L'été de Guillemette
XIII
La fameuse fête de charité étant sous le patronage de la princesse de Bihague qui a prêté, à cet effet, les salons et jardins de sa villa, le tout Houlgate et environs s’est, pour les motifs les plus variés, répandu dans le parc où sont établies les boutiques, où un élément choisi de la troupe du Casino chante et joue, pour le bien des pauvres, toute sorte d’œuvres profanes, judicieusement édulcorées.
Dans le hall du rez-de-chaussée, des groupes bostonnent, lunchent, flirtent, — sur un mode discret, — au rythme de l’orchestre tsigane. Les dames patronnesses, affairées et souriantes, en raison directe de leur caractère, surveillent, à tous points de vue, l’escadron volant des jeunes vendeuses qui déversent de leur mieux, entre les mains d’acheteurs bénévoles, polis, voire même galants, fleurs, bonbons, inutilités de toute sorte.
Mme Seyntis, résignée, accomplit sa tâche avec sa conscience ordinaire. Mais en son âme, elle gémit de devoir pratiquer la charité sous cette forme brillante et mondaine ; et surtout, elle est très contrariée de ne pouvoir garder près d’elle Guillemette qui, par une vraie fatalité, pense-t-elle, austère ainsi que la reine Blanche, est jolie, cet après-midi-là, encore plus que coutume.
En sa simplicité, Mme Seyntis ne voit là qu’un hasard. Mais Guillemette, elle, pourrait dire comment, de son mieux, elle a contribué à ce hasard, choisi sa robe la plus seyante, — un nuage de blanche mousseline de l’Inde, — artistement posé, sur l’onde soyeuse de ses cheveux, la grande capeline de tulle qui ombre la double violette des yeux… Tout cela… pourquoi ?… O vanité des vanités !… tout cela pour le cas où l’inconnu de Danestal serait vraiment le jeune prince de Susiane qui, accompagnant le roi son grand-père, doit honorer la fête de sa présence.
Elle s’est trop bien aperçue de la flatteuse impression qu’elle a produite, pour n’être pas tentée de l’entretenir si une nouvelle rencontre se produit.
Car Guillemette, hélas ! est dans un jour de frivolité : un de ces jours où elle trouve un royal plaisir à être entourée, fêtée, flatteusement regardée, à sentir autour d’elle la flambée des admirations masculines et s’amuse, sans en avoir l’air, à l’activer de son mieux… Un vent de folie souffle dans sa cervelle et lui fait soudain considérer l’oncle René comme un monsieur mûr, si raisonnable que lui et elle ne peuvent que demeurer chacun en son domaine, faute de s’entendre. Il le sent très bien et ne s’approche pas du groupe où elle semble une jeune souveraine qui distribue ses faveurs sous forme de tours de boston. Cela lui est absurdement pénible de se voir ainsi relégué du cercle où elle se meut, lui révélant une Guillemette qu’il n’avait encore qu’entrevue, mondaine, coquette, pour laquelle il ne compte guère.
N’était que sa sœur a fait de lui un des commissaires de la fête et qu’il est, comme elle, scrupuleux à remplir toute mission, il s’enfuirait vite de cette odieuse cohue.
Un remous tout à coup dans la foule… C’est le roi de Susiane qui arrive accompagné de son petit-fils et de quelques messieurs olivâtres et chamarrés qui composent sa suite.
Le souverain est, lui aussi, très brun, avec une barbe drue et blanche, des yeux un peu saillants derrière des lunettes d’or.
Près de lui, est son petit-fils, le prince héritier, dont le regard, caressant et velouté, filtre sous de longues paupières ; ses dents de jeune fauve luisent entre les lèvres rouge sombre, voilées d’une moustache courte.
Les yeux le suivent, tandis qu’il traverse la brillante réunion des hôtes de la princesse de Bihague et accompagne le roi, attiré dans le hall par le son de l’orchestre.
La princesse, la phalange des dames patronnesses, M. le curé lui-même lui font respectueusement cortège. Épanoui, le vieux souverain considère les couples qui tournoient ; et dans l’œil de son petit-fils, luit tout à coup un éclair de plaisir… Devant lui, vient de passer Guillemette, qui bostonne onduleusement. Comme il contemplerait le fruit défendu, il regarde le corps svelte, la nuque dorée, les lèvres entr’ouvertes…
Mais l’orchestre se taisant, Guillemette s’arrête toute rose et elle rencontre les yeux noirs braqués sur elle avec une expression qui en dit long à sa misérable petite vanité de femme… Elle avait deviné juste ; c’est bien le prince de Susiane qui l’a obligée avec tant d’empressement sur la route de Danestal !
D’un air détaché, elle détourne la tête, et les doigts posés sur le bras de son cavalier, elle se laisse conduire vers le buffet afin d’y grignoter une glace. Mais elle entend sa mère qui l’appelle :
— Guillemette !
Mme Seyntis est un peu rouge, — elle le devient facilement — souriante auprès du vieux roi de Susiane qui s’assied en dandinant la tête d’un air de satisfaction.
Comme Guillemette obéissante approche, elle lui murmure, avec une mine bizarre, paraissant à la fois mécontente et flattée :
— Le roi t’a remarquée et désire que tu lui sois présentée.
— Le roi ! répète Guillemette effarée. Si encore c’était le prince héritier, elle comprendrait ; mais ce vieux souverain qui la regarde avec de gros yeux bienveillants derrière ses lunettes d’or !…
— Sire, ma fille, que Votre Majesté a souhaité connaître ! dit Mme Seyntis qui paraît très au fait du langage des cours.
— Ah ! votre fille !… C’est une jolie, très jolie créature, madame… Je vous fais mes compliments !
Et les gros yeux du roi rient derrière ses lunettes, cependant que Guillemette croit devoir s’abîmer en une révérence profonde, fort gracieuse. Elle sent aussi sur elle, avec l’attention de tous les assistants qui observent la scène, animés de sentiments variés, les yeux de diamant noir du jeune prince, lequel, se penchant vers son grand-père, lui murmure quelques mots en langue étrangère.
Le roi hoche un peu la tête ; puis, à Guillemette, restée debout devant lui, attendant la fin de l’audience, il dit avec un fort accent exotique :
— Le prince aimerait danser avec vous… N’est-ce pas, vous consentez ?
— Oh oui… je veux bien… Je consens… Sire, bredouille Guillemette saisie, son amour-propre caressé par la mine radieuse du prince qui, s’inclinant devant elle, lui offre le bras et l’emmène, un peu comme une proie convoitée, à travers la haie des curieux respectueusement inclinés sur leur passage. Elle a l’impression drôle de se mouvoir comme une comédienne de féerie ; et une folle envie de rire erre sur ses lèvres. Mais elle est trop bien élevée pour en rien trahir et se montre tout à fait à la hauteur des circonstances. Toutefois le prince ne lui disant rien et se contentant de la dévorer des yeux, elle commence à se demander si l’étiquette l’autorise, ou non, à entamer la conversation. Toujours spontanée, elle se décide et se lance :
— Je suis confuse, Monseigneur, d’avoir usé de votre bonne grâce avec si peu de cérémonie à Danestal… Mais je ne pouvais deviner, n’est-il pas vrai, à qui je m’adressais, j’avais l’honneur de m’adresser corrige-t-elle, pensant qu’il faut des phrases en guirlande pour les grands de la terre.
Le prince a un sourire content qui découvre ses dents luisantes.
— C’est justement parce que vous me parliez comme à n’importe quel homme au monde, que c’était si joli et réjouissant… Mais vous êtes partie tellement vite !
— Je vous remercie, Monseigneur, d’avoir trouvé que je partais vite…
Le prince ne comprend pas trop de quoi elle le remercie. Mais il est par-dessus tout sensible à la grâce du visage expressif, du petit nez impertinent, des lèvres insolemment fraîches. Et il s’exclame :
— J’espérais bien vous retrouver ici, à cette fête ! car je n’ai jamais rencontré une Française qui me paraisse plus charmante que vous !
Guillemette pense que les compliments du prince royal de Susiane ressemblent à des pavés.
Mais enfin, c’est un étranger. Il a des excuses si ses madrigaux sont dépourvus de voiles.
Il continue :
— Quel dommage que vous n’habitiez pas la Susiane !… Est-ce que vous n’y viendrez pas en voyage ?
— Oh ! Monseigneur, tout arrive !… Mais ce n’est pas probable…
— Vraiment !… c’est bien ennuyeux !… Voulez-vous que nous valsions ?
— Je suis à vos ordres, Monseigneur.
L’orchestre n’a pas joué trois mesures que Guillemette est renseignée. Le prince de Susiane bostonne en sauvage. Mais il est plein d’ardeur et entraîne allègrement Guillemette qui cherche un moyen poli de l’arrêter, car elle trouve odieux de tournoyer ainsi à la dérive, sous les regards de tout Houlgate qui considère leur couple et doit nécessairement se moquer de leurs évolutions pitoyables.
Le vieux roi, lui aussi, les contemple d’un œil complaisant, pensant que la jeunesse est un charmant spectacle. Il est lourdement assis près de la princesse de Bihague et a fait placer aussi à son côté Mme Seyntis qui, en sa sagesse, n’apprécie pas du tout l’honneur fait à Guillemette ; ayant les principes les plus arrêtés sur la réserve dont une fille bien élevée ne doit jamais sortir.
Non moins mécontent, est René qui regarde rageusement le couple formé par Guillemette et son royal danseur. S’il écoutait son impulsion, il enverrait tout bonnement, par la fenêtre, le prince qui a l’audace de laisser voir à ce point combien Guillemette est à son gré.
Où sont-ils donc maintenant ? De l’embrasure où il s’est réfugié, René inspecte le flot des danseurs. Ni le prince ni Guillemette n’y passent plus.
C’est qu’elle, lasse de valser à contre-temps, a glissé à son danseur, sur le ton le plus aimable :
— Ne trouvez-vous pas, Monseigneur, qu’il fait bien chaud ? Si nous nous reposions un peu ?…
— Puisque vous le désirez, oui, mademoiselle. Ah ! comme vous dansez bien !… Je pense que les fées dont parlent vos contes et les nôtres devaient danser ainsi… Où donc pourrai-je encore valser avec vous !…
La crise de coquetterie de Guillemette s’accentue au parfum de l’encens que lui offre généreusement le prince héritier. Elle sait à merveille que c’est un jeu bien vain de s’appliquer à griser cette altesse du charme de sa jeunesse. Mais parce qu’elle est femme dans toutes les fibres de son être, elle s’y emploie de son mieux, candidement, avec un entrain qui saisirait sa mère d’indignation et d’horreur…
Ils sont entrés dans le petit salon réservé au roi et à son petit-fils. Ils s’y trouvent seuls.
Elle joue avec une rose détachée de son corsage et en tourmente les pétales :
— Monseigneur, en Susiane, vous trouverez aisément des danseuses qui vous empêcheront vite de vous souvenir de moi…
— Non ! fait-il un peu impérieusement. Voulez-vous me donner votre rose pour me rappeler cette fête et notre danse ?
Elle secoue la tête négativement.
— Non, Monseigneur.
— Pourquoi ? jette-t-il, prêt à se cabrer.
— Elle embarrasserait trop vite Votre Altesse.
Encore une fois, il ne la comprend pas ; et il se penche vers elle, pour lire la pensée des prunelles qui ressemblent à une eau profonde. Elle est très rose sous le tulle blanc de son chapeau ; et le parfum des fleurs qui se fanent à son corsage l’enveloppe comme la senteur même de sa jeunesse ; une senteur qui affole ce garçon de vingt ans. D’un élan brusque, il s’incline plus encore, sa main enlace la taille menue et sa bouche cherche follement les lèvres qui sourient, un peu entr’ouvertes…
Mais il frôle seulement la joue. Guillemette s’est rejetée en arrière et le bout de ses doigts fouette le visage du prince, tandis que, d’une voix basse et cinglante qui n’est plus la sienne, elle jette, révoltée :
— Monseigneur, vous vous comportez comme un drôle !
Tout cela s’est passé en quelques secondes et ils se considèrent, effarés l’un et l’autre de ce qu’ils ont osé, comme deux enfants qui viennent, ensemble, de faire une sottise. Guillemette est courroucée ; le prince confus.
Il murmure :
— Pardon… Pardon… J’ai perdu la tête. Vous êtes tellement… tellement captivante !
Guillemette ne sent point faiblir sa colère, quoi qu’elle sache très bien n’être pas innocente de ce qui vient de se passer. Très digne, la bouche sévère, elle demande :
— Monseigneur, voulez-vous me donner le bras pour me ramener dans la salle de danse ?
— Oui… oui… Mais avant dites-moi que vous me pardonnez. — Je veux… Je vous en supplie. Soyez bonne puisque vous m’avez puni… car c’est la première fois que le prince de Susiane reçoit un soufflet !
C’est vrai pourtant qu’elle l’a traité comme le premier venu. Le côté comique de la scène se dessine en sa mobile pensée et l’ombre d’un sourire court sur ses lèvres :
— Oh ! Monseigneur, c’était un si petit soufflet ! D’ailleurs, c’est vrai, je l’ai donné… Nous sommes quittes !…
— Eh bien, alors, faisons la paix, mademoiselle. Tendez-moi votre main…
Elle ne bouge pas. Quelque chose en elle se révolte à l’idée d’avoir été traitée si audacieusement pour la première fois de sa vie. Mais c’est beaucoup par sa faute, par sa très grande faute !
— Je n’aurais jamais imaginé qu’il ferait cela ! songe-t-elle, se rebiffant contre l’impitoyable jugement de sa conscience… Je voulais seulement qu’il me trouve gentille…
Le prince ne devine pas ce qu’elle pense. Mais il voit sa mine de divinité offensée et il est contrit jusque dans les moelles, tout prêt à se considérer comme le dernier des hommes.
Il reprend, d’un accent de prière.
— Je n’ai pas du tout réfléchi… Je vous le demande, pardonnez-moi…
Il a l’air si malheureux et repentant, lui, le prince royal de Susiane, que la blessure d’orgueil s’adoucit chez Guillemette et une légère mansuétude entre dans son cœur.
— Soit, Monseigneur, je veux bien croire que vous n’aviez pas l’intention de m’offenser… Mais c’est très mal ce que vous avez fait… Je serais une danseuse de l’Opéra ou une écuyère de cirque, que vous n’auriez pas agi autrement !
Le prince est consterné et craint de voir se ranimer l’indignation de Guillemette. Mais elle ne peut plus oublier qu’elle aussi est coupable ; en manière d’expiation, elle se résigne à lui tendre le bout de ses doigts. Il les baise avec ferveur et elle-même soulevant la portière du petit salon, ils reparaissent dans le hall où l’orchestre commence une nouvelle valse. Le prince lui parle… Elle comprend très bien qu’il voudrait la retenir encore ; mais elle est hantée par la crainte enfantine que, les voyant ensemble, tous devinent ce qui s’est passé entre eux et elle l’entraîne vers sa mère qui a l’air très contrariée — de sa disparition, sans doute. Ah ! si elle savait, si elle savait !
Et l’oncle René, de quels yeux sévères, il la foudroierait de son mépris ! Et ce serait juste !… Guillemette se sent glisser dans un abîme de honte et de remords ; ce qui ne lui enlève rien de sa grâce, de son aisance pour prendre congé du prince avec une révérence parfaite. Mais elle ne respire à l’aise qu’au moment où, afin de suivre son aïeul, il s’engage, conduit par la princesse de Bihague, à travers les allées du parc, dans la « foire aux vanités », pour le plus grand avantage des pauvres !
— Guillemette, tu vas me faire le plaisir de rester près de moi, lui dit sa mère d’une voix où gronde l’orage. Que signifie cette manière de t’en aller seule dans le petit salon avec le prince ?
Guillemette ne bronche pas.
— Mais, maman c’est lui qui m’a emmenée. Je croyais qu’il fallait, par politesse, obéir toujours aux rois ?
— Qu’est-ce que vous avez fait dans ce petit salon ?
Guillemette a un frémissement :
— Nous… nous avons un peu causé… Et puis nous sommes revenus…
Heureusement, Mme Seyntis est incapable de soupçonner la vérité et elle se borne à se faire suivre de sa fille au comptoir des fleurs dont elle a la surveillance.
Dans l’âme de Guillemette, c’est un chaos de sentiments qui se heurtent, l’énervent et lui donnent un éclat merveilleux. Elle reste très humiliée de la liberté prise par le prince et, aussi, de la certitude d’y avoir une forte responsabilité. En même temps, dans les vilains bas-fonds de son faible cœur de femme, elle n’est plus si fâchée de l’avoir affolé, d’autant qu’elle l’a puni !
Ainsi qu’une enfant sage, elle demeure maintenant sous l’aile de sa mère. Mais qu’elle cause, qu’elle rie, qu’elle danse, qu’elle vende des fleurs, son esprit demeure hanté par la scène du petit salon…
— Qu’est-ce que vous avez donc ? Guillemette.
C’est l’oncle René qui l’interroge… Oh ! s’il allait deviner ! En cette minute, sa vanité n’est plus flattée du tout ! Elle arrive pourtant à répondre d’un ton dégagé :
— Moi, j’ai quelque chose ?
— Oui, vous n’êtes pas la Guillemette d’ordinaire.
Il arrête profondément sur elle ses yeux noirs comme ceux du prince. Dieu ! est-ce qu’il va lire dans son âme ?… Ce serait intolérable !
Il continue, et sa voix est mordante :
— Est-ce donc l’honneur d’avoir été particulièrement distinguée par un prince royal qui vous a mis la cervelle en ébullition ?
Une flamme court dans les yeux de Guillemette dont les joues s’empourprent :
— Rassurez-vous, mon oncle, je ne suis pas un joujou pour prince !
Elle se détourne, car sa mère l’appelle de nouveau.
— Guillemette, le roi de Susiane se retire et te fait demander.
Le roi maintenant !… Que lui veut-il ?… Il est sur le perron, son petit-fils à ses côtés, prenant congé de la princesse de Bihague. Celle-ci aperçoit Guillemette et lui fait signe d’approcher.
— Sire, Mlle Seyntis.
— Ah ! bien… bien…
Il regarde Guillemette, un peu inquiète, désabusée des honneurs terrestres et redoutant que le roi ne lui reproche le soufflet donné.
Mais il lui sourit, l’air tout à fait paternel.
— Mon enfant, j’ai eu beaucoup de plaisir à vous voir danser avec mon petit-fils. Je vous désire du bonheur…
— Et moi de même ! fait spontanément Guillemette. Mais aussitôt, elle pense que le protocole eût exigé plus de cérémonie. Le roi n’a pas l’air fâché du tout.
— Merci, mon enfant.
Et, d’un geste courtois, il prend la main de Guillemette et la porte à ses lèvres. Il ne se doute guère qu’une heure plus tôt, son petit-fils a eu le même mouvement…
Le jeune prince a repris son attitude de souverain et salue gravement, sans un mot, Guillemette qui s’incline. Leurs yeux se rencontrent et disent des choses que leurs bouches ne prononceraient pas… Puis le prince suit son grand-père.
— Ouf ! marmotte Guillemette. J’espère bien que jamais plus je ne reverrai ce garçon !
II a disparu. Près d’elle, il y a maintenant M. le curé, tout épanoui du succès de la fête et s’exclamant :
— Eh bien ! eh bien ! mademoiselle, il me semble que les rois ont été très aimables pour vous…
— Oh ! vous savez, monsieur le curé, par ce temps de république, on ne fait plus grand cas de la faveur des rois !…
Puis, changeant de ton, elle achève soudain :
— Je crois que j’aurais besoin d’aller vous confier en particulier ce que j’en pense…
— Quand vous voudrez, mon enfant, approuve-t-il avec un large sourire.
Pourtant, il est dépourvu d’enthousiasme pour accueillir ces intimes confidences ; car cette âme de petite Parisienne du vingtième siècle lui apparaît ainsi qu’une terre inconnue dont les surprises le déroutent.