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Maïténa : $b roman

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Pendant l’été, le paysage du Béarn se peuple d’incendies. Ce sont quelques-unes de ces innombrables haies qui entourent le moindre champ et plaisent tant aux anglais « estivandiers », quelque lande, ou quelque vieille prairie, qu’on brûle pour les « rafraîchir ».

Parfois, à ces feux d’entretien se mêle l’incendie d’une bonne ferme. Il faut être du pays pour distinguer celui-ci parmi ceux-là. Alors, on accourt des environs, et l’on se presse sur la « basse-cour » du sinistre comme sur un champ de foire.

Aujourd’hui, comme les travaux n’étaient pas en retard, un grand nombre d’hommes et de femmes avaient pu venir lutter contre le feu ou le regarder de près.

Le pailler embrasé venait de choir sur le toit d’où s’échappait déjà une lourde colonne de fumée qui cachait la flamme pudiquement. La réserve de regain brûlait d’un seul coup et se transformait en nuages, lorsque Maïténa entra comme un coin dans l’assemblée.

— Où est le drôle ? demanda-t-elle violemment en essuyant de son tablier son front en sueur.

Une voisine lui montra son fils, un cahier à la main, dans les premiers rangs des spectateurs.

— Je le garde. Ah, pauvre, pourquoi n’avez-vous pas remplacé votre homme ? On ne vous aurait pas fait ça !

Elle ne répondit point. En face de l’assemblée, sa maison accaparait son entendement. Toutes les particules de son être étaient tendues passionnément vers le spectacle comme un auteur regarde sa propre pièce de théâtre, la pièce de théâtre de sa vie.

La ferme était éclairée d’une manière si rare et si magnifique qu’elle en devenait immense. Elle faisait participer sa maîtresse du feu, de la terre, de l’air et de l’eau. Elle essayait de violer au nom de Maïténa le ciel, publiquement.

Les hommes s’étaient accrochés au mur. Ils avaient raflé pour ça les échelles du voisinage. Du mouvement qu’ils avaient appris en semant leur champ, ils jetaient les seaux d’eau qu’on leur passait de tous leurs reins. Il se dégageait d’eux et de la maison une grosse chaleur. La plupart était torse nu, et s’inondait de temps en temps du contenu des seaux.

L’esprit de Maïténa s’en allait tout entier par son toit. Les dépendances, la cave, l’étable, la grange où l’on mettait le char, assistaient modestement à cette agonie en attendant leur tour. Le corps de Maïténa attendait son tour.

On vint lui dire :

— Il faudrait faire la part du feu. En sacrifiant la maison, on sauverait la borde. Commandez, et nous nous mettons à l’isoler !

Elle répondit :

— Je ne tiens qu’à la maison. La borde, je m’en moque. C’est la maison que je veux sauver.

Elle resta inébranlable. On l’écouta désespérément.

La belle saison commençait à amener des touristes sur les routes qui vont à la montagne. Elle aperçut, — on ne sait par quel miracle elle put voir ailleurs qu’en face d’elle, — des automobilistes s’arrêter non loin de sa ferme et la regarder longuement avec admiration. Cette curiosité malsaine lui creva le cœur.

Cet incendie lui appartenait. Il était à elle, rien qu’à elle ! Elle s’étonnait presque qu’il ne criât point comme une vierge qu’on viole.

Elle reçut une étincelle sur la main dont la brûlure lui fut douce et qu’elle considéra comme un appel. Elle pénétra brusquement dans sa cuisine, moins par courage que pour fuir ces gens abominables. On ne s’occupait que de sa maison. On ne l’empêcha pas d’entrer.

La cuisine n’était pas encore transformée. Les meubles ne prenaient pas feu. Le plafond était en planches de châtaigniers, un des bois les moins combustibles.

Maï était entrée de plain-pied dans son cœur. Avec lui, elle put se concerter, rassembler des pensées qui s’égaillaient, parler pour ne rien dire, être femme, enfant, vieillard et religieuse. Paroles trop divines pour être divulguées. Et, quand elle dut sortir, elle avait la sensation que c’était sa propre chaleur qui brûlait sa cuisine.

Elle emportait un béret, un paquet de tabac entamé et un bouquet de fleurs d’orangers.

Sa grande préoccupation, lorsqu’elle fut dehors, fut de savoir où elle allait les abriter, car les reliques n’ont pas de valeur lorsqu’elles n’ont pas de toit. Peu à peu, elle s’apercevait qu’elle avait le même défaut que les reliques. Elle finit par mettre celles-ci dans son corsage ; et elle regretta de ne pouvoir s’y glisser soi tout entière pour ne pas assister au dernier supplice de la maison.

Il n’y avait plus rien à faire. Il n’y avait plus que des spectateurs. Elle se trouva parmi eux.

Les dépendances mises à point par l’habitation brûlaient prestement comme un copeau. Les tonneaux avaient éclaté. C’étaient des tonneaux pleins. Et le vin coulait bouillant sous la porte de la cave. Il répandait dans l’air un fort goût de caramel.

La nuit descendait. Elle entra en collision avec le foyer lumineux de la ferme. Sous son poids les flammes s’aplatirent et commencèrent à lécher le sol. Elles avaient encore de grands enthousiasmes. Et, quoiqu’il n’y eût pas de brise, elles se balancèrent noblement dans tous les sens, comme un encensoir. Le feu consacrait tout : les contrevents, les poutres, le pailler de la cour. Il oignait et il épurait.

Découragés, les gens commencèrent à partir. Le fils de Maïténa suivit chez elle la bonne femme qui s’en était chargé. On n’osa pas offrir à la veuve l’hospitalité, par modestie. On supposait que ce serait le dernier. Le dernier était un jeune homme qui l’aimait. Il n’aurait pas été délicat qu’il lui parlât de lui, ce soir. Il partit aussi.

Et elle fut seule.

Elle s’assit sur le talus du chemin, en face de la chose. Ses centres nerveux s’apaisèrent à la fraîcheur de l’herbe. Elle manquait douloureusement de désespoir, comme on manque d’argent.

Comme des décors portatifs, les bâtiments collaient leurs reliefs multicolores au ciel noir. Leurs reflets imitaient les phares à éclipses ; et, très loin, ils faisaient découvrir, tout à coup, une merveille toute proche.

Elle trouvait tout naturel que la révélation qui lui avait été apportée, soixante jours plus tôt, fût accompagnée d’une semblable manifestation des éléments. Cette révélation n’eût pas été complète sans tout cet appareil.

Et Ourtic lui-même ne devait pas l’avoir achevée, car il sortit de l’ombre et vint s’illuminer auprès de la fermière.

— Viens te chauffer chez moi.

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