Expédition des dix mille
CHAPITRE III
Chirisophe n’arrive point : on embarque une partie de l’armée, le reste suit par terre. — Arrivée à Cérasonte. — Revue et dénombrement. — Partage de l’argent. — Consécration faite par Xénophon à Apollon et à Diane. — Description de sa retraite à Scillonte et de la fête de Diane, instituée par lui.
Cependant Chirisophe n’arrive point : on n’a point de vaisseaux en nombre ; on ne trouve plus de vivres à enlever ; on se décide à partir. On embarque les malades, ceux qui ont passé la quarantaine, les enfants, les femmes, tous les équipages inutiles, et l’on charge Philésius et Sophénète, les plus âgés des stratéges, de s’embarquer avec eux et d’en prendre soin. Les autres se mettent en marche : les chemins avaient été réparés. On arrive au bout de trois jours à Cérasonte[37], ville grecque, sur la mer, colonie des Sinopéens, sur le territoire de la Colchide. On y reste dix jours. On passe la revue et l’on fait le dénombrement des soldats sous les armes. Il y en a huit mille six cents : c’étaient les débris d’environ dix mille ; les autres avaient été détruits par les ennemis, les neiges, la maladie.
[37] Aujourd’hui Keresount. Ce fut, dit-on, dans cette ville que Lucullus trouva le cerisier, qu’il importa en Italie. De là les noms latins de cerasus et cerasum pour désigner l’arbre et le fruit.
On partage alors l’argent provenant de la vente des prisonniers ; on prélève pour Apollon et pour Diane d’Éphèse un dixième que les stratéges se divisent entre eux et se chargent de mettre en réserve afin de l’offrir aux dieux. On remet à Néon d’Asinée la part de Chirisophe.
Xénophon, mettant à part l’offrande d’Apollon, la consacre à Delphes dans le trésor des Athéniens, et y fait inscrire son nom et celui de Proxène, son hôte, qui avait péri avec Cléarque. Quant à la part de Diane, quand il quitta l’Asie avec Agésilas pour se rendre en Béotie, il laissa cet argent à Mégabyze, néocore[38] de Diane, ne doutant pas qu’il n’eût à courir de grands dangers avec Agésilas, et il recommanda au dépositaire de le lui rendre, s’il survivait, mais, s’il lui arrivait malheur, d’en faire l’offrande qu’il croirait la plus agréable à la déesse.
[38] Ministre du temple.
Lorsque, durant son exil, Xénophon habitait Scillonte, ville bâtie par les Lacédémoniens dans les environs d’Olympie, Mégabyze vint voir les jeux olympiques et lui rendit son dépôt. Xénophon l’accepte, et achète un terrain qu’il consacre à la déesse, sur l’indication même des dieux. Ce territoire est traversé par le fleuve Sélinus, fleuve du même nom que celui qui coule en Asie près du temple de Diane à Éphèse. On trouve dans tous les deux des poissons et des coquillages. Dans le domaine de Scillonte il y a des terrains de chasse et du gibier de toute espèce.
De l’argent sacré Xénophon érige aussi un temple et un autel, et, depuis ce temps, il n’a cessé d’offrir à la déesse un sacrifice et la dîme des productions de ses terres. Tous les habitants de la ville et des environs, hommes et femmes, prennent part à la fête. La déesse fournit aux assistants de la farine d’orge, du pain, du vin, des friandises, une portion des victimes engraissées dans les pâturages sacrés, et du gibier. En effet, à l’occasion de cette fête, les fils de Xénophon et ceux des autres habitants faisaient une grande chasse, à laquelle prenaient part tous ceux qui voulaient. On chassait soit sur le domaine sacré, soit sur celui de Pholoé, des sangliers, des chevreuils, des cerfs. Ce lieu, situé sur le chemin de Lacédémone à Olympie, est à une vingtaine de stades du temple d’Olympie consacré à Jupiter. Dans l’enceinte sacrée sont des bocages et des montagnes couvertes d’arbres, où l’on peut élever des porcs, des chèvres, des bœufs et des chevaux, si bien qu’il est facile d’y nourrir largement tous ceux qui viennent à la fête. Autour du temple même, on a planté un verger d’arbres fruitiers qui donnent toutes sortes d’excellents fruits selon les saisons. Le temple ressemble, en petit, à celui d’Éphèse ; mais à Éphèse la statue de la déesse est d’or, et ici de cyprès. Près du temple est une colonne avec cette inscription : « Ce lieu est consacré à Diane. Que celui qui l’occupera ou en recueillera les fruits en offre tous les ans un dixième et que du reste il entretienne le temple : si l’on n’agit pas ainsi, la déesse y veillera. »