← Retour

Auteurs, acteurs, spectateurs

16px
100%

CHAPITRE XXV
LA TEMPÉRATURE

Vous n’ignorez pas que c’est en ce moment la season de Londres, et que le Derby d’Epsom s’est couru la semaine dernière.

Il m’avait semblé que cet événement sportif et mondain se passerait difficilement de ma présence. J’étais donc parti pour Londres, en emmenant avec moi le fashionable André Picard, encore tout reluisant de la récente et successful reprise de Jeunesse.

Le dimanche matin nous quittâmes Paris par la gare du Nord pavoisée — ou plutôt à demi pavoisée, car on avait décloué pas mal de tentures. Le temps était incertain. Y avait-il du vent sur la mer ? Les drapeaux frissonnaient un peu trop…

André Picard, pareil au petit navire, n’avait jamais navigué : il avait une peur atroce du mal de mer… Le front contre la portière, pendant que le train filait sous le ciel blanc de la Plaine-Saint-Denis, mon compagnon de route épiait les nuages.

Moi, je n’étais pas rassuré non plus. Je déteste aller sur l’eau quand ça remue un peu. Je suis malheureux à la fois par crainte du mal de cœur et par amour-propre. Une fois que l’effet s’est produit, et que je me suis penché sur le bastingage, je me sens moralement autant que physiquement soulagé. Ça y est… J’ai été malade… Il n’y a plus à plastronner et à crâner. Rien n’est aussi pénible que d’être obligé de crâner quand on a la tête qui tourne.

Donc, le front sur une autre vitre, je scrutais, moi aussi, l’horizon. De Paris à Calais, on voit bien la nature ; on n’est que rarement gêné par le talus brutal qui, au moment précis où vous admirez, vient vous cacher impoliment le paysage. Des petits chemins joueurs passent et repassent sous la voie. Puis, tout à coup, on voit filer une résonnante petite gare.

A vrai dire, ce ne sont pas des impressions de l’autre jour que je rapporte ici. L’autre jour, je me fichais des gares et des chemins. Allait-il faire beau, ou n’allait-il pas faire beau ? Telle était, unique, la question. Le ciel n’était pas sombre, mais il n’était pas clair. Il ne laissait rien voir de ses intentions ; il cachait son jeu. Oh ! ce gris blanc qui peut-être allait se foncer… Tout à coup, tout dans un coin, et derrière un petit nuage noir, j’aperçus un coin bleu, d’un bleu irrécusable. Puis ce morceau de bleu grandit. Puis le soleil, le soleil lui-même fit son apparition. Je regardai triomphalement Picard…

Mais il était beaucoup moins content que je ne l’aurais cru.

— Hé bien, quoi ? lui dis-je, ne te réjouis-tu pas ? Il fait beau temps. Tu n’auras pas le mal de mer !

— Oui, répondit-il en hochant la tête, je crois que je n’aurai pas le mal de mer. Mais nous ferons, au théâtre du Gymnase, une médiocre matinée !


Je tressaillis, car les sentiments hideux, et contre nature, de l’auteur dramatique venaient de m’être dévoilés une fois de plus.

Il faut bien qu’on le sache : à partir du 15 mars, quand le matin du jour de fête et de repos les Parisiens lèvent les yeux au ciel, sourient au soleil qui leur permet les belles promenades à la campagne, il existe une petite catégorie d’êtres malfaisants, qui maudissent l’astre du jour, et appellent la pluie… Oui, ils l’appellent, la réclament comme un droit, fût-elle même accompagnée de grêlons ravageurs.

A vrai dire, tous les auteurs dramatiques ne nourrissent pas constamment des sentiments aussi odieux.

Ainsi, par exemple, les auteurs qui ne sont pas sur l’affiche permettent à la température d’être clémente, et joignent même leurs vœux à ceux des autres hommes pour invoquer le soleil et les plus chauds de ses rayons.


Comment voulez-vous, après cela, que la Puissance céleste puisse contenter tout le monde ?

Admettons qu’un jour elle résigne ses pouvoirs, et laisse au genre humain lui-même le choix de la température. Quelle anarchie ! Quels ordres contradictoires !

Ce soir, le directeur de l’Athénée souhaite qu’il fasse frais. Celui de l’Alcazar d’été s’accommoderait mieux d’une chaleur étouffante.

Dimanche prochain, les théâtres exigeront de la pluie. Le directeur du Vélodrome Buffalo désirera un ciel absolument pur.

La température sur mesure qui conviendrait à un directeur de Paris devrait être à peu près réglée sur le programme suivant :

De six à dix degrés l’hiver. Les grands froids, le gel et la neige sont à éviter. La neige et le verglas empêchent les voitures de marcher. Pas de voitures ; pas de clients aux places chères. Cependant, depuis l’invention des autos, le gel est moins à craindre.

En tout cas, le grand froid donne aux Parisiens un goût de home, à notre point de vue spécial, très fâcheux.

Jamais de brouillard, sous aucun prétexte.

De la pluie, par les temps chauds. Une bonne pluie, les dimanches de la belle saison, pendant toute la matinée. A midi, on a renoncé à toute escapade agreste : le temps peut donc s’éclaircir sans danger.

Les jours de semaine, un peu de pluie dans l’après-midi. Mais pas d’eau, s’il vous plaît, à l’ouverture du bureau ?

La pluie devra être fine, et de courte durée. Les averses abondantes, la boue, le gâchis sont encore des ennemis du théâtre.

Orage, éclairs, tonnerre, à supprimer.

C’est, en somme, un bon petit règlement à élaborer. Voilà, je crois, de la besogne pour la Commission des Auteurs, secondée avec fruit par l’Assemblée générale.


Au fond, il y a bien d’autres choses que l’on réalise aujourd’hui, et qui paraissaient plus irréalisables.

Je me souviens d’un compte rendu de courses qu’envoyait à un journal de sport un correspondant de province :

« Aujourd’hui, brillante réunion sur le Vélodrome de X… On y disputait, entre autres épreuves, une internationale et une course de tandems… L’organisation était parfaite ; un vent violent n’a cessé de souffler dans la ligne d’arrivée. »

Le jour où les directeurs de théâtre commanderont ainsi aux éléments, il n’y aura plus de crise théâtrale. Et il demeurera à peu près indifférent d’écrire ou non de très bonnes pièces.

Chargement de la publicité...