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L'été de Guillemette

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XXII

Guillemette avait raison. Mme Seyntis n’est en rien préoccupée de son mari qu’elle est, au contraire, heureuse d’avoir trouvé rempli de tendresse pour elle, pendant les quelques heures qu’il vient de passer aux Passiflores. Elle aspire simplement à le rejoindre, à peine étonnée qu’il l’ait si vivement invitée à profiter des derniers beaux jours à Houlgate ; sans doute, parce qu’il sait à quel point elle jouit d’une paisible vie de campagne, malgré son regret d’avoir André pensionnaire à Paris, victime de la reprise des études.

Elle est trop habituée à lui obéir pour discuter le désir qu’il lui a exprimé à ce sujet ; et ne lisant que peu ou point de journaux, ne voyant personne à Houlgate désert, elle ignore le désastre financier qui menace de l’atteindre et dont il ne lui a rien laissé soupçonner.

René, hanté par les craintes qu’il lui faut cacher, passe ainsi une étrange soirée, entre la quiétude souriante de sa sœur, joyeuse de le revoir, insatiable de détails sur son voyage, et l’instinctive anxiété qu’il devine toujours latente chez Guillemette, malgré le réconfort qu’il sent lui apporter par sa présence.

Ah ! jamais, elle ne lui avait ainsi montré ce qu’il est devenu pour elle, l’ami par excellence, celui qui inspire la sécurité, la foi tendre, forte, apaisante. Et, silencieusement, il en éprouve un bonheur intense, — douloureux aussi, parce qu’il sait avec quel regard, quel recul de tout l’être, elle s’éloignerait de lui, si elle apprenait… Elle ne comprendrait guère que s’il s’est livré à Nicole, c’est parce qu’il l’aimait absurdement, pour mieux la fuir… Et elle aurait raison de le juger… comme il se juge.

Mais à cette heure du moins, elle ignore ; et elle ne lui refuse point la caresse de sa voix, de sa grâce, de sa jeunesse qui resplendit dans la capricieuse mobilité du visage.

Est-il possible que tout souvenir, toute inquiétude puissent ainsi s’engourdir en lui, jusqu’à l’oubli, parce qu’elle est assise à quelques pas de lui, sous la clarté de la lampe qui dore sa peau, les moires des cheveux et rend plus profonde l’eau sombre des yeux où la pensée se reflète en ombres et en lumières…

Peu à peu, à mesure que les minutes coulent, si calmes, une sorte d’apaisement se fait dans son esprit surmené par la crainte, par l’acuité de sa vie intérieure depuis plusieurs semaines, par la dernière crise qu’il vient de traverser. Il y a des instants où il en arrive à croire que la lettre de son beau-frère n’était que l’œuvre de la fatigue et de l’énervement. Le cauchemar s’éloigne, pareil à une trompeuse menace de tempête… Et de même, le rêve troublant de ses quelques jours près de Nicole, où il lui semble bizarre qu’il ait pu vraiment jouer un rôle.

L’atmosphère paisible de ce salon clair, à foison fleuri de chrysanthèmes, agit sur lui à la manière d’un baume. Les lampes, sous l’abat-jour d’or pâle, épandent doucement leur clarté. Une belle flambée luit dans la cheminée. Parfois, l’aile du vent frôle les vitres, seul bruit venu de la nuit sans lune, car les fenêtres closes ne laissent plus entendre la plainte berceuse de la mer.

Sa sœur est assise à la place même où, chaque soir, il l’a vue durant l’été, penchée sur son métier où elle achève l’écran, minutieusement brodé, qu’elle commençait quand il est arrivé, aux beaux jours de juillet.

Mademoiselle a toujours son air de vierge sage ; et Mad étant couchée, elle s’applique, selon sa coutume, à confectionner force vêtements pour les pauvres de Mme Seyntis…

Mais sa sœur, mais Mademoiselle lui sont des figures lointaines, jouant un peu le rôle des figurantes… La seule créature proche de sa vie qui tressaille au frôlement de la présence chère, c’est elle, Guillemette…

Cependant, il lui parle à peine, dans la crainte instinctive de se trahir. Avec Mademoiselle, avec sa sœur, il cause, stupéfait de pouvoir montrer une telle liberté d’esprit, répondant aux questions sur la reprise prochaine de son service, puisque son congé finit… Et par un dédoublement de sa pensée dont, jadis, il se fût cru — et justement ! — incapable, il ne cesse pourtant d’observer Guillemette comme s’il découvrait en elle un Inconnu…

Est-ce l’obscur souci qui voile d’une sorte de gravité la ligne souple des traits ?… Elle ne lui semble plus avoir sa figure d’enfant… Elle est vraiment la jeune fille en qui la femme déjà se révèle, mûre pour se dévouer, pour souffrir, pour se donner toute dans l’amour…

Jamais encore, elle ne lui était apparue ainsi… La connaissait-il mal ?… Ou ne savait-il pas la regarder, déchiffrer sur ce visage, dont tous les traits lui étaient familiers, le mystérieux travail de l’être qui se développe, se cisèle en profondeurs et en reliefs, entr’ouvre peu à peu sa fleur pour s’épanouir au large souffle de la vie, ardemment respiré ?

Ou bien a-t-elle changé pendant les semaines qu’ils ont été séparés ? Il a l’intuition que, délivrée des obligations mondaines, dans la solitude d’Houlgate, elle a joui, jusqu’à l’ivresse, de la mélancolique et fuyante splendeur de l’automne ; que, passionnément, elle a vécu en elle-même, puisque, près d’elle, personne n’attirait le don confiant de sa pensée.

Et parce qu’il la voit ainsi, tout à coup, comme en une révélation éblouissante, il se trouve insensé d’avoir — et avec quelle sincérité ! — imaginé qu’elle n’était encore qu’une rieuse petite fille dont il devait s’écarter, conscient du déclin de sa propre jeunesse.

Maintenant, — trop tard, peut-être… — il comprend quels trésors elle lui eût donnés, dans sa richesse de créature neuve qui fût venue à lui en sa fraîcheur, sans prix, de corps, de pensée, d’âme…

....... .......... ...

Au réveil, René ne retrouve plus rien de la fragile sécurité, recouvrée un instant ; et avec une sorte de fièvre qui s’exaspère à mesure que l’heure approche, il attend l’arrivée du courrier ; car l’incertitude est un supplice pour un esprit absolu comme le sien…

Et cependant, au moment où un coup de cloche annonce enfin le facteur, il songe brusquement que cette incertitude même était encore un peu de bonheur puisqu’elle permettait l’espoir.

Mais c’est en vain qu’il a attendu. Il n’y a aucune lettre de Raymond Seyntis, ni pour lui, ni pour sa sœur… Que signifie un tel silence, alors que son beau-frère pressent sûrement combien il est avide de nouvelles, après l’inquiétante lettre envoyée à Rayonne.

Peut-être les journaux qui viennent de lui être remis lui apprendraient la vérité…

Mais il n’ose les ouvrir parce que Guillemette est là, près de lui, appelée aussi par la venue du facteur, et murmure d’un accent de déception anxieuse :

— Comment, père n’a pas écrit ?… Je le lui avais tant demandé !

— Et il vous l’avait promis ?

— Il m’avait dit qu’il ferait son possible pour cela…

Elle mord un peu sa lèvre, pour dompter une émotion qui ne veut pas s’avouer. Et à ce léger signe, il devine à quel point, elle demeure obscurément troublée de l’attitude de son père. Puisque lui-même ne sait rien, que peut-être il redoute à tort un malheur, pourquoi ne pas lui laisser encore la foi bienfaisante qu’elle s’alarme en vain ?… Et après elle, il répète :

— Votre père vous avait dit qu’il ferait son possible… Eh bien, il n’aura pu, voilà tout !… Il est arrivé tard, hier, à Paris… Guillemette, quelle enfant impressionnable vous êtes devenue depuis que nous sommes séparés !…

Elle sourit un peu, inconsciemment apaisée par l’accent de badinage qu’il a pu employer ; et, sur sa bouche, reparaît l’expression malicieuse et caressante :

— Peut-être parce que je ne subissais plus l’influence de votre sérénité, mon oncle… Mais maintenant que vous êtes de retour, je vais redevenir très sage… Surtout si je retrouve bien en vous mon ami… mon ami fidèle, que la séparation n’a pas rendu oublieux…

Pourquoi parle-t-elle ainsi ? Il l’enveloppe d’un regard rapide.

Ils ont descendu les degrés du perron et marchent autour la pelouse où l’herbe est rousse, sous les arbres revêtus de leur feuillage de légende. Une senteur de terre mouillée, de chrysanthèmes, de mousse humide, erre dans la brise froide qui souffle de la mer, emportant à travers le ciel d’automne, sous le soleil, le vol lourd des nuées et les flocons duvetés des fils de la Vierge, arrachés aux branches.

Guillemette serre autour d’elle l’écharpe, d’un rose de corail, jetée sur ses épaules, et qu’elle a relevée à demi sur ses cheveux pour les protéger contre le vent… Mais une boucle vagabonde mousse obstinément sur le front.

Elle avance, contemplant, au loin, la course haletante des vagues ; et, sous les plis de son voile rose, une indéfinissable expression lui donne un visage de jeune sphinx. Que pense-t-elle ?… Quelque obscure prescience l’aurait-elle avertie qu’il a voulu l’arracher de son souvenir ?… Et que cette trahison s’est accomplie vraiment quelques jours, de par son libre consentement et la toute-puissance de Nicole.

Oublieux ?… oui, il l’a été… Et forcé de le taire, ne pouvant avouer, afin qu’elle pardonne, il éprouve l’impression intolérable pour une âme scrupuleuse et droite comme la sienne, de lui mentir, de voler son estime et sa foi d’enfant…

Alors, la seule parole absolument sincère qu’il puisse lui répondre, il la lui dit :

— Guillemette, votre ami vous revient, surtout, instruit par l’absence, de toute la place que vous avez prise dans sa vie.

Une imperceptible flambée avive, une seconde, l’éclat du jeune visage ; et les larges prunelles s’arrêtent sur lui, avec un regard qui semble échappé de l’âme même.

— Et cette découverte, vous avez pu la faire, mon oncle, malgré la présence de Nicole ?

Il y a de l’incrédulité dans son accent.

— … J’en suis très fière, savez-vous… J’aurais jugé, au contraire, que, près d’elle, vous ne pensiez certes pas à une insignifiante petite fille de mon espèce… C’est ce que je me suis piteusement dit tout de suite, quand j’ai appris que vous l’aviez rencontrée…

— Oui… par hasard, alors que je la croyais à Luchon…

L’onde émouvante du souvenir frémit en lui.

— Je sais… Une lettre de ma tante d’Harbourg à maman a raconté la chose… Nicole est toujours aussi belle ?

— Très belle.

— Comme elle était ici ?…

— Oui…

Ah ! que la vision est encore vivante en lui du visage qu’il a tenu, pâli, entre ses mains ; des yeux voilés par les paupières qui, sous les cils, laissaient filtrer les larmes ; des lèvres qu’il a follement baisées… Et quelle reconnaissance il garde à Nicole, parce qu’elle n’a pas permis que l’Ineffaçable s’accomplît entre eux !…

La voix de Guillemette s’élève, avec l’accent de la réflexion bien plus que de l’interrogation :

— Alors, puisqu’elle est toujours la même, vous avez dû trouver délicieux le séjour près d’elle… Vous êtes-vous promenés beaucoup ensemble ?

— Nous avons fait plusieurs excursions. M. et Mme d’Harbourg désiraient la distraire…

— La distraire ?… De quoi ?…

— Du chagrin de sa vie gâchée…

— C’est vrai… Elle est malheureuse…

Elle s’interrompt une seconde ; puis reprend d’un ton singulier où il y a une sorte d’ironie, et ses pieds écrasent rudement les feuilles que le vent abat dans l’allée, sous le frôlement de sa robe :

— Ce devait être là une bonne œuvre facile à accomplir ! Nicole est une charmante compagne de promenade, sachant se taire et parler à propos ; jamais lasse, et puis si jolie, que les passants envient l’heureux mortel qui l’accompagne…

— Guillemette, pourquoi me dites-vous cela comme un reproche ?…

Elle secoue la tête.

— Un reproche ?… Oh ! certes non !… Je n’aurais, d’ailleurs, aucun droit pour vous en faire !… Seulement… c’est vrai… parce que je suis très égoïste, il me semble triste que vous m’ayez oubliée près d’elle… Car il est impossible qu’il en ait été autrement !…

— Impossible ?… Pourquoi ? fait-il, attentif à lire en elle, et incapable de se permettre une dénégation menteuse.

— Parce que, elle présente, tous les hommes ne voient plus qu’elle seule… Je l’ai tant de fois constaté… Mais… mais je n’aurais pas voulu que vous fussiez comme les autres, parce que, alors, vous ne me semblez plus vous… Et puis… je vous l’ai déjà confessé, je crois… oncle René, je suis une misérable petite créature, très jalouse de mes amis, de ceux auxquels je tiens fort… Je ne les prête pas… Et s’ils m’abandonnent, eh bien… ils ne comptent plus pour moi… Même quand je devrais en souffrir !

— C’est pour moi, Guillemette, que vous dites ces choses ?

Elle a un indéfinissable sourire :

— Non, si vous ne méritez pas de les entendre !… Répondez-moi que je suis injuste à votre égard et je vous croirai… oh ! sans hésiter une seconde !

Il lit une question, passionnément jetée, dans les yeux qui se posent sur les siens. Que se passe-t-il donc dans l’intimité de ce cœur si clairvoyant, parce que c’est un vrai cœur de femme… Elle vient, avec une enfantine franchise, qui semble écarter toute équivoque, de lui avouer que, jalousement, elle garde ses amis… C’est pour cela, alors, qu’elle s’émeut ainsi de sa rencontre avec Nicole dont elle connaît trop bien le pouvoir ?…

Mais la réponse qu’elle lui demande, il ne pourrait la lui faire sans la tromper… Et son intransigeante loyauté lui interdit de prononcer les mots qu’elle attend… Alors, malgré la conscience qu’il l’éloigne par le doute laissé en son esprit, il dit, sans pitié pour lui-même qui doit porter la peine de sa faiblesse :

— Guillemette, ce qu’il vous faut croire, c’est que vous êtes pour moi ce que n’est aucune autre créature au monde…

— Plus que n’est Nicole ?

Les mots ont certainement jailli de sa bouche, avant que sa volonté ait pu les taire, car elle a, aussitôt, un geste instinctif, comme pour les arrêter dans leur vol ; et ses dents mordent sa lèvre si fort qu’une goutte de sang apparaît.

Avec une sincérité grave, lui livrant son regard, il dit après elle :

— Plus que n’est Nicole… Le souvenir que je lui garde, parce qu’elle a été le rêve de ma toute jeunesse… — j’ai compris que vous le saviez… — ce souvenir n’a rien de commun… oh ! non, rien !… avec le sentiment que je vous offre, Guillemette.

Comme le soir de son départ, cinq semaines plus tôt, il s’arrête, n’osant plus poursuivre… Il entend les mots qui montent, palpitants, de son cœur même… Le désir frémit en lui de l’attirer doucement sur sa poitrine, ainsi qu’une enfant précieuse, fragile et adorée, — désir si loin, oh ! si loin, — de l’emportement qui, là-bas, un jour, l’a jeté vers Nicole…

Pourtant, il reste immobile… Dans la solitude de ce jardin où le seul bruissement de la brise à travers les sapins vibre dans le silence, il la sent trop bien confiée au respect qu’il a de sa jeunesse, à la tendresse fervente, forte, infinie, qu’elle a éveillée au plus profond de son âme et dont, maintenant, il ne peut plus renoncer à chercher l’écho…

Mais elle lui est encore si mystérieuse !… voilée par le secret de son cœur qu’il ignore et que gardent bien les prunelles lumineuses qui ont une beauté d’aurore, tandis qu’elle murmure, serrant autour d’elle, étroitement, les plis roses de l’écharpe :

— Tout est bien ainsi… Je vous remercie de ce que vous me donnez…

Leurs âmes sont très proches, en cette minute dont la douceur est si puissante qu’elle les isole dans un monde où tout ce qui n’est pas eux leur devient étranger…

Et ils ont le même sursaut d’êtres réveillés soudain, en entendant tinter bruyamment la cloche de la grille.

René se retourne.

Par-dessus les massifs que sa haute taille domine, il aperçoit un uniforme de la poste.

Une dépêche que l’on apporte.

Il en arrive, certes, souvent aux Passiflores. Et cependant, pas une seconde, René ne doute que celle-là ne renferme la nouvelle qu’il attend, qu’il redoute depuis la lettre lue à Bayonne.

Un domestique apparaît dans l’allée.

Instinctivement, René fait quelques pas en avant pour distancer Guillemette… qu’il puisse apprendre avant elle !…

— Une dépêche pour Monsieur.

— Merci, donnez.

Il la prend, déchire le cachet, si rudement que le papier lui-même en est arraché, et il lit :

« Accident arrivé à M. Seyntis. Prière de prévenir madame et venir tout de suite. »

La signature est celle du valet de chambre de Raymond Seyntis.

René a une respiration profonde d’homme auquel l’air a manqué tout à coup. Mais en même temps, il redevient froidement calme, ainsi qu’il l’est toujours aux heures de lutte ou de danger, tant est puissante alors la tension de son énergie.

— Mon oncle, qu’y a-t-il ?… Cette dépêche, c’est à propos de père… n’est-ce pas ?

Guillemette l’a suivi. Elle est devant lui, l’interrogeant aussi de ses yeux devenus immenses.

Il la contemple avec tout ce qu’il a pour elle d’amour et d’impuissante pitié, — car elle vient peut-être de vivre ses dernières minutes d’insouciance heureuse… L’épreuve s’abat sur elle… A quoi bon la tromper, retarder le moment où elle saura, puisqu’il faut qu’elle sache… qu’il ne peut rien pour écarter d’elle la douleur ?…

Elle a senti son hésitation devant les mots qu’il doit dire ; elle a vu l’altération du visage et répète avec une anxiété impérieuse :

— Mon oncle, qu’y a-t-il ?… Répondez-moi…

— Votre père s’est trouvé souffrant… La fatigue, sans doute… Il vaudrait mieux que votre mère soit auprès de lui. Je vais l’avertir afin qu’elle puisse partir par le prochain train.

Elle n’a pas une larme, pas une exclamation. Mais son visage paraît soudain modelé dans la cire pâle ; et ses lèvres, contractées, murmurent seulement :

— Mon Dieu !… mon Dieu !…

Puis, ses yeux plongent désespérément dans ceux de René :

— C’est bien la vérité que vous me dites là ? mon oncle… Il n’y a rien de plus dans cette dépêche ?… Il est seulement… malade… Est-ce grave ?

— Je vous jure, mon enfant chérie, que la dépêche n’en dit rien. Elle est envoyée par Victor qui réclame la présence de votre mère…

— Oh ! annoncer cela à maman !… Comment allez-vous faire ? mon oncle.

D’instinct, tous deux lèvent la tête vers le balcon sur lequel s’ouvre la chambre de Mme Seyntis. Et un choc les fait tressaillir… Elle y est arrêtée, les observant avec une expression singulière… Pourtant, elle n’a rien entendu de leurs paroles ; ses traits ont leur calme sérénité coutumière.

Le teint reposé, dans l’élégance discrète de sa robe de maison, une dentelle nimbant ses cheveux, elle incarne une vision de femme à qui la vie est généreusement douce…

— Quel conciliabule ! René et Guillemette… Je vous ai appelés et vous ne m’avez même pas entendue !… Vous avez des mines graves ! Puis-je savoir ce qui vous agite ainsi ?

Il n’y a pas un atome d’inquiétude en son accent. Tout au plus, un soupçon de contrariété. Auprès de son frère, maintenant, Guillemette ne lui paraît plus une gamine, ne pouvant voir en lui qu’un oncle.

Les yeux de René et de Guillemette se rencontrent et la même angoisse y palpite, l’angoisse de ce qu’il faut apprendre à cette créature qui n’a jamais connu que le bonheur… Encore quelques minutes, et ce bonheur sera devenu le passé…

Puis René répond, d’une voix qu’il s’applique à faire très calme :

— Marie, pourrais-je te parler tout de suite ?…

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