Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)
XXVI
La Salette et Louis XVII.
D’excellents travaux historiques ont élucidé récemment la question de la Survivance de Louis XVII. Question déjà vieille et qu’on ne peut plus ignorer aujourd’hui, sans un peu de honte. Mon Fils de Louis XVI, publié en 1900, n’a pas apporté de document nouveau, mais le témoignage d’une admiration infinie pour ce grand geste de Dieu, unique dans l’Histoire : une Race Royale qui passait pour la première du monde, non pas rejetée précisément, ni exterminée, mais tombée dans l’ignominie insondable, sans espoir d’en sortir jamais.
« … C’est à faire chavirer l’imagination de se dire qu’il y eut un homme sans pain, sans toit, sans parenté, sans nom, sans patrie, un individu quelconque perdu dans le fond des foules, que le dernier des goujats pouvait insulter et qui était, cependant, le Roi de France !… Le roi de France reconnu tel, en secret, par tous les gouvernements, dont les titulaires suaient d’angoisse à la seule pensée qu’il vivait toujours, qu’on pouvait le rencontrer à chaque pas, et qu’il tenait peut-être à presque rien que la pauvre France, toute frappée à mort qu’elle fût, voyant passer cette figure de sa douleur, ne reconnût soudain le Sang de ses anciens Maîtres et ne se précipitât vers lui avec un grand cri, dans un élan sublime de résurrection !
« On fit ce qu’on put pour le tuer. Les emprisonnements les plus barbares, le couteau, le feu, le poison, la calomnie, le ridicule féroce, la misère noire et le chagrin noir, tout fut employé. On réussit à la fin, lorsque Dieu l’eut assez gardé et lorsqu’il avait déjà soixante ans, c’est-à-dire lorsqu’il avait achevé de porter la pénitence de soixante rois… »[65]
[65] Léon Bloy. Le Fils de Louis XVI. Ce n’est pas ici le lieu de montrer, ne fût-ce qu’en raccourci, l’histoire effrayante et fantasmatique de Louis XVII. Lire Le Dernier Roi légitime de France, par Henri Provins, et l’inestimable ouvrage plus récent d’Otto Friedrichs : Correspondance intime et inédite de Louis XVII.
La disgrâce de ce « Roi fantôme » fut si parfaite que les mots « ignominie » ou « opprobre » ne suffisent plus. On lui refusa ce qui ne se refuse pas aux pires scélérats, son identité personnelle, — pour mieux dire, une identité quelconque. On voulut absolument qu’il ne fût personne, dans la stricte acception du mot, et que ses enfants ne fussent les enfants de personne. Ainsi s’accomplit, en une manière que Dieu seul pouvait inventer, la séculaire formule capétienne : Le Roi ne meurt pas, puisque la descendance légitime de Louis XVI était condamnée à ne pouvoir ni vivre ni mourir.
Le Dauphin, fils de Louis XVI, — authentiquement Louis XVII — prétendu mort au Temple, en 1795, exhala son âme douloureuse à Delft, en Hollande, le 10 août 1845, un peu plus de treize mois avant l’Apparition de la Salette, « promptitude fort singulière de ce miracle, si peu de temps après que le Candélabre aux Lys d’Or, dont il est parle dans le Pentateuque, avait été renversé.
« Lorsque éclata la nouvelle de l’Apparition, un seul chrétien se demanda-t-il si quelque chose d’infiniment précieux ne venait pas d’être brisé, pour que la Splendeur elle-même, la Gloire impassible et inaccessible parût en deuil ? — Depuis le temps que je souffre pour vous autres ! Quel mot troublant et inconcevable !
« La catastrophe est si énorme que ce qui ne peut absolument pas souffrir souffre néanmoins et pleure. La Béatitude sanglote et supplie. La Toute-Puissance déclare qu’elle n’en peut plus et demande grâce… Que s’est-il donc passé, sinon que Quelqu’un est mort qui ne devait pas mourir ?… »[66]
[66] Le Fils de Louis XVI.
Si encore il était vraiment mort comme tout le monde meurt, mais je le répète, c’était bien pis, le Roi de France ne devant pas mourir. Et voilà plus de soixante ans que cela continue ! J’ai là, devant moi, le portrait d’un pauvre petit enfant de 4 ou 5 ans, qu’où nomme le Prince Henri-Charles-Louis de Bourbon, Dauphin de France. Il paraît que c’est lui qui continuera la série des Rois fantômes…
Plusieurs lettres de Mélanie, dont quelques-unes à la Princesse Amélie de Bourbon, prouvent que la prophétesse n’avait aucun doute sur la Survivance représentée par le prétendu Naundorff et ses enfants. En 1881, elle nomme l’héritier direct « Roi légitime, Roi Fleur de Lys » et recommande l’espérance. On sait d’autre part que, bien des années auparavant, Maximin avait fait le voyage de Frohsdorf et qu’une entrevue avec le Comte de Chambord avait eu pour effet la renonciation effective de celui-ci au trône de France. Tout porte à croire, en effet, que Maximin aurait dit à ce prétendant ce que Martin de Gallardon, en 1816, avait dit à l’infâme Louis XVIII : « Vous êtes un usurpateur. » Le Comte de Chambord, au contraire de son fratricide grand-oncle, n’osa pas succéder aux deux Caïns de la Restauration, mais, tout de même, il garda les 300 millions du patrimoine royal, et les héritiers volés, depuis trois générations, continuèrent d’être pauvres et couverts de la plus abondante ignominie, comme l’avaient été leur père et surtout leur grand-père, le Dauphin du Temple.
Analogie ou affinité, correspondance ou relation mystérieuse entre le Miracle de la Salette et le Miracle de la destinée du Fils de Louis XVI. Un roi pauvre, un roi mourant de faim et de misère ; le fils couvert d’ordures et obstinément renié de soixante rois, vient offrir à la France de la sauver, et on l’assassine, après l’avoir longtemps flagellé. Nolumus hunc regnare super nos.
Aussitôt après, la vraie Reine de France, la Souveraine à qui fut authentiquement, valablement et irrévocablement donné ce Royaume, vient, à son tour, supplier en pleurant son peuple et tous les autres peuples dont il est l’Aîné, de considérer le Gouffre effroyable qui les invoque… Ne pouvant la tuer, on lui répond par la Désobéissance, la Négation de ses paroles et la judaïque lapidation de ses témoins. Nolumus HANC regnare super nos.
J’ai pensé, bien des fois que la patience de Dieu est la meilleure preuve du Christianisme.
Aujourd’hui tout est-il perdu ? N’y a-t-il plus rien à espérer ? N’est-il plus d’autres remèdes que les châtiments ? L’auteur de ce livre en est persuadé. La France ne veut plus de Roi, ni de Reine ni de Dieu, ni d’Eucharistie, ni de Pénitence, ni de Pardon, ni de Paix, ni de Guerre, ni de Gloire, ni de Beauté, ni de quoi que ce soit qui donne la vie ou la mort. Elle veut, en sa qualité de maîtresse, et d’exemplaire des nations, ce qui n’a jamais été voulu par aucune décadence : la parfaite stupidité dans le mouvement artificiel et automatique. Cela se nomme le Sport, qui doit être un des noms anglais de la Damnation.
En l’année 1864, dit le Secret, Lucifer et un grand nombre de Démons seront détachés de l’Enfer…
On sait que Léon XIII, frappé de cette prédiction, a voulu que tous les prêtres catholiques récitassent chaque jour, après leur messe, agenouillés au pied de l’autel, cette prière assez semblable à un exorcisme :
Sancte Michael, Archangele, defende nos in prælio : contra nequitiam et insidias diaboli esto præsidium. Imperet illi Deus, supplices deprecamur ; tuque, Princeps militiæ cœlestis, Satanam aliosque spiritus malignos qui ad perditionem animarum pervagantur in mundo, divina virtute in infernum detrude. Amen.