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Maïténa : $b roman

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XII

Heureux qui, comme le visage,
Peut montrer le cœur au soleil.

D’Aubigné (Sonnets)

Depuis qu’il avait mis le feu à la maison de Maïténa, Pascal était soulagé.

Avant de devenir incendiaire, il avait largement souffert. Il n’imaginait pas que cette douleur préventive pût être causée par ses scrupules. Mais il comprenait que ce nouveau crime, ne lui ayant pas été légué par atavisme, devait naître d’une gestation difficile.

Il n’avait pas eu l’intention de faire du mal à Maïténa. Il la savait plus riche en Pays Basque qu’en Béarn. Il lui rendait, en la forçant à rentrer dans son pays natal, une tranquillité qu’il lui devait.

Aussi, aujourd’hui, après avoir vaincu une faiblesse presque incroyable et jeté l’allumette libératrice, Pascal se trouvait-il heureux.

Que son ennemie pût être encore menaçante, il ne le soupçonnait pas une seconde. Et l’on aurait pu se demander s’il n’avait pas craint la vengeance de la maison plus que celle de la femme, supposition admissible. Mais, quoiqu’il l’eût aperçue quelquefois depuis l’incendie, quoiqu’il la sût encore ici, il était persuadé que la jeune femme était au Pays Basque.

Il était assez sensible pour être capable de cette sorte de phénomène d’optique. Il avait fait pour qu’elle se rendît chez les basques tous les gestes qu’il fallait. Lorsqu’il jetait l’allumette sur la meule de paille, il lançait du même coup Maïténa dans son pays natal. Et il avait, déjà, pris à son compte l’angoisse qui précède les grands départs.

L’esprit de Pascal était paisible. Seule sa chair conservait le souvenir de l’incendie quoiqu’elle n’en eût pas subi la chaleur.

Et, cet après-midi, il prenait un bain dans l’eau glacée du gave pour faire disparaître ses brûlures invisibles.

Loin de toute habitation, séparé de la route par une épaisse haie de châtaigniers et de saules, il plongeait dans l’eau jusqu’au cou. Et il chantait, d’abord doucement pour accompagner le murmure de la rivière, puis plus fort pour accompagner sa joie, une cantilène :

Roussignoulet qui cànto
Sus la branco paüssàt,
Qu’éts plats et qué t’éncànto
Aüprès de ta mieytàt.

Grâce au gave, la chanson prenait une sonorité allègre qu’elle ne contenait pas lorsque les bouviers la psalmodiaient en labourant le flanc des collines. Elle coulait le long de la rivière, et sa résonnance ne dépassait pas la berge. La berge était une frontière. Là-bas, la route sèche et plate comme une dévote acariâtre, fumant et grinçant au passage d’automobiles qui couraient vers les Pyrénées, représentait l’étranger ; ici, l’eau vive et molle, les sons béarnais, cet homme bien caché, résumaient le pays.

Lorsque Maïténa, cherchant un troupeau de jeunes canards qui avait quitté furtivement sa basse-cour, troua le mur vert qui séparait le gave du reste du monde, elle ne fut pas étonnée de voir là Pascal. La vie de celui-ci était beaucoup moins considérable que celle de la rivière, des arbres et du ciel. Elle n’attirait pas invinciblement le regard, mais elle s’agrégeait à la rivière qu’elle rendait moins nue, moins tremblante et moins fugitive.

Elle s’assit au bord du gave. Ses petites sandales se balancèrent si près de l’eau qu’elles la firent frissonner. Elle s’adossa aux arbres ; et elle oublia ses recherches.

On s’asseoit ainsi aux moments les plus importants de la vie. Maïténa, qui restait toute la journée debout, ne réfléchit pas à l’acte inouï qu’elle accomplit en s’asseyant. Son contact avec les branches, l’herbe et les feuilles, lui faisait un plaisir obscur. Elle avait besoin que sa vie si active participât un instant de la vie végétale.

Et, le sang calmé, elle réfléchissait lentement.

Ce n’était pas le corps mais l’âme de Pascal qui se trouvait à nu devant elle. Jamais elle n’avait aperçu une âme dans ce simple appareil. Et elle s’étonnait que celle-ci se présentât à elle avec cette franchise, et qu’en un mot elle fût si pure.

Rien ne la choquait en Pascal qu’elle voyait en entier, lui et son cœur, à travers deux mètres de libre atmosphère et d’eau diaphane ; rien, sauf une cicatrice blanche qui fendait son front horizontalement, souvenir d’enfance, une bouteille que sa mère lui avait brisée sur la tête après en avoir bu le contenu.

— Tu es guéri de ta brûlure ?

Elle songeait à la blessure au pied soignée trois mois avant. Il crut qu’elle faisait allusion à l’incendie, — idée injuste car elle ne le soupçonnait point de ce crime — . Il n’avait rien à avouer puisqu’il était tout nu, et ne répondit pas.

L’état dans lequel elle le trouvait ne lui nuisait pas dans l’esprit de la veuve. Il s’en rendait compte simplement. Dès qu’il l’avait aperçue à travers les branches écartées, il s’était tu comme s’il eût risqué d’être vêtu par sa chanson.

Il ne baissait pas les yeux. Il se contentait de broyer des deux mains l’eau qui se laissait faire.

La femme dont il devait avoir tué le mari était chez les basques. Le feu avait détruit chez lui le souvenir du meurtre.

Il restait stationnaire comme l’agriculteur qui appuie son menton sur sa bêche après avoir bien travaillé. Et, — comme si sa dignité d’être un homme nu avait été insuffisante pour le protéger contre la jeune femme, — l’eau l’isolait. Elle soutenait son âme à la manière d’une bouée.

Aussi, fut-il capable de s’étonner. Mais ses facultés diminuées, trois mois durant, par la peur, n’avaient pas encore repris leur plein exercice. Et il ne put raisonner et s’étonner que maladroitement.

Il ne comprenait absolument pas, par exemple, comment Maïténa faisait abstraction de sa qualité de femme en face d’un homme nu. Il ne lui venait pas à l’esprit qu’elle profitât de cette occasion pour contempler son ennemi dans sa forme la moins mensongère.

— Serais-tu amoureuse de moi ?

Ces mots étaient accompagnés d’une sorte de ricanement qui le confondit.

Maïténa, la plus intelligente des deux à ce moment-là et voyant l’âme de Pascal sans voile, fut la seule à se rendre compte que ce cri était la répétition automatique d’une question moqueuse posée autrefois par elle-même au jeune homme.

Cependant, devant l’impassibilité de son interlocutrice, il prenait enfin notion de son immense naïveté en ce qui concernait les choses de l’amour.

Ce n’était pas une femme, mais une petite fille. Comment avait-il pu la craindre ? Et, du même coup, sa pudeur s’éveilla, car il ne pouvait souffrir qu’on choquât une vierge.

Il sortit de l’eau. Il traversa la haie. Il avait laissé ses vêtements dans sa maison qui se trouvait de l’autre côté de la route. Ses muscles blancs ruisselèrent un instant sous le soleil, puis s’anéantirent derrière le battant d’une porte.

Maïténa, abaissant sa tête devant soi, vit son reflet tremblotant. Elle s’aperçut ainsi qu’elle avait un sourire frais et un pied dans la rivière. Elle sortit ses sandales, sa robe, et sa chemise. Elle descendit dans l’eau. Elle s’oignit à son tour pour la lutte.

Le gave est un mâle. Il y avait dix kilomètres qu’il ne caressait plus les roches qu’il aimait. La consécration du corps de Maïténa fut très bien faite.

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