Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)
XX
La femme courbée 18 ans, figure de la Salette.
Marie parle. Jésus ne parlera donc plus ?
L’Immaculée Conception couronnée d’épines,
stigmatisée. Lourdes et la Salette.
Il y a dans saint Luc, évangéliste de Marie, un récit qui ne pourra jamais être lu avec assez d’attention et de respect :
« Jésus enseignait à la synagogue un jour de sabbat. Vint une femme qui avait, depuis dix-huit ans, un esprit d’infirmité. Elle était inclinée, et ne pouvait absolument pas regarder en haut. Jésus, l’ayant vue, l’appela et lui dit : « Femme, tu es délivrée de ton infirmité. » Et il lui imposa les mains. Aussitôt elle se redressa et elle glorifiait Dieu. »
Il ne faut pas se lasser de redire que l’Évangile, aussi bien que l’Ancien Testament, est essentiellement parabolique, figuratif, prophétique, l’Esprit-Saint n’ayant jamais parlé autrement. Alors, qui est cette femme, possédée, dix-huit ans, d’un esprit d’infirmité ? Je ne vois que Marie pour identifier une telle figure.
O Marie ! Ma Dame de Compassion ! que venez-vous faire ici ?
C’est, en effet, le jour du sabbat, samedi, veille de vos Douleurs[48]. Voilà précisément dix-huit siècles bien accomplis que vous êtes courbée et muette, l’Époux qui vous possède bienheureusement étant lui-même, quoique Dieu, — par mystère impénétrable — un Esprit d’infirmité et de courbature, jusqu’à l’heure merveilleuse où Il nous enseignera toutes choses. Pendant dix-huit siècles vous avez gardé le silence, après avoir parlé six fois[49] seulement dans les Évangiles ! A la Salette enfin, et pour la septième fois, vous parlez avec une autorité si souveraine qu’après cela il ne peut plus y avoir que le jugement universel et la combustion des mondes. Vous parlez ainsi parce que Jésus vous a délivrée, c’est ce que je lis dans l’Évangile, et vous glorifiez Dieu comme nul autre ne le pourrait faire. Cependant ce n’est pas encore votre victoire, puisque voici le « chef de la synagogue » suivi de beaucoup de prêtres qui s’indignent ensemble de ce que Jésus ait fait ce miracle un jour de sabbat, c’est-à-dire qu’il vous ait donné d’être leur juge. Il est étonnant, ce chef des « hypocrites » qui vous prend vos propres paroles, ô Mère de la Parole, pour condamner votre Fils en vous méprisant : « Il y a six jours pour travailler, dit-il… » L’Esprit-Saint est tellement uni à son Épouse que, si on savait lire, on trouverait la Salette à toutes les pages de l’Évangile.
[48] On sait que l’Apparition eut lieu un samedi, le 19 septembre 1846, veille, cette année-là, de la fête de N.-D. des Sept-Douleurs, et à l’heure des premières vêpres. C’était aussi le dernier jour des Quatre-Temps de septembre. Le matin même, la grande Liturgie fériale avait lu ces paroles du Lévitique : « C’est le jour très-fameux des Expiations et il sera appelé Saint… C’est le jour de propitiation pour vous réconcilier au Seigneur. Toute âme qui ne se sera pas affligée en ce jour périra. » Et bientôt après, à l’Évangile, ô miracle ! l’histoire, précisément, de la Femme courbée depuis dix-huit ans, redressée par Jésus et glorifiant Dieu !!! Missel romain.
[49] Quatre fois dans saint Luc, deux fois dans saint Jean. Chaque fois, Elle monte un des Six degrés du Trône d’ivoire de ce Salomon éternel, à la droite de qui est marquée sa place, au milieu des Douze Lionceaux de l’Apostolat. II Par. IX, 18 et 19.
La Révélation de la Salette, envisagée comme une rupture du silence de dix-huit siècles, offre, en même temps, la consolation et la terreur. Et je ne pense même pas ici au Message, c’est-à-dire aux menaces et aux promesses. J’ai simplement en vue le fait inouï de fa Sainte Vierge parlant avec autorité dans l’Église.
Je dis que ce fait est consolant, en raison du caractère de Celle qui parle, puisque l’Église l’invoque sous le nom de Consolatrix et, aussi, parce que c’est une sorte d’accomplissement, sous nos yeux, de la Troisième Parole de Jésus mourant. Mais il est, en même temps, terrible à cause du silence de ce même Jésus qu’il semble impliquer. Jésus et Marie ne parlent pas ensemble. Quand Jésus commence sa Prédication, Marie s’abîme dans le silence et, si Elle en sort aujourd’hui, est-ce donc à dire que Jésus ne va plus parler ? Voilà, ce me semble, un des côtés les plus obscurs de la Salette et l’un des moins explorés, probablement à cause de l’immense effroi qu’on y rencontre. Quelques écrivains ascétiques tels que le saint évêque de Lausanne, Amadée, et surtout, au dix-septième siècle, le Vénérable Grignion de Montfort, ont affirmé que le Règne de Marie est réservé pour les derniers temps, ce qui donnerait à supposer que notre Mère ayant enfin parlé en Souveraine, Jésus ne reprendra désormais la parole que pour faire entendre le redoutable ESURIVI, j’ai eu faim[50], qui doit tout finir…
[50] Matth. XXV, 35 et 42.
J’écris ceci le jour de l’Assomption. D’autres voient Marie dans la gloire, je la vois dans l’ignominie. J’ai beau faire, je ne me représente pas la Mère du Christ douloureux dans la douce lumière de Lourdes. Cela ne m’est pas donné. Je ne sens pas d’attrait vers une Immaculée Conception couronnée de roses, blanche et bleue, dans les musiques suaves et dans les parfums. Je suis trop souillé, trop loin de l’innocence, trop voisin des boucs, trop besoigneux de pardon[51].
[51] Quelques-uns ne manqueront pas de dire que je suis un ennemi de Lourdes. Hélas ! je donnerais facilement ma vie, Dieu le sait, et je consentirais à subir des tourments affreux plutôt que de décrier un sanctuaire où Marie s’est manifestée par des prodiges. Je sais, d’ailleurs, que le miracle de Lourdes a été une suite du miracle de la Salette, comme l’arc-en-ciel est une suite de l’orage, et j’espère, un jour, le montrer beaucoup mieux que par cette image. Mais c’est le droit de tout chrétien d’avoir une préférence, un attrait particulier. Je crois même que c’est son devoir de le suivre, Dieu lui désignant ainsi son chemin.
« Je demande deux choses », écrivais-je, il y a quelques années : « 1o un chrétien bien portant allant à Lourdes pour y obtenir le bienfait de la maladie ; 2o un autre chrétien riche, guéri à Lourdes par le plus indubitable miracle, et revenant distribuer tout son bien aux pauvres. Tant que je n’aurai pas vu ces deux choses, je croirai que l’Ennemi a voulu profaner, par le Cabotinage, la Médiocrité et l’Avarice, le lieu unique où fut AFFIRMÉ celui de tous les Mystères qu’il doit le plus abhorrer : l’Immaculée Conception. »
La Vierge de Lourdes a recommandé la pénitence, objectera-t-on. On sait ce que c’est que la pénitence des gens du monde.
Ce qu’il me faut, C’est l’Immaculée Conception couronnée d’épines, Ma Dame de la Salette, l’immaculée Conception stigmatisée, infiniment sanglante et pâle, et désolée, et terrible, parmi ses larmes et ses chaînes, dans ses sombres vêtements de « Dominatrice des nations, faite comme une veuve, accroupie dans la solitude » ; la Vierge aux Épées, telle que l’a vue tout le Moyen Age : Méduse d’innocence et de douleur qui changeait en pierres de cathédrales ceux qui la regardaient pleurer.
Les prêtres sont pour elle ce qu’ils sont pour Dieu et pour l’Église. Chacun d’eux représente Jésus-Christ et je la vois très-bien s’agenouillant devant eux comme elle s’agenouilla devant son Fils, lorsque celui-ci vint lui demander humblement la permission d’aller souffrir[52].
[52] Marie d’Agreda.
— Je vous en prie, leur dit-elle, mes très-chers enfants, ne méprisez pas mon Message. C’est mon dernier effort pour sauver le troupeau dont vous êtes les pasteurs et dont il vous sera demandé un compte sévère. Si vous ne lui dites pas que je suis venue et que j’ai pleuré sur lui avec amertume, si vous ne lui répétez pas toutes mes paroles, qui pourra les lui enseigner et comment serez-vous sauvés les uns et les autres ? Tout ce que j’ai dit à mes deux témoins, tout ce que je leur ai révélé pour le faire passer à tout mon peuple, est infiniment précieux et salutaire, et vous ne pouvez faire un choix sans me blesser à la pupille de l’œil, sans percer vos âmes…
Vous qui avez tant reçu de mon Fils, jusqu’à tenir sa divine place, vous qui devriez être si saints ! comment pouvez-vous ne pas pleurer avec moi en vous frappant la poitrine ? Comment avez-vous osé vous moquer de mes avertissements et empêcher les autres d’y croire ?… J’avais donné une Règle. Qu’en a-t-on fait ? C’est en vain que deux papes ont voulu le faire pratiquer. Mes chers Apôtres des Derniers Temps, mes doux fils bien-aimés, où sont-ils ? je les avais choisis moi-même, triés avec soin, comme les grains de froment du Pain des Anges. Quelques-uns sont tout près de vous. Si je les nommais, à l’instant vous les feriez souffrir… Par le Nom très-redoutable de votre Maître que vous forcez à descendre chaque jour, je vous supplie d’avoir peur…
— Que faudrait-il donc faire ? demandait à Mélanie un prêtre qui se disait « un peu comme saint Thomas ». — La pénitence des Ninivites, répondit-elle. — Oh ! pour cela, non, nous n’avons ni la foi, ni la force de ce temps-là. — Eh ! bien, vous aurez les châtiments qui seront plus durs que la pénitence et, n’ayant pas de force, vous renierez Dieu.
— C’est fait ! disent des voix d’En-Bas qui sont en train de monter et qu’on n’entend pas encore.