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Celle qui pleure (Notre Dame de la Salette)

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XII
Les prêtres et le Secret de Mélanie.

S’il n’y avait eu que Napoléon III, la conspiration du silence ne lui aurait pas survécu trente-six ans. Même l’étonnante infirmité humaine qui transforme en une routine le ressentiment des griefs les plus oubliés ; tout ce qui pouvait, avant la catastrophe de 1870, s’opposer encore à la Salette et à ses Témoins, se serait usé depuis, la seule énergie de la sève catholique démolissant la muraille de plus en plus, à chaque renouveau. Mais il y avait ceci qu’on n’avouait pas, le jugeant intolérable, et dont on ne voulait à aucun prix :

Les prêtres, ministres de mon Fils, les prêtres, par leur mauvaise vie, par leurs irrévérences et leur impiété à célébrer les Saints Mystères, par l’amour de l’argent, l’amour de l’honneur et des plaisirs, les prêtres sont devenus des CLOAQUES D’IMPURETÉ. Oui, les prêtres demandent vengeance et la vengeance est suspendue sur leurs têtes. Malheur aux prêtres et aux personnes consacrées à Dieu, lesquelles, par leurs infidélités et leur mauvaise vie, crucifient de nouveau mon Fils ! Les péchés des personnes consacrées à Dieu crient vers le Ciel et appellent la vengeance, et voilà que la vengeance est à leurs portes, car il ne se trouve personne pour implorer miséricorde et pardon pour le peuple ; IL N’Y A PLUS D’AMES GÉNÉREUSES, il n’y a plus personne digne d’offrir la Victime sans tache à l’Éternel, en faveur du monde.[27]

[27] Secret de Mélanie, 2e alinéa. « Il y a ceci de remarquable, faisait observer, il y a 30 ans, Amédée Nicolas, qu’aucune communauté religieuse de femmes n’a réclamé. Seuls les prêtres séculiers ou réguliers ont poussé des cris. »

« Nolite tangere Christos meos… Qui vos audit, me audit : et qui vos spernit, me spernit. » Vous l’entendez, ô Mère du Verbe, c’est à Vous que cela s’adresse. Vous avez osé toucher au clergé. On pourrait penser que Vous en aviez le droit, étant sa Reine, Regina cleri, mais il n’en est rien et voici Votre punition : Nous décidons que Vous aurez parlé en vain.

« Ils ne veulent pas faire leur examen de conscience », disait Mélanie. « Tu es ille vir, tu fecisti hanc rem abscondite ! », dit l’Esprit-Saint. C’est toi le coupable ! dit la conscience. Quel que soit le crime accompli, en n’importe quel lieu du monde, cette parole doit être justement et rigoureusement appliquée à chacun de nous. Les saints l’ont toujours entendu ainsi. Et parce que les prêtres sont plus près de Dieu et, dès lors, plus responsables, il est naturel qu’ils soient atteints les premiers.

— « Vous êtes la lumière du monde ! » leur a dit le Maître. Il n’y aura jamais d’affirmation plus certaine. Mais on sait que la plus candide flamme terrestre, présentée au soleil, projette une ombre. De même, la Lumière de Dieu, si elle venait à se lever derrière la lumière du monde, cette dernière, à l’instant, donnerait une ombre noire, gluante, fuligineuse, de la plus impénétrable opacité. Telle doit être la sensation d’un humble prêtre qui fait son examen de conscience. Comment, alors, pourrait-il se troubler ou s’étonner de l’énergie de certains mots ?

Il s’agit bien de cela ! d’ailleurs. La Parole de Dieu est, par essence, incontestable, indiscutable, irréfragable, définitive. On est forcé de la recevoir intégralement ou de se déclarer apostat. Or la parole de Marie, c’est la Parole de Dieu, aussi bien à la Salette que dans l’Évangile. Si elle dit que nous sommes des « chiens », c’est la Sagesse éternelle qui parle. S’il lui plaît d’ajouter que les prêtres sont des « cloaques d’impureté », il n’y a pas mieux à faire que de croire qu’il en est ainsi, avec de très-humbles actions de grâces pour le bienfait d’une si précieuse révélation et sans songer, une minute, à distinguer sophistiquement. Cette parole sait ce qu’elle dit, elle le sait infiniment et, nous autres, nous ne savons pas même ce que nous pensons.

On a parlé d’« expressions hyperboliques », on a voulu sauver le Secret, en expliquant que le mot cloaque n’avait pas un sens absolu, comme si Dieu ne parlait pas toujours ABSOLUMENT. Infidélité, mauvaise vie, irrévérence, impiété, amour de l’argent, de l’honneur et des plaisirs. Total : cloaque d’impureté. Que penser d’un prêtre qui dirait : « Cela n’est pas pour moi ? » Saint François de Sales, saint Philippe de Néri, saint Vincent de Paul, le curé d’Ars, cinquante mille autres, sans remonter aux Martyrs, eussent dit en pleurant : « Ah ! que cela est vrai ! comme notre Souveraine me connaît et combien est inutile mon hypocrisie de tous les instants ! » Mais voilà ! Il n’y a plus d’âmes généreuses. La vérité stricte que ne contestera jamais un homme déterminé à donner sa vie pour Dieu, c’est que tout prêtre qui ne tend pas à la Sainteté est réellement, rigoureusement, absolument, un Judas et une ordure.

Tout à l’heure, j’ai cité deux Textes, le premier, du psaume 104 : « Nolite tangere… Ne touchez pas à mes oints », pour faire voir le beau parti qu’on en peut tirer. L’autre moitié du même verset paraît une foudroyante réponse de Marie : « … et in prophetis meis nolite malignari — et ne maltraitez pas mes prophètes ». Ceux d’entre les persécuteurs de Mélanie et de Maximin qui n’avaient pas « reçu leurs âmes tout à fait en vain » durent trembler quelquefois, en lisant ces mots dans leurs bréviaires. Pour ce qui est de l’Oracle évangélique : « Celui qui vous écoute m’écoute, etc. », ne voit-on pas qu’il convient supérieurement à Notre Dame de la Salette ? « Faites tout ce qu’il vous dira », avait dit, aux noces de Cana, la Mère de Jésus. « Celui qui T’écoute M’écoute et celui qui Te méprise Me méprise », lui répond son Fils, dix-neuf siècles plus tard, l’entendant pleurer sur une montagne.

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