Dernières Années de la Cour de Lunéville: Mme de Boufflers, ses enfants et ses amis
CHAPITRE XIII
1756-1760
Les enfants de la marquise de Boufflers.
Ainsi que nous l'avons vu au cours des précédents chapitres, les trois enfants de la marquise de Boufflers avaient grandi auprès de leur mère, qui s'occupait d'eux fort tendrement, et ils s'étaient trouvés peu à peu mêlés à la vie de la Cour. Stanislas leur témoignait beaucoup d'affection. Mlle de Boufflers en particulier, celle que les courtisans avaient surnommée «la divine mignonne», avait, par sa gaîté juvénile et son esprit, conquis les bonnes grâces du Roi, et il l'appelait souvent auprès de lui.
L'aîné des enfants, celui qui, à la mort de son père, avait pris le titre de marquis, quitta assez jeune Lunéville pour aller à Versailles occuper la place enviée de menin du dauphin, place qu'il devait naturellement à la protection de Stanislas.
Quant au cadet, sur lequel nous insisterons davantage, parce qu'il va jouer dans notre récit un des premiers rôles, il était né prématurément, le 31 mai 1738, sur la grand'route de Bar-le-Duc à Commercy; la marquise était seule dans son carrosse quand l'accident lui arriva, et c'est le postillon qui lui donna des soins. Transporté aussitôt à Nancy, ainsi que sa mère, l'enfant fut ondoyé le lendemain à Saint-Roch [66]. Il eut pour parrain et pour marraine le Roi et la Reine de Pologne, et il reçut en leur honneur les noms de Stanislas-Catherine.
L'enfant fut immédiatement mis en nourrice chez une brave paysanne d'Haroué, et c'est là qu'il passa ses premières années, près de la magnifique résidence de ses grands-parents. Mme de Boufflers venait très souvent l'y voir, mais, rappelée par ses devoirs à la Cour, elle ne faisait jamais que de courtes apparitions et l'enfant se trouvait presque toujours seul. Il n'était pas cependant sans s'être créé quelques relations agréables dans la basse-cour du château, entre autres celle d'un gros chien de garde, installé dans la cour d'honneur, et qui répondait au nom de Pataud. Stanislas-Catherine et Pataud se comprenaient à merveille et ils passaient leur vie ensemble. Quand on cherchait Stanislas, on était toujours sûr de le retrouver dans la niche de son meilleur ami; quand on appelait l'un, l'autre arrivait également, tant et si bien qu'on arriva à les confondre et que tous deux finirent par répondre au même nom de Pataud.
Quand Stanislas eut atteint l'âge de neuf ans, Mme de Boufflers estima que les études sérieuses devaient commencer pour lui et elle le fit venir à Lunéville. L'enfant s'arracha non sans larmes et regrets à la vie libre et insouciante et à la précieuse intimité de Pataud pour commencer l'apprentissage de la vie.
Nous avons vu dans le premier volume de cet ouvrage que son éducation avait été confiée à cet ineffable abbé Porquet, dont nous avons conté l'étrange liberté d'allures et la singulière absence de principes [67].
L'éducation de l'enfant fut ce qu'elle devait être, étant donné le milieu dans lequel il vivait et le précepteur que la prudence de sa mère lui avait choisi. Si elle ne laissa rien à désirer au point de vue intellectuel, au point de vue moral il y eut de terribles lacunes. Aussi, personne, et Mme de Boufflers moins que tout autre, ne put s'étonner du résultat.
Stanislas, du reste, était le digne fils de sa mère; il paraissait admirablement doué, et plus il avançait en âge, plus il brillait par une intelligence vive et primesautière qui surprenait tous ceux qui l'entouraient; déjà on lui prédisait les plus hautes destinées.
Un jour, étant en séjour chez sa grand'mère de Craon, à Haroué, il donna une preuve singulière de son étonnante précocité.
«Le P. de Neuville, célèbre alors par son éloquence, venait souvent chez la princesse; la grande dame avait renoncé aux erreurs de ce monde et elle s'adonnait à la dévotion. Aussi était-elle assidue aux sermons du R. P. et y conduisait-elle volontiers ses petits-enfants. Un jour, après avoir prêché, le Père de Neuville vint la voir et il fut frappé de l'extrême attention avec laquelle le regardait le jeune Stanislas.
—«Pourquoi me regardez-vous ainsi? lui dit-il.
—«C'est, reprit l'enfant, parce que vous avez très bien prêché ce matin.
—«Vous rappelleriez-vous quelque chose de ce que j'ai dit? repartit le Père étonné.
«L'enfant fit un précis tellement exact du sermon, que tout le monde fut confondu. A partir de ce moment, le P. de Neuville eut de lui une grande idée [68].»
L'on faisait naturellement honneur à l'abbé Porquet des brillantes dispositions de son élève et on lui en attribuait tout le mérite; on en concluait de plus que Stanislas-Catherine avait pour l'Église une vocation des plus décidées, et comme c'était à l'état ecclésiastique qu'on le destinait, ainsi qu'il était d'usage dans les familles nobles pour les cadets, tout le monde se réjouissait de cette heureuse coïncidence. Tout paraissait donc s'arranger pour le mieux.
Le Roi, qui aimait beaucoup son filleul, était ravi de cette vocation inespérée; il l'appelait, non sans emphase, «une fleur destinée à parer les autels;» en prévision de la mission sacerdotale dont l'enfant devait plus tard être chargé, et pour l'encourager dans la bonne voie, il s'empressa de le gratifier de plusieurs fructueux bénéfices. C'est ainsi que Boufflers fut nommé abbé de Longeville et de Béchamp.
Les talents du futur abbé ne firent que s'accentuer avec l'âge; non seulement il apprenait avec facilité tout ce qu'on lui enseignait, mais il était doué des dons naturels les plus précieux; il excellait aux exercices du corps, montait parfaitement à cheval, cultivait avec succès la musique et la peinture, etc.; il marquait pour la poésie des dispositions qui enchantaient sa mère et toute sa famille et qu'on s'empressait d'encourager.
En avril 1754, à peine âgé de seize ans, Boufflers traduisit en vers une pièce de Sénèque, et l'œuvre du jeune homme souleva les cris d'admiration de Stanislas, de Porquet, de Panpan et de toute la Cour.
DISCOURS DE THÉSÉE, SORTI DES ENFERS.
Je suis enfin sorti de ces cavernes sombres
Où des morts gémissants Pluton retient les ombres,
Et déjà du soleil le flambeau lumineux
D'un éclat inconnu vient étonner mes yeux.
Oui, quatre fois ce dieu, dans sa noble carrière,
A sur les champs dorés répandu sa lumière:
Et quatre fois la nuit, en fournissant son cours,
Vit son espace égal à l'espace des jours;
Tandis que de mon sort l'affreuse incertitude
Dans mon cœur éperdu versoit l'inquiétude;
Et tandis qu'enchaîné dans cet affreux chaos,
Du ciel et de l'enfer je souffrois tous les maux.
Mais vainqueur de Pluton, le vaillant fils d'Alcmène
De son ami captif enfin brisa la chaîne:
Sa bouillante valeur assurant mon retour,
Je sortis des enfers, je reparus au jour;
Je quittai de Pluton la demeure abhorrée,
Et je revins enfin sous la voûte azurée,
Mais de tous ces travaux la pénible longueur
De mon ancien courage énerve la vigueur;
Et mon corps abattu, ma force chancelante,
Ne peuvent seconder ma valeur languissante.
L'abbé Porquet s'extasiait sur cet élève qui lui faisait tant d'honneur; Mme de Boufflers était ravie des succès de son fils, elle admirait la variété de ses aptitudes, son humeur originale, la vivacité de ses reparties; Stanislas raffolait de ce jeune homme si bien doué, si gai, dont l'entrain le rajeunissait; il était pour lui plein d'indulgence et il lui passait mille fantaisies. Enhardi par la bonté du Roi, l'abbé s'était mis avec lui sur un pied presque familier.
La jeune muse de Boufflers ne s'attaquait pas seulement aux sujets sérieux; ceux-ci étaient même, il faut l'avouer, l'exception. Un jour c'est sur le singe même de Stanislas que le poète prétend exercer sa verve; mais il a soin de glisser dans son quatrain une délicate flatterie:
Ces climats ne l'ont point vu naître,
Et par un coup du sort, il tomba dans nos mains;
Mais par son amour pour son maître,
Jacko est devenu le singe des Lorrains.
Le Roi, très amusé par la verve du jeune homme, encourage ses essais poétiques, et Boufflers, que le succès rend audacieux, ose composer pour la fête du Roi une chanson qu'il débite à la table royale, aux applaudissements de tous les courtisans:
Chanson
Si l'on cherche un roi qu'on aime (bis),
On peut le trouver ici;
Et qui nous aime de même,
On peut l'y trouver aussi.
Si l'on cherche un roi qu'on aime
On peut le trouver ici.
Tous nos cœurs sont sa conquête (bis),
C'est sur eux qu'il règne ici,
On fête aujourd'hui sa fête,
N'est-ce pas la nôtre aussi?
Tous nos cœurs, etc.
A nos respects il préfère (bis)
L'amour qu'on lui porte ici;
De sa cour il est le père,
De son peuple il l'est aussi.
A nos respects, etc.
Partout on pourrait en dire (bis)
Tout ce qu'on en dit ici:
Car si de près on l'admire,
De loin on l'admire aussi.
Partout, etc.
Que parmi nous il s'arrête (bis)
Qu'il règne cent ans ici;
Nos vrais biens sont sur sa tête,
Nos beaux jours y sont aussi.
Que parmi nous, etc.
Stanislas, charmé, ne trouve pas sur le moment de meilleure récompense que d'embrasser le jeune poète et le couvrir d'éloges. Mais n'était-ce pas insuffisant et n'y avait-il pas d'autre moyen d'encourager ce talent qui donnait de si belles promesses?
Mais si, assurément. Il y a une Académie à Nancy, et quand on tourne si bien le couplet, on est digne d'en faire partie. L'abbé est bien un peu jeune, il n'a que vingt ans, mais Stanislas connaît ses classiques, et il sait qu'
Aux âmes bien nées,
La valeur n'attend pas le nombre des années.
Il est vrai que les statuts de la Société royale interdisent formellement de briguer les suffrages académiques avant l'âge de vingt-cinq ans, mais les règlements sont-ils donc faits pour un Roi! et qui oserait se permettre une critique? Ce serait, en vérité, une plaisante aventure. Donc Boufflers sera académicien, de par la volonté du prince.
Mais que va dire l'abbé Porquet? Au plaisir de voir son élève monter si haut ne se mêlera-t-il pas une pointe de jalousie? Et puis est-il d'un bon exemple de placer le précepteur dans un état d'infériorité vis-à-vis de son élève? Stanislas, dans sa sagesse, trouve le moyen de tout concilier. Porquet est un homme de goût, il cultive les lettres, il sera nommé académicien le même jour que Boufflers. Ainsi en décide le Roi, non pas sans opposition.
L'abbé de Choiseul, en effet, fait les plus vives objections; il soutient entre autres que les fonctions de précepteur sont inconciliables avec celles d'académicien; mais où a-t-il vu pareille incompatibilité? Du reste, Mme de Boufflers a décidé que Porquet serait de l'Académie. Qui oserait résister à la favorite?
On réunit en hâte la compagnie, on lui signifie les volontés du Roi. Boufflers et Porquet sont nommés à l'unanimité. Mais dans la même séance, et pour bien montrer que le règlement n'est pas un vain mot, M. de Champigneulles voit sa candidature résolument écartée parce qu'il ne remplit pas les conditions d'âge exigées.
Le 20 octobre 1758 les deux néophytes furent officiellement admis dans le cénacle. La séance fut magnifique. Le Roi était présent ainsi que Mme de Boufflers, Mme de Mirepoix, la marquise des Armoises, le chancelier, M. et Mme de Tressan, M. de Lucé, etc. Boufflers avait choisi comme sujet de son discours De l'éloquence.
Le président lui adressa quelques paroles de bienvenue et lui dit entre autres compliments:
«Vous vous êtes livré jusqu'à ce moment à l'étude des livres sacrés et de la théologie, parce que vous êtes né pour éclairer de vastes diocèses et pour être mis ensuite entre les premières colonnes de l'Église: honneurs qui sont la récompense due aux grands talents, lorsqu'ils sont soutenus d'un grand nom.»
A partir de ce moment, l'abbé de Boufflers assiste assidûment aux séances académiques; il prend souvent la parole et on l'entend aborder des sujets qui au premier abord paraissaient lui être peu familiers. Ne s'avise-t-il pas un jour de prononcer un long et pathétique discours sur les charmes de la vertu!
Les grandeurs, cependant, n'éblouissent pas Boufflers, car il a beaucoup d'esprit: son titre même d'académicien le laisse froid, il ne s'en soucie guère plus que de la théologie, et il continue plus que jamais à rimer à tort et à travers pour les jolies dames de la Cour, sans souci aucun de la morale et de la réserve qu'on était en droit de lui demander.
En décembre 1760, le jour de la Sainte-Catherine, il adresse à sa mère ce bouquet fort galant assurément, mais bien inquiétant sous la plume d'une future «colonne de l'Église», bien étonnant dans la bouche d'un fils:
Votre patronne, au lieu de répandre des larmes,
Au jour qu'elle souffrit pour le nom de Jésus,
Parla comme Caton, mourut comme Brutus;
Elle obtint le ciel, et vos charmes
L'obtiendront comme ses vertus.
Reniez Dieu, brûlez Jérusalem et Rome,
Pour docteurs et pour saints n'ayez que les Amours,
S'il est vrai que le Christ soit homme,
Il vous pardonnera toujours.
Ce «bouquet» aurait dû faire scandale, soulever l'indignation de Mme de Boufflers, attirer sur la tête de l'audacieux abbé tous les anathèmes; il n'en fut rien, bien loin de là. On le trouva charmant, d'une grâce inimitable; l'auteur fut comblé d'éloges et la marquise se pâma d'aise. C'était si bien le ton de la cour de Lunéville!
L'abbé a un goût marqué pour la plaisanterie, voire même pour l'épigramme, goût qu'il gardera toute sa vie, et dans son exubérante gaîté, il n'épargne même pas sa famille. Ne le voit-on pas un jour pousser l'audace jusqu'à s'égayer aux dépens de son oncle, le prince de Beauvau, de cet oncle si respecté cependant, qui occupe une si haute situation, et qui dans la famille inspire à tous une crainte salutaire.
C'est la similitude de nom du prince et de Panpan qui sert de thème aux facéties du jeune abbé:
Si Monsieur Deveau
Était un peu beau,
Que Monsieur de Beauveau
Fût un peu moins beau;
Ce Monsieur Deveau
Serait un Beauveau,
Et Monsieur de Beauveau
Ne serait qu'un veau.
Si le frère
De ma mère
Par hasard eût été veau;
Ses parentes
Et mes tantes
Seraient un troupeau
De nymphes Io.
Hélas! s'il était veau
Ce valeureux Beauveau,
Que toute sa famille redoute,
Je me doute
Que la croûte
D'un grand godiveau
Serait son tombeau.
Boufflers et sa sœur ne quittaient pas la Cour et la suivaient dans tous ses déplacements.
C'est ainsi qu'en 1759, il s'en fallut de peu que le château de Commercy ne fût la proie des flammes, grâce à l'imprudence de l'abbé.
Il habitait un appartement du premier étage; il commit l'étourderie de placer une chandelle trop près d'une tapisserie, puis de s'absenter pour aller rendre une visite à une dame qui lui voulait du bien; leur conversation, fort attachante évidemment, se prolongea très tard, si tard qu'à deux heures du matin l'abbé n'était pas encore rentré chez lui: il fut réveillé en sursaut par les cris au feu! au feu! qui retentissaient dans le château. Il n'eut que le temps de se précipiter dans les corridors, et c'est alors qu'il s'aperçut que son appartement était en flammes. Par grande chance, les secours ne se firent pas attendre et l'on put conjurer le danger, mais l'appartement de l'abbé fut entièrement consumé. Heureusement, l'on n'était pas collet-monté à la cour de Stanislas, et Boufflers, au lieu de reproches, reçut mille félicitations sur l'heureuse circonstance qui lui avait probablement sauvé la vie.
Pendant que l'abbé risquait d'incendier Commercy, son frère, le marquis, faisait la campagne d'Allemagne avec son oncle de Beauvau, et il se couvrait de gloire. Grâce à la protection de Stanislas, il avait été nommé colonel du régiment Dauphin Infanterie, puis gouverneur des villes et château de Pont-à-Mousson (1758). L'amitié intime du Dauphin lui présageait un avenir plus brillant encore.
Avant d'achever ce chapitre, disons quelques mots des événements qui se sont passés à cette époque dans la famille de la favorite et aussi dans l'entourage immédiat du roi.
Deux mariages sensationnels ont eu lieu à la Cour en 1757. Le 2 mai, le fils de M. de Bercheny a épousé Mlle de Baye, à six heures du matin, dans l'église paroissiale de Lunéville. Le Roi a offert un somptueux repas de noces au château de Chanteheu.
Le 26 juin, M. de Caraman, petit-fils de Riquet, le célèbre constructeur du canal de Languedoc, a épousé Mlle de Chimay, petite-fille du prince de Craon. La cérémonie a été célébrée en grande pompe dans la chapelle du château à Lunéville; c'est Stanislas qui a fait les frais de la noce, et il a gardé les deux époux près de lui pendant toute une année. En l'honneur du mariage, M. de Caraman a été nommé chambellan du roi de Pologne.
La même année, le 25 septembre, Mme de Boufflers apprenait la mort, en Languedoc, de son beau-frère le maréchal de Mirepoix, qui commandait les troupes du midi. C'était une perte cruelle pour la maréchale, qui adorait son mari, et qui resta longtemps inconsolable de sa fin prématurée.
M. de Mirepoix était capitaine des gardes du corps de Stanislas. En bonne sœur, la maréchale écrivit au roi que la plus grande consolation qu'elle pouvait recevoir de la perte de son époux serait de le voir remplacé par son frère de Beauvau. Stanislas s'empressa de déférer à un vœu aussi pieux et le prince fut nommé aussitôt.
Un an après, un nouveau deuil frappait la maison de Beauvau:
La princesse douairière de Chimay mourut au château de Commercy, le 22 juillet 1758, à une heure du matin. Quelques jours auparavant, Thoumain de Nancy, le célèbre chirurgien, lui avait fait «l'extraction d'un polype du poids d'une livre et demie dans la matrice». Sa mère, la princesse de Craon, sa sœur, la marquise de Boufflers, son frère, le chevalier de Beauvau, et enfin sa belle-fille l'assistaient à son heure dernière.
L'année suivante, son fils, le prince de Chimay, était tué à la tête des grenadiers de France, le 9 août, à la bataille de Toddenhausen, près de Minden; c'est lui qui avait si miraculeusement échappé à la mort lors de l'accident arrivé au marquis de Boufflers en 1751. Ce jeune prince donnait de grandes espérances; il fut très regretté.
Sa place de commandant des gardes du corps du Roi de Pologne fut donnée au fils aîné de Mme de Boufflers, le marquis de Boufflers-Rémiencourt. Peu de temps après, il était encore nommé bailli d'épée du bailliage de Pont-à-Mousson.
On voit que Stanislas, dans sa paternelle bienveillance, ne cessait de combler de ses faveurs les membres des familles de Beauvau et de Boufflers.
Le 16 mars 1758, le Roi eut la grande satisfaction d'apprendre par un courrier de M. de Belle-Isle que le roi de France, cédant à ses instances, venait de nommer le comte de Bercheny maréchal de France; c'était le glorieux couronnement d'une brillante carrière militaire.
En août de la même année, le roi de Pologne éprouva un chagrin véritable. Son officier d'office, le célèbre Gilliers, cet artiste culinaire qui avait publié le Cannaméliste français et que Stanislas, qui avait la passion de la cuisine, traitait plutôt comme un ami que comme un serviteur, succomba à une cruelle maladie [69].
Pendant les dernières heures du pauvre Gilliers survint un incident assez burlesque. Il était à l'agonie, on ne pouvait plus, depuis longtemps, lui arracher ni paroles ni gestes. Tout le monde croyait qu'il avait perdu connaissance. Au pied du lit, quelques femmes récitaient les prières d'usage en pareil cas, lorsque l'unes d'elles interrompit ses litanies pour dire à ses compagnes: «Heureusement que Mme Gilliers est encore fraîche et qu'elle trouvera aisément à se remarier.»—«Vieille garce!» s'écria d'une voix étranglée le moribond, en se dressant sur sa couche et en regardant avec colère la femme qui avait parlé. Tous les assistants, terrorisés, s'enfuirent; Gilliers, épuisé par l'effort, retomba sur sa couche et rendit aussitôt le dernier soupir.
Au mois de janvier 1760, Stanislas, eut encore le regret de voir disparaître un homme avec lequel il entretenait de fréquents et agréables rapports, Bernard Conigliano. C'était un négociant fort habile, d'une grande probité et que le monarque tenait en haute estime: aussi lui avait-il accordé le privilège des fournitures de la Cour avec le titre de «marchand du Roy de Pologne», changé plus tard en celui, plus vague et plus relevé, d'«agent du Roy.» Conigliano était né à Strasbourg, où son père, assesseur au «Grand Sénat» de cette ville, avait eu l'occasion de rendre d'importants services à Stanislas pendant les dures années de Wissembourg. Le jeune Conigliano s'était attaché à la fortune du prince et l'avait suivi à Lunéville, où il s'était marié. Il laissait plusieurs enfants.