← Retour

Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)

16px
100%

X
Napoléon III déclare la guerre à Mélanie.

Qu’il (Pie IX) se méfie de Napoléon : son cœur est double et quand il voudra être à la fois Pape et Empereur, bientôt Dieu se retirera de lui. Il est cet aigle qui, voulant toujours s’élever, tombera sur l’épée dont il voulait se servir pour obliger les peuples à se faire élever.[20]

[20] Les quatre derniers mots donnent l’idée d’une construction défectueuse et amphibologique. Raison de plus, semble-t-il, pour les respecter.

Tel est le huitième paragraphe du Secret de Mélanie, confié par la Mère de Dieu à cette bergère, le 19 septembre 1846, avec mission de le publier douze ans plus tard. En attendant, ce Secret, écrit de la main de Mélanie par ordre de son évêque, pour être communiqué au Pape seul, fut porté à Rome en 1851 par deux prêtres vénérables qui le confièrent, cacheté et scellé, au Souverain Pontife, en même temps que celui de Maximin aujourd’hui encore inconnu.

Il convient de faire observer tout d’abord qu’en 1846, le futur Napoléon III, à qui nul ne songeait, était enfermé dans le fort de Ham et condamné à une prison perpétuelle. Même en juillet 1851, le Coup d’État et le Second Empire étaient encore parmi les choses qui appartiennent exclusivement aux prophètes. Un fait aussi concluant vaut qu’on le signale.

Pie IX parla-t-il ? On est forcé de croire que, de manière ou d’autre, quelque chose transpira puisque Louis-Napoléon, devenu empereur « par la grâce de Dieu et la volonté nationale », s’empressa de déclarer la guerre à Mélanie. Ce fut un de ses premiers actes, et, certainement, l’un des moins connus.

Le vénéré Mgr de Bruillard, évêque de Grenoble, qui avait proclamé le Miracle, un peu avant le Coup d’État, demanda à Napoléon, en novembre 1852, de lui donner un coadjuteur, alléguant son grand âge et ses infirmités. Le président décennal, qui avait besoin d’un domestique, refusa le coadjuteur, exigeant la démission pure et simple, afin de pouvoir placer sur le siège de Grenoble un prélat à sa discrétion et ne croyant pas à la Salette, qui enterrât le miracle. Ainsi devint successeur de saint Hugues, l’abbé Ginoulhiac, de Montpellier, vicaire général à l’archevêché d’Aix, ancien professeur de théologie gallicane.

« Bien des croyants, dit Amédée Nicolas[21], s’alarmèrent en apprenant quel était le nouvel évêque. Mais la Sainte Vierge avait choisi un prélat qui, doué de beaucoup d’adresse, de perspicacité et de prudence, connaissant le discours public, ignorant les Secrets qui étaient la terreur de Napoléon, pouvait le mieux conserver la dévotion et le sanctuaire, en rassurant le chef de l’État, en lui affirmant, autant qu’il le pouvait, et en toute bonne foi, qu’il ne s’agissait, dans les parties cachées, ni de lui ni de son trône. La Providence ne prodigue pas les miracles. Le plus souvent, elle se sert, pour arriver à ses fins, des hommes les plus médiocres, de leur caractère, de leur manière d’être, de leurs qualités, même de leurs défauts. Nous croyons, nous, que sans l’élévation, sur le siège de Grenoble, de Mgr Ginoulhiac qui était, d’autre part, gallican et plaisait aussi à l’Empire par ce côté, et sans une intervention divine, la Salette aurait été persécutée et pourchassée par l’Empereur. Ce choix a bien eu des inconvénients ; il en est résulté, pour les deux témoins, beaucoup de peines et de souffrances imméritées, cela est vrai ; mais il a sauvé le principal, c’est-à-dire la dévotion, le pèlerinage, le sanctuaire et la montagne. »

[21] Défense et explication du Secret de Mélanie de la Salette. Nîmes, 1881.

Le nouvel évêque, cependant, ne tarda pas à se trouver dans un embarras extrême. Les Secrets, celui de Mélanie surtout, qu’on disait si menaçants et qu’il ne connaissait pas encore, étaient comme une arête en son gosier, quand il lui fallait parler à son empereur des cormorans. « Mais, heureusement, dit-il, dans son Instruction pastorale du 4 novembre 1854, nous vivons sous un gouvernement qui est assez sûr de lui-même pour ne pas trembler devant de prétendues confidences prophétiques faites à un enfant… »[22] Napoléon III, peu rassuré, voulait fermer le sanctuaire et il fallut l’intervention de Jules Favre, alors très-redouté, qui manifestait l’intention de porter la chose devant le Corps législatif par une interpellation, pour que le gouvernement renonçât à persécuter la Salette. Quant à Ginoulhiac, rassasié de tant d’émotions, inquiet de sentir trembler dans sa main la crosse précieuse, il décida d’en finir en faisant disparaître les témoins de Marie, les « deux enfants ignorants et grossiers », les « chétifs instruments » qui donnaient à Sa Grandeur tant de tablature. Le plus sûr eût été de les tuer, mais il y avait trop de monde, trop d’yeux ouverts. Il fallait un expédient non moins épiscopal que celui de Caïphe. La redoutable Mélanie fut exilée en Angleterre, à la fin de septembre 1854, abus d’autorité, acte inique au premier chef, qu’on ne manqua pas de présenter comme une faveur insigne sollicitée par la victime elle-même, attendrissant effet d’une bonté pastorale pouvant aller jusqu’à la faiblesse.

[22] « Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude », avait déjà dit Molière.

L’année suivante, cet évêque effrayant ne craignit pas d’affirmer, sur la Montagne même, que « la mission des enfants était finie par la remise de leurs Secrets au Pape, que rien ne les rattachait plus au Miracle ; que leurs actes et leurs paroles, depuis le 18 juillet 1851, étaient complètement indifférents ; qu’ils pouvaient s’éloigner, se disperser par le monde, devenir INFIDÈLES à une grande grâce reçue, sans que le fait de l’Apparition en fût ébranlé ». A quelque prix que ce fût, il s’agissait de démonétiser les deux Témoins.

Chargement de la publicité...