Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)
XXIII
Sainteté de Mélanie. Apôtres des Derniers Temps
prophétisés par elle et par le Vénérable
Grignon de Montfort.
A tout cela Mélanie n’avait à opposer que sa sainteté, son immense beauté d’âme universellement, je ne dis pas méconnue, mais inconnue. Les moins hostiles ont la charité d’espérer qu’elle n’est pas perdue éternellement, qu’elle finira par être admise dans le Paradis, fort au-dessous des dames, après un Purgatoire dont le pensée fait frémir. Les légendes fabriquées par le démon sont si tenaces que, longtemps encore, on croira que la Bergère de la Salette a mal fini ; qu’après une grâce inouïe dont la moins pieuse des enfants du petit catéchisme eût été plus digne, elle est retombée, presque aussitôt, dans la tiédeur, dans l’indolence de l’âme, dans la vanité, dans l’infidélité, dans le mensonge[55]. Quand on sait à quoi s’en tenir, cette vieille boue des décrottoirs de l’enfer semble si basse et si puante qu’il n’y a pas moyen de s’y arrêter un instant.
[55] On a poursuivi l’année dernière, pour faux en écritures, un ecclésiastique superbe qui avait accusé Mélanie d’être une FAUSSAIRE. Sicut fecit sic fiet ei.
La volonté de Mélanie était que ses directeurs ou confesseurs ne dévoilassent rien de sa vie intime. Mais, dès 1852, plusieurs personnes ont su par le P. Sibillat, qui avait obtenu quelques confidences de cette enfant privilégiée, que, longtemps avant 1846, le Ciel l’avait visitée, que la grande Apparition de 1846 n’était qu’un épisode de son enfance ; et les Religieuses de Corenc, ses compagnes, purent observer que ces grâces ne cessaient pas. On a la preuve qu’elles n’ont jamais cessé.
« Cette humble fille — dit son historien futur qu’il ne m’appartient pas de nommer — dont les âmes, même religieuses, ne peuvent, avant que sa Vie intime soit publiée, soupçonner la haute sainteté et la grande mission dans l’Église, fut comblée, dès l’âge de trois ans, des dons surnaturels les plus étonnants, tels qu’on les trouve dans les vies de quelques saints. Instruite par l’Enfant Jésus qui lui avait appris qu’il fallait cacher ces grâces, elle les cachait avec tant d’humilité et d’habileté et, quand on les surprenait, on voyait tant combien on la faisait souffrir, que ses directeurs eux-mêmes n’en ont connu qu’une faible partie. Dans les montagnes où elle gardait les troupeaux avant l’Apparition, on l’appelait déjà la petite sainte et on lui attribuait des miracles. »
Aujourd’hui il est connu qu’elle en a fait et la preuve en sera donnée, quand la Congrégation des Rites daignera s’occuper de la Béatification d’une si pauvre Bergère. La découverte de ses stigmates a été la chose la plus fortuite. Elle-même paraissait les ignorer — bien qu’elle les cachât, comme tout le reste, instinctivement — ou du moins, elle paraissait croire que tous les chrétiens devaient être ainsi — ce qui n’est pas loin du sublime le plus terrassant. Mélanie fut souvent communiée par Notre Seigneur lui-même et jouissait de la vue continuelle de son Ange gardien. Les habitants d’Altamura ont affirmé avoir entendu dans l’appartement de « la pieuse dame française », à l’Angelus du soir, la nuit qu’elle est morte, des chants angéliques et le tintement d’une clochette, comme quand on porte le Saint Viatique.
Combien d’autres choses encore ! Mais ce qui étonne plus que tout, ce qui décourage de penser, ce qui donne aux seules larmes d’amour un inestimable prix, c’est de se dire qu’elle voyait tout dans la Lumière de Dieu, non simultanément, mais successivement, c’est-à-dire au moment où sa pensée se portait sur un objet. Don extraordinaire, unique peut-être dans la vie des saints. Elle semblait vivre dans le Paradis terrestre comme si la Chute n’avait pas été…
A une croyante qui voulait savoir quelque chose des Apôtres des Derniers Temps, fut communiqué ce fragment de ce que Mélanie appelait sa « Vue »[56] :
[56] Cette page, tout à fait inédite, complète ou confirme ce qui a été dit plus haut, chap. XIV, du don de prophétie conféré à la Bergère.
« … En d’autres endroits, je vis les Disciples des Apôtres des Derniers Temps. Je compris bien clairement que ces messieurs, que j’appelle les Disciples, faisaient partie de l’Ordre. C’étaient des hommes libres, des jeunes gens qui, ne se sentant pas appelés au sacerdoce, voulant cependant embrasser la vie chrétienne, accompagnaient les Pères dans quelques missions et travaillaient de tout leur pouvoir à leur propre sanctification et au salut des âmes. Ils étaient très-zélés pour la gloire de Dieu. Ces disciples étaient auprès des malades qui ne voulaient pas se confesser, auprès des pauvres, des blessés, des prisonniers, dans les réunions publiques, dans les assemblées sectaires, etc., etc. J’en vis même qui mangeaient et buvaient avec des impies, avec ceux qui ne voulaient pas entendre parler de Dieu ni des prêtres ; et voilà que ces Anges terrestres tâchaient par tous les moyens imaginables de leur parler et de les amener à Dieu, et de sauver ces pauvres âmes qui ont chacune la valeur du Sang de Jésus-Christ, fou d’amour pour nous. Cette vue était bien claire, bien précise et ne me laissait aucun doute sur ce que je voyais ; et j’admirais la grandeur de Dieu, son amour pour les hommes et les saintes industries dont il usait pour les sauver tous ; et je voyais que son amour ne peut pas être compris sur la terre, parce qu’il dépasse tout ce que les hommes les plus saints peuvent concevoir…
« … Avec elles (les Religieuses), il y avait aussi des femmes et des filles remplies de zèle qui aidaient les religieuses dans leurs œuvres. Ces veuves et ces filles étaient des personnes qui, sans oser se lier par les vœux de religion, désiraient servir le bon Dieu, vaquer à leur salut et mener une vie retirée du monde. Elles étaient vêtues de noir et très-simples. Elles portaient aussi une croix sur la poitrine, comme les Disciples, mais un peu moins grande que celle des Missionnaires et elle n’était pas extérieure.
« … Les Disciples et les femmes faisaient aussi cette promesse ou oblation à la Très-Sainte Vierge : de se donner à Elle et de Lui donner, pour les âmes du Purgatoire, en faveur de la conversion des pécheurs, toutes leurs prières, toutes leurs pénitences, en un mot toutes leurs œuvres méritoires.
« Je vis que les Missionnaires vivaient en communauté… Je vis que les disciples qui savaient lire disaient l’Office dans leur chapelle ; je vis aussi que les Religieuses disaient l’Office de la Sainte Vierge ainsi que les femmes. »
Il est infiniment intéressant de rapprocher de cette vue si actuelle, si précise, de la Bergère, la prophétie plus générale, mais combien éloquente, écrite, 150 ans avant la Salette, par le Vénérable Grignion de Montfort :
« … Mais quels seront ces serviteurs, esclaves et enfants de Marie ? Ce seront un feu brûlant des ministres du Seigneur qui mettront le feu de l’amour divin partout et, sicut sagittæ in manus potentis, des flèches aiguës dans la main de la puissante Marie pour percer les ennemis ; ce seront des enfants de Lévi, bien purifiés par le feu de grandes tribulations et bien collés à Dieu, qui porteront l’or de l’amour dans le cœur, l’encens de l’oraison dans l’esprit, et la myrrhe de la mortification dans le corps, et qui seront partout la bonne odeur de Jésus-Christ aux pauvres et aux petits, tandis qu’ils seront une odeur de mort aux grands, aux riches et aux orgueilleux mondains.
« Ce seront des nuées tonnantes et volantes par les airs, au moindre souffle du Saint-Esprit, qui, sans s’attacher à rien, ni s’étonner de rien, ni se mettre en peine de rien, répandront la pluie de la parole de Dieu et de la vie éternelle ; ils tonneront contre le péché, ils gronderont contre le monde, ils frapperont le diable et ses suppôts et ils perceront d’outre en outre, pour la vie ou pour la mort, avec leur glaive à deux tranchants de la parole de Dieu, tous ceux auxquels ils seront envoyés de la part du Très-Haut.
« Ce seront des Apôtres véritables des Derniers Temps, à qui le Seigneur des vertus donnera la parole et la force, pour opérer des merveilles et remporter des dépouilles glorieuses sur ses ennemis ; ils dormiront sans or ni argent et, qui plus est, sans soin au milieu des autres prêtres, ecclésiastiques et clercs, inter medios cleros, et cependant auront les ailes argentées de la colombe, pour aller, avec la pure intention de la gloire de Dieu et du salut des âmes, où le Saint-Esprit les appellera[57] ; et ils ne laisseront après eux, dans les lieux où ils auront prêché, que l’or de la charité qui est l’accomplissement de toute la loi. Enfin nous savons que ce seront de vrais disciples de Jésus-Christ, qui, marchant sur les traces de sa pauvreté, humilité, mépris du monde et charité, enseigneront la voie étroite de Dieu dans la pure vérité, selon le saint Évangile, et non selon les maximes du monde, sans se mettre en peine ni faire acception de personne, sans épargner, écouter ni craindre aucun mortel, quelque puissant qu’il soit[58].
[57] Ps. 67, v. 14. Matines de Pentecôte. Ce psaume chargé de mystère appartient liturgiquement au Saint-Esprit.
[58] Conformité presque littérale avec le 30e alinéa du Secret de Mélanie, cité dans l’introduction du présent ouvrage.
« Ils auront dans leur bouche le glaive à deux tranchants de la parole de Dieu ; ils porteront sur leurs épaules l’étendard ensanglanté de la Croix, le Crucifix dans la main droite, le chapelet dans la gauche, les Noms sacrés de Jésus et de Marie sur leur cœur, et la modestie et mortification de Jésus-Christ dans toute leur conduite. Voilà de grands hommes qui viendront ; mais Marie sera là, par ordre du Très-Haut, pour étendre son empire sur celui des impies, idolâtres et mahométans. Quand et comment cela se fera-t-il ?… Dieu seul le sait ; c’est à nous de nous taire, de prier, de soupirer et d’attendre : Expectans, expectavi[59]. »
[59] Traité de la vraie Dévotion à la Sainte Vierge, 1re partie, chap. I.
Assurément Dieu seul le sait. Cependant nous savons aussi, nous autres, pourquoi et comment cela ne s’est pas fait, pourquoi, le 19 septembre prochain, 62e anniversaire de l’Apparition, il n’y aura pas même un faible commencement d’exécution, une lointaine velléité d’obéissance. Nous ne savons que trop les sordides et basses causes de cette prévarication inouïe. Mais tous ne le savent pas et c’est pour les ignorants que ce livre est surtout écrit. Les autres, les vrais coupables par malice ou par lâcheté, chercheront naturellement à l’étouffer, selon leur méthode, simplement par esprit de suite, sans honte ni peur. Comment faire peur à des hommes consacrés à Dieu qui ont pu voir le châtiment terrible d’un assez grand nombre d’entre eux sans se frapper la poitrine ?… Enfin j’ai voulu rendre témoignage afin de m’endormir en paix, quand mon heure sera venue.
Les menaces de la Salette ont été conditionnelles. Il y a lieu de croire qu’elles ne le sont plus. Les Apôtres de Marie, qui auraient dû être institués avant le Déluge de sang et de feu, le seront après, voilà tout.