← Retour

L'été de Guillemette

16px
100%

XVI

Celui-ci, en revanche, reste un peu soucieux de l’avertissement qu’il vient de recevoir. Quelle importance faut-il attacher à cette demi-confidence ?… Peut-être aucune ! En son inexpérience. Mademoiselle a dû exagérer ; car il est inadmissible que sa sœur, son beau-frère entretiennent des relations qui pourraient être fâcheuses pour leur fille. Lui, personnellement, ne connaît pas du tout Mme de Vausennes qu’il a vue en visite cinq ou six fois et dont il n’a pas goûté les allures exubérantes, la voix aiguë, le rire trop fréquent et trop haut. Mais ces défauts-là ne pourraient l’empêcher d’être une estimable personne.

Qu’a donc voulu dire Mademoiselle qui ne faisait, semble-t-il, que trahir l’impression de Guillemette ?… Et cette petite fille a des clairvoyances de femme. Plus d’une fois, déjà, il est demeuré stupéfait de la sagacité qu’elle apporte à juger gens et choses. Ah ! bien autrement que lui, elle pénètre et connaît les dessous de la vie mondaine ! Quelle singulière créature elle est, pétrie d’imprévu, très droite, guidée par une soif impérieuse de propreté morale, et si insouciante des antiques lois que jadis respectaient toutes les femmes et qu’elle considère à peu près comme de vieilles lunes… Avec une telle âme, quel sera son rôle ? son œuvre ?… Ah ! René ne s’applaudit pas comme le fait Raymond Seyntis, en l’intimité de son cœur, qu’elle ait reçu en don tout ce qu’il faut pour ensorceler les hommes et les troubler délicieusement… Et pourtant, si puritain qu’il soit, il n’oserait, pour être sincère, affirmer qu’il la souhaiterait doctement intelligente, sage, religieuse, comme cette Louise de Mussy, encore placée près de lui, à table, par les soins persévérants de sa sœur. Mais telle qu’elle est, elle lui demeure un continuel sujet d’étonnements, tant il découvre de faces diverses à sa jeune personnalité.

Durant tout le dîner, il a très bien vu qu’elle était nerveuse, bien qu’elle gardât l’impeccable correction de tenue à laquelle sa mère l’a habituée. Qu’a-t-elle ? Quoiqu’elle cause avec ses voisins autant que la politesse l’exige, ses yeux la révèlent à René qui l’observe, désintéressée de ce qui se dit autour de cette table brillamment entourée. Elle a l’air de regarder au dedans d’elle-même. Pourquoi ?…

Et une tentation gronde en lui de l’interroger.

Le maître d’hôtel apporte le café. Les personnes mûres de l’assistance échangent, en sucrant leurs tasses, des propos somnolents, dus à l’excellence du repas et à la chaleur extrême d’une soirée lourde d’orage. La pensée un peu distraite, Mme d’Harbourg demande à M. le curé qui, près d’elle, agite sa petite cuiller dans son café :

— Et vous, monsieur le curé, par cette odieuse température, avez-vous des nuits convenables ?

Le digne pasteur la regarde effaré, tandis qu’à cette question inattendue, des rires jaillissent :

— Moi ? madame… Mais je dors bien… très bien…

— Pauline, ma chère amie, s’écrie M. Seyntis narquois, permettez-moi de vous dire que vous adressez à M. le curé des questions bien indiscrètes !

Il proteste aussitôt :

— Madame, je vous en prie, n’en croyez rien… Car…

René n’en entend pas davantage. Sur la terrasse où il fume, apparaît la robe blanche de Guillemette qui a fini d’offrir les liqueurs. Il jette son cigare et lui avance un fauteuil. Mais elle n’approche pas :

— Ne vous dérangez pas pour moi, mon oncle. J’ai là un pliant…

Elle s’assied un peu à l’écart et demeure immobile, le regard perdu, dans l’ombre, vers le ciel sans étoiles où courent des éclairs… Tout à coup, elle a un tressaillement, comme rappelée de très loin, parce que, à ses côtés, monte la voix de René :

— Guillemette, est-ce que nous sommes brouillés ? Si cela est, dites-moi pourquoi… afin que la réconciliation soit possible…

Il ne saurait dire quelle brusque impulsion l’a amené vers elle et lui a mis aux lèvres cette question.

— Mais non, oncle, nous ne sommes pas brouillés que je sache ! A quel propos, le serions-nous ? mon Dieu…

— Alors, Guillemette, pourquoi n’êtes-vous plus ma confiante petite amie ?… Pourquoi me fuyez-vous et me tenez-vous votre pensée close ? J’avais pris la douce habitude d’être traité par vous en confident très attentif, très dévoué, à qui vous êtes très chère… Et il me semble dur que vous ayez changé sans que j’aie démérité…

— Vous n’avez pas démérité, oncle, mais je n’ai rien à vous confier… pour le moment…

Elle a eu un imperceptible frisson comme s’il pouvait lire en elle, bien que la nuit l’enveloppe ; et ses lèvres se contractent un peu, pour mieux retenir toute parole imprudente…

Il reprend :

— Et cependant ce soir, vous êtes préoccupée… Quelqu’un ou quelque chose vous a contrariée profondément… Ne dites pas non !… Je commence, moi aussi, à vous connaître bien…

Dans l’ombre, il sent sur lui la douceur des yeux qui pensent. Il ne peut savoir quel apaisement elle trouve dans la certitude d’être en absolue sécurité près de lui qui, jamais, ne se comporterait comme le prince ou comme Maurice Vernaud avec Régine… Car elle n’a pas tout dit à Mademoiselle ; pas un mot de la scène qu’une glace lui a révélée dans la chambre de son amie, des baisers dévorant un visage qui ne se refusait pas…

Et dédaigneuse de se dérober davantage, elle avoue, avec une franchise fière :

— C’est vrai, oncle, j’ai éprouvé tantôt une impression très… désagréable qui ne s’est pas encore effacée ; mais je dois la garder pour moi. Voilà tout… Ne vous inquiétez pas à mon sujet… Je crois…

Elle s’arrête ; sa voix est devenue presque grave.

— Vous croyez ?…

— Je crois que c’est pour mon très grand bien que je l’ai éprouvée… Tout de même, je vous assure, oncle René, je vaux un peu plus que je n’en ai l’air… Je vois très bien ce qui m’est bon ou mauvais… Et si je n’ai pas toujours la sagesse de faire le choix qu’il faut, — c’est trop difficile pour moi cela ! — du moins, je déteste ce qui est mal,… vilainement mal… Ne me jugez pas avec plus de sévérité que je ne le mérite…

— Je vous juge très droite et très loyale, Guillemette, fait-il d’un ton où elle devine combien est sincère l’hommage qu’il lui offre ainsi.

— Ah ! tant mieux, mon oncle… Et ne doutez plus de votre amie, même quand elle est bouche close avec vous… Dites-vous simplement qu’elle a quelque raison de se taire !… Et ayez foi en elle…

— Oui, Guillemette, j’aurai foi…

C’est elle qui lui tend la main… Il la garde dans les siennes, une ? plusieurs ? secondes, il n’en a pas conscience… Tous deux, ils songent…

Mais au seuil du salon, Mme Seyntis appelle, le ton un peu mécontent :

— Guillemette, tu es là ? Que fais-tu donc à bavarder sur la terrasse avec ton oncle ? J’imagine que tu peux rester dans le salon comme tout le monde !

Dans le cadre lumineux de la porte-fenêtre, apparaît, près de Mme Seyntis, la silhouette de Louise de Mussy.

— Oh ! madame, ne faites pas rentrer Guillemette. Ce serait si charmant d’aller la retrouver !

Et, gracieuse, elle se rapproche des deux jeunes gens…

Chargement de la publicité...