← Retour

Dernières Années de la Cour de Lunéville: Mme de Boufflers, ses enfants et ses amis

16px
100%

CHAPITRE X
1756-1758

Séjour de Mme de Boufflers à Versailles.—Mort de Mme de Graffigny.

Dans le courant de l'année 1757, la cour de Lunéville fut bouleversée par le départ de Mme de Boufflers pour Versailles. Depuis plusieurs années l'aimable marquise avait été nommée dame de Mesdames en survivance, mais elle n'avait pas encore été appelée à exercer sa charge [53]. En 1757, une vacance s'étant produite, elle fut nommée dame titulaire, et elle dut se rendre à Versailles pour prendre possession de ses fonctions. Son absence devait se prolonger assez longtemps et tous ses amis étaient dans la désolation. Tressan, toujours amoureux, gémissait sur le sort funeste qui privait la Cour de toute sa joie, de tout son charme, mais il se consolait en pensant aux succès qui sûrement attendaient «la dame de ses pensées».

Si les sentiments de Tressan sont restés immuables, son style, malheureusement pour nous, ne s'est nullement amélioré et il est resté tout aussi embrouillé, prétentieux et pédant que par le passé. Quelle différence avec les lettres de Voltaire, étincelantes d'esprit, de verve et de clarté!

Comme à l'ordinaire, c'est au fidèle Panpan que Tressan confie ses plaintes et ses espérances:

«A Toul, ce dimanche.

«Cher et aimable confrère, il est donc bien vrai que notre chère et divine marquise part pour Versailles? Mandez-moi donc le temps, la semaine, le jour; je veux absolument la voir, causer avec elle et savoir tout ce qu'elle voudra bien m'apprendre des détails de son voyage. Il n'y a rien d'elle qui ne me touche et je ne peux vous exprimer le vif intérêt que je prends à une réussite dont je suis sûr dès qu'elle paraîtra.

«Qu'elle ne perde rien de ce qu'elle porte à la Cour, c'est tout ce que je lui demande; ce maintien noble, doux et décent sied bien à la réputation d'esprit qu'elle s'est établie. Je vois d'ici M. le Dauphin et Mesdames en faire leur amie, la Reine en raffoler, et il va bien à sa façon de penser, à ses principes, et à une raison aussi éclairée que la sienne de se tenir à ces branches fermes et durables. Les fleurs et les feuilles tombent, se sèchent et s'envolent. Ce langage oriental est très intelligible pour quelqu'un qui a le bon esprit de ne pas préférer la personne du jour à celles de tous les temps...

«Dites bien à Mme la marquise que notre petit ménage est à ses genoux et que si elle veut l'honorer de sa présence en passant, Beaucis tuera son vie et le Tressanius son faucon.

«Répondez-moi vite sur le temps de son départ, car vraiment je vais bien me faire honneur de l'annoncer à mes amis qui méritent de devenir les siens...

«J'avais bien peur que toutes ces vilaines espèces ne m'eussent barbouillé auprès du Roi. Le Père de Menoux, avec tout son esprit, a fait un furieux pas de clerc; il en a assez dit pour se faire des ennemis immortels et il a la honte de retrancher à l'impression une bonne partie de ce qu'il a dit. Le Roi a été peut-être d'abord un peu fâché de mes protestations contre l'impression, mais avec le temps, il connaîtra qu'elles étaient décentes dans ma bouche, qu'elles sauvent l'honneur de la société, et que c'est une bien bonne leçon pour l'avenir.....

«Adieu, cher ami, aimez toujours le Tressanius qui a un trop tendre attachement pour vous et de trop jolis enfants pour ne le pas mériter.»

Mme de Boufflers partit donc pour Versailles, ainsi qu'il était décidé, et à peine arrivée, elle prit son service auprès de Mesdames.

Soit qu'elle fût revenue à l'égard de Tressan à des sentiments moins farouches, soit que l'absence et l'éloignement lui aient inspiré quelque pitié, il lui prit un jour fantaisie d'écrire à son adorateur platonique:

«Paris [54].

«Je suis bien sûre, mon cher Tressanius, qu'en ne vous écrivant pas, je ne vous en aime que mieux, et je veux me flatter que vous ne m'en aimez pas moins. Cependant, il y a longtemps que vous ne me l'avez dit, et cela commence à m'inquiéter. Je vous aime trop pour ne pas vaincre mes répugnances et changer même de caractère, s'il le faut, plutôt que de vous laisser douter de moi un moment. Songez aussi que votre amitié m'est absolument nécessaire, parce qu'elle entre dans tous les arrangements de ma vie.

«Croyez-vous que je n'ai pas encore pu voir Alliot un moment seul? Il vint avant-hier chez moi pour la première fois, parce qu'il avait été à Versailles. J'avais des visites qui ne me laissèrent pas la liberté de lui dire un mot de vos affaires ni des miennes. Je l'ai fort prié de revenir, il me l'a promis; mais je crains bien de ne le voir qu'en Lorraine, car je suis obligée d'aller ce soir à Versailles pour remplacer trois femmes de semaine malades. Vous croyez bien que j'arriverai le mois prochain, tout le plus tôt que je pourrai, et que je m'en fais un vrai plaisir.

«En attendant, je vais vous dire les nouvelles d'hier: que la dépouille de M. le prince de Dombes a été donnée, sauf les Suisses, que tous les princes demandaient, à M. le comte d'Eu; le gouvernement du Languedoc à M. le comte d'Eu; et la Guyenne qu'il avait à M. le maréchal de Richelieu; le commandement de Languedoc à M. de Mirepoix; l'artillerie réunie au secrétariat de la guerre, et les carabiniers détruits et réunis à l'infanterie, à ce que l'on croit, car cet article n'a pas été décidé en même temps que les autres.

«Votre oncle est assez mal à ce que disent les médecins; vous seriez effrayé de son changement; il a tout l'air d'un homme qui, sans avoir une maladie dans les formes, ne saurait aller loin.

«Adieu, beau Tressanius; mille compliments à Mme de Tressan et à Marichou [55]

Tressan, ravi d'une tendresse à laquelle il n'est pas habitué, accorde sa lyre et c'est dans la langue des dieux qu'il répond à l'aimable marquise:

Charmante nymphe du Madon,

Vous qui sur ces rives sauvages

Apportez les mœurs du Lignon,

Et qui méritez les hommages

D'Adamas et de Céladon,

Pendant votre cruelle absence,

L'infortuné Tressanius

Vouloit de ses amis en us

Ranimer la correspondance,

Mais c'est à vous seule qu'il pense

Dès l'instant qu'il ne vous voit plus.

Que tiens-je d'eux que je compare

Au bonheur de vous écouter?

Ils ne m'apprennent qu'à douter;

Sur leurs pas souvent je m'égare,

Ou me plais à les réfuter;

Près de vous, mon âme enchantée

Jouit du calme le plus doux,

Et ne veut plus avoir d'idée

Qu'elle ne la tienne de vous.

La vîtes-vous jamais rebelle

A votre imagination,

Qui, toujours brillante et nouvelle,

Sait, dans la moindre bagatelle,

Porter la vie et l'action,

Et de la folle fiction

Tirer une beauté réelle?

Non, Églé! mais pour l'éclairer,

Vous la troublâtes trop cette âme:

N'en parlons plus... Sans m'égarer,

Je veux qu'une si douce flamme

Ne serve plus qu'à m'inspirer.

Mais je vous dois quelques nouvelles,

Et ne vous parle que de moi.

Commençons... Hier en désarroi,

Dédaigneuses sans être belles,

Sans chevaliers, sans palefroi,

Vinrent les cousines du roi.

Chacun courut au-devant d'elles,

J'y suivis le...

Ah! qu'il fut grand!... jargon, sourire,

De lui tout sut les amuser;

De l'art de parler sans rien dire

Avec grâce il sut abuser...

Mais... puis-je un seul instant médire,

Puis-je conserver de l'humeur,

Quand je me plais à vous écrire,

Vous à qui je ne voudrais dire

Que ce qui se passe en mon cœur?

Revenez, charmantes princesses,

Effacer ces tristes altesses,

Revenez parer ce séjour?

Beauvau, Bouillon!... noms que l'amour,

Les ans, les François et la gloire

Ont consacrés du même jour

Où l'on commence notre histoire;

Revenez orner notre Cour,

Et faire à la nuit la plus noire

Succéder les feux d'un beau jour.

Telle on voit la naissante aurore,

Avec l'étoile du matin,

Dans l'horizon qu'elle colore

Effacer l'éclat incertain

D'une comète ou d'un phosphore,

Et dans nos vergers faire éclore

La rose, le myrte et le thym [56].

Mme de Boufflers profita naturellement de son séjour à Paris pour aller voir tous ses amis; elle poussa même le zèle jusqu'à rendre visite à l'ancienne amie de Panpan, à Mme de Graffigny. La vieille dame n'était pas dans un état d'esprit très bienveillant et la marquise eut tout lieu de s'en apercevoir. Elle mande à Panpan:

«Paris, 7 janvier 1758.

«J'arrive de chez Mme de Graffigny, que je n'avais pas encore vue. Elle souffre d'une espèce de clou et des nerfs. Nous avons parlé de vous. J'ai commencé par lui demander des nouvelles de votre santé. Elle m'a dit que vous vous portiez à merveille, m'a parlé assez raisonnablement sur le lait, et puis avec aigreur sur votre conduite et sur vos lettres.

«La jalousie perçait dans toutes les paroles qu'elle m'adressait; mais je répondais avec la modération et la douceur qu'inspire le bonheur. Elle me paraissait si malheureuse de ne plus vous aimer que je ne cherchais qu'à adoucir la situation, et assurément elle conviendra un jour qu'on ne saurait triompher plus modestement. Cependant, il ne faudrait pas que vous lui parliez de tout ceci, car dans la disposition où elle est, cela me ferait sûrement une tracasserie... [57]»

Peu de temps après la visite de la marquise, Mme de Graffigny, encouragée par l'éclatant succès de Cénie et poussée aussi par le besoin de gagner quelque argent, présenta une nouvelle pièce au théâtre français: la Fille d' Aristide. Elle crut faire présent aux comédiens d'un véritable trésor.

C'est Collé qui fut chargé de lire la pièce; elle fut reçue à l'unanimité pour être jouée après le retour de Fontainebleau. L'auteur voulait garder l'incognito, mais Mlle Gaussin reconnut le style et Mme de Graffigny dut se déclarer.

«Autant qu'on peut juger une pièce de théâtre sur le papier, écrivait Collé, je parierais que celle-ci aura un grand succès.»

C'était montrer peu de perspicacité. La Fille d'Aristide fut jouée le 29 avril 1758. La pièce était froide, sans intérêt et ne fit aucun effet; elle tomba piteusement.

Collé se vengea de s'être si lourdement trompé en écrivant: «J'ai été d'un aveuglement qui me démontre bien que je n'entends rien aux pièces de ce genre et qui prouve que, quelque habitude qu'on ait du théâtre, on ne peut bien juger d'une pièce qu'au théâtre même; le jour et la nuit ne sont pas plus différents que la lecture et la répétition.»

Voisenon, de son côté, disait: «Mme de Graffigny me lut sa pièce, je la trouvai mauvaise, elle me trouva méchant. Elle fut jouée, le public mourut d'ennui et l'auteur... de chagrin.»

C'est effectivement ce qui arriva.

La pauvre femme éprouva de son échec un véritable désespoir. Naturellement on fut sans pitié pour elle et ses confrères et rivaux ne lui ménagèrent pas les sarcasmes.

On eut la cruauté de lui envoyer ces vers:

Bonne maman de la gente Cénie,

A cinquante ans vous fîtes un poupon;

On applaudit, on le trouva fort bon;

On passe un miracle en la vie,

Mais, d'un effort moins circonspect,

Sept ans après tenter même aventure

Et travailler encor dans le goût grec,

Pardon, maman, si la phrase est trop dure,

Je le dis, sauf votre respect,

C'est de tout point vouloir forcer nature.

Tressan, indigné de la conduite des auteurs, écrivait à Panpan:

«Toul, 3 juin 1758.

«Je suis bien aise que vous soyez rassuré sur la santé de Mme de Graffigny et qu'elle se porte mieux que sa pièce. Ah! l'horrible métier que celui d'auteur! On a eu la lâcheté de faire une épigramme contre l'adorable auteur de Cénie, mais l'épigramme est si plate qu'elle ne donne de ridicule qu'à celui qui l'a faite.»

L'amour-propre froissé, le dépit agirent si fortement sur Mme de Graffigny qu'elle tomba malade; ses maux de nerfs, ses vapeurs, toutes les misères auxquelles elle était sujette augmentèrent sensiblement; les efforts qu'elle fit pour dissimuler son état ne firent que le rendre plus précaire. Sa maladie était étrange. De temps en temps, pendant la conversation, elle s'arrêtait net au milieu d'une phrase et elle avait un évanouissement de quatre à cinq minutes, puis elle revenait à elle et reprenait sa phrase au point où elle l'avait laissée, sans s'être aperçue qu'elle avait perdu connaissance.

Son état s'aggrava assez rapidement et elle succomba, le 12 décembre 1758, âgée de soixante-quatre ans.

Sa dernière pensée fut pour son vieil ami Panpan; elle lui légua tous ses papiers et, en outre, un coffret auquel était attaché ce billet:

«Cette cassette ne contient que des lettres appartenantes à M. de Vaux le fils, receveur des finances de Lorraine. Je veux et je prie mon exécuteur testamentaire de les faire remettre audit M. de Vaux sans avoir été lues par personne. J'en charge sa probité, sa conscience et celle de mes héritiers. Telle est ma volonté expresse.

«A Paris, le 27 mai 1745.

«D'Happoncourt de Graffigny [58].»

Il ne nous semble pas qu'après la lecture de cette note, il puisse rester le moindre doute sur la nature des relations qui avaient existé autrefois entre Mme de Graffigny et Panpan.

En apprenant que Mme de Graffigny avait légué tous ses papiers au lecteur de Stanislas, Collé, furieux d'être frustré d'un héritage sur lequel il comptait, écrivait ces lignes pleines de fiel:

«Elle a laissé ses manuscrits à M. de Vaux. C'est bien le plus sot homme et l'esprit le plus faux qui soit dans la nature, une vraie caillette. Mme de Graffigny avait vécu beaucoup avec lui en Lorraine et il avait été toujours bassement son complaisant, ainsi qu'il l'a toujours été de toutes les femmes de qualité qui l'ont voulu avoir à leur suite comme un animal privé. Il est depuis longtemps le souffre-douleur de la marquise de Boufflers et est chez elle comme une espèce de valet de chambre bel esprit.»

Pauvre Panpan! être devenu lecteur du Roi de Pologne, académicien de Nancy, l'intime ami de la marquise de Boufflers, et se voir traité de «caillette, de complaisant, de valet de chambre bel esprit!» Heureusement pour lui il ignorait ces injures aussi plates qu'injustes et que dictait seule une basse jalousie.

Il serait cruel de dire que Mme de Graffigny mourait à propos, et cependant le mauvais état de ses affaires était tel qu'elle était menacée de tomber dans la misère noire.

Généreuse comme tous les prodigues, elle avait fait par son testament de nombreux legs. Elle n'avait oublié qu'une chose, c'est qu'il serait impossible de les acquitter; on ne put même pas payer les dettes assez considérables qu'elle laissait derrière elle.

Mme Helvétius était restée intimement liée avec son ancienne protectrice et sa mort lui causa un réel chagrin. Mue par un sentiment de piété presque filiale, elle voulut préserver de l'oubli la mémoire de son amie et elle adressa à Panpan cette lettre touchante:

«Voré, 1758.

«Mon cher Panpan, voulez-vous bien que je pleure avec vous la perte commune que nous avons faite dans Mme de Graffigny? Vous avez été dans tous les temps l'ami de son cœur et elle vous en donne à sa mort une marque bien chère. Elle vous lègue tous ses écrits, c'est sa volonté expresse qu'ils vous soient tous remis. Je vous dirai, pour sa gloire et pour notre consolation, que tout Paris les attend avec la plus vive impatience. Je crois, mon cher Panpan, que vous aimez trop son nom et sa réputation pour frustrer l'attente du public. Sans doute, dès qu'on vous les aura remis, vous travaillerez sans relâche à les rendre dignes de son juste empressement et à en donner une édition qui soit également honorable à l'auteur et à l'éditeur: mais ne croyez-vous pas, mon cher Panpan, qu'il soit nécessaire que vous veniez passer à Paris au moins un an pour vous mettre en état de la mieux faire par les secours et les avis des gens de lettres qui chérissaient la gloire de notre amie commune autant qu'ils chérissaient sa personne?

«Vous pensez quel intérêt nous y avons tous les deux. Il me semble que ma douleur augmente mon attachement et que je ne puis recevoir de consolation qu'autant que je pourrai contribuer à rendre la mémoire de ma chère maman immortelle! Vous êtes bien en état, mon cher ami, de me donner cette satisfaction, mais je me défierais un peu de votre paresse, qui peut-être n'est occasionnée que par votre mauvaise santé, que je craindrais de rendre encore plus mauvaise par ce travail. Cependant, si vous vous sentez la force et le courage de l'entreprendre, je vous prie très instamment de le faire, par l'intime assurance que j'ai que vous le ferez mieux que tout autre, inspiré surtout par l'amitié. Mais il ne faut pas perdre de temps. Il faut profiter des dispositions présentes du public. Elles sont tout à fait heureuses, elles peuvent ne pas durer. Rien n'est si léger et si inconséquent que ce même public, il ne faut pas le laisser languir, il nous en punirait.

«Partez donc, mon cher Panpan, aussitôt ma lettre reçue. Je crois cela nécessaire; il s'agit de la gloire de votre plus tendre amie. Vous devez tout oublier pour elle, l'amitié vous en fait une loi indispensable.

«Recueillez chemin faisant tout ce que vous trouverez de lettres d'elle et faites-en un choix. Je vous attends avec la dernière impatience. J'oubliais de vous dire de ramasser aussi toutes les anecdotes les plus intéressantes de sa vie; car, à la tête de ses ouvrages, il faudra, s'il vous plaît, que vous en donniez un abrégé dans lequel vous aurez soin de développer, avec toute la force et l'énergie dont vous êtes capable, la grandeur de son âme, la sensibilité inouïe de son cœur, la pénétration et l'étendue de son esprit. Vous la connaissez mieux que personne, ainsi vous êtes plus en fonds pour en faire un portrait digne d'elle et de vous et de la postérité; attachez-vous surtout à faire connaître cette douce et sublime philosophie du cœur qui caractérisait ses mœurs et ses ouvrages.

«Je vous embrasse, mon cher Panpan, de tout mon cœur, et mon mari aussi [59]

S'absenter pendant un an! quitter Mme de Boufflers, tous ses chers amis de Lorraine, ses livres, ses fleurs, ses habitudes, ses manies, et tout cela pour rendre hommage à un souvenir très tendre assurément, mais si lointain! Vraiment Mme Helvétius en parlait à son aise.

C'est qu'elle était bien loin de se douter de l'état d'âme de Panpan. La vérité est qu'il avait perdu de vue son amie depuis bien des années et qu'il ne ressentit sa perte qu'assez faiblement. Non seulement il ne songea pas un instant à se rendre à Paris, ainsi qu'on l'en priait si instamment, mais il ne s'occupa pas davantage de préparer une publication destinée à glorifier les mérites littéraires de Mme de Graffigny.

L'ingratitude de Panpan envers celle qui avait guidé ses premiers pas était, en somme, très humaine et très naturelle; on doit cependant la déplorer. On se rappelle l'entrain endiablé, la verve incomparable des lettres écrites de Cirey en 1739; toute la correspondance de Mme de Graffigny, si l'on en peut juger par quelques rares spécimens, était sur le même ton. En ne recueillant pas ses lettres et en ne les publiant pas, Panpan nous a privés d'une œuvre charmante qui aurait classé Mme de Graffigny parmi les meilleurs et les plus spirituels épistoliers du dix-huitième siècle.

Chargement de la publicité...