L'été de Guillemette
XIV
Fragment de lettre de Mad à une de ses amies :
« … Imagine-toi, ma chère Bernadette, que nous avons ici, à Houlgate, un roi, un vrai roi ! Il est plutôt laid… mais il a un très gentil petit-fils… Tu devrais venir le voir. On dit qu’il veut se marier. Toutes ces demoiselles frétillent, comme si les rois qui ont un royaume se mariaient avec de simples mortelles !…
« D’ailleurs, je crois bien qu’alors il choisirait Guillemette qui a l’air de lui avoir tout à fait tapé dans l’œil ; l’autre jour, à la fête de bienfaisance, il l’a invitée à faire un tour de boston. Il dansait très mal. Mais Guillemette ne le savait pas quand elle l’a accepté… Et puis, je crois vraiment qu’elle n’aurait pas pu lui dire « non… » Il faut faire tant de salamalecs avec les princes !
« Toutes les amies de Guillemette ont l’air de plaisanter sur l’admiration du prince pour elle… Mais, au fond, certaines surtout enragent de n’être pas à sa place !
« Ne me demande pas ce que ma chère sœur pense de son succès. Elle n’en a rien dit. Quand on lui parle du prince, elle devient comme un hérisson ! Maman était très fâchée parce qu’il avait emmené Guillemette dans un coin, à part ; et, même les princes, paraît-il, n’ont pas le droit de faire ça. Moi, je pense que comme il la trouvait très jolie, il avait envie de la regarder plus à son aise, sans que tous les gens qui encombraient les salons soient là, à les examiner tous les deux.
« J’ai entendu maman qui faisait à M. le curé des phrases sur l’ennui que sa fille ait été ainsi remarquée par le prince. Et M. le curé a dit quelque chose comme :
— Madame, ne vous agacez pas de la sorte ! Vous avez prêté la jolie figure de votre fille aux pauvres. C’est une charité que vous leur avez faite ! Ça vous comptera en paradis…
« Je te dis à peu près. Une chose certaine, c’est que maman a eu l’air moins agitée après ce speech de M. le curé.
« Quant à l’oncle René, il était encore plus furieux que maman ; et le soir, après le dîner, il a traité le prince de « galopin mal élevé… » Je voudrais bien savoir ce qu’aurait dit Guillemette si elle l’avait entendu. Mais elle était montée dans sa chambre, prétendant qu’elle avait mal à la tête.
« Moi, je ne sais si le prince est un galopin, mais je le trouve très joli. Il a des yeux de gazelle, il sent le papier d’Arménie et à mon comptoir, il m’a acheté cinq tartes aux cerises qu’il a croquées tout de suite avec de blanches petites dents pointues…