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Le meilleur ami

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Nous partîmes, je m’en souviens, le lendemain de la Toussaint, par un temps humide et frisquet, et l’on essaya encore de nous retenir sous le prétexte que c’était le jour des Morts ; mais Claude atteignait la dernière limite de ses vacances ; ses fonctions le rappelaient. Mesdames de Chanclos, d’ailleurs, devaient quitter la Tourmeulière dans la quinzaine ; on se donna rendez-vous à Paris : la glace était bien rompue, cette fois ! Claude promit, sans arrière-pensée, d’aller au Ranelagh.

Comme nous avions un arrêt de quarante minutes à Saint-Pierre-des-Corps, nous déjeunâmes au buffet tout à notre aise ; nous étions seuls et je dis tout à coup à Gérard :

— Eh bien !… et Isabelle ?

Il fit claquer sa langue, secoua la tête et prit son temps pour me répondre ; puis il me confia que, dans le fond, Isabelle était un peu rosse. Et il m’expliqua pourquoi. Je le savais bien. Mais je vis que Claude n’ignorait rien, ni des relations d’Isabelle avec le père de son petit, ni des dernières manigances à propos du mariage. Il avait été contre elle extrêmement irrité ; il la chargeait un peu lourdement, trop même ; et j’en fus choqué, car, en définitive, la faute d’Isabelle n’était que de chercher le mariage.

C’est d’elle que nous parlâmes exclusivement, durant le trajet, et point du tout de la Tourmeulière. Il se relâchait sensiblement de sa sévérité envers Isabelle, à mesure que nous approchions de Paris. Je lui dis :

— Mais, vas-tu la revoir ?

— Oh ! oh ! fit-il, je lui tiendrai la dragée haute !…

Nous descendîmes, notre valise à bout de bras, notre fusil gainé, en bandoulière. C’était, dans ce temps-là, à la vieille gare d’Orléans. Au travers d’un treillage derrière lequel parents et amis attendaient les voyageurs, je reconnus parfaitement Isabelle. Mais je n’en avertis pas mon compagnon : venait-elle là pour lui ? Nous passâmes l’étroit défilé que gardent les employés de l’octroi, et Isabelle vint se jeter au cou de Gérard.

Debout, à la portière du fiacre où il avait installé Isabelle, et comme j’allais les quitter, il me confia :

— J’ai voulu faire une expérience : je l’avais avertie de mon arrivée. Elle est venue.

Je dis :

— C’est gentil de sa part.

Il sourit et rejoignit sa maîtresse.

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