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Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)

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XIII
Immense dignité de Marie.

L’incompréhension du Fait de la Salette est une suite naturelle de l’incompréhension ou de l’ignorance des Privilèges — d’ailleurs infiniment inexplicables — de Marie. Pour ne parler que de son Immaculée Conception qui est un mystère effrayant, il est à remarquer qu’à Lourdes, Elle ne dit pas : « Je suis conçue sans péché », mais : « Je suis l’immaculée Conception. » C’est comme si une montagne disait : « Je suis la Celsitude ». Marie est la seule ayant le droit de parler d’Elle-même absolument, comme Jésus parle de Lui-même, quand il dit : « Je suis la Lumière, la Vérité, la Vie. » Le « Vêtement de Soleil », mentionné dans l’Apocalypse, est son vêtement d’Absolu. Elle est si près de Dieu et si loin des autres créatures qu’on a besoin d’un effort de la Raison pour ne pas confondre. J’ose même dire, au risque de me confondre moi-même, que plus la Raison et la Foi grandissent, plus la Mère de Dieu grandit et qu’on devient de moins en moins capable de la délimiter, de la distinguer.

Ah ! je sais combien ces mots sont misérables ! Il ont du moins pour eux d’être adéquats à la misère de la pensée. Un ange même, si on pouvait entendre son latin sans être foudroyé d’amour dès la première syllabe ; comment expliquerait-il qu’on peut concevoir Marie sans concevoir la Trinité même et la discerner encore un peu dans l’éblouissement de la grande Ténèbre ?

A la Salette, Elle parle à la première personne comme Dieu seul peut parler. On a beaucoup remarqué cela. Des gens très-forts se sont élancés pour soutenir les murs de l’Église que ce langage allait, sans doute, jeter par terre ; pour expliquer — oh ! faiblement — que tous les prophètes canoniques se sont exprimés ainsi et qu’en cette rencontre, leur Reine admirable n’est, comme eux, qu’un porte-voix, rien de plus. Nul ne s’est avisé de demander comment la Mère de Dieu aurait pu s’exprimer autrement. Dans le Discours public, c’est toujours le Nom de son Fils accompagnant les reproches et les menaces. Il nous est ainsi montré qu’Elle parle, avant tout et uniquement, en qualité de Mère de Dieu, de Souveraine absolue, au point que ce Fils qui est le Créateur d’Elle-même a l’air de ne rien pouvoir sans sa permission. Essayez de remplacer la Première Personne par la Troisième, de lire, par exemple : « Dieu vous a donné six jours pour travailler, il s’est réservé le septième et on ne veut pas le lui accorder. » Aussitôt, c’est la parénèse d’un prédicateur quelconque et ce qui fait le caractère précis de ce célèbre Discours qui a étonné tant d’âmes, l’Autorité suprême, disparaît.

Il est bien entendu que Marie n’est pas Dieu, quoique Mère de Dieu. Cependant rien ne peut exprimer sa dignité. Théologiquement il est aussi impossible de l’adorer que d’exagérer le culte d’honneur qui lui appartient. La gloire de Marie et son excellence œcuménique défient l’Hyperbole. Elle est ce feu de Salomon qui ne dit jamais : « En voilà assez ! » Elle est le Paradis terrestre et la Jérusalem céleste. Elle est Celle à qui Dieu a tout donné. Si vous pensez à sa Beauté, ce sera une dérision de dire qu’Elle est la Beauté même, puisqu’Elle dépasse infiniment cette louange. Si vous voulez exalter sa Force et sa Puissance, vous n’aurez pas mieux à faire que de reconnaître qu’Elle est, en vérité, la dernière des créatures, puisqu’Elle a pu accomplir cet inimaginable prodige de s’humilier beaucoup plus bas que tous les abîmes avant lesquels Elle avait été conçue. Si vous désirez mourir, tous les mourants de bonne volonté sont dans ses Bras. Si vous demandez à naître, la Voie lactée jaillira de ses Mamelles pour vous nourrir. Quelque poète que vous fussiez, capable, si j’ose dire, d’étonner le Couple innocent sous les platanes du Paradis, vous auriez l’air de vendre à faux poids les plus fétides substances, vous ressembleriez à un négrier ou à un propriétaire de malheureux, si vous entrepreniez, — fût-ce en pleurant et à deux genoux ! — si vous rêviez seulement de dire un mot de sa Pureté qui fait ressembler à la sueur des damnés du plus bas enfer, les gouttelettes de rosée suspendues, un matin d’été, aux tissus d’argent et d’opale des aimables araignées des bois.

Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la peine que j’ai prise pour vous autres.

L’Église militante subsisterait dix mille ans encore, et il y aurait des centaines de conciles dont chacun ajouterait une gemme inestimable à la parure de cette Reine, que cela ne ferait pas autant pour sa splendeur que ce témoignage d’Elle-même à Elle-même, dans le désert, en présence de deux pauvres petits enfants.

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