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Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)

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VII
Refus universel de la Pénitence. « … Regarde, Mélanie, ce qu’ils ont fait de notre désert !… Ridebo et Subsannabo. »

« Le lieu que tu foules est une terre sainte », fut-il dit à Moïse sur l’Horeb, « montagne de Dieu ». J’ai retrouvé cette Parole sur les murs de l’hôtellerie de la Salette. Assurément elle y est à sa place, mais il faudrait tout le Texte : « Solve calceamentum de pedibus tuis. Déchausse-toi. »

Il ne viendrait plus personne. C’est la Pénitence réelle. Il ne s’agit pas seulement des pieds, et de quels pieds ! Il est indispensable de se déchausser l’esprit et le cœur. Et voilà tout le monde en fuite ! Les prétendus missionnaires et, après eux, les chapelains actuels, y ont pourvu. Ne quid nimis ! Pas d’excès. Loin de demander trop, on s’ingénia à ne rien demander du tout et le résultat dépassa les espérances.

« Des menaces dans la bouche de Marie, si bonne et si douce ! me disait, l’autre jour, une jeune mère ; des menaces contre de faibles enfants innocents et purs ! et des menaces de mort, de mort affreuse !… Non ! non ! Marie est mère, elle n’a pas pu les prononcer. Elle ne sait qu’aimer, la vengeance ne lui appartient pas, et je voudrais brûler la page où l’on a osé lui prêter un langage comme celui-ci : Les enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement et mourront entre les mains de ceux qui les tiendront. Moi, croire à cette Apparition ! répétait-elle, en serrant son enfant contre son cœur, non, non, pauvre petit ! Jamais cette dévotion ne sera la mienne ; car c’est l’épouvante et non l’amour qu’elle inspire. »[13]

[13] Écho de la Sainte Montagne, par Mlle des Brulais, Nantes, 1854.

Ce sucre fut ajouté au vinaigre et au fiel du Golgotha et l’Océan des Larmes de Marie perdit son amertume.

Effet très-facile. Il suffisait de décomposer le Message, en séparant ce qui est conditionnel de ce qui ne l’est pas, par exemple le Discours public du Secret confié à Mélanie pour être publié douze ans plus tard. Or, la séparation, c’est la mort. Aussi longtemps que le Secret n’avait pas été publié, on pouvait le supposer conciliable avec toutes les sentimentalités. On consentait qu’il existât. Quand il fut connu, on décida de le supprimer et, comme il était l’âme du Message de la Salette, ce Message fut aussi complètement tué que puisse être tué ce qui est de Dieu. Quel moyen d’accepter au XIXe ou au XXe siècle — fût-ce de Marie ! — une sorte d’Apocalypse précisée, une amplification ou dévoilement du vingt-quatrième chapitre d’Isaïe : Ecce Dominus dissipabit terram. Ces choses ne sont pas permises, même à Dieu qui a fermé son Évangile, n’est-ce pas ? et qui ne doit pas ajouter un iota aux Révélations dont son Église a le dépôt. Cela dépasserait trop les âmes, et les deux témoins de la Reine des Martyrs, les deux bergers, l’ont appris à leurs dépens.

« Ce lieu où tu te tiens est une terre sainte. » Parole obsédante ! Quels durent être les sentiments de Mélanie, lorsqu’elle revint à la Salette, après combien de pérégrinations douloureuses ! à l’âge de 71 ans, le 19 septembre 1902, cinquante-sixième anniversaire de l’Apparition ? Il lui restait peu de temps à souffrir et certaines choses, que n’entendraient pas les hommes, durent être dites à cette fille extraordinaire. De tous les points de sa Montagne, plus précieuse que le diamant, dut sortir une voix pour elle seule, une Voix infiniment douce et gémissante :

— Regarde, Mélanie, ce qu’ils ont fait de notre désert ! Autrefois, tu t’en souviens, on n’entendait que la plainte des troupeaux et le sanglot des eaux. Moi, la Mère de Dieu, enfantée avant les collines et les fontaines, je t’attendais là depuis toujours. J’attendais aussi ton petit compagnon Maximin, devenu, il y a vingt-sept ans, mon compagnon dans le Paradis. Car vous étiez pour moi, chers enfants, toute la famille humaine. Je vous avais choisis, et non pas d’autres, pour être les notaires de mon Testament. Seule, parmi ces monts, dans le voisinage du bon torrent, j’écoutais tomber goutte à goutte, sur les nations, le Sang de mon Fils. Je t’ai fait voir l’immensité de cette peine qui étonnera les Saints pendant toute l’Éternité. Avoir donné un tel Enfant pour si peu ! Si tu savais !… Depuis tant de siècles, j’ai vu d’ici crouler un grand nombre d’empires dont plusieurs se disaient chrétiens et qui pourrissaient dans les luxures ou les carnages. C’est à peine si un homme sur des multitudes avait quelquefois un mouvement de compassion pour son Sauveur. De l’Orient à l’Occident, c’est une muraille rouge qui cache, plus de mille ans, la moitié du ciel. Les persécutions, les guerres, les esclavages, tous les fléaux de la Concupiscence et de l’Orgueil. Et ce fut le temps des Saints !

Aujourd’hui, c’est le temps des démons tièdes et blafards, le temps des chrétiens sans foi, des chrétiens affables qui ont une synagogue dans l’esprit et une « boucherie » dans le cœur. Il y en a même de disposés à verser leur sang, mais résolus très-fermement à ne pas accepter la misère et l’ignominie. Ceux-là sont les héroïques et il y en a peu. Je te le dis, les plus cruels bourreaux de mon Fils ont toujours été ses amis, ses frères, ses membres précieux et jamais Dieu ne fut mieux outragé que par les chrétiens. Tu l’as beaucoup dit, Mélanie, voilà 56 ans que je ne peux plus retenir le Bras de mon fils. Je l’ai retenu, cependant, parce que je suis la Femme forte, mais je cesserai bientôt. On doit s’en apercevoir déjà. J’ai besoin d’être deux fois forte, parce qu’Il compte sur moi. Son Cœur trop doux compte sur le mien. Il sait que je serai implacable : « Maledictio matris eradicat fundamenta — In interitu vestro, ridebo et subsannabo. J’éclaterai de rire et je me moquerai de vous, quand vous serez dans les affres de la mort. » Ces Paroles s’accompliront exactement. Dérision pour dérision. J’ai donné, en 1846, le dernier avertissement. C’est l’espérance et la volonté du Fils de Dieu d’être vengé par sa Mère.

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