. Pour se voir en vn estat contraire, il n’entre point en querelle auec la santé. Il luy plaist de la contempler en autruy, forte et entiere; et en iouyr au moins par compagnie. Pour se sentir fondre contre-bas, il ne reiecte pas du tout les pensées de la vie, ny ne fuit les entretiens communs, III, 442.

Les maladies se coniurent mieux par courtoisie, que par brauerie. Il faut souffrir doucement les loix de nostre condition. Nous sommes pour vieillir, pour affoiblir, pour estre malades, en despit de toute medecine, III, 646.

MARIAGE.

Le mariage, outre ce que c’est vn marché qui n’a que l’entree libre, de duree contrainte et forcee, dependant d’ailleurs que de nostre vouloir: il y suruient mille fusees estrangeres à desmeler parmy, suffisantes à rompre le fil et troubler le cours d’vne viue affection, I, 302.

Il n’est plus temps de regimber quand on s’est laissé entrauer. Il faut prudemment mesnager sa liberté: mais depuis qu’on s’est submis à l’obligation, il s’y faut tenir soubs les loix du debuoir commun, aumoins s’en efforcer, III, 200.

Vn mariage plein d’accord et de bonne conuenance, peut ne pas tousiours presenter beaucoup de loyauté: il n’est pas impossible de se rendre aux efforts de l’amour, et ce neantmoins reseruer quelque deuoir enuers le mariage: on le peut blesser, sans le rompre tout à faict, II, 202.

La beauté, l’oportunité, la destinee (car la destinee y met aussi la main) l’ont attachée à vn estranger: non pas si entiere peut estre, qu’il ne luy puisse rester quelque liaison par où elle tient encore à son mary, III, 202.

On ne se marie pas pour soy, quoy qu’on die: on se marie autant ou plus, pour sa posterité, pour sa famille. L’vsage et l’interest du mariage touche nostre race, bien loing par delà nous. Pourtant me plaist cette façon, qu’on le conduise plustost par main tierce, que par les propres: et par le sens d’autruy, que par le sien. Tout cecy, combien à l’opposite des conuentions amoureuses? III, 194.

Ie trouue peu d’aduancement à vn homme de qui les affaires se portent bien, d’aller chercher vne femme qui le charge d’vn grand dot; il n’est point de debte estrangere qui apporte plus de ruyne aux maisons, II, 40.

C’est vne religieuse liaison et deuote que le mariage: voyla pourquoy le plaisir qu’on en tire, ce doit estre vn plaisir retenu, serieux et meslé à quelque seuerité: ce doit estre vne volupté aucunement prudente et consciencieuse, I, 346.

Confessons le vray, il n’en est guere d’entre nous, qui ne craigne plus la honte, qui luy vient des vices de sa femme, que des siens: qui ne se soigne plus (esmerueillable charité) de la conscience de sa bonne espouse, que de la sienne propre: qui n’aymast mieux estre voleur et sacrilege, et que sa femme fust meurtriere et heretique, que si elle n’estoit plus chaste que son mary. Inique estimation de vices, III, 216.

Celuy là s’y entendoit, ce me semble, qui dit qu’vn bon mariage se dressoit d’vne femme aueugle, auec vn mary sourd, III, 236.

Les aigreurs comme les douceurs du mariage se tiennent secrettes par les sages, III, 234.

Bonne femme et bon mariage, se dit, non de qui l’est, mais duquel on se taist, II, 234.

I’ay auec despit, veu des maris hayr leurs femmes, de ce seulement, qu’ils leur font tort. Aumoins ne les faut il pas moins aymer, de nostre faute: par repentance et compassion aumoins, elles nous en deuroient estre plus cheres, III, 204.

Le mariage est vn marché plein de tant d’espineuses circonstances, qu’il est malaisé que la volonté d’vne femme, s’y maintienne entiere long temps. Les hommes, quoy qu’ils y soyent auec vn peu meilleure condition, y ont trop affaire. La touche d’vn bon mariage, et sa vraye preuue, regarde le temps que la societé dure; si elle a esté constamment douce, loyalle, et commode, II, 662.

Ce qu’il s’en voit si peu de bons, est signe de son prix et de sa valeur. A le bien façonner et à le bien prendre, il n’est point de plus belle piece en notre societé. Nous ne nous en pouuons passer, et l’allons auillissant. Il en aduient ce qui se voit aux cages, les oyseaux qui en sont dehors, desesperent d’y entrer; et d’vn pareil soing en sortir, ceux qui sont au dedans, III, 200.

Socrates, enquis, qui estoit plus commode, prendre, ou ne prendre point de femme: Lequel des deux, dit-il, on face, on s’en repentira, III, 200.

Ie ne voy point de mariages qui faillent plustost, et se troublent que ceux qui s’acheminent par la beauté, et desirs amoureux. Il y faut des fondemens plus solides, et plus constans, et y marcher d’aguet: cette boüillante allegresse n’y vaut rien, III, 196.

Peu de gens ont espousé des amies qui ne s’en soient repentis, III, 202.

I’ay veu de mon temps en quelque bon lieu, guerir honteusement et deshonnestement, l’amour, par le mariage: les considerations sont trop autres, III, 202.

Le mariage est vn nom d’honneur et dignité, non de folastre et lasciue concupiscence, I, 348.

Il faut, dit Aristote, toucher sa femme prudemment et seuerement, de peur qu’en la chatouillant trop lasciuement, le plaisir ne la face sortir hors des gons de raison, III, 196.

Les plaisirs mesmes des maris à l’accointance de leurs femmes, sont reprouuez, si la moderation n’y est obseruée: il y a dequoy faillir en licence et desbordement en ce subiect là, comme en vn subiect illegitime. Ces encheriments deshontez, que la chaleur premiere nous suggere en ce ieu, sont non indecemment seulement, mais dommageablement employez enuers noz femmes. Qu’elles apprennent l’impudence au moins d’vne autre main. Elles sont tousiours assez esueillées pour nostre besoing, I, 346.

Les mariez, le temps estant tout leur, ne doiuent ny presser ny taster leur entreprinse, s’ils ne sont prests. Et vault mieux faillir indecemment, à estreiner la couche nuptiale, pleine d’agitation et de fieure, attendant vne et vne autre commodité plus priuée et moins allarmée, que de tomber en vne perpetuelle misere, pour s’estre estonné et desesperé du premier refus, I, 142.

La liberalité des dames est trop profuse au mariage, et esmousse la poincte de l’affection et du desir, III, 204.

Vne trop continuelle assistance, et l’assiduité blesse: chacun sent par experience, que la continuation de se voir, ne peut representer le plaisir que lon sent à se desprendre, et reprendre à secousses, III, 434.

L’amitié a les bras assez longs, pour se tenir et se ioindre, d’vn coin de monde à l’autre: et specialement celle de mari à femme, où il y a vne continuelle communication d’offices, qui en reueillent l’obligation et la souuenance, III, 434.

Le mariage a pour sa part, l’vtilité, la iustice, l’honneur, et la constance: vn plaisir plat, mais plus vniuersel. L’amour se fonde au seul plaisir: et l’a de vray plus chatouilleux, plus vif, et plus aigu: vn plaisir attizé par la difficulté: il y faut de la piqueure et de la cuison. Ce n’est plus amour, s’il est sans fleches et sans feu, III, 204.

Vn bon mariage, s’il en est, refuse la compagnie et conditions de l’amour: il tasche à representer celles de l’amitié. C’est vne douce societé de vie, pleine de constance, de fiance, et d’vn nombre infiny d’vtiles et solides offices, et obligations mutuelles. Aucune femme qui en sauoure le goust, ne voudroit tenir lieu de maistresse à son mary. Si elle est logee en son affection, comme femme, elle y est bien plus honorablement et seurement logee. Quand il fera l’esmeu ailleurs, et l’empressé, qu’on luy demande pourtant lors, à qui il aymeroit mieux arriuer vne honte, ou à sa femme ou à sa maistresse, de qui la desfortune l’affligeroit le plus, à qui il desire plus de grandeur: ces demandes n’ont aucun doubte en vn mariage sain, III, 198.

L’amour hait qu’on se tienne par ailleurs que par luy, et se mesle laschement aux accointances qui sont dressees et entretenues soubs autre titre: comme est le mariage, III, 194.

Ie me mariay à trente trois ans, et louë l’opinion de trente cinq, qu’on dit estre d’Aristote. Platon ne veut pas qu’on se marie auant les trente, II, 26.

MÉDECIN, MÉDECINE (MAUX, MALADIE).

Il y auoit en Ægypte vne loy plus iuste, par laquelle le medecin prenoit son patient en charge les trois premiers iours, aux perils et fortunes du patient: mais les trois iours passez, c’estoit aux siens propres, III, 42.

L’experience est proprement sur son fumier au subiect de la medecine, où la raison luy quitte la place. Tybère disoit, que quiconque auoit vescu vingt ans, se deuoit respondre des choses qui luy estoient nuisibles ou salutaires, et se sçauoir conduire sans medecine. Et le pouuoit auoir apprins de Socrates: lequel conseillant à ses disciples soigneusement, et comme vn tres principal estude, l’estude de leur santé, adioustoit, qu’il estoit malaisé, qu’vn homme d’entendement, prenant garde à ses exercices, à son boire et à son manger, ne discernast mieux que tout medecin, ce qui luy estoit bon ou mauuais, III, 628.

C’est de mal’heur que la science la plus importante qui soit en nostre vsage, comme celle qui a charge de nostre conseruation et santé, soit la plus incertaine, la plus trouble, et agitée de plus de changemens, III, 46.

Les Ægyptiens auoient raison de reiecter ce general mestier de medecin, et descoupper cette profession à chaque maladie, à chasque partie du corps son œuurier. Cette partie en estoit bien plus proprement et moins confusement traictée, de ce qu’on ne regardoit qu’à elle specialement. Les nostres ne s’aduisent pas, que, qui pouruoid à tout, ne pouruoid à rien: que la totale police de ce petit monde, leur est indigestible, III, 54.

L’art de medecine, n’est pas si resolue, que nous soyons sans authorité, quoy que nous facions. Elle change selon les climats, et selon les Lunes: selon Fernel et selon l’Escale. Si vostre medecin ne trouue bon, que vous dormez, que vous vsez de vin, ou de telle viande: ne vous chaille: ie vous en trouueray vn autre qui ne sera pas de son aduis. La diuersité des arguments et opinions medicinales, embrasse toute sorte de formes, III, 644.

Qui vid iamais medecin se seruir de la recepte de son compagnon, sans y retrancher ou adiouster quelque chose? Ils trahissent assez par là leur art: et nous font voir qu’ils y considerent plus leur reputation, et par consequent leur profit, que l’interest de leurs patiens. Celuy là de leurs docteurs est plus sage, qui leur a anciennement prescript, qu’vn seul se mesle de traicter vn malade: car s’il ne fait rien qui vaille, le reproche à l’art de la medecine, n’en sera pas fort grand pour la faute d’vn homme seul: et au rebours, la gloire en sera grande, s’il vient à bien rencontrer: là où quand ils sont beaucoup, ils descrient à tous les coups le mestier: d’autant qu’il leur aduient de faire plus souuent mal que bien, III, 46.

Platon auoit raison de dire, que pour estre vray medecin, il seroit necessaire que celuy qui l’entreprendroit, eust passé par toutes les maladies, qu’il veut guerir, et par tous les accidens et circonstances dequoy il doit iuger. C’est raison qu’ils prennent la verole, s’ils la veulent sçauoir penser. Vrayment ie m’en fierois à celuy là. Car les autres nous guident, comme celuy qui peint les mers, les escueils et les ports, estant assis, sur sa table, et y faict promener le modele d’vn nauire en toute seurté. Iettez-le à l’effect, il ne sçait par où s’y prendre, III, 628.

C’est vne bonne regle en leur art, qu’il faut que la foy du patient, preoccupe par bonne esperance et asseurance, leur effect et operation. Laquelle regle ils tiennent iusques là, que le plus ignorant et grossier medecin, ils le trouuent plus propre à celuy qui a fiance en luy, que le plus experimenté, et incognu, III, 44.

Les medecins ployent ordinairement auec vtilité, leurs regles, à la violence des enuies aspres, qui suruiennent aux malades. Ce grand desir ne se peut imaginer, si estranger et vicieux, que Nature ne s’y applique. Et puis, combien est-ce de contenter la fantasie? III, 642.

Il n’appartient qu’aux medecins de mentir en toute liberté, puis que notre salut despend de la vanité, et fauceté de leurs promesses, III, 42.

Nous ne receuons pas aisément la medecine que nous entendons; non plus que la drogue que nous cueillons. Si les nations, desquelles nous retirons le gayac, la salseperille, et le bois d’esquine, ont des medecins, combien pensons nous par cette mesme recommendation de l’estrangeté, la rareté, et la cherté, qu’ils façent feste de noz choulx, et de nostre persil? car qui oseroit mespriser les choses recherchées de si loing, au hazard d’vne si longue peregrination et si perilleuse? III, 48.

C’est la crainte de la mort et de la douleur, l’impatience du mal, vne furieuse et indiscrete soif de la guerison, qui nous aueugle. C’est pure lascheté qui rend croyance à la medecine si molle et maniable. La plus part pourtant ne croyent pas tant, comme ils endurent et laissent faire, III, 66.

On se doit adonner aux meilleures regles, mais non pas s’y asseruir: si ce n’est à celles, s’il y en a quelqu’vne, ausquelles l’obligation et seruitude soit vtile. Il n’est rien, où les malades se puissent mettre mieux en seurté, qu’en se tenant coy, dans le train de vie, où ils sont esleuez et nourris. Le changement, quel qu’il soit, estonne et blesse. Estendons nostre possession iusques aux derniers moyens. Le plus souuent on s’y durcit, en s’opiniastrant, et corrige lon sa complexion, III, 640.

MÉDITATION.

Le mediter est vn puissant estude et plein à qui sçait se taster et employer vigoureusement. I’aime mieux forger mon ame, que la meubler. Il n’est point d’occupation ny plus foible, ny plus forte, que celle d’entretenir ses pensees, selon l’ame que c’est, III, 136.

MÉMOIRE.

C’est vn outil de merueilleux seruice, que la memoire, et sans lequel le iugement fait bien à peine son office, II, 496.

C’est le receptacle et l’estuy de la science, II, 500.

La memoire nous represente, non pas ce que nous choisissons, mais ce qui luy plaist. Il n’est rien qui imprime si viuement quelque chose en nostre souuenance, que le desir de l’oublier. C’est vne bonne maniere de donner en garde, et d’empreindre en nostre ame quelque chose, que de la solliciter de la perdre, II, 216.

Ce n’est pas sans raison qu’on dit, que qui ne se sent point assez ferme de memoire, ne se doit pas mesler d’estre menteur, I, 62.

Le manque de memoire est vn mal duquel principallement i’ay tiré la raison de corriger vn mal pire, qui se fust facilement produit en moy: sçauoir est l’ambition, car cette deffaillance est insuportable à qui s’empestre des negotiations du monde, I, 60.

MÉNAGE (FEMME, MARIAGE).

La plus vtile et honnorable science et occupation à vne mere de famille, c’est la science du mesnage. I’en vois quelqu’vne auare; de mesnagere, fort peu. C’est sa maistresse qualité, et qu’on doibt chercher, auant toute autre: comme le seul douaire qui sert à ruyner ou sauuer nos maisons, III, 432.

Il est ridicule et iniuste, que l’oysiueté de nos femmes, soit entretenuë de nostre sueur et trauail. Ie vois auec despit en plusieurs mesnages, monsieur reuenir maussade et tout marmiteux du tracas des affaires, enuiron midy, que madame est encore apres à se coiffer et attiffer, en son cabinet, III, 432.

Les inconuenients ordinaires ne sont iamais legers. Ils sont continuels et irreparables, quand ils naissent des membres du mesnage, continuels et inseparables, III, 386.

A mesure que ces espines domestiques sont drues et desliees, elles nous mordent plus aigu, et sans menace, nous surprenant facilement à l’impourueu, III, 386.

Il y a quelque commodité à commander, fust ce dans vne grange, et à estre obey des siens. Mais c’est vn plaisir trop vniforme et languissant. Et puis il est par necessité meslé de plusieurs pensements fascheux, III, 382.

Ie suis chez moy, respondant de tout ce qui va mal, III, 394.

Il y a tousiours quelque piece qui va de trauers. Les negoces, tantost d’vne maison, tantost d’vne autre, vous tirassent. Vous esclairez toutes choses de trop pres. Votre perspicacité vous nuict icy comme si fait elle assez ailleurs. Ie me desrobe aux occasions de me fascher: et me destourne de la cognoissance des choses, qui vont mal. Et si ne puis tant faire, qu’à toute heure ie ne heurte chez moy, en quelque rencontre, qui me desplaise. Et les fripponneries, qu’on me cache le plus, sont celles que ie sçay le mieux. Il en est que pour faire moins mal, il faut ayder soy mesme à cacher. Vaines pointures: vaines par fois, mais tousiours pointures. Les plus menus et graisles empeschemens, sont les plus persans, III, 384.

C’est pitié, d’estre en lieu où tout ce que vous voyez, vous embesongne, et vous concerne, III, 186.

La plus sotte contenance d’vn Gentilhomme en sa maison, c’est lors de la visitation et assemblee de ses amis, de le voir empesché du train de sa police: parler à l’oreille d’vn valet, en menacer vn autre des yeux. Elle devroit couler insensiblement, et representer vn cours ordinaire, III, 394.

MENSONGE.

En verité le mentir est vn maudit vice. Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les vns aux autres que par la parole, I, 64.

C’est vn vilain vice, c’est donner tesmoignage de mespriser Dieu, et quand et quand de craindre les hommes. Car que peut on imaginer plus vilain, que d’estre couart à l’endroit des hommes, et braue à l’endroit de Dieu? II, 526.

Nostre intelligence se conduisant par la seule voye de la parolle, celuy qui la fauce, trahit la societé publique. C’est le seul vtil, par le moyen duquel se communiquent noz volontez et noz pensées: c’est le truchement de nostre ame: s’il nous faut, nous ne nous tenons plus, nous ne nous entrecognoissons plus. S’il nous trompe, il rompt tout nostre commerce, et dissoult toutes les liaisons de nostre police, II, 526.

La menterie seule, et vn peu au dessous, l’opiniastreté, me semblent estre celles desquelles on deuroit à toute instance combattre la naissance et le progrez, elles croissent quand et eux: et depuis qu’on a donné ce faux train à la langue, c’est merueille combien il est impossible de l’en retirer, I, 64.

Le premier traict de la corruption des mœurs, c’est le bannissement de la verité; l’estre veritable, est le commencement d’vne grande vertu, II, 526.

C’est office de magnanimité, hayr et aymer à descouuert: iuger, parler auec toute franchise: et au prix de la verité, ne faire cas de l’approbation ou reprobation d’autruy, II, 492.

Nostre verité de maintenant, ce n’est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à autruy: comme nous appellons monnoye, non celle qui est loyalle seulement, mais la fauce aussi, qui a mise, II, 526.

Ie ne sçay quelle commodité ils attendent de se faindre et contrefaire sans cesse: si ce n’est, de n’en estre pas creus, lors mesmes qu’ils disent verité. Cela peut tromper vne fois ou deux et tient advertis ceux qui ont à les pratiquer, que ce n’est que piperie et mensonge qu’ils disent, II, 494.

Il ne faut pas tousiours dire tout, car ce seroit sottise. Mais ce qu’on dit, il faut qu’il soit tel qu’on le pense: autrement, c’est meschanceté, II, 492.

Celui qui dit vray, par ce qu’il y est d’ailleurs obligé, et par ce qu’il sert: et qui ne craind point à dire mensonge, quand il n’importe à personne, il n’est pas veritable suffisamment, II, 492.

La verité n’a qu’vn visage, le reuers de la verité a cent mille figures, et vn champ indefiny; le bien est certain et finy, le mal infiny et incertain; mille routtes desuoyent du blanc: vne y va, I, 64.

Ie me fay plus d’iniure en mentant, que ie n’en fay à celuy, de qui ie mens, II, 514.

Nous sommes mieux en la compagnie d’vn chien cognu, qu’en celle d’vn homme, duquel le langage nous est inconnu; combien est le langage faux moins sociable que le silence? I, 64.

MIRACLES (CRÉDULITÉ, CROYANCES).

Si nous appelons monstres ou miracles, ce où nostre raison ne peut aller, combien s’en presente il continuellement à nostre veuë, I, 290.

Les miracles sont, selon l’ignorance en quoy nous sommes de la nature, non selon l’estre de la nature, I, 162.

Nous n’auons que faire d’aller trier des miracles et des difficultez estrangeres: il me semble que parmy les choses que nous voyons ordinairement, il y a des estrangetez si incomprehensibles, qu’elles surpassent toute la difficulté des miracles, III, 40.

I’ay veu la naissance de plusieurs miracles de mon temps. Encore qu’ils s’estouffent en naissant, nous ne laissons pas de preuoir le train qu’ils eussent pris, s’ils eussent vescu leur aage. Car il n’est que de trouuer le bout du fil, on en desuide tant qu’on veut. Et y a plus loing, de rien, à la plus petite chose du monde, qu’il y a de celle là, iusques à la plus grande, III, 528.

On est pardonnable, de mescroire vne merueille, autant au moins qu’on peut en destourner et elider la verification, par voye non merueilleuse: et il vaut mieux pancher vers le doute, que vers l’asseurance, és choses de difficile preuue, et dangereuse creance, III, 538.

MODÉRATION.

La moderation est vertu bien plus affaireuse, que n’est la souffrance, II, 646.

Au mesnage, à l’estude, à la chasse, et tout autre exercice, il faut donner iusques aux derniers limites du plaisir; et garder de s’engager plus auant, ou la peine commence à se mesler parmy, I, 426.

La temperance est moderatrice, non aduersaire des voluptés, III, 698.

Mon mestier et mon art, c’est viure, I, 680.

I’ayme la vie, et la cultiue, telle qu’il a pleu à Dieu nous l’octroyer, III, 696.

Pour me sentir engagé à vne forme, ie n’y oblige pas le monde, comme chascun fait, et croy, et conçoy mille contraires façons de vie: et au rebours du commun, reçoy plus facilement la difference, que la ressemblance en nous, I, 198.

Ie m’attache à ce que ie voy, et que ie tiens, et ne m’eslongne guere du port, II, 490.

Où ma volonté se prend auec trop d’appetits, ie me penche à l’opposite de son inclination. Comme ie la voy se plonger et enyurer de son vin, ie fuis à nourrir son plaisir si auant, que ie ne l’en puisse plus r’auoir sans perte sanglante, III, 506.

Pour moy, ie louë vne vie glissante, sombre et muette, III, 520.

M’aymerois à l’auanture mieux, deuxiesme ou troisiesme à Perigueux, que premier à Paris: au moins sans mentir, mieux troisiesme à Paris, que premier en charge, III, 322.

Les passions, me sont autant aisées à euiter, comme elles me sont difficiles à moderer, III, 516.

Mes humeurs sont contradictoires aux humeurs bruyantes. I’arresterois bien vn trouble, sans me troubler, et chastierois vn desordre sans alteration. Ay-ie besoing de cholere, et d’inflammation? ie l’emprunte, et m’en masque, III, 520.

Le bon heur m’est vn singulier aiguillon, à la moderation, et modestie. La priere me gaigne, la menace me rebute, la faueur me ploye, la crainte me roydit, III, 380.

Si quelquefois on m’a poussé au maniement d’affaires estrangeres, i’ay promis de les prendre en main, non pas au poulmon et au foye; de m’en charger, non de les incorporer: de m’en soigner, ouy; de m’en passionner, nullement: i’y regarde, mais ie ne les couue point, III, 484.

I’ay peu me mesler des charges publiques, sans me despartir de moy, de la largeur d’vne ongle, et me donner à autruy sans m’oster à moy, III, 492.

Le Maire et Montaigne ont tousiours esté deux, d’vne separation bien claire.

Mon pere auoit ouy dire, qu’il se falloit oublier pour le prochain; que le particulier ne venoit en aucune consideration au prix du general. La plus part des regles et preceptes du monde prennent ce train, de nous pousser hors de nous, et chasser en la place, à l’vsage de la societé publique. Ils ont pensé faire vn bel effect, de nous destourner et distraire de nous; presupposans que nous n’y tinsions que trop, et d’vne attache trop naturelle; et n’ont espargné rien à dire pour cette fin. Car il n’est pas nouueau aux sages, de prescher les choses comme elles seruent, non comme elles sont, III, 490.

Sauf la santé et la vie, il n’est chose pourquoy ie vueille ronger mes ongles, et que ie vueill’ acheter, au prix du tourment d’esprit et de la contrainte, II, 484.

L’absence de memoire est vn mal duquel principallement i’ay tiré la raison de corriger vn mal pire, qui se fust facilement produit en moy: sçauoir est l’ambition, car cette deffaillance est insuportable à qui s’empestre des negotiations du monde, I, 60.

Les Princes me donnent prou, s’ils ne m’ostent rien: et me font assez de bien, quand ils ne me font point de mal: c’est tout ce que i’en demande, III, 420.

Ie ne veux estre tenu seruiteur, ni si affectionné ny si loyal, qu’on me treuue bon à trahir personne. Qui est infidelle à soy-mesme, l’est excusablement à son maistre, III, 88.

Ie ne trouue rien si cher, que ce qui m’est donné: et ce pourquoy, ma volonté demeure hypothequee par tiltre de gratitude. Et reçois plus volontiers les offices, qui sont à vendre. Ie crois bien. Pour ceux-cy, ie ne donne que de l’argent: pour les autres, ie me donne moy-mesme, III, 416.

Ce qui a esté fié à mon silence, ie le cele religieusement: mais ie prens à celer le moins que ie puis. C’est vne importune garde, du secret des autres, à qui n’en a que faire, III, 86.

Ie ne dis rien à l’vn, que ie ne puisse dire à l’autre, à son heure, l’accent seulement vn peu changé: et ne rapporte que les choses ou indifferentes, ou cogneuës, ou qui seruent en commun, III, 88.

Ie ne hay pas seulement à piper, mais ie hay aussi qu’on se pipe en moy: ie n’y veux pas seulement fournir de matiere et d’occasion, III, 80.

Ie sçay bien dire: Il faict meschamment cela, et vertueusement cecy, III, 502.

Quantes-fois, estant marry de quelque action, que la ciuilité et la raison me prohiboient de reprendre à descouuert, m’en suis-ie desgorgé, non, sans dessein de publique instruction en ces verges poëtiques qui s’impriment encore mieux en papier, qu’en la chair viue, III, 524.

Quand pour sa droiture ie ne suyurois le droit chemin, ie le suyurois pour auoir trouué par experience, qu’au bout du compte, c’est communement le plus heureux, et le plus vtile, III, 452.

I’aymeroy bien plus cher, rompre la prison d’vne muraille, et des loix, que de ma parole, III, 416.

Ie promets volontiers vn peu moins de ce que ie puis, et de ce que i’espere tenir, III, 524.

Ie me contente de iouïr le monde, sans m’en empresser: de viure vne vie, seulement excusable: et qui seulement ne poise, ny à moy, ny à autruy, III, 390.

Ma forme essentielle, est propre à la communication, et à la production: ie suis tout au dehors et en euidence, nay à la societé et à l’amitié, III, 146.

Les hommes, de la societé et familiarité desquels ie suis en queste, sont ceux qu’on appelle honnestes et habiles hommes, III, 146.

Ie cherche à la verité plus la frequentation de ceux qui me gourment, que de ceux qui me craignent. C’est vn plaisir fade et nuisible, d’auoir affaire à gens qui nous admirent et facent place, III, 338.

I’ayme entre les galans hommes, qu’on s’exprime courageusement: que les mots aillent où va la pensee. Il nous faut fortifier l’ouye, et la durcir, contre cette tendreur du son ceremonieux des parolles. I’ayme vne societé, et familiarité forte, et virile: vne amitié, qui se flatte en l’aspreté et vigueur de son commerce: comme l’amour, és morsures et esgratigneures sanglantes, III, 336.

Aux propos que ie ne puis traicter sans interest, et sans emotion, ie ne m’y mesle, si le deuoir ne m’y force, III, 506.

On a dequoy couler plus incurieusement, en la pauureté, qu’en l’abondance, iustement dispensée, II, 646.

L’immoderation vers le bien mesme, si elle ne m’offense, elle m’estonne, I, 344.

L’archer qui outrepasse le blanc, faut comme celuy, qui n’y arriue pas, I, 344.

Les yeux me troublent à monter à coup, vers vne grande lumiere également comme à deualler à l’ombre, I, 344.

Celuy qui se porte plus moderément enuers le gain, et la perte, il est tousiours chez soy. Moins il se pique et passionne au ieu, il le conduit d’autant plus auantageusement et seurement, III, 494.

Il est ordinaire, de voir les bonnes intentions, si elles sont conduites sans moderation, pousser les hommes à des effects tres-vitieux, II, 528.

Ie vous conseille en vos opinions et en vos discours, autant qu’en vos mœurs, et en toute autre chose, la moderation et l’attrempance, et la fuite de la nouuelleté et de l’estrangeté. Toutes les voyes extrauagantes me faschent, II, 322.

MODES.

Nos Roys peuuent tout en telles reformations externes: leur inclination y sert de loy. Le reste de la France prend pour regle la regle de la Cour, I, 498.

Ie me plains de la particuliere indiscretion, de notre peuple, de se laisser si fort piper et aueugler à l’authorité de l’vsage present, qu’il soit capable de changer d’opinion et d’aduis tous les mois, s’il plaist à la coustume: et qu’il iuge si diuersement de soy-mesme, I, 544.

MŒURS.

La moins dedeignable condition de gents, me semble estre, celle qui par simplesse tient le dernier rang: et nous offrir vn commerce plus reglé. Les mœurs et les propos des paysans, ie les trouue communement plus ordonnez selon la prescription de la vraye philosophie, que ne sont ceux de noz philosophes, II, 518.

Ceux qui ont essaié de r’auiser les mœurs du monde, de mon temps, par nouuelles opinions, reforment les vices de l’apparence, ceux de l’essence ils les laissent là, s’ils ne les augmentent. Et l’augmentation y est à craindre, III, 120.

Toute estrangeté et particularité en noz mœurs et conditions est euitable, comme ennemie de societé, I, 268.

On dict bien vray, qu’vn honneste homme, c’est vn homme meslé, III, 454.

Entre nous, ce sont choses en ce monde que i’ay tousiours veuës de singulier accord: les opinions supercelestes, et les mœurs sousterraines, III, 702.

MONDE.

Si nous voyions autant du monde, comme nous n’en voyons pas, nous apperceurions, comme il est à croire, vne perpetuelle multiplication et vicissitude de formes. Il n’y a rien de seul et de rare, eu esgard à Nature, ouy bien eu esgard à nostre cognoissance, III, 304.

Quand tout ce qui est venu par rapport du passé, iusques à nous, seroit vray, et seroit sçeu par quelqu’vn, ce seroit moins que rien, au prix de ce qui est ignoré, III, 304.

MONTAIGNE (MÉNAGE, MORT, ETC.).

Si ma fortune m’eust faict naistre pour tenir quelque rang entre les hommes, i’eusse esté ambitieux de me faire aymer: non de me faire craindre ou admirer, III, 424.

Les Princes n’ayment guere les discours fermes, ny moy à faire des comptes, II, 476.

Il n’y a point d’vtilité, pour laquelle ie me permette de mentir, III, 86.

Ceux qui ont merité de moy, de l’amitié et de la recognoissance, ne l’ont iamais perdue pour n’y estre plus: ie les ay mieux payez, et plus soigneusement, absens et ignorans. Ie parle plus affectueusement de mes amis, quand il n’y a plus de moyen qu’ils le sçachent, III, 474.

Ie sçay bien ce que ie fuis, mais non pas ce que ie cherche, III, 426.

La medecine se forme par exemples et experience: aussi fait mon opinion, III, 32.

Ie hay la pauureté à pair de la douleur, III, 392.

Ie fay peu de part à ma prudence, de ma conduite: ie me laisse volontiers mener à l’ordre public du monde, II, 508.

I’ay veu quelque fois mes amis appeller prudence en moy, ce qui estoit fortune; et estimer aduantage de courage et de patience, ce qui estoit aduantage de iugement et opinion; et m’attribuer vn tiltre pour autre; tantost à mon gain, tantost à ma perte, II, 94.

Ma consultation esbauche vn peu la matiere, et la considere legerement par ses premiers visages: le fort et principal de la besogne, i’ay accoustumé de le resigner au ciel, III, 356.

Ie pense auoir les opinions bonnes et saines, mais qui n’en croit autant des siennes? II, 510.

Ie n’ay point cette erreur commune, de iuger d’vn autre selon que ie suis. I’en croy aysément des choses diuerses à moy, I, 398.

Ie suis diuers à cette façon commune: et me deffie plus de la suffisance quand ie la vois accompagnée de grandeur de fortune, et de recommandation populaire, III, 358.

Ie ne presume les vices qu’apres que ie les aye veuz: et m’en fie plus aux ieunes, que i’estime moins gastez par mauuais exemple, III, 390.

Ie demande en general les liures qui vsent des sciences, non ceux qui les dressent, I, 74.

Les paroles redites, ont comme autre son, autre sens. Aussi ne hay-ie personne, III, 598.

Ie ne cherche aux liures qu’à m’y donner du plaisir par vn honneste amusement: ou si i’estudie, ie n’y cherche que la science, qui traicte de la connoissance de moy-mesmes, et qui m’instruise à bien mourir et à bien viure, II, 62.

I’ayme l’ordre et la netteté, au prix de l’abondance: et regarde chez moy exactement à la necessité, peu à la parade, III, 394.

Ie treuue laid, qu’on entretienne ses hostes, du traictement qu’on leur fait, autant à l’excuser qu’à le vanter, III, 394.

Les voyages ne me blessent que par la despence, qui est grande, et outre mes forces, III, 384.

Qui desirera du bien à son païs comme moy, sans s’en vlcerer ou maigrir, il sera desplaisant, non pas transi, de le voir menassant, ou sa ruine, ou vne durée non moins ruineuse, III, 510.

Absent, ie me despouille de tous tels pensemens: et sentirois moins lors la ruyne d’vne tour, que ie ne fais present, la cheute d’vne ardoyse. Mon ame se démesle bien ayséement à part, mais en presence, elle souffre, comme celle d’vn vigneron. Vne rene de trauers à mon cheual, vn bout d’estriuiere qui batte ma iambe, me tiendront tout vn iour en eschec. I’esleue assez mon courage à l’encontre des inconueniens, les yeux, ie ne puis, III, 392.

Mon election est d’eschapper, et me desrober à cette tempeste. Qu’il faille se cacher, ou suyure le vent: ce que i’estime loisible, quand la raison ne guide plus, III, 470.

I’eschappe. Mais il me desplaist que ce soit plus par fortune: voire, et par ma prudence, que par iustice: et me desplaist d’estre hors la protection des loix, et soubs autre sauuegarde que la leur, III, 414.

Non sans quelque excez, i’estime tous les hommes mes compatriotes: et embrasse vn Polonois comme vn François, postposant cette lyaison nationale, à l’vniuerselle et commune. Ie ne suis guere feru de la douceur d’vn air naturel, III, 428.

Socrates estimoit vne sentence d’exil pire, qu’vne sentence de mort contre soy: ie ne seray, iamais ny si cassé, ny si estroittement habitué en mon païs, que ie le feisse, III, 428.

Mon iugement m’empesche bien de regimber et gronder contre les inconuenients que Nature m’ordonne à souffrir, mais non pas de les sentir. Ie courrois d’vn bout du monde à l’autre, chercher vn bon an de tranquillité plaisante et eniouee, moy, qui n’ay autre fin que viure et me resiouïr, III, 184.

Tout au commencement de mes fieures, et des maladies qui m’atterrent, entier encores, et voisin de la santé, ie me reconcilie à Dieu, par les derniers offices Chrestiens. Et m’en trouue plus libre, et deschargé; me semblant en auoir d’autant meilleure raison de la maladie, III, 446.

Il ne me faut rien d’extraordinaire, quand ie suis malade. Ce que Nature ne peut en moy, ie ne veux pas qu’vn bolus le face, III, 446.

De notaire et de conseil, il m’en faut moins que de medecins. Ce que ie n’auray estably de mes affaires tout sain, qu’on ne s’attende point que ie le face malade. Ce que ie veux faire pour le seruice de la mort, est tousiours faict. Ie n’oserois le dislayer d’vn seul iour. Et s’il n’y a rien de faict, c’est à dire, ou que le doubte m’en aura retardé le choix: car par fois, c’est bien choisir de ne choisir pas: ou que tout à faict, ie n’auray rien voulu faire, III, 446.

Engagé dans les auenues de la vieillesse, ce que ie seray doresnauant, ce ne sera plus qu’vn demy estre: ce ne sera plus moy. Ie m’eschappe tous les iours, et me desrobbe à moy, II, 482.

A chaque minute, ie me rechante sans cesse, Tout ce qui peut estre faict vn autre iour, le peut estre auiourd’huy. Ce que i’ay affaire auant mourir, pour l’acheuer tout loisir me semble court, fust ce œuure d’vne heure, I, 118.

Ie me garderay, si ie puis, que ma mort die chose, que ma vie n’ayt premierement dit et apertement, I, 56.

La mort n’est qu’vn instant; mais il est de tel poix, que ie donneroy volontiers plusieurs iours de ma vie, pour le passer à ma mode, III, 450.

MORT (MAUX, SUICIDE, VIE).

Le premier iour de vostre naissance vous achemine à mourir comme à viure. Tout ce que vous viués, vous le desrobés à la vie: c’est à ses despens. Le continuel ouurage de vostre vie, c’est bastir la mort, I, 126.

La mort se mesle et confond par tout à nostre vie: le declin præoccupe son heure, et s’ingere au cours de nostre auancement mesme, III, 674.

Faictes place aux autres, comme d’autres vous l’ont faite. L’equalité est la premiere piece de l’equité. Qui se peut plaindre d’estre comprins où tous sont comprins? Aussi auez vous beau viure, vous n’en rabattrez rien du temps que vous auez à estre mort: c’est pour neant: aussi long temps serez vous en cet estat là, que vous craingnez, comme si vous estiez mort en nourrisse, I, 128.

Nul ne meurt auant son heure. Ce que vous laissez de temps, n’estoit non plus vostre que celuy qui s’est passé auant vostre naissance: et ne vous touche non plus, I, 128.

Le sault n’est pas si lourd du mal estre au non estre, comme il est d’vn estre doux et fleurissant, à vn estre penible et douloureux, I, 124.

Et ce n’est pas la recepte à vne seule maladie, la mort est la recepte à tous maux. C’est vn port, tresasseuré, qui n’est iamais à craindre, souuent à rechercher, I, 630.

Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du passage à l’exemption de toute peine! I, 142.

La mort, dit-on, nous acquitte de toutes nos obligations. I’en sçay qui l’ont prins en diuerse façon, I, 54.

Elle s’appesantit souuent en nous, de ce qu’elle poise aux autres: et nous interesse de leur interest, quasi autant que du nostre: et plus et tout par fois, III, 452.

Nous pensons tousiours ailleurs quand elle vient: l’esperance d’vne meilleure vie nous arreste et appuye: ou l’esperance de la valeur de nos enfans: ou la gloire future de nostre nom: ou la fuitte des maux de cette vie: ou la vengeance qui menasse ceux qui nous causent la mort, III, 166.

La mort ne se sent que par le discours, d’autant que c’est le mouuement d’vn instant. Mille bestes, mille hommes sont plustost morts, que menassés, I, 452.

La mort est moins à craindre que rien, s’il y auoit quelque chose de moins, que rien. Elle ne vous concerne ny mort ny vif. Vif, par ce que vous estes: mort, par ce que vous n’estes plus, I, 128.

Combien a la mort de façons de surprise? Ces exemples si frequents et si ordinaires nous passans deuant les yeux, comme est-il possible qu’on se puisse deffaire du pensement de la mort, et qu’à chasque instant il ne nous semble qu’elle nous tienne au collet? Qu’importe-il, me direz vous, comment que ce soit, pourueu qu’on ne s’en donne point de peine? Tout cela est beau: mais aussi quand elle arriue, ou à eux ou à leurs femmes, enfans et amis, les surprenant en dessoude et au descouuert, quels tourments, quels cris, quelle rage et quel desespoir les accable? Vistes vous iamais rien si rabaissé, si changé, si confus? Il y faut prouuoir de meilleure heure: et cette nonchalance bestiale, quand elle pourroit loger en la teste d’vn homme d’entendement, ce que ie trouue entierement impossible, nous vend trop cher ses denrees, I, 114.

Les ieunes et les vieux laissent la vie de mesme condition. Nul n’en sort autrement que si tout presentement il y entroit, ioinct qu’il n’est homme si décrepite tant qu’il voit Mathusalem deuant, qui ne pense auoir encore vingt ans dans le corps, I, 112.

Quand nous iugeons de l’asseurance d’autruy en la mort, il se faut prendre garde d’vne chose, que mal-aisément on croit estre arriué à ce poinct. Peu de gens meurent resolus, que ce soit leur heure derniere, II, 420.

Or de iuger la resolution et la constance, en celuy qui ne croit pas encore certainement estre au danger, quoy qu’il y soit, ce n’est pas raison: et ne suffit pas qu’il soit mort en cette desmarche, s’il ne s’y estoit mis iustement pour cet effect, II, 422.

La veue esloignee de la mort aduenir, a besoing d’vne fermeté lente, et difficile par consequent à fournir. Si vous ne sçauez pas mourir, ne vous chaille. Nature vous en informera sur le champ, plainement et suffisamment; elle fera exactement cette besongne pour vous, n’en empeschez vostre soing, III, 574.

Nous faisons trop de cas de nous. Il semble que l’vniuersité des choses souffre aucunement de nostre aneantissement, et qu’elle soit compassionnée à nostre estat, II, 420.

Et n’est rien dequoy ie m’informe si volontiers, que de la mort des hommes: quelle parole, quel visage, quelle contenance ils y ont eu: ny endroit des histoires, que ie remarque si attentifuement. Si i’estoy faiseur de liures, ie feroy vn registre commenté des morts diuerses: qui apprendroit les hommes à mourir, leur apprendroit à viure, I, 120.

Comme la vie n’est pas la meilleure, pour estre longue, la mort est la meilleure, pour n’estre pas longue, III, 426.

Chargement de la publicité...