← Retour

Le roman d'une honnête femme

16px
100%

TROISIÈME PARTIE

I

En revenant à moi, je me trouvai étendue sur mon lit. Marguerite, ma femme de chambre, se tenait debout près du chevet. Il faisait grand jour ; un rayon de soleil se glissait jusqu’à mes rideaux : par ma fenêtre entr’ouverte, j’apercevais une branche de chèvrefeuille qu’une brise légère berçait doucement ; j’entendis le chant d’un oiseau.

Je rassemblai avec effort mes idées ; enfin la mémoire me revint, et je fermai les yeux par un mouvement de cette haine instinctive pour la lumière qu’a ressentie quiconque a souffert. Marguerite m’interrogea ; je lui racontai que, ne pouvant dormir, je m’étais levée à la pointe du jour, que j’avais été prise d’un vertige, que j’étais tombée. Comme elle insistait, je lui imposai silence. Elle s’assura que je n’étais pas blessée ; ma blessure en effet n’était pas de celles qui se voient. Max avait envoyé chercher un médecin qui vint presque aussitôt ; mais je me refusai obstinément à le recevoir : ses questions m’auraient mise au supplice.

Je demeurai toute une semaine enfermée chez moi. Le jour, je ne souffrais que d’une excessive faiblesse ; le soir, le frisson me prenait, et j’avais chaque nuit un accès de fièvre. J’avais défendu qu’on me veillât ; je redoutais les indiscrétions du délire, et j’aurais rougi de mettre mes gens dans mon secret. Du reste, mes rêvasseries n’avaient, je crois, rien d’effrayant ; toutes les nuits j’étais hantée de la même vision. Il me semblait que les murs de ma chambre, les meubles, les vases, les tableaux, les rideaux de mon lit portaient le deuil de quelqu’un ; ils se faisaient entre eux des signes d’intelligence, accompagnés de soupirs douloureux ; ils racontaient qu’une personne bonne, généreuse, digne d’être aimée, qui avait foi dans la vie, avait habité quelque temps cette chambre, qu’elle l’avait animée et réjouie de sa présence, qu’elle y avait rêvé le bonheur, et qu’un jour elle avait disparu sans qu’on sût ce qu’elle était devenue. Je ressentais pour cette personne une inexprimable pitié ; je crois que je lui parlais, et assurément je pleurais en lui parlant, car à la fin de chaque accès je sentais des larmes sur mes joues.

Le troisième jour, je reçus un billet de Max. « Je crains, madame, m’écrivait-il, que ma présence dans cette maison ne retarde le progrès de votre convalescence. Voulez-vous que je parte ? Je ferai ce qui vous plaira. » Je lui répondis : « Ne partez pas avant que je vous aie parlé. J’ai des décisions à prendre, je ne tarderai pas à vous les faire connaître. Quelques journées perdues, c’est peu de chose ; la vie est si longue ! »

Enfin, un soir que le frisson n’était pas revenu et que je me sentais assez de force pour affronter les émotions d’un entretien, je descendis au salon et fis appeler Max. Il parut aussitôt ; nulle trace d’embarras ni de contrainte dans son maintien ; il s’avança d’un air libre, dégagé, m’aborda avec cette grâce de grand seigneur et cette exquise élégance de manières que j’avais admirées autrefois et qui dans un pareil moment m’épouvantaient. Il s’informa en deux mots de ma santé, s’assit et me fit signe qu’il était prêt à m’entendre. L’indignation que me causait sa tranquillité raffermit mon courage ; j’aurais eu honte de laisser voir le moindre trouble, la moindre faiblesse.

« Monsieur, lui dis-je, cette entrevue n’est probablement pas de votre goût, vous n’aimez guère les explications ; mais il est nécessaire que je vous en demande et que je vous en donne : vous conviendrez qu’il n’y a pas de ma faute. »

Il fit un geste d’assentiment, sans que je visse remuer une fibre sur son visage impénétrable comme un masque de bronze.

« Du reste, continuai-je, ne vous alarmez pas trop. Vous n’aurez à subir ni questions ni reproches. J’ai fait des provisions de sagesse depuis quelques jours. Il est bon d’aller à votre école pour apprendre à vivre ; vous tenez vos élèves sous une discipline un peu sévère, mais leurs progrès sont rapides. »

Il s’inclina comme pour me remercier du compliment.

« Si vous vous ravisiez, me dit-il, je me croirais tenu de répondre à vos questions avec une entière sincérité et d’écouter vos reproches jusqu’au bout sans vous interrompre ; mais, vous avez raison, de quoi nous serviraient tant de paroles ? Le passé est irréparable : ne nous occupons que de l’avenir.

— Oui, monsieur, le passé est irréparable, repris-je avec trop de chaleur, — et si je m’avisais de m’en plaindre, vous me renverriez sûrement au destin, qui dispose de tout, qui régit tout, qui est l’éternel, l’unique coupable. Je connais vos doctrines ; vous les professez de vive voix et par écrit, non sans une certaine éloquence. Mon Dieu ! je suis prête à vous en croire ; de quoi pourrais-je encore m’étonner ? Au surplus, loin de vous chercher querelle, je tiens à vous témoigner toute ma gratitude. Il est des outrages qui tuent l’amour comme un coup de foudre ; vous vous entendez à frapper, monsieur ; le mien est mort sans agonie ; ce sont de grandes souffrances que vous m’avez épargnées… »

Je sentais l’émotion me gagner ; je me tus un instant pour me donner le temps de me calmer, puis je repris d’un ton plus tranquille :

— Oui, laissons là le passé. Qu’en pourrais-je dire ? Comment me ferais-je comprendre ? Nous ne parlons pas la même langue. Votre chaîne vous pesait, l’ennui vous rongeait, ma molle tyrannie révoltait votre fierté, — vérités sublimes et sacrées où ma faible intelligence ne peut atteindre, mais que je dois admettre avec le même respect que les mystères de la foi. Je vous fais grâce de mes objections, vous les réfuteriez sans peine ; je me tais et j’adore. Il ne s’agit donc plus que de régler l’avenir, et sur ce point peut-être réussirons-nous à nous entendre. Je n’ai pas besoin de vous dire que mon premier mouvement a été de quitter à jamais cette maison ; mais j’ai réfléchi, et la réflexion plaide toujours contre les partis violents. Je connais quelqu’un qui prétend qu’après tout le malheur est plus sot que méchant, et on a toujours tort de se fâcher contre les sots. Je ne pourrais me retirer auprès de mon père sans lui conter de point en point toute cette aventure ; je crois le connaître, il ne se consolerait pas ; je crois me connaître aussi, son désespoir me briserait le cœur. Je me résigne donc à rester ici jusqu’à nouvel ordre, mais à une condition que je me flatte de vous faire approuver. »

Le regard de Max s’était animé ; il m’observait attentivement ; je crois qu’il s’était attendu à autre chose ; je lui apparaissais sous un jour nouveau.

« Quelle est cette condition, madame ? demanda-t-il d’un ton grave.

— Je vous dois, repris-je, d’avoir acquis des idées toutes nouvelles sur un sujet qu’à vrai dire je n’avais guère médité. Je comprends depuis quelques jours que le fond des choses dans le mariage, c’est la crémaillère, qu’à le bien prendre c’est même à cela que se réduit cette admirable institution. Vous voyez que je vous ai lu avec fruit. De grâce, monsieur, ne laissez plus traîner vos papiers ; une femme en colère se croit tout permis. Eh bien ! s’il le faut, je consens à vivre auprès de vous, à rester votre femme aux yeux du monde ; mais du même coup je me délie de tout autre engagement, ou pour mieux dire nous nous engagerons, vous et moi, à nous laisser l’un à l’autre une entière liberté. Pas d’équivoque, je prétends m’appartenir, être libre, absolument libre… Oh ! n’ouvrez pas de grands yeux ; ce n’est pas une menace que je vous fais. Je n’ai point de projets et ne me pique pas de pénétrer les secrets de l’avenir ; je réclame un droit, voilà tout.

— Ce que vous me proposez, madame, répondit-il avec un sourire ironique, c’est un ménage dans le goût du XVIIIe siècle. En ce temps-là, on ne mettait en commun que la crémaillère ; aujourd’hui cela souffre quelque difficulté ; nous vivons dans un siècle de bourgeois et nous en tenons tout. Nos pères entendaient mieux la vie que nous…

— Oui, interrompis-je, les marquises d’alors ne s’évanouissaient pas. Je pense, comme vous, que celles d’aujourd’hui sont des bourgeoises ; mais il en est qu’on peut former : il ne s’agit que de savoir s’y prendre comme vous.

— Allons, dit-il, j’accepte vos conditions ; c’est au moins une expérience à tenter…

— Oh ! permettez, lui dis-je, il ne s’agit pas d’expérience, mais d’un traité en bonne forme. Je vous demande votre parole de gentilhomme, j’y crois encore.

— Je n’hésite pas à vous la donner, répondit-il, et je découvre avec plaisir que vous avez une raison supérieure. Je regrette seulement que vous ne m’ayez pas parlé sur ce ton dès le premier jour ; qui sait ? vous auriez peut-être fait de moi le modèle des maris, car je me sens un faible pour les devoirs qu’on ne m’impose pas.

— Que voulez-vous ? lui dis-je. Est-ce trop de six mois pour apprendre la vie et le monde ? J’étais si naïve ; j’ai dû revenir de loin… Et maintenant, je vous prie, quand partez-vous ?

— Ah ! je suis libre, reprit-il vivement, et je ne pars plus. »

Et, s’approchant de moi, il eut l’audace d’ajouter :

« Les traités, madame, se scellent d’ordinaire par un serrement de main. »

Mais je lui répondis :

« Veuillez me dispenser de cette formalité. Je crois voir encore au bout de vos doigts une tache d’encre. Souffrirez-vous que je vous donne un conseil, monsieur ? Écrivez moins : les marquis du bon temps n’écrivaient pas. Dans certains cas, écrire est une faute et presque un ridicule. »

Et à ces mots je me retirai, le laissant à son étonnement, dont il eut peine, je crois, à revenir.

Il est aisé d’être fort dans les grandes crises de la vie : la violence du malheur exalte l’âme, porte à la tête, on se grise de son désespoir, mais cette ivresse ne peut pas durer, et après s’être senti comme transporté par sa douleur, le cœur retombe lourdement sur lui-même. Oui, le malheur est plus facile à supporter que ce qui l’accompagne, car les grandes infortunes sont des reines couronnées d’une funèbre beauté, mais qui traînent sur leurs pas un long cortége d’obscures et misérables souffrances dont il n’est pas une seule qui porte un nom, qui fasse quelque figure, cour indigne et dérisoire dont leur majesté est avilie. Avez-vous jamais lu Delphine, monsieur l’abbé ? C’est dans ce livre qu’ont été retracés d’un immortel pinceau « les faiblesses, les misères qui se traînent après les grands revers, les ennuis dont le désespoir ne guérit pas, le dégoût que n’amortit point l’âpreté de la souffrance. » Voilà pourquoi le courage de la première heure est le plus facile, et pourquoi un cœur qui, égalant ses forces à la violence du coup qui l’a frappé, s’est précipité hardiment dans sa douleur, recule ensuite avec effroi devant les innombrables et cruels détails qu’il y découvre. Quant à moi, je sentais bien que mon effort avait dépassé les bornes de mon courage naturel, et que je ne tarderais pas à revenir en deçà. Toutefois je ne laissais pas de soutenir mon triste rôle avec une fermeté qui m’étonna moi-même, et qu’admira Mme d’Estrel.

« Que vous êtes forte en vérité ! me dit-elle après avoir entendu mes confidences. Le parti auquel vous vous êtes arrêtée m’effraye ; j’en sens toutes les difficultés. Vous venez de vous créer une situation plus délicate et plus embarrassante que vous ne pensez ; mais je n’ose vous blâmer. Vous avez pris conseil de votre caractère ; c’était le seul juge à consulter. Je regrette seulement que mes expériences ne puissent vous servir ; je ne vois rien dans mon passé qui s’applique ici. Je vous ai laissée deviner que j’avais beaucoup souffert. M. d’Estrel n’était pas un Max, c’était un homme de plaisirs que le bruit de la vie étourdissait, et qui n’a jamais eu le temps d’échanger deux mots avec sa conscience. Toujours allant, toujours hors d’haleine, et pour ainsi dire tout essoufflé de son bonheur, avait-il crevé sous lui un plaisir, il changeait lestement de monture, et le voilà reparti. Nul choix, tout lui était bon, et par la bienveillance du sort, qui a toujours eu un faible pour les sots, les relais ne lui ont jamais manqué ; il est mort au dernier : — au demeurant, assez bon homme, très-candide dans ses vices, ne voulant de mal à âme qui vive, mais si infatué de sa personne qu’il m’estimait trop heureuse de porter son nom, et que, si je m’étais plainte, il fût tombé de son haut. Aussi ne me plaignis-je pas ; j’affectai de ne rien voir, de ne rien deviner, de ne rien sentir, et je me réfugiai dans le silence du mépris, abri propice aux âmes trop faibles pour combattre leur destinée, trop fières pour la chicaner. Vous, ma chère Isabelle, vous êtes de force à lutter ; votre cœur est armé en guerre, persévérez, votre courage vous sauvera, et, si redoutable que soit votre adversaire, j’ose vous promettre avec confiance que vous gagnerez la partie. »

Je fondis en larmes.

« Quelle partie ? balbutiai-je. De quoi parlez-vous ? Quel rêve avez-vous fait ? Ne voyez-vous pas que j’ai le courage du désespoir ? Et que peut-on espérer quand on ne désire rien ? Ramener Max ! mais il ne m’a jamais aimée, je ne l’aime plus, et ma victoire me ferait horreur. Non, n’essayez pas de me consoler, de me tromper. Je ne vois rien devant moi ; je sens dans ma douleur une fixité qui m’épouvante. Que ne puis-je m’attendre à de nouveaux combats quand j’en devrais payer les émotions par un redoublement de peines ! Mais mon malheur n’a pas même d’avenir ; il sera demain ce qu’il est aujourd’hui ; il se répétera jusqu’à la fin, et je ne prévois pour lui que les radotages et les enfances de la vieillesse, car le malheur qui a trop duré finit par perdre sa dignité ; il ne se respecte plus, l’âme se flétrit ; des dégoûts et des lassitudes pires que la souffrance, voilà les présents que fait le temps à la douleur. Ah ! madame, ne me parlez pas d’espérance. Hélas ! qu’ai-je donc sauvé de mon naufrage ? Un vain débris, ma liberté que je me suis fait rendre, triste épave qui a pour ma fierté le prix d’un trésor. Quel trésor, grand Dieu ! et qu’en ferai-je ? De grâce, n’allez pas m’attribuer de secrets et indignes calculs. Moi, je voudrais, par une indifférence affectée, me rouvrir un accès dans le cœur d’un homme qui m’a possédée sans m’aimer ! Vous m’offensez. Qu’ai-je été pour lui ? Un caprice de curiosité bientôt épuisé. Eh ! n’avez-vous pas compris que le pire de mes maux est l’amer chagrin de m’être donnée, que ses embrassements ont laissé sur moi comme une souillure, et que je veux chercher à venger ma honte par l’insolence de mes mépris ? »

Elle me reprocha mon exaltation, s’efforça de me calmer, de me ramener à la note juste ; mais je n’étais pas en état de l’écouter. Elle n’avait jamais aimé ; qu’avaient été ses peines, comparées aux miennes, et pouvait-elle entrer dans mes sentiments ? Cependant sur un point elle n’avait que trop raison : ma situation était difficile, et, quand le cœur est dévoré, affecter l’indifférence est un rôle malaisé à soutenir longtemps ; je n’eus que trop d’occasions de m’en convaincre. Dans le mouvement et le tourbillon de Paris, la difficulté eût été moindre : j’aurais mis le monde entre Max et moi ; mais dans la solitude de Lestang les tête-à-tête étaient inévitables, et je ne cherchais même pas à les éviter ; je n’aurais pas voulu laisser croire à Max que j’avais peur de lui ou de moi-même.

C’était bien là l’idée secrète que s’était formée son orgueil et qu’il se plaisait à nourrir. Il ne croyait pas aux femmes, il ne les prenait pas au sérieux ; il leur refusait toutes ces qualités supérieures qui font la grandeur et la dignité de l’âme. Aussi avait-il passé sa jeunesse à les aimer sans les respecter ; encore dis-je trop, car l’amour ne va pas sans l’illusion du respect ; — il les avait désirées, parce qu’elles ne se rendent pas sans combat et qu’il les faut disputer aux autres et à elles-mêmes, mais je doute qu’il eût jamais ressenti dans ses aventures d’autres transports que l’ivresse de la victoire et du triomphe. On n’a qu’un dieu ; le sien était son orgueil, implacable idole à laquelle il sacrifiait son cœur et sa vie. C’est ainsi que, toujours supérieur aux entraînements des sens et n’estimant ses jouissances qu’au prix qu’y mettait sa superbe, il se passionnait pour la conquête d’un cœur dont les refus irritaient ses désirs : mais il se lassait bien vite de la possession, semblable à ces chasseurs qui aiment la chasse pour ses fatigues et ses hasards, et qu’on voit ardents à la poursuite d’un gibier qu’après l’avoir abattu ils daignent à peine ramasser. Les femmes, en effet, n’avaient à ses yeux qu’une valeur de convention : la société ayant imaginé de mettre leur honneur à haut prix, elles l’en ont crue sur parole et se laissent longtemps marchander ; mais à part le mérite de cette résistance, qui procure à l’homme ses plus vives et ses plus agréables émotions, il les considérait comme des êtres subalternes, charmants animaux qui n’écoutent que leur instinct et qu’on gouverne par des gimblettes et des menaces ; bref, il leur refusait les seules vertus qu’il estimât, la parfaite sincérité, la fierté, la hauteur d’âme, le vrai courage et cette constance dans le vouloir que le temps ne lasse pas.

Dans le commencement, il avait été surpris de mon attitude. Il avait compté sur des scènes de reproche et de désespoir : il m’avait trouvée froide et hautaine : j’avais relevé le gant et accepté le défi, mais saurais-je soutenir jusqu’au bout mon nouveau caractère ? Ne serais-je pas bientôt fatiguée de mon rôle ? C’est là qu’il m’attendait. Sa curiosité était excitée ; il observait tous mes mouvements, il tournait autour de moi, cherchait à surprendre ma faiblesse, déguisée sous une force d’emprunt ; qu’elle vînt à se trahir par un mot, par un soupir, par une rougeur subite, par un geste incertain, et je croyais déjà entendre le cri de sa victoire. Par moments, ses yeux attachés sur moi me fascinaient, ses regards durs et pénétrants me perçaient de part en part et faisaient sentir à mon cœur le froid de l’acier, ses sourires me donnaient des frissons, sa politesse ironique faisait bouillonner mon sang ; mais je redoublais d’attention sur moi-même, je commandais à mon visage, je refoulais le flot de ma colère, toujours prêt à déborder sur mes lèvres. Je n’aurais pu supporter la honte d’une défaite, non qu’il eût tenté d’en profiter, mais son orgueil eût été satisfait, et il me semblait que je ne pourrais survivre à ce triomphe.

En attendant, je lui rendais service, je travaillais à son bonheur ; il ne s’ennuyait plus, ne songeait plus à chasser au lion ; il avait repris intérêt à la vie, je lui donnais de l’occupation, il était au spectacle, il observait, il attendait, il avait une gageure à gagner ; je m’étais chargée de fournir de l’aliment à cet éternel besoin de combats qui était sa passion dominante. Ce qui m’effrayait, c’est que je sentais mes forces diminuer, que j’étais déjà lasse, et que d’instant en instant mon masque me pesait davantage.

Chargement de la publicité...