Mâadith
Kralouk ne s’endormit qu’après la prière de l’aube et s’éveilla pour saluer le soleil matinal en même temps qu’une autre merveille. Le voile de la porte soulevé laissait apercevoir Mâadith debout, les lèvres entr’ouvertes d’un sourire à la fois timide et hardi.
Elle avait quitté sa robe de bure baleinée et sombre, qui lui faisait un corps de poupée rigide. Elle était vêtue d’une seule gandourah, couleur de safran, empruntée à sa cousine. Un foulard de soie rose lamé d’argent retenait ses cheveux floconnant autour de son visage avec des reflets d’acajou. La gandourah de couleur brûlante, une couleur qui appartenait au soleil et au feu, exaltait la beauté de Mâadith, révélait ses seins jeunes et durs de fille berbère, suivait la ligne de la taille ferme, des hanches étroites et des jambes minces, s’arrêtait à la perfection des pieds nus.
Mâadith semblait avoir profité de cette nuit pour dépouiller sa chrysalide. Elle apparaissait telle une nouvelle créature n’ayant rien conservé des pensées ni des expressions de celle de la veille. Ses yeux s’emplissaient mystérieusement de réminiscences profondes, resurgies du fond des temps et de longues hérédités. Sur le front ambré bleuissait le tatouage de la croix sarrasine. En revêtant la robe de flamme et de soleil, Mâadith retrouvait l’âme et les traits de ses aïeules.
Sur la terrasse, Kralouk frémissait dans sa chair et dans son esprit. La beauté de Mâadith dépassait les prévisions de son imagination ardente et de sa prédilection d’artiste. Dans l’humble chambre, où les nattes et les coussins posaient sur le sol leur note archaïque, elle s’érigeait avec la splendeur d’une idole. Et Louinissa, sanglotante de plaisir, comme prosternée, lubrifiait d’essence de rose les pieds nus de la Kabyle reconquise.
La robe brune gisait dans un angle, ployée, pareille à un linceul jeté sur le seuil d’un tombeau.