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Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)

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XXII
Affaire Caterini.

Il n’y a pas moyen de comprendre l’énorme prévarication sacerdotale, et surtout épiscopale, relative au Miracle de la Salette, quand on ignore l’affaire Caterini. Voici donc rapidement cette histoire misérable.

Le Secret de Mélanie commence par ces mots : Mélanie, ce que je vais vous dire maintenant ne sera pas toujours secret : vous pourrez le publier en 1858[53].

[53] 1858 ! L’année de l’Apparition de Lourdes !

En 1858, Mélanie était enfermée au Carmel de Darlington, en Angleterre. Elle demanda à sortir pour remplir sa mission. Quand elle revint, en 1860, la gravité de ce Secret effraya les membres du clergé auxquels elle en parla. Elle se borna pour lors à le donner manuscrit. C’est ainsi que de nombreuses copies s’en répandirent avant 1870.

Plusieurs publications suivirent. Celle qui parut en 1872 fut honorée de la bénédiction de Pie IX. Celle qui parut en 1873 fut approuvée par le cardinal Xyste-Riario Sforza, archevêque de Naples. Celle qui parut en 1879 fut publiée par la Bergère elle-même, avec l’imprimatur de Mgr de Lecce, le Compte Zola, son directeur.

C’est alors que des prêtres français, des religieux et plusieurs évêques, voulant faire condamner par Rome la brochure de Mélanie, Mgr Cortet, évêque de Troyes, se chargea d’attacher le grelot.

Mgr Cortet, connaissant mal les règles du Droit canonique en cette matière, s’adressa à la Congrégation de l’Index qui le renvoya à celle de l’Inquisition. Là encore, il ne put rien obtenir. A bout d’expédients, il menaça le cardinal Caterini, simple diacre, mais, secrétaire par rang d’âge de cette Congrégation, du retrait du Denier de saint Pierre « si l’on ne faisait pas quelque chose (sic) en sa faveur ». Le secrétaire, âgé de 85 ans, signa la lettre suivante rédigée par un sous-secrétaire :

« Révérendissime Seigneur, Votre lettre du 23 juillet, relative à la publication de l’opuscule intitulé : — L’Apparition de la Sainte Vierge sur la Montagne de la Salette — a été remise aux Très-Éminents Cardinaux, avec moi Inquisiteurs de la Foi, qui veulent que vous sachiez que le Saint-Siège a vu avec déplaisir la publication qui en a été faite et que sa volonté est que les exemplaires déjà répandus soient, autant que possible, retirés des mains des fidèles……

« Rome, le 8 août 1880.

« P. Card. Caterini. »

A la réception de cette lettre, Mgr Cortet fut atterré, car ce n’était pas une condamnation. — 1o Rome ne dit pas de « retirer autant que possible », quand elle condamne un livre. — 2o C’était une lettre privée qu’on lui envoyait et nullement un décret, car il est de rigueur qu’on relate, dans un décret, la date de la réunion du Saint-Office. — 3o Au lieu du pointillé, qui sera expliqué dans un instant, il y avait ces mots : « Mais qu’on la maintienne (la brochure) dans les mains du clergé, pour qu’il en profite ». Cette dernière phrase était, en réalité, une approbation de la brochure. Impossible de publier cela.

Mgr Cortet envoya cette réponse à son collègue de Nîmes. Mgr Besson ne s’embarrassa pas pour si peu. Il supprima la dernière ligne, la remplaça par un pointillé et publia, sous la couleur d’un décret, cette lettre privée, tronquée, faussée, qui n’était pas même à son adresse. Mgr de Troyes l’imita. Un grand nombre de Semaines religieuses s’empressèrent d’en faire autant, bien qu’elles sussent ce qu’il en était. Les Revues catholiques, les « bons journaux », furent priés d’insérer et le firent de bonne foi, on l’espère. Tout le monde crut, ou voulut croire, que la brochure de Mélanie était condamnée !

Plus tard, les Missionnaires de la Salette, estimant que le pointillé en disait encore trop, le remplacèrent par un seul point, et glissèrent par milliers dans les mains des pèlerins leur petit papier. En même temps les calomnies allaient bon train ; aucun doute n’était possible : « L’Enfant de Marie avait mal tourné ; elle était égarée par la vanité, infidèle à sa mission, etc. »

Voici, à ce sujet, une lettre de Mélanie à M. l’abbé Roubaud, curé de Vins, au diocèse de Fréjus, mort en 1897, laissant une haute réputation de sainteté :

Castellamare, 25 octobre 1880.

« Mon très-Révérend Père,

« Ne vous troublez pas de tout ce que fait le démon par le moyen des hommes ; le bon Dieu le permet pour affermir la foi des vrais croyants… Les personnages à qui je me suis adressée à Rome appartiennent, l’un à la Congrégation de l’Index et l’autre à celle du Saint-Office ou de l’Inquisition qui est la même. Autant l’un que l’autre, ils ignoraient la lettre du cardinal Caterini. C’est ce qui leur a fait dire que c’est un parti qui agit indépendamment du Pape et même des Congrégations de l’Index et de l’Inquisition… »

Elle écrivit, en outre, à Mgr Pennachi, consulteur de l’Index, qui lui fit la même réponse. Mgr Zola, évêque de Lecce, qui avait donné l’imprimatur, s’était rendu immédiatement à Rome pour avoir des explications. Le sous-secrétaire qui avait écrit la lettre fit très-humblement toutes ses excuses à Mgr de Lecce, lui disant qu’il avait eu la main forcée par l’évêque de Troyes et autres évêques de France. Sa lettre ne devait pas être publiée. Les formules qui compromettaient, dans cette affaire, « les Éminentissimes Cardinaux » et « le Saint-Siège », étaient des rocamboles !!![54] »

[54] Le cardinal Prosper Caterini, secrétaire et non préfet de la Congrégation, comme on le publia par erreur alors, né en 1795, premier diacre du titre de Sainte Marie in Via Lata, mourut l’année d’après, en octobre 1881, à l’âge de 86 ans. Requiescat in pace, ainsi que Mgr Cortet, mort il y a quelques années seulement.

Voici, pour conclure, ce qu’écrivait encore Mélanie, le 13 octobre 1880 : « … Le plus grand coupable par rapport à la lettre du cardinal Caterini est Mgr Fava. Cependant il n’y a rien de si opportun que les avertissements de notre miséricordieuse Mère Marie, à la veille du jour où les religieux sont chassés… comme le dit très-bien le Secret que l’on rejette… Les ténèbres obscurcissent les intelligences ; ne voyons-nous pas s’accomplir, à la lettre, ces paroles du Secret !… Un évêque écrit à la Congrégation de l’Index et un Cardinal, secrétaire de la Congrégation de l’Inquisition, répond une lettre privée et non officielle, et cette lettre privée se reproduit dans les Semaines religieuses, puis dans les journaux religieux et ainsi parcourt le monde !!!… Le Secret, inopportun pour les fidèles, excite la curiosité de tout le monde et, de tous côtés, je reçois des lettres pour me demander ma petite brochure que je n’ai plus. Voilà jusqu’où sont allées la sagesse et la prudence de l’opportunisme… En vérité, nous sommes plongés dans les ténèbres ! Et c’est un châtiment de Dieu. En arrêtant la diffusion du Secret, on prend une très-grande responsabilité devant Dieu ! On répondra devant Dieu de tout le Message de la Vierge Marie ! Je ne voudrais pas être à la place de ces personnes-là au terrible Jugement !… »

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