Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)
XVI
Dons prophétiques de Mélanie.
Après ce qui vient d’être lu, on peut aisément comprendre l’exaspération de la multitude superbe des ecclésiastiques même honorables, surtout honorables, mais contempteurs des exigences de la Sainteté ou de l’Héroïsme.
Il ne serait pas hors de propos de rappeler ici l’admirable formule du philosophe Blanc de Saint-Bonnet : « Le clergé saint fait le peuple vertueux, le clergé vertueux fait le peuple honnête, le clergé honnête fait le peuple impie. » En sommes-nous encore seulement au clergé honnête ? On a pu se le demander en 1789. Pourquoi pas aujourd’hui ? Il me semble qu’après tant de grâces et tant de crimes, le collier de malédictions doit être infiniment plus somptueux. Pourquoi n’en serions-nous pas au diabolisme tout pur ? Il est bien certain, il est d’observation facile et directe que le seul nom, je ne dis pas, de la Salette, mais du Secret de Mélanie, ou simplement le nom de Mélanie tout court suffit, en France, pour agiter les séminaires et les sacristies, pour déséquilibrer un grand nombre de nos évêques. Il a plu à Marie de se servir d’une petite bergère pour épouvanter de puissants pasteurs, comme si elle eût été un molosse devant des loups fort timides. Et ribedit… Et subsannabit.
Alors quoi ? C’est donc bien vrai que nous sommes des maudits ? S’il ne s’agissait que d’une imposture aisément ou malaisément démontrable, il n’y aurait pas tant de vacarme. Mais il est prouvé infiniment et indiscutablement, par des miracles de guérisons, par des miracles de conversions, par des miracles de prophéties, que c’est la Mère de Dieu, la Mère de la Vérité éternelle qui a parlé de Sa bouche et voilà ce qui ne peut pas être supporté.[33]
[33] L’Évangile est-il fermé, oui ou non ? me demandait, il y a plus de 25 ans, un assomptionniste fameux, ennemi des prophéties et des illuminations exceptionnelles. — Moins que vous, mon cher père, lui répondis-je. Ce n’était pas très-spirituel, mais on fait ce qu’on peut, dans le dernier carré.
Ces bergers si obstinés dans leurs témoignages et dont il n’y avait pas moyen de « plomber » les lèvres, il ne suffisait pas de faire croire qu’ils étaient des âmes perdues, mille fois indignes de la grâce inouïe qu’ils reçurent, dont la mission, d’ailleurs, était bien finie depuis le Discours public ; il fallait surtout cacher, en même temps que leurs vertus, leur don surhumain de prophétie, ce qui était fort difficile.
En mars 1854, — on est prié de remarquer la date — Mélanie annonçait déjà les Prussiens, les désignant par leur nom, et l’incendie de Paris. Résumant le règne de Napoléon III en trois mots : Hypocrisie, Ingratitude, Trahison, l’empereur, pour elle, était « l’hypocrite, la fourbe, l’ingrat, le misérable, le cynique, le traître, le persécuteur de l’Église et du Pape, détrônant Dieu pour couronner le démon » ! Non contente de ce langage, elle se livrait à des actes étrangement significatifs. On sait qu’elle quitta le couvent de la Providence à Corenc, en 1854, pour être envoyée en Angleterre ; or, après son départ, on remarqua ces mots qu’elle avait gravés dans le bois de son pupitre à l’aide d’un canif : « Prussiens 1870 ». Encore à Corenc, la maîtresse de classe lui donna, un jour, une carte de France à étudier. La pauvre enfant se mit à pleurer et biffa d’un trait l’Alsace et la Lorraine. Le 28 novembre 1870, après les désastres, elle écrivait à sa mère : « Il y a 24 ans que je savais que cette guerre arriverait ; il y a 22 ans que je disais que Napoléon était un fourbe, qu’il ruinerait notre pauvre France. »
Dans d’autres admirables lettres, elle explique ce qu’elle appelait sa « Vue »[34]. Elle avait réellement la vision actuelle et universelle des choses futures « et tout cela dans une seule parole qui s’échappe des lèvres de Celle qui fait trembler l’enfer, la Vierge Marie ». « … Je trouve très-difficile de rendre une chose qui n’a pas de comparaison… Quand la Sainte Vierge me parlait, je voyais s’exécuter ce qu’elle disait ; je voyais le monde entier, je voyais l’œil de l’Éternel ; c’était un tableau en action ; je voyais le sang de ceux qui étaient mis à mort et le sang des martyrs. » « … La Sainte Vierge, EN UN SEUL MOT, peut dire et faire comprendre de quoi écrire pendant cent ans… Elle prononçait toutes les paroles, soit du Secret, soit des Règles, et je pouvais deviner ou pénétrer tout ce qu’elles impliquaient. Un grand voile était levé, les évènements se découvraient à mes yeux et à mon imagination, à mesure que parlait Marie et, devant moi, se déroulaient de grands espaces ; je voyais les changements de la terre, et Dieu, immuable dans sa gloire, regardait la Vierge qui s’abaissait à parler à deux points. » (Elle et Maximin)[35].
[34] Depuis l’Apparition, dit l’abbé Félicien Bliard, la Bergère a toujours conservé une vue claire et distincte de toutes les parties du Secret, bien qu’il soit d’une grande étendue et tort complexe ; elle a gardé le souvenir fidèle de toutes les paroles de la Très-Sainte Vierge et l’intelligence de tout ce qu’elle a entendu. En même temps que la Vierge parlait à la petite Bergère, celle-ci était élevée à une sublime vision dans laquelle elle voyait clairement tout ce qui lui était dit. Et pendant un quart de siècle, rien ne lui a échappé, tout est resté fidèlement gravé dans son esprit. De là cette connaissance si assurée qu’elle semble avoir de l’avenir. Dans les longs entretiens que j’ai eus avec elle, j’ai été frappé de la lucidité, de la précision, de la fermeté inébranlable de ses idées. En la ramenant sur le même sujet, je la trouvais toujours semblable à elle-même, sans ombre d’hésitation. Du reste, elle est sobre de paroles et je l’ai trouvée admirable de simplicité, de candeur et de prudence. Lorsque, dans nos conférences, je touchais à des points qu’elle ne doit pas encore découvrir, j’avais lieu d’admirer son silence ou l’adresse avec laquelle elle savait éluder toute réponse. »
[35] Notre Dame de la Salette et ses deux Élus. La correspondance de Mélanie (160 lettres) donne à ce livre un intérêt extraordinaire et surnaturel. On a comme la sensation d’avoir heureusement escaladé la Montagne des Prophètes qui est « au-dessus du globe de la terre », d’après Anne-Catherine Emmerich.
En 1871, elle écrivit à Thiers, le priant, l’adjurant d’enlever la statue de Voltaire dont la présence dans Paris était, à ses yeux, un épouvantable danger pour la France entière. Elle ajoutait que, si le gouvernement ne faisait pas observer les Commandements de Dieu, les châtiments arrivés déjà ne seraient rien en comparaison de ceux à venir. On pense l’accueil qui dut être fait à cette lettre par l’octogénaire funambule.