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Le meilleur ami

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Je ne me sens pas, après dix ans écoulés, la force de décrire ce que je vis pendant les quelques jours que nous restâmes à la Tourmeulière. Tous les amants malheureux, tous les pauvres jaloux savent ce que c’est que la torture des petits jeux, des gages, des apartés dans un salon, des rencontres possibles dans le dédale des corridors, et du choix des places dans un break de promenade ; ce que sont les mots spirituels que la coquetterie attise, et les termes d’ineffable niaiserie que l’amour inspire ; ce que c’est que la beauté, le plaisir, le bonheur… des autres !…

La voix de Bernerette ! Le miracle de son visage transformé ! Du sang, des formes, de la vie, et quel charme de jeune ressuscitée ! Que la mort embellit un être quand, l’ayant touché du doigt, elle se retire et fait grâce ! Et la fête dans toute la maison, la reconnaissance presque sans mesure manifestée au sauveur ! J’avais joui de quelque chose d’analogue, ayant produit un peu du même effet, quand je n’étais que le précurseur !

Eh quoi ! n’étais-je pas satisfait ? Pour sauver Bernerette, ne m’étais-je pas fait gloire de me sacrifier ? Oui, oui ! l’homme en moi participait à la joie générale et se félicitait d’avoir contribué à ce que Bernerette fût revivante et heureuse. L’homme en moi pensait qu’il eût fallu un monstre pour ne pas se réjouir du résultat obtenu. Mais c’est qu’un monstre était en moi, vraiment, celui qu’autrefois on nommait le perfide Amour ; et il me soufflait que je n’avais à aucun moment espéré que cela pût si parfaitement réussir !…

« Tu as joué avec Claude, me chuchotait le monstre, comme on joue avec le feu, quand on espère bien ne pas se brûler les doigts. Tu as fait venir Claude, oui ; mais tu le savais prisonnier ! Tu l’as offert à Bernerette, oui, mais tu voyais la chaîne par laquelle Isabelle le tenait !… »

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