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Le meilleur ami

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J’eus malgré moi, de la rancune contre Bernerette. Que nos sentiments sont étranges parfois ! Celui-ci me surprit. Je méditai à ce propos toute la soirée, en me promenant, solitaire, sur les remparts de Saint-Malo. Comment pouvais-je en vouloir à Bernerette à cause de son aveu ? Je connaissais son secret ; j’en suivais, jour par jour, depuis plusieurs mois, la marche souterraine. J’avais, qui plus est, accepté tacitement le rôle d’ami muet des choses de son cœur ; autrement dit, son aveu m’était fait depuis longtemps, puisqu’il s’était laissé deviner ; la formule seule de l’aveu manquait ; eh bien ! elle avait été prononcée enfin ! Voilà tout. Mon étonnement, mon mécontentement me découvrirent les résignations hypocrites du cœur. Je me croyais résigné ; ma raison seule l’était ; mais la passion, le noyau sauvage que n’atteignent pas les opérations de culture pratiquées à l’épiderme ou dans la pulpe du fruit, projetait un jus amer qui me donna un moment la nausée. Je vis qu’en ses profondeurs, ma passion, cette bête, elle, espérait toujours.

Et puis il fallait aussi tenir compte de l’effet magique de la formule. On a beau dire, tout ce qui reste inconsacré par le « verbe » est presque négligeable, et l’amour, quel qu’il soit, a besoin, pour avoir vie, du traditionnel « je vous aime ». Bernerette, par un détour délicat, il est vrai, m’avait donc dit : « Je l’aime ! »

En une soirée, sur les remparts de Saint-Malo, et en une nuit, à l’Hôtel de Chateaubriand, je dus recommencer à envisager la réalité face à face, et me cheviller une résignation plus profonde et plus solide, comme si depuis deux ou trois mois, en vérité, je n’avais rien fait !

Rancune, raison, résignation ! Je devais partir deux jours après le voyage de la Rance ; j’en restai huit à Dinard.

Le premier jour, avec la fermeté, l’orgueilleux courage d’un stoïcien, j’affrontai Dinard ; et tout ce qui eût pu m’arriver de douloureux par Bernerette eût été reçu par moi avec l’ivresse du martyre. Mais le hasard voulut qu’il ne m’arrivât rien, rien de désagréable ; Bernerette joua au tennis, prit son bain, fut courtisée, et se montra gentille avec moi, comme à l’ordinaire. Nulle allusion à l’énorme aveu.

Et les jours suivants, j’espérais qu’elle ne me reparlerait plus jamais de Gérard, plus jamais de son amour ! Cela me paraissait improbable ; mais je me disais : « Elle n’a pas repris ce sujet dès le lendemain de l’aveu, alors que c’eût été si facile… Il lui faudra maintenant un nouvel effort pour rouvrir une porte qui n’a cédé une première fois qu’à la pression de circonstances tout extérieures… Enfin, elle ne me parlera peut-être jamais plus de cela !… »

Et un autre jour, encore, je pensai : « Ne serait-il pas possible qu’elle oublie Gérard ? » Je promenai beaucoup ce refrain sur les remparts de Saint-Malo : « Ne serait-il pas possible qu’elle oublie Gérard ?… »

Enfin, quand je quittai Dinard et Saint-Malo, Bernerette me fit des adieux tout à fait tendres, puis elle me mena dans une encoignure et me dit :

— Vous tâcherez de ramener votre ami au Ranelagh cet hiver ?

Ce fut moi qui rougis. Elle n’eut pas encore la moindre idée d’avoir pu me peiner ; elle plaisanta même à cause de ma rougeur :

— Oh ! dit-elle, aurai-je commis une inconvenance ?

Puis il y eut des poignées de main, des adieux répétés, une fausse sortie par le jardin, une fausse sortie par la plage, et des offres d’aller un peu me conduire, et des mots d’aimable tristesse qu’inspirent les séparations. Par-dessus la barrière, en présence de ses parents, Bernerette me cria :

— C’est juré ?

J’entendis sa mère qui demandait :

— Quoi donc ?

Je fis signe, en souriant, que j’avais compris, moi, et que c’était juré.

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