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Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)

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V
Dessein de l’Auteur. Miracle de l’indifférence universelle.

Le dessein de cet ouvrage, nettement indiqué dans l’introduction, n’est pas de faire le récit du Miracle de la Salette. Il a été fait si souvent que les chrétiens sont inexcusables de l’ignorer. Devenus grands, les deux bergers eux-mêmes l’ont écrit et publié, et leurs deux narrations, qui auraient dû être répandues partout, sont identiques en ce qui regarde les circonstances de l’Évènement et le texte du Discours public. Pour ce qui est des Secrets, Mélanie seule a divulgué le sien, mais en réservant pour le Souverain Pontife la Règle, donnée par Marie, d’un nouvel Ordre religieux, l’Ordre des « Apôtres des Derniers Temps », fondation clairement prophétisée, au XVIIe siècle, par le Vénérable Grignion de Montfort.

N’écrivant pas pour la multitude, je m’adresse donc exclusivement à ceux qui savent le Fait de la Salette, assuré que les autres ne s’y intéresseraient pas. Je veux surtout montrer, aussi bien que je pourrai, le miracle qui a suivi et qui est peut-être plus grand que Celui de l’Apparition — le miracle, certainement plus incroyable, de l’indifférence universelle ou de l’hostilité d’un grand nombre.

Ces voix enfantines qui, descendues des Alpes, devaient grandir comme l’avalanche et remplir la Terre, tant qu’on a pu, on s’est employé à les étouffer. « Faites-le passer à mon peuple », avait dit la Souveraine. Les Juifs eux-mêmes s’étonneraient d’une désobéissance aussi complète. Les premiers Pasteurs ne sont pas montés dans leurs chaires pour annoncer à leurs diocésains la Grande Nouvelle, les Prêcheurs et Missionnaires de tout Institut ne se sont pas mobilisés avec enthousiasme pour faire connaître aux plus ignorants les menaces et les promesses de l’omnipotente. Plusieurs ont fait le contraire avec une malice infernale. Les Paroles tombées de cette Bouche quasi divine qui prononça le FIAT de l’Incarnation, ces Paroles si terribles et si maternelles, on ne les a pas enseignées dans les écoles et les enfants de l’âge des bergers ne les ont pas apprises. On sait, à peu près partout vaguement, que la Salette existe, que la Sainte Vierge s’y est manifestée d’une manière quelconque et qu’Elle a dit quelque chose. Diverses personnes savent même que la profanation du Dimanche et le Blasphème ont été singulièrement condamnés par Elle. Mais le texte de ce Discours, on ne le trouve dans aucune mémoire, ni dans aucune main. Quant aux Secrets, on ne veut pas même en entendre parler.

Eh bien ! c’est à faire peur. Jésus-Christ souffre qu’on le méprise ou qu’on l’outrage. On est exactement au vingtième siècle des soufflets et des crachats qui tombent sans amnistie, depuis deux mille ans, sur sa Face infiniment sainte, constituant ainsi ce qu’on nomme l’Ère chrétienne. Mais il ne souffrira pas que sa Mère soit dédaignée, sa Mère en larmes !… Celle dont l’Église chante qu’elle était « conçue avant les montagnes et les abîmes et avant l’éruption des fontaines »[10] ; cette « Cité mystique pleine de peuple, assise dans la solitude et pleurant sans que personne la console »[11] ; cette gémissante « Colombe cachée au creux de la pierre »[12] ; la Reine des Cieux, pleurant comme une abandonnée dans ce repli du rocher et ne pouvant presque plus se soutenir, à force de douleur, après avoir été si forte sur l’autre Montagne !…

[10] Prov. VIII, 24, 25.

[11] Thren. I, I, 2.

[12] Cant. II, 14.

Seule, sur cette pierre mystérieusement préparée qui fait penser à l’autre Pierre sur qui l’Église est bâtie ; le Sein chargé des instruments de torture de Son Enfant et pleurant comme on n’avait pas pleuré depuis deux mille ans. Depuis que Je souffre pour vous autres qui n’en faites pas de cas, dit-Elle.

Qu’on se représente cette Mère douloureuse restant assise sur cette pierre, continuant de sangloter dans ce ravin et ne se levant jamais, jusqu’à la fin du monde ! On aura ainsi quelque idée de ce qui subsiste éternellement sous l’Œil de Celui dont Elle est la Mère et pour qui nulle chose n’est passée ni future. Qu’on essaie ensuite de mesurer la puissance de cette perpétuelle clameur d’une telle Mère à un tel Fils et, en même temps, l’indignation absolument inexprimable d’un tel Fils contre les auteurs des larmes d’une telle mère ! Tout ce qu’on peut dire ou écrire sur ce sujet est exactement au-dessous du rien…

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