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Expédition des dix mille

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CHAPITRE VIII

Arrivée à Lampsaque et dans la Troade. — Combat contre le Perse Asidate. — Noms des pays traversés par l’armée et des satrapes qui les gouvernaient. — Fin de la retraite des Dix mille.

On s’embarque ensuite pour Lampsaque. Au-devant de Xénophon se présente le devin Euclide de Phlionte, fils de Cléagoras, qui a peint les Songes qui sont dans le Lycée. Il félicite Xénophon d’avoir échappé et lui demande ce qu’il a d’or. Xénophon lui jure qu’il n’a pas de quoi retourner dans sa patrie, à moins de vendre son cheval et tout ce qu’il peut avoir. Euclide ne veut pas le croire. Mais les Lampsacènes ayant envoyé des présents d’hospitalité à Xénophon, celui-ci fait un sacrifice à Apollon et place Euclide auprès de lui. Euclide ayant vu les entrailles, dit à Xénophon : « Je vois maintenant que tu n’as pas fait fortune, mais je suis sûr que, lors même que cela devrait t’arriver, il y aurait quelque empêchement, sinon d’autre part, du moins de toi-même. » Xénophon en convient. Euclide continue : « L’obstacle vient de Jupiter Mélichius[51], » et il lui demande : « Lui as-tu toujours offert des sacrifices ? A Athènes, j’avais l’habitude d’offrir pour vous des sacrifices et des holocaustes. » Xénophon répond que, depuis son départ, il n’a point fait de sacrifices à ce dieu. Euclide lui conseille donc de lui en faire, et ajoute qu’il s’en trouvera mieux. Le lendemain, Xénophon se rend à Ophrynium, sacrifie et brûle des porcs en holocauste suivant le rit national : les entrailles sont favorables. Le même jour, arrivent Biton et Euclide avec de l’argent pour l’armée : ils se lient d’hospitalité avec Xénophon, et, comme il s’était défait à Lampsaque de son cheval pour cinquante dariques, soupçonnant qu’il ne l’avait vendu que par besoin, puisqu’ils avaient entendu dire qu’il tenait beaucoup à ce cheval, ils le rachètent, le lui rendent et ne veulent point en recevoir le prix.

[51] C’est-à-dire qui adoucit, clément. Voy. le Dict. de Jacobi.

De là, on marche à travers la Troade ; on passe l’Ida et l’on arrive d’abord à Antandros, puis, en longeant les côtes de Lydie, dans la plaine de Thèbes[52]. De là, par Atramyttium et Certone, on entre, près d’Atarné, dans la plaine du Caïque, et l’on parvient à Pergame de Mysie.

[52] Ville de Troade, où avait régné Aétion, père d’Andromaque.

Xénophon y est reçu en hospitalité chez Hellas, femme de Gongylus d’Érétrie, et mère de Gorgion et de Gongylus. Celle-ci l’avertit qu’Asidate, seigneur perse, est dans la plaine : elle lui dit que, s’il y marche de nuit avec trois cents hommes, il le prendra lui, sa femme, ses enfants et tous ses trésors, et il y en a beaucoup. Elle lui donne pour guides son cousin et Daphnagoras, qu’elle tenait en grande estime. Xénophon offre avec eux un sacrifice. Le devin Basias d’Élis, qui y assiste, lui dit que les entrailles sont favorables et que le Perse sera pris. Xénophon se met donc en marche après le dîner, prenant avec lui les lochages les plus intimes et les plus dévoués, afin de leur rendre un bon service. Sur ses pas se jettent, malgré lui, environ six cents hommes, mais les lochages prennent les devants, pour n’avoir point à partager un butin assuré.

On arrive vers minuit. On laisse échapper, des environs de la tour, des esclaves et de nombreux trésors, ne voulant prendre qu’Asidate et tout ce qui lui appartenait. On attaque la tour elle-même : mais, comme il était difficile de la prendre, vu qu’elle était grande, élevée, munie de créneaux et défendue par des soldats nombreux et braves, on essaye de la miner. L’épaisseur du mur était de huit briques ; cependant, au jour, une ouverture est pratiquée : dès qu’on y paraît, un des assiégés perce avec une grande broche à bœufs la cuisse de celui qui s’avance le plus près. Et d’ailleurs, les flèches rendaient les approches dangereuses. Aux cris poussés par les gens de la tour, Itabélius arrive pour les défendre avec sa troupe ; puis il vient de la Comanie des hoplites assyriens, des cavaliers hyrcaniens, à la solde du roi, au nombre d’environ quatre-vingts, et près de huit cents peltastes : enfin il arrive des cavaliers de Parthénium, d’Apollonie et des places voisines.

Il était temps de songer à faire retraite : on prend tout ce qu’il y a de bœufs et de menu bétail, et on l’emmène avec les esclaves, en formant une colonne à centre vide ; ce n’était pas qu’on eût l’esprit au butin, mais la retraite aurait eu l’air d’une fuite, si l’on se fût retiré les mains vides, ce qui aurait augmenté l’ardeur des ennemis et le découragement des Grecs. On se retire donc en gens qui se battent pour défendre leur bien. Gongylus apercevant les Grecs en petit nombre, pressés par de nombreux ennemis, sort, malgré sa mère, avec sa troupe, pour prendre part à l’action. Proclès, descendant de Démarate, amène aussi des renforts d’Halisarne et de Teuthranie. La troupe de Xénophon, écrasée par les flèches et les pierres, marche en cercle pour opposer les armes aux traits, et repasse à grand’peine le Caïque ; la moitié presque sont blessés, entre autres Agasias de Stymphale, un des lochages, qui, en tout temps, s’était battu avec courage contre les ennemis. Enfin les Grecs sont hors de danger, conservant environ deux cents prisonniers, et assez de menu bétail pour fournir des victimes.

Le lendemain, Xénophon, après avoir fait un sacrifice, fait marcher de nuit toute l’armée le plus loin possible dans la Lydie, afin qu’Asidate ne craigne plus son voisinage et néglige de se garder. Or, Asidate, entendant dire que Xénophon a fait de nouveaux sacrifices et qu’il doit l’attaquer avec toute son armée, va se cantonner dans les villages contigus aux murailles de Parthénium. Il y tombe dans les troupes de Xénophon, qui le prennent avec sa femme, ses enfants, ses chevaux et tout ce qu’il possède. Ainsi fut accomplie la première prédiction des victimes. De là les Grecs se retirent à Pergame, et Xénophon n’a point à se plaindre du dieu, car les Lacédémoniens, les lochages, les autres stratéges et les soldats conviennent de lui donner l’élite du butin, chevaux, attelages et le reste : en sorte qu’il se trouve même en état d’en obliger d’autres.

Sur ces entrefaites, Thimbron arrive, prend le commandement de l’armée, l’incorpore aux troupes grecques, et va faire la guerre à Tissapherne et à Pharnabaze.

Voici les noms des gouverneurs des pays du roi que traversa notre armée : en Lydie, Artimas ; en Phrygie, Artacamas ; en Lycaonie et en Cappadoce, Mithridate ; en Cilicie, Syennésis ; en Phénicie et en Arabie, Dernès ; en Syrie et en Assyrie, Bélésis ; à Babylone, Rhoparas ; en Médie, Arbacas ; chez les Phasians et les Hespérites, Tiribaze ; les Carduques, Chalybes, Chaldéens, Macrons, Colques, Mossynèques, Coètes et Tibarènes, étaient des peuples indépendants : en Paphlagonie, Corylas ; en Bithynie, Pharnabaze ; chez les Thraces d’Europe, Seuthès.

Le total du parcours entier, marche et retraite, est de deux cent quinze étapes, comprenant onze cent cinquante-cinq parasanges, ou trente-quatre mille six cent cinquante stades : la durée, marche et retraite, est d’un an et trois mois.

FIN.

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