← Retour

Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)

16px
100%

XVII
Dons prophétiques de Maximin.

Quel homme a été plus vilipendé que Maximin ? Ceux même qui lui devaient tout et qui l’ont laissé périr de misère dans leur voisinage, les prétendus Missionnaires, abusèrent horriblement de leur prestige sacerdotal pour déshonorer ce pauvre qui les avait enfantés, qui les avait vêtus et nourris, qui leur avait donné ses montagnes et son ciel et le Paradis dans le cœur, s’ils avaient voulu ![36] On sait que les vrais chrétiens sont les plus désarmés des hommes, puisque la Charité et l’Humilité les empêchent de se défendre. Mélanie « aventurière », Maximin « ivrogne », épithètes indécollables ! On a vu des pèlerins épouvantés de l’avenir éternel de cet Alexis dans le réduit de la maison de sa Mère.

[36] L’ancien maire de Corps, M. Barbe, a, dans ses mains, un billet de 200 fr. (je crois) que Maximin avait emprunté aux Missionnaires pour ne pas mourir de faim. Il l’a retiré après la mort de Maximin, l’a payé afin d’avoir cette preuve de leur dureté et de leur avarice. M. Barbe, à qui j’ai écrit vainement pour avoir une photographie de ce document, vit-il encore ?

Or voici le témoignage de Mélanie : « Bon et loyal Maximin !… Je crois qu’il a beaucoup souffert et toujours en silence ; en vérité, je suis couverte de confusion quand je vois combien je suis éloignée de sa vie toute cachée en Dieu ; et, si je parviens à arriver au ciel, je ne toucherai pas même les chevilles de ses pieds. Souvent je le prie de m’obtenir cette générosité d’âme qui me serait si nécessaire… je vous remercie beaucoup de la précieuse photographie du bon Maximin, je l’ai reconnu à ses yeux candides et innocents. Je pense toujours à lui et à tout ce qu’il a souffert avec une extraordinaire patience, avec ce grand esprit de foi qui lui faisait voir Dieu en tout ou les instruments de Dieu dans les personnes qui le faisaient souffrir… » Virginitate clarâ floruit, fut-il dit à ses funérailles. « Pas de De Profundis sur sa tombe, il n’en a pas besoin ; chantons le Gloria Patri et le Te Deum, il lui en surviendra un surcroît de gloire au ciel où il habite. » C’est Mélanie qui parle encore.

Maximin, lui aussi, avait vu, longtemps à l’avance, le péril prussien : « L’Italie une, écrivait-il en 1866, est l’ennemie de la France comme le poison est l’ennemi de l’homme. Tous les Français qui ont du sang dans les veines devraient voler au secours de Rome et abattre l’unification italienne comme on abat une vipère. Les Prussiens, qui n’ont d’affinité avec les Italiens que par leur haine contre la religion de Notre Seigneur Jésus-Christ, s’uniront, un jour, à eux pour nous punir de ce que nous n’avons pas été fidèles à notre droit d’aînesse de défendre et de protéger en tout et partout la Religion et la Papauté… J’ai grand’peur que notre ferveur pour l’Italie et nos complaisances pour la Prusse ne se tournent bientôt contre nous, et ce jour n’est pas loin. »

Le 29 juillet 1851, Maximin avait dit à un personnage absolument digne de foi, M. Dausse, ingénieur à Grenoble, qui a laissé des Souvenirs curieux : « Quand Paris brûlera, il y aura quatre rois autour », ce qui s’est réalisé à la lettre. (Les rois de Prusse, de Bavière, de Wurtemberg et de Saxe.)

Le même ingénieur raconte aussi que, avant la guerre de Crimée, — en 1854 — M. Michal, curé de Corenc, affirmait, en présence de Maximin, que l’Empereur, dans une réunion diplomatique aux Tuileries, avait quitté son trône pour tendre la main à l’Ambassadeur de Russie, que, de là, naturellement, l’opinion s’était accréditée qu’il n’y aurait pas guerre avec cette puissance. « Alors, poursuit le narrateur, Maximin vient se mettre devant lui, les bras croisés et répond carrément : — Eh ! bien, moi, je vous dis qu’il y aura guerre avec la Russie !… »

Autre fait plus étonnant. Maximin se trouvant sur la Montagne, le 18 ou 19 septembre 1870, on parla de la prédiction de Mélanie : Paris sera brûlé. L’un des assistants donna aussitôt l’explication naturelle : « Ce sera par les Prussiens. » — Non, non, répliqua Maximin, ce n’est pas par les Prussiens que Paris sera brûlé, c’est PAR SA CANAILLE.

Le 4 décembre 1868, Maximin était reçu à l’Archevêché de Paris, Mgr Darboy, si admirablement domestiqué par l’Empereur, comme on sait, ayant désiré le voir. L’entrevue, racontée par Maximin, fut assez longue. Sa Grandeur qui, sans doute, avait espéré contraindre le berger à lui dévoiler son secret, parla de manière à scandaliser profondément son auditeur qui avait été zouave pontifical, accusant la Sainte Vierge d’exagérer les égards qu’on doit à la Papauté et de n’avoir fait que des prophéties de hasard. — « Moi aussi, je ferais bien des prophéties de cette force-là ! » osa dire cet archevêque. Enfin, s’exaspérant jusqu’au blasphème : — « Après tout, qu’est-ce qu’un discours comme celui de votre prétendue Belle Dame ? Il n’est pas plus français qu’il n’a le sens commun… Il est stupide, son discours ! Et le Secret ne peut être que stupide… Non, je ne puis, moi, archevêque de Paris, autoriser une dévotion pareille ! »

Maximin, humilié pour ce prince de l’Église qui s’oubliait tellement devant lui, voulut que Notre Dame de la Salette eût le dernier mot. — « Monseigneur, répondit-il avec force, il est aussi vrai que la Sainte Vierge m’est apparue à la Salette et qu’elle m’a parlé, qu’il est vrai qu’en 1871, vous serez fusillé par la canaille. » Trois ans plus tard, à la Roquette, on assure que le prélat, prisonnier, répondit à des personnes qui voulaient faire des tentatives pour le sauver : — « C’est inutile, Maximin m’a dit que je serais fusillé. »

Le célèbre avocat de la Salette, Amédée Nicolas, raconte ce fait dont il fut témoin sur la Montagne, en août 1871 : « Un savant professeur de théologie et son ami, curé dans une grande ville, étaient venus à la Salette, avec une douzaine d’objections préparées et étudiées d’avance, pour les proposer à Maximin, lorsqu’il quitterait son échoppe, pour venir, sur la demande des pèlerins (qui le préféraient aux missionnaires), faire le récit du Miracle. Lorsque Maximin eut achevé, le professeur proposa la première objection. Maximin se borna à dire : « Passez à la seconde. » De même pour les seconde, troisième et quatrième. A la cinquième, il répondit en quelques mots. Cette réponse fit aussitôt crouler les cinq objections et cet écroulement entraîna celui des sept autres. Voyant cela, ce professeur et ce curé nous dirent à nous-mêmes, car nous étions à côté d’eux : « Ce jeune homme est toujours dans sa mission ; il est assisté par la Sainte Vierge, aujourd’hui comme aux premiers jours ; c’est évident pour nous. Aucun théologien, fût-il le plus savant du monde, n’aurait pu faire un pareil tour de force. Tout cela est certainement surhumain. Il nous a mieux prouvé le Miracle qu’il n’eût été possible de le faire par les plus fortes démonstrations. »[37]

[37] Défense et explication du Secret de Mélanie. Nîmes, 1881.

La vie de Maximin a été des plus accidentées. Après avoir passé quelques années dans un séminaire, il fut soldat, puis étudiant en médecine. Mais il échoua partout et se vit réduit à servir des ouvriers pour vivre, gagner sa vie.

Se trouvant à Paris dans le plus grand dénûment, il engagea un de ses vêtements au Mont-de-Piété. Un jour, à bout de ressources, et n’ayant plus rien à manger, il entre à Saint-Sulpice et va s’agenouiller devant l’autel de la Sainte Vierge. « J’ai bien faim, dit-il, ma bonne Mère, vous allez donc me laisser mourir de faim ? Et pourtant, tout ce que vous m’avez commandé, je l’ai fait. J’ai fait passer à tout votre peuple les graves et solennels avertissements que vous êtes venue apporter. Encore quelque peu et je vais tomber d’inanition. Si vous ne voulez pas me tirer de la misère où je suis, alors je vais m’adresser à votre époux saint Joseph qui, lui, aura bien pitié de moi ! »

Affaibli par un jeûne prolongé, il ne tarde pas à s’assoupir. Un homme qu’il ne connaissait pas le réveille, l’invite à le suivre chez un restaurateur et lui fait servir un copieux repas. Quand il est rassasié, l’inconnu paye le maître d’hôtel et dit à Maximin d’aller au Mont-de-Piété retirer l’habit qu’il y a engagé. Il ajoute qu’il trouvera dans la poche de cet habit un billet qui le mettra à l’abri de la misère. Aussitôt il disparaît. Maximin n’a jamais su qui était cet homme. Comment cet inconnu savait-il qu’il avait engagé son habit au Mont-de-Piété ? Comment savait-il qu’il y avait dans la poche de cet habit un billet assurant l’avenir de Maximin ? Ce dernier, ne pouvant expliquer naturellement une chose aussi extraordinaire, a toujours cru que cet étranger était saint Joseph.

Docilement, Maximin se rend au Mont-de-Piété et trouve, en effet, dans la poche de son habit, un testament qu’une personne charitable avait fait en sa faveur. Par ce testament on lui offrait de le recevoir dans une famille et on lui laissait quinze mille francs pour subvenir à ses besoins. Comment ce testament se trouvait-il dans la poche de l’habit de Maximin ! Il ne le sut jamais. Mais quelle était la valeur de cet écrit ? Maximin le montra à un notaire qui le trouva en bonne forme et fit les diligences nécessaires. On lui versa donc quinze mille francs avec lesquels il entreprit un commerce de bestiaux où il se ruina[38]. Sa mission exigeait qu’il vécût et mourût dans l’indigence. Combien d’autres histoires du même genre !

[38] Mélanie, Bergère de la Salette, et le cardinal Perraud. Paris, Chamuel, 1898.

J’entends d’ici le chœur immense des voix sacristines : « La sainteté de Mélanie et de Maximin, et leur état de prophètes ! Mais, monsieur, cela renverse toutes nos idées ! On ne nous fera pas croire que tant de bons chrétiens, tant de vénérables pasteurs, depuis tant d’années, n’en aient rien su et qu’une légende contraire ait pu s’établir ! Cette supposition est déraisonnable. » Cela me remet en mémoire la belle réponse du commis-voyageur à qui on parlait du Palais des Papes à Avignon : « Quelle bonne blague ! S’il y avait eu des papes à Avignon, ça se saurait ! » Eh ! sans doute. Ça se sait même un peu, mais c’est une règle sans exception que, pour savoir, il faut s’instruire avec la candeur d’un enfant et l’humble bonne volonté de ces autres pasteurs à qui les anges de Noël promirent autrefois « la paix sur la terre ». « Invenietis infantes, pannis involutos et positos in præsepio. »[39]

[39] Je demande pardon pour la liberté que j’ai l’air de prendre avec le texte de saint Luc, mais il m’est impossible de ne pas me souvenir de Noël, quand je pense aux deux sublimes enfants pauvres sur leur Montagne.

L’ignorance, coupable ou non, du plus grand fait de l’histoire moderne et de sa conséquence immédiate, à savoir l’éminente sainteté des deux Témoins, n’empêchera pas ceux-ci de continuer leur mission du fond de leurs tombes que l’Église, un jour, nommera peut-être miraculeuses. Defuncti adhuc loquuntur. Cette ignorance, monstrueuse dans tous les cas, n’empêchera pas non plus l’espérance de quelques âmes, ni les centaines de millions de bras tordus par le désespoir, à l’heure marquée.

On se rappelle que le Secret de Mélanie a été publié en 1879, avec l’imprimatur de Mgr Zola, évêque de Lecce. Cette formule latine, significative, pour la sainte fille, de tant d’amertumes, de tribulations et de combats, resta dans sa mémoire, étrangement et profondément.

« Puisqu’on ne veut pas du Message, remède à nos maux, la divine Justice vengera l’ingratitude des hommes et donnera l’IMPRIMATUR aux fléaux annoncés par la Reine des Anges !!! » Ainsi s’exprimait la Bergère de la Salette, le 23 mai 1904.

Chargement de la publicité...