Maïténa : $b roman
II
C’est une fleur qui sort des mains de la nature.
Regnard (Démocrite)
Ourtic ne croyait pas qu’à cette heure-ci de la nuit il fût indispensable que les souvenirs serrassent de très près l’histoire authentique.
Ourtic vieillissait. Voilà pas mal de temps qu’il se demandait si réellement le Pascal avait tué le Virgile. Ce doute l’inquiétait pour sa santé morale. Il n’admettait pas qu’il n’eût l’esprit robuste jusqu’à la fin de sa vie. Il venait de faire la seule expérience qui lui fût permise. Il faisait contrôler son cerveau. L’imagination et la mémoire dépendent, à peu près au même titre, de l’intelligence ; et Ourtic était trop subtil pour ne pas traiter de haut les distinctions subtiles.
Après avoir parlé, il se sentait tout ragaillardi. Il s’émerveillait de son équilibre car sa conscience ne vacillait point. Elle était bien accrochée quelque part dans l’espace, au-dessus de lui ; et, tant qu’elle ne tombait pas sur ses épaules, comme pour l’écraser, elle se démontrait une bonne conscience.
Il pouvait juger de la qualité de ce qu’il venait de dire par l’effet qu’il produisait. Il était complètement satisfait sur ce point. Maïténa, effroyablement saisie, le croyait de façon évidente. Elle le regardait avec cette frayeur que le vieillard avait toujours considérée comme de l’admiration exacerbée. Toute la jeune personnalité de Maï était suspendue à ses vieilles lèvres. Il vivait une minute divine.
Il avait bien à se venger de Pascal qui, abandonnant sa ferme à l’entrée du printemps alors que les travaux commençaient, lui faisait une injure cruelle à la face du pays et un tort considérable. Mais la vengeance est un soin tout à fait mesquin lorsqu’elle n’est pas soutenue par un souci d’ordre sentimental.
Ourtic ne se serait pas contenté d’une cause vulgaire à sa révélation, qui avait déjà, par surcroît, une cause cérébrale.
Il désirait jouer un rôle dans l’existence de Maï.
Il avait une âme délicate qui recherchait les sentiments de choix. Il ne pouvait aimer ses deux filles : l’une s’amusait à Paris ; l’autre était lourde d’esprit. Il appréciait son gendre, mais voilà que celui-ci le quittait. Enfin, il en voulait à son entourage et en général à tous ceux du département de perdre le vieil esprit béarnais. Il en voulait aux jeunes gens d’être allés à la guerre, d’avoir abandonné le pays et les cultures pendant si longtemps. Quand on quitte le Béarn, c’est pour y revenir riche.
Aussi, s’était-il décidé à s’attacher fortement à sa voisine. Elle ne le choquait en aucune chose. Elle parlait peu ; elle n’avait pas d’amant ; et rien ne l’empêchait de croire qu’elle eût de l’affection pour lui.
Si elle ne témoignait pas de beaucoup d’esprit, il lui était reconnaissant de ce qu’il en témoignât par sa tendresse pour elle. Il avait choisi Maïténa parce qu’elle était basque et qu’il est extraordinaire de trouver une basque en Béarn.
Son affection était, d’ailleurs, très pure.