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Maïténa : $b roman

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V

Mieulx m’eust valu avoir esté crier ailleurs secours.

François Villon (Ballade de Villon à s’amye)

Elle riait d’un air bon enfant et ce rire finit par le ranimer.

— Si fait ! Et c’est moi qui ai pensé aux cendres ! Mais tu ne ressembles plus à ce que tu étais hier, Maïténa. Tu m’as fait peur en entrant. Je ne sais pas pourquoi. Jetterais-tu des sorts ?

Il aurait voulu rire comme elle ; mais il frissonna longuement.

Cette prostration de Pascal désarmait la jeune veuve. En l’apercevant de la route, elle avait eu un vertige et ses yeux s’étaient portés automatiquement sur la barre du foyer, une lourde tige de fer qui servait à faire des trous dans les terrains difficiles et qui pouvait bien, à la rigueur, assommer un homme. Maintenant, son cœur ralentissait, son sang refroidissait et elle examinait Pascal avec mépris.

Celui-ci rivait ses yeux sur ceux de Maïténa. Il semblait qu’elle le fascinât.

— Mais réponds-moi donc ! Que devient le petit ? Et le verger ? Tu es bien bonne d’être venue. J’étais seul. J’ai appelé mon frère ; et il ne voulait pas aller te chercher. L’Ambrosine est depuis ce matin chez le sandalier. Pendant ce temps, comme on ne peut pas labourer par cette boue, j’ai voulu faire sauter une vieille souche de chêne. Regarde ce que je me suis fait avec la poudre.

Il rejeta brusquement ses draps pour lui montrer son pied blessé. Celui-ci était parsemé de taches noirâtres et tuméfié horriblement.

Maïténa recouvrit les jambes, toucha le poignet de Pascal et se rendit compte qu’il avait une grosse fièvre.

— Tu as chaud ! C’est sans doute ce qui te donne le délire. Tu ne m’as jamais parlé ainsi. Serais-tu amoureux ?

Elle le considérait ironiquement. Si elle ne l’avait su déjà, elle aurait appris qu’il n’était pas amoureux d’elle en penchant son joli corps sur le sien. Sa peau, ses formes délicates mais bien sorties, une démarche molle et musclée, — apanage de la femme basque, — et qui provoquaient des poussées de sensualité sur son passage, ne troublaient pas Pascal. Sans sa vengeance à assouvir, cette indifférence le lui aurait rendu sympathique. Elle ne comprenait point qu’elle pût créer des désirs puisqu’elle n’en contenait pas. Ils ne lui faisaient plus honte comme dans les premiers temps de son veuvage, mais ils la gênaient toujours.

Pascal eut un accès de fièvre plus violent.

— Tu comprends ! Tu ressembles à ton mari, Maïténa !

Elle ne répondit pas ; elle lui versa avec une grande douceur les cendres bénies sur le pied malade, puis les étala de la paume de la main.

— Alors, ce n’est pas toi qui viens, la nuit, à la lucarne de ma cuisine, faire le jeune homme ?

Il manifesta, cette fois-ci, quelque stupeur. Il ne la feignait pas. Mais il n’était capable ni de rire ni de se fâcher.

— Tu sais bien que tu es courtisée et que, moi, je n’aime encore personne.

— Tu as tort ! Si tu avais été occupé à une amourette, tu n’aurais peut-être pas été un assassin, remarqua-t-elle très simplement.

Il avait l’intelligence un peu ralentie par le climat sédatif du Béarn, et il chercha, un instant, à comprendre ce qu’elle voulait dire.

— Pourquoi donc ? demanda-t-il enfin.

— Mais parce que tu n’aurais pas tué Virgile, répondit-elle aussi naturellement que possible en continuant à lui soigner le pied.

La tête de Pascal Jouanou au repos ressemblait à celle de saint Jean-Baptiste que Salomé tenait sur un plat. Mais il ne portait pas de barbe. Il était propre. Après une enfance malheureuse, il avait pris l’habitude de fermer souvent les yeux pour accepter ou pour éviter les coups, habitude à laquelle il devait des paupières lourdes au mouvement timide et non sans charme. Il aimait aussi à dissimuler ses idées profondément pour ne pas les laisser détériorer. Des paupières protégeaient ses yeux. Et des cheveux volontairement désordonnés protégeaient le logement de ses idées comme des fils barbelés.

— Comment l’aurais-je tué ? fit-il en rougissant.

— D’un coup de hache sur le front, entre le fossé et les bœufs. N’as-tu pas essayé, une fois, de tuer ton père ?

Il ne releva pas tout de suite la seconde accusation.

— Ne crois pas cela, Maï, j’aimais ton Virgile. Je n’aurais pas voulu, pour tout au monde, lui faire du mal. Nous étions toujours ensemble. Nous nous disions toutes nos affaires. Quand il était jeune homme, c’est moi qui lui fis connaître qu’il était amoureux de toi. Je l’ai forcé à aller te demander. Il n’osait pas. On s’entendait bien. Je l’ai pleuré. Je suis venu t’aider à soigner la terre. Et, pour récompense, tu viens, aujourd’hui, me dire que j’ai tué !

Maï ne broncha pas.

— Tu as un oncle au bagne. C’est par atavisme. Il fallait peut-être que tu assassines quelqu’un dans ta vie.

La porte était ouverte et la chaleur qui précède le printemps entrait par gros paquets. Cette chaleur contribuait à entretenir la fièvre de Pascal.

— Ne crois pas ça, ma pauvre ! Si c’était vrai, je le saurais bien. Et, en ce moment-ci, vois-tu, je te le dirais.

Il avait une confiance absolue en Maïténa. Après la mort de son ami Virgile, il l’avait adoptée comme une sœur. Lorsqu’elle lui donnait des conseils, il les suivait à la lettre ; et il s’en trouvait bien. Il l’admirait.

— Si tu ne t’en souviens pas, c’est encore pire, fit-elle.

Plus que le révélateur lui-même, la jeune femme était sûre de la révélation d’Ourtic. Malgré son travail, elle s’ennuyait en Béarn et il lui fallait une occupation cérébrale. Elle savait, d’autre part, ce que valent les dénégations d’un criminel.

— J’ai bien voulu tuer le père, mais ça c’est une autre chose. C’est un péché de jeunesse. Il était coureur. Et il voulait se remarier. Il faut, quelquefois, faire respecter sa famille.

— En effet, ce n’est pas la même chose, car tu n’avais pas de droits sur le Virgile.

— Ça c’est exact.

Peu à peu, l’orage parfumé du printemps pénétrait en Pascal ; et il se rendait compte qu’il avait réellement tué son ami. C’était un acte nécessaire dans une vie comme la sienne. Cet acte apportait à sa vie une saveur qui lui manquait et qui ressemblait au nouvel intérêt de l’existence de Maï. Il songerait jusqu’à sa mort à ce que venait de lui apprendre cette jeune femme. Quels mouvements du sang ! Quels élans ! Quels héroïsmes ! Grâce à sa fièvre, son cerveau avait la chaleur voulue pour accepter une idée nouvelle et pour en prendre la forme.

— Tu as tué ! hurla-t-elle.

— J’avoue ! fit-il en pleurant.

La jeune femme remonta les draps de Pascal, le borda, et, lentement, lui prit le cou des deux mains. Elle se mit bientôt à le serrer avec passion, le torse bandé. Il se laissait faire. Il allongeait ses bras contre son corps comme pour se donner une attitude correcte de cadavre. Sa figure s’enflait progressivement sous les efforts de sa garde-malade. Elle cherchait de l’index une artère à écraser. Elle râlait pour lui.

— Il ne fallait pas m’attendre ! cria-t-on de la porte.

Ambrosine arrivait brusquement, à l’aide de ses grandes jambes, de son long cou et de sa tête maigre qui battait l’air. Elle trouvait équitable la grande renommée de vertu et de beauté de la veuve de Virgile, mais c’était une femme bavarde en quête de toutes les nouvelles sensationnelles à colporter. Aussi, admettait-elle tout de suite les choses extraordinaires.

— Alors tu allais te mettre au lit, Maïténa ?

— Tais-toi, vieille folle, hurla Pascal.

— Je causais avec lui.

— Tu lui pétrissais la figure, charogne !

— C’était pour le rendre beau, plaisanta la veuve.

Puis elle se dirigea simplement vers la porte. Elle pensait de nouveau à sa vigne. Ses seins saillaient durement sous son corsage. Et ses bras nus étaient gros. On la savait forte. L’autre femme la regarda sortir.

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