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Maïténa : $b roman

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IV

L’aube sonna et nettoya le ciel. Il ne pleuvait plus. Le vent cessait. Une fauvette certifiait le beau temps.

Maïténa Otéguy qui n’avait pas dormi parut sur sa porte et reconnut la terre.

En face d’elle, le bourg piquait un mamelon de maisons basses aux tuiles brunâtres et mélancoliques qui couvraient des toits très aigus retroussés légèrement à un mètre du sol.

Ce bourg ressemblait à un chapeau de moine fortement rapiécé. Le clocher en formait la pointe. Le moine avait quelques arbres dans les cheveux et, entre autres, les cyprès du cimetière. Parmi ces derniers, Maïténa Otéguy avait son préféré ; c’était celui contre lequel dormait Virgile.

Derrière le clocher, le chapeau, et Virgile, les collines montaient jusqu’aux Pyrénées par talus successifs. Les montagnes sortaient douillettement de leur couverture de neige. Et, par-dessus, menacé par la molaire énorme du pic du Midi d’Ossau, le ciel bleu comme l’eau d’un torrent ruisselait vers les yeux de Maïténa où il venait se solidifier.

La jeune femme n’avait pas peur de regarder le soleil et la mère de ce dernier : la colline qui suit la route de Pau. La pente de cette colline était entièrement divisée par des carrés de vignes encore inertes, — le mois de mars finissait. — Le plus beau de ces carrés, — Maïténa le trouvait beau quoiqu’il n’eût encore aucune végétation et que les sarments fussent ascétiques et secs comme des fils de fer, — avait été planté par son mari avec les meilleurs cépages béarnais : le mansenc, le courbu et le cruchén.

Les plantes, les arbres dépouillés, et même les maisons, toutes les choses qui avaient été flétries par la tempête, anéanties par la nuit, semblaient s’épanouir et ressusciter sous le ciel. La nature n’avait pas besoin de Maï. Elle chantait toute seule sa joie, joie mièvre et éclatante, des chants de la basse-cour aux cris des bouviers qui sortaient tout près de la jeune femme ou du fond de l’horizon et se répercutaient aiguisés sur les rochers ou fondus dans l’eau du gave.

Maïténa sentait très bien en elle la montée de la sève, et ça la faisait réfléchir à celle de sa vigne.

« Elle va pousser, la malheureuse. Et elle n’a pas encore traversé la saison des gelées ! »

Aussi, décida-t-elle d’envoyer la gouge et le valet attacher les plants délicats. Pour se donner de l’autorité elle avait pris l’habitude de commander en criant, le corps bien redressé et les bras collés aux hanches.

La gouge était une jeune fille sale et tuberculeuse que la santé de sa maîtresse écrasait. Plus celle-ci se tenait droite, plus l’autre marchait courbée, attitude prise en piochant la terre.

Maï se réservait les travaux trop durs du ménage, et envoyait tous les jours sa servante au grand air.

Quand elle eut préparé son fils pour l’école, elle partit à son tour pour la vigne. Elle marchait vite.

Elle avait, d’un côté, sa colline où la végétation sommeillait, et, de l’autre, un ruisseau étroit et profond qui venait en droite ligne de la montagne. Un peu plus haut, ce ruisseau roulait sur les roches noires son eau infiniment virginale, pureté ennemie de la chaleur et que les glaciers seuls peuvent engendrer.

Ici, on l’appelait toujours « le gave », quoiqu’il n’eût plus autant d’allure. Sa couleur, enrichie durant la belle saison par les feuillages et les fruits tombant dans son cours, était présentement rougie par la terre. La pluie de la nuit le gonflait jusqu’au ras du chemin.

La femme, qui marchait la tête basse, quoique la colline l’abritât du soleil, s’arrêta. En face d’elle, un arbre était tombé à travers le ruisseau, et le forçait à mille frémissements inutiles. L’eau violée envahissait le chemin. Maïténa préférait être écorchée que de voir souffrir les choses. Et, devant ce spectacle bruyant, elle s’apercevait qu’elle comprenait le langage de la nature comme d’autres comprennent le langage des bêtes.

— C’est de l’autre côté du chemin que le Virgile est tombé.

Elle crut d’abord entendre la suite de sa conversation avec le ruisseau ; pourtant, très vite, elle se retourna.

Un grand garçon la regardait. Il lui montrait le fossé, et il insistait :

— C’est là même !

Elle ne lui répondit pas. Elle le considérait avec étonnement comme s’il se casait mal parmi ses rêveries. C’était un garçon gros et sanguin, de figure niaise. Son front était prodigieusement étroit et son menton prodigieusement osseux. La partie la plus remarquable de sa tête, les oreilles, des cartilages rouges et gras, s’évasaient et végétaient.

— C’est toi, Omer ! dit-elle cordialement et en se remettant à marcher.

— Je viens te chercher pour mon frère, lui répondit l’autre. Il a besoin de ta poudre. Il s’est rôti le pied en faisant sauter un tronc d’arbre. Il a besoin de ta poudre.

Un flot de sang inonda le visage de Maï. Comme elle baissait la tête pour que son regard ne fût pas aperçu du jeune homme, celui-ci s’imagina qu’elle était troublée d’être seule avec lui.

— C’est le printemps qui te tracasse !

Maïténa Otéguy faisait effort sur elle.

— Je vais y aller, accepta-t-elle tout à coup.

Et, d’un pas vif, elle reprit la route du bourg.

Elle avait peur d’elle et d’une chose mystérieuse qui troublait sa moelle. Elle ne savait trop si elle était impatiente ou si elle luttait contre soi, mais elle hâtait le pas. Chaque fois que son cœur battait trop fort dans sa poitrine, des ondes d’ineffables voluptés couraient dans ses membres jusqu’à l’extrémité de ses doigts.

Mais, soudain, elle trébucha et tomba brutalement sur la mousse du talus. En face d’elle, Omer, qui venait de lui lancer un croc en jambes, l’examinait d’un repli de sa figure écarlate.

Elle ne lui donna pas le temps d’avancer la main ; elle se remit debout immédiatement. Elle se contenait ; elle évitait même de parler à Omer ou de marcher plus vite, de peur d’irriter son désir.

Cette alerte la rendit si froide et si maîtresse de soi que le garçon le sentit. Il resta sur place, les bras ballants.

Maïténa s’éloigna de lui. Puis, elle l’entendit crier :

— Quand tu voudras, hé !

Elle arriva chez elle où elle prit, dans un coin de la cheminée près du four, un sachet plein de cendres d’herbes bénies le jour de la Saint Jean. Elle se chargeait tous les ans de les conserver pour guérir les blessures.

Quand elle entra chez Pascal Jouanou, celui-ci était dans son lit au fond de la cuisine. A sa vue, il se dressa sur ses draps ; et il regarda désespérément vers la porte.

— On ne t’avait pas prévenu qu’on allait me chercher, remarqua-t-elle.

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