Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)
XXI
Profanation du Dimanche.
Tout le monde sait que le blasphème et le refus de sanctifier le Dimanche furent les deux grands reproches de la Salette, les deux accusations mortelles, les deux choses qui appesantissent tant le Bras de mon Fils. Là encore, disons-le en passant, la concordance du Discours public avec le Secret est flagrante, car il est dit dans ce dernier que même les personnes consacrées à Dieu… prendront l’esprit des mauvais anges et qu’on verra l’abomination dans les lieux saints, ce qui implique nécessairement l’absolu des profanations et des reniements supposés par ces deux effroyables crimes.
Encore une fois, je n’ai pas entrepris d’expliquer ni seulement de montrer ces profondes et divines conformités, dessein pour l’exécution duquel je suppose qu’il faudrait plus de lumière que Dieu n’en accorde habituellement aux écrivains qui ne sont pas des écrivains ecclésiastiques. Mais voici, bien à propos, un petit livre très-posthume de Paul Verlaine, Voyage en France par un Français, où se lit, contre le travail du Dimanche, une belle protestation de ce grand poète malheureux.
Ah ! je n’ignore pas que celui-là n’est pas, lui non plus, une autorité. Tant s’en faut ! On finira par savoir, dans le monde pieux, que Paul Verlaine a écrit les vers les plus beaux qui soient, à la louange de « sa Mère Marie », à la gloire de la Pénitence et du Saint Sacrement et qu’il est, en réalité, l’unique poète catholique depuis les inspirés du grand Hymnaire : mais on y mettra le temps. Un demi-siècle environ pour l’élite de nos séminaires et cent ans au moins pour un tiers des autres, à partir de la mort de François Coppée qui ne paraît pas prochaine. Tout de même, le « pauvre Lélian », vers 1880, présenta, en prose, cette idée originale et forte que la loi du travail, ordinairement regardée comme une malédiction, est, au contraire, le « dernier et seul souvenir consolant du Paradis terrestre ». En lisant cela, j’ai cru voir la Porte si bien gardée s’entr’ouvrir.
Ah ! que c’est beau ! Ainsi Dieu, tout fâché qu’il fût contre l’homme et le condamnant à tout perdre, aurait employé cette ruse adorable de le flageller avec l’Espérance, de lui infliger comme châtiment ce qui devait être son réconfort et de le lier rudement par une chaîne de Dilection ! Du milieu de ses propres entraves beaucoup plus dures, il a vu cela, le lamentable Verlaine ! Il a vu ou entrevu que si le paresseux accomplit cet acte effrayant de couper la dernière amarre, le travailleur pervers, qui n’est courageux que le Dimanche, parce qu’il s’agit de braver un maître invisible, renouvelle à son insu — étant une épouvantable brute — le Crime initial et reperd, chaque fois, pour lui-même et pour beaucoup d’autres, le Jardin de Volupté. Adam et Ève ont dû, en une manière qu’on ne sait pas, mépriser le Septième Jour et travailler le Dimanche tout l’été, ou, n’aller à la Messe que pour se moquer de la religion, ou, pendant le carême, aller à la boucherie comme des chiens, car les paroles divines sont toujours certaines et identiques, en amont comme en aval de leur cours éternel.
La sanctification du Dimanche, c’est la sanctification du travail, et le travail, non sanctifié de cette manière, est tellement maudit que l’apparente solidité des maisons privées ou des monuments publics, à la construction desquels il fut travaillé le Dimanche, est un problème. Le Secret annonce des maux inouïs, tels qu’aucun prophète n’en annonça jamais d’aussi affreux et d’aussi universels. La terre sera frappée de toutes sortes de plaies. Les montagnes et la nature entière trembleront d’épouvante. Des prodromes, d’ailleurs, se manifestent. Les feuilles publiques, prodromes elles-mêmes de la démence du monde, relatent, chaque jour, sans y rien comprendre, les plus alarmantes catastrophes : tremblements de terre ou volcans détruisant de grandes villes, des pays entiers ; explosions, incendies, accidents innombrables et de toute sorte procurés par la main-forte scientifique ou industrielle, au service de la Désobéissance et de l’Orgueil. Cela pour ne rien dire des homicides continuels et de plus en plus atroces, préludes, sous nos yeux, de massacres sans pardon. Hier, un train de voyageurs sautait dans la Loire… L’heure va sonner où les catastrophes se toucheront, où il n’y aura plus que des catastrophes. A chaque tour de cette roue des supplices dont le mouvement s’accélère, de graves individus recherchent aussitôt les « responsabilités », dans l’espérance, dirait-on, d’augmenter le mal, en réduisant au désespoir quelque mercenaire sans protection.
Ah ! misérables que nous sommes ! Elle est sur chacun de nous, la responsabilité ! Le mot châtiments révolte notre orgueil. Il nous faut des causes naturelles, des explications scientifiques où Dieu n’intervienne pas… Ce travail avait été bien fait, pourtant ! Les matériaux étaient excellents et on avait eu de bons ouvriers. Il n’y avait rien à redire à ces assises de pierre dure, capables de soutenir une montagne, et cette charpente de fer avec ses arbalétriers, ses boulons, ses rivets, que sais-je encore ? étaient au-dessus de tout éloge… Mais voici. Ce travail avait été fait le Dimanche, très-probablement, et les ouvriers — un seul, peut-être — avaient dû mettre le Nom de mon Fils au milieu. Il n’a pas fallu davantage. Telle est l’explication de la Mère de Dieu.
Je me suis réservé le Septième Jour. La profanation du Dimanche renouvelle continuellement le premier péché. C’est l’attentat à la RÉSERVE du Seigneur ! Peine de mort dans les deux cas, et de mort terrible… J’ai parlé plus haut des larmes d’Ève. La Chute n’est pas un fait accompli autrefois et dont nous subissons les conséquences. Nous tombons toujours, et voilà pourquoi Ève pleure. Ses larmes nous accompagnent dans le gouffre.