Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)
IX
Il Vous est connu, ô Ma Dame de
Transfixion, que je ne sais comment
m’y prendre…
« Je bénirai les maisons où l’image de mon Cœur sera exposée et honorée. » Telle est la promesse. Que ce livre où j’abrite ma pensée soit donc béni ! ce livre plein du désir d’honorer Marie douloureuse :
— Il Vous est connu, ô Ma Dame de Transfixion, que je ne sais comment m’y prendre et que j’ai besoin d’être aidé pour parler de Vous convenablement. Vous savez, ô Cœur percé d’Impératrice de tous les mondes, que je voudrais ajouter à Votre Gloire en élargissant la pensée de quelques-uns de mes frères. Mais l’entreprise passe mon pouvoir et il me semble que je n’ai rien à dire.
Voici bientôt trente ans que j’en avais audacieusement conçu la pensée. Celui de Vos amis que Vous m’envoyâtes alors n’a plus de voix pour m’instruire. Il attend la Résurrection dans Votre petit cimetière de la Montagne. Mais Vous m’avez poursuivi sans relâche, me forçant à parler de la Salette, quand même, dans d’autres livres qui n’étaient pas pour Vous seule et, finalement, Vous avez conduit par la main, jusque dans ma pauvre caverne, un de Vos fils les plus doux, un savant très-humble qui m’a dit de Votre part que, n’ayant plus, selon l’ordre de la nature, un grand nombre d’années à passer sur terre, il fallait que je m’exécutasse, bon gré, mal gré.
Alors, ma Souveraine, il est expédient que Vous fassiez tout, car mon impuissance est grande, ayant, d’ailleurs, l’esprit offusqué de plusieurs choses qui ne sont pas saintes. Dans le silence universel, ou peu s’en faut, considérez que Vous me faites un devoir de vociférer contre l’injustice énorme, et qui n’eut jamais d’exemple, de tout le peuple chrétien contempteur de Vos Larmes et dépositaire sans fidélité de Vos avertissements les plus précieux. Vous me donnez la consigne de marquer, comme des chiens qu’il faut abattre[18], les dévorants pasteurs d’Ézéchiel occupés, en assez grand nombre, à se paître eux-mêmes et dissimulateurs attentifs de Votre Révélation formidable.
[18] Videte canes, videte malos operarios… Philip. III, 2.
Combien d’autres choses encore ! Si je me tais, qui réhabilitera Vos témoins, Vos bergers de dilection, Vos mandataires choisis parmi des milliards et honteusement rejetés et calomniés par ces mêmes pasteurs qui les étouffèrent tant qu’ils purent ? Si je me décourage, où est le chrétien qui osera dire qu’il est bien vrai que Vous êtes venue, il y a soixante ans, pour nous informer, en pleurant, de l’imminence du déluge et que nul n’a voulu Vous croire ? Vous étiez, pourtant, l’Arche salutaire qu’on n’avait pas même eu la peine de construire, comme autrefois, et dans laquelle il est certain que plus de huit âmes auraient pu être sauvées…[19]
[19] I Petr. III, 20.
Regardez, maintenant, le pauvre instrument que je suis. Victime comme Vous de la conspiration du silence, j’ai depuis vingt ans les lèvres tellement cadenassées que c’est à peine si je peux manger. Ceux-là seuls m’entendent qui sont tout près de moi et, pour ainsi dire, cœur à cœur.
Quand même Vous me donneriez la langue d’un Jérémie, il n’y aurait rien de fait aussi longtemps que Vous n’auriez pas donné des oreilles à la multitude. Je suis une chassie dans l’œil des contemporains. Les plus vils ennemis de Dieu croient avoir le droit de me mépriser et les amis déclarés du même Dieu sont les amis de mes ennemis. Vous savez pourquoi, Vous qui enfantâtes l’Absolu afin que les hommes le missent en croix. Mais je deviendrais un ambassadeur accrédité, si, tout de suite, j’avais le pouvoir de changer les eaux en sang, ce que je Vous demande très-humblement.
J’obéirai donc, certain que ce qu’il faut dire me sera mis en la bouche, espérant de Vous, ô Marie, je ne sais quelle force miraculeuse et comblé, pour le demeurant de mes jours, de cet accablant honneur.