Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)
XXIV
Objections, calomnies, l’assomptioniste
Drochon.
Ma tâche n’est-elle pas finie ? Je crois avoir dit tout ce qu’il fallait et je ne pourrais plus maintenant que me répéter. On m’a présenté une liste des objections contre le Secret qui ne cessent d’avoir cours à la Salette. Je les connais trop et je les ai réfutées implicitement ou explicitement dans les pages qui précèdent. On sait, d’ailleurs, que les objections présentées par la haine, l’orgueil ou l’intérêt, sont invincibles. Elles renaissent à mesure qu’on les égorge. Cependant le trait distinctif de celles-ci est une faiblesse extrême, une faiblesse enfantine, telle qu’on a honte de les entendre.
Exemple : « Si le Pape voulait la publication du Secret, il l’aurait faite lui-même. » Cette objection, dans la bouche de prêtres qui passent pour instruits, étonne et afflige. On sent qu’il serait bien inutile de leur dire que le Pape a pu et a dû vouloir respecter la mission, évidente pour lui, de Mélanie et qu’il a donné des preuves de ce respect. Cette idée n’entrerait pas dans de tels cerveaux. Comment espérer aussi de faire comprendre à ces esclaves de la lettre, à ces ilotes du vocable, que le Pape étant infaillible, son SILENCE est une approbation ? Or le secret n’a jamais été condamné. Ajoutons que ce serait peut-être une question de savoir s’il est selon les grandes Règles que le Pape fasse en personne la publication d’un tel document ?
Puis, que répondre à de vieilles calomnies que l’accoutumance a transformées en vérités indiscutables, et dont nul chrétien ne s’avise de rechercher la provenance ? Ici, il n’y a plus seulement la honte de l’esprit, mais l’horreur de l’âme et c’est abominable de penser à des mensonges tant de fois réfutés et si vainement confondus !
Un Père Assomptionniste, nommé Drochon, les a réunis en bouquet dans une Histoire illustrée des Pèlerinages français, formidable in-4o de 1274 pages (qu’il faudrait 2548 hommes pour lire, aurait dit Barbey d’Aurevilly), publié avec l’autorisation et l’admiration du Père Picard, son supérieur général[60]. On sait que les Assomptionnistes ont été les plus constants ennemis de Mélanie et de son Secret, et qu’ils se sont acharnés à cette guerre avec toute la force et l’autorité que leur donnait le succès inouï et lamentable de leurs déprimantes publications[61].
[60] Paris, Plon, 1890.
[61] On sait aussi, depuis plus d’un demi-siècle, que c’est un signe de modestie, chez les catholiques modernes, d’écrire d’une manière épouvantable, et que cela est soigneusement enseigné dans leurs Instituts, à tel point que tout ce qui fut écrit postérieurement aux Oraisons funèbres, ou à la Henriade, est jugé négligeable, détraquant ou libidineux. Le sublime Père Picard m’affirma un jour, à la honte de son ordre, qu’Ernest Hello était un FOU. Son successeur, le Père Bailly, et ses Éliacins de la Croix ou du Pèlerin, ont vraiment abusé de la doctrine.
Dans la masse énorme de ce Père Drochon, treize pages seulement sont données au Pèlerinage de la Salette et il est presque impossible d’y trouver une ligne qui ne soit inexacte ou mensongère. Qu’on en juge :
« … Maximin et Mélanie auraient reçu, nous l’avons dit, chacun leur (sic) secret : « Infirmes, défaillants, si vous le voulez, en tout le reste, dit M. l’abbé Nortet, ils ne seront trouvés forts qu’en un seul point, ce qu’ils ont affirmé être leur mission. » « Ces enfants peuvent s’éloigner, s’écriait à son tour Mgr Ginoulhiac, le 19 septembre 1855 (il avait exilé Mélanie l’année précédente), devenir infidèles à une grande grâce reçue (!), l’Apparition de Marie n’en sera pas ébranlée. » Ces citations font prévoir les vicissitudes qui ont marqué la vie des deux enfants… « Mélanie, après avoir contemplé la Reine du Ciel, ne ferma point ses yeux au monde (!!!), comme nous l’avons vu faire à Anglèze de Sagazan, à Liloye et à tant d’autres, comme le fit peu après Bernadette. Elle entra, sans doute, au couvent de la Providence à Corenc ; mais se croyant appelée à quelque chose d’important, rêvant de missions et de conquêtes apostoliques, sœur Marie de la Croix inspira des doutes sérieux sur sa vocation à la vie des religieuses, qui n’est efficace que si elle est humble (!!!). Après trois ans (un an) de noviciat, Mgr Ginoulhiac consulté s’opposa à sa profession[62]. Elle revint à Corps où un prélat romain d’origine anglaise la décida à le suivre en Angleterre, dans le but de s’y adonner à la pénitence pour la conversion du pays. De 1854 à 1860, elle séjourna au couvent des Carmélites de Darlington. Elle y prit l’habit, fit, paraît-il (!), des vœux, en 1856, mais elle revint en France, quatre ans plus tard, se fixa à Marseille où, d’après (!) M. Amédée Nicolas, elle fut relevée de ses vœux. Elle y séjourna jusqu’en 1867. (Rien de Corfou, etc.) Mgr Louis Zola, alors évêque de Lecce en Italie, l’emmena dans son diocèse et la fixa à Castellamare. (Admirable ! Alors Mgr Zola n’était pas encore évêque ; c’est de Mgr Petagna qu’il s’agit et il n’emmena pas Mélanie ; puis Castellamare n’est pas du diocèse de Lecce, c’est même un autre évêché et il est bien loin de Lecce. C’est comme si on situait Amiens dans le diocèse de Périgueux. On n’est pas fort en géographie chez les Assomptionnistes. L’historien a puisé ses renseignements à bonne source, chez les Missionnaires de la Salette, et son livre est gros). A la mort de l’évêque, en 1888 (ni Mgr Petagna ni Mgr Zola ne sont morts en 1888), elle revint à Marseille où elle est encore (1890). Au milieu de cette vie agitée et inconstante, Mélanie est restée vertueuse (Ah ! tout de même ! tout juste vertueuse !) et, comme Maximin, persévérante sur un seul point, sa foi ardente (Après ce qui précède, le mot ardente est tout à fait stupide, mais c’est comme ça qu’on écrit à l’Assomption) en l’Apparition et dans le Secret qu’elle avait entendu. » (Et pas un mot de ce secret ! comme si la publication de Mélanie et l’imprimatur de Mgr Zola étaient apocryphes, puisque, d’autre part, Drochon dit que ce secret est le « clou » de l’Apparition — style Bailly, style Croix et Pèlerin.)
[62] Mgr Ginoulhiac dit à Mélanie : « Je viens de voir Maximin qui a refusé de me dire son secret, à moi, son évêque !!! Il s’en repentira !!! Mais vous, vous êtes plus raisonnable, vous avez plus de connaissance que lui ; je pense que vous n’allez pas refuser d’obéir à votre évêque…!!! » Et sur le refus de la pauvre enfant de désobéir à la Sainte Vierge, il lui fit la même menace : « Vous vous en repentirez ! » Il ne tint que trop parole. Quand vint pour elle le moment de faire profession, de prononcer ses vœux chez les Religieuses de la Providence de Corenc, il s’y opposa, malgré les Religieuses qui disaient combien elle était pieuse, et chercha, par tous les moyens et vexations possibles, à la faire partir. Finalement il l’embarqua pour l’Angleterre, avec défense de le dire même à ses parents. Bien mieux, il donna des ordres pour la forcer à faire des vœux de clôture. Comme elle refusait de les faire, à cause de la mission qu’elle aurait à remplir après 1858, et qu’aucune pression, aucune insistance ne pouvait vaincre sa résistance, les religieuses lui dirent : « Où irez-vous ? Mgr G*** nous a écrit que si vous revenez dans son diocèse, il vous excommuniera partout où vous résiderez. »
Cette page m’a rappelé le mot de Chateaubriand : « Il est des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand nombre des nécessiteux. »