Le roman d'une honnête femme
IV
Quelques jours plus tard, je vis arriver un matin Mme d’Estrel. Sa visite me surprit, car sa paresse, jointe à l’état de sa santé, la confinait chez elle, et elle n’en sortait que dans les cas extrêmes. Qu’avait-elle donc de si pressant à me dire ? Je fus frappée de son air agité et presque ému ; elle m’observait curieusement.
« Vous avez été absente pendant quelques jours ? me demanda-t-elle.
— Ne vous a-t-on pas dit, lui répondis-je, que j’étais allée voir mon père ? »
Elle ne fit aucune réflexion, et, selon son habitude, ne se pressa point d’en venir au fait.
« Je vous apporte des nouvelles, reprit-elle ; madame Mirveil…
« Oh ! chère madame, interrompis-je, donnez-moi plutôt des nouvelles de la Cochinchine ; vous serez plus sûre de m’intéresser. »
Elle me répliqua que ce qu’elle avait à me dire m’intéressait plus que je ne pensais, et bon gré mal gré je dus l’écouter.
Mme Mirveil s’était retrouvée. Chacun la croyait partie ; sa vieille servante Brigitte lui avait fidèlement gardé le secret. M. de Malombré lui-même s’y était trompé ; pour la première fois, ses yeux d’argus s’étaient laissé prendre en défaut. Pendant qu’il la croyait à Paris, cette pauvre folle tenait pied à boule chez elle, enfermée dans une chambre sombre, volets clos et rideaux tirés, et elle avait vécu là deux mois de ses larmes et de coquilles de noix. Cependant un beau jour le vent avait sauté, en elle tout est soudain : elle avait ouvert ses volets, rompu sa clôture et fait irruption dans le salon de ma vieille amie, qui la reçut mal et se disposait même à l’éconduire ; mais voilà une femme qui se jette à ses pieds en fondant en larmes.
« Je suis une pauvre et misérable créature ! s’écriait-elle. Il n’est âme qui vive qui me veuille du bien. Si vous me rebutez, si vous me repoussez, je me tuerai ! »
Mme d’Estrel n’avait pas précisément peur qu’elle se tuât, mais elle fut frappée du changement qui s’était fait dans sa personne : plus de colifichets, plus de petites mines, le visage pâle, amaigri, une robe brune montante et à manches longues qui lui cachait le cou et les bras, l’air et la tournure d’une béguine. Mme d’Estrel la fit asseoir, et, non sans verser bien des larmes, la dolente Levantine commença de lui ouvrir son cœur et de lui conter sa vie, ses faiblesses, ses fautes. A vrai dire, elle n’en était guère responsable. Sa mère avait toujours été sérieusement convaincue que l’éducation d’une fille est achevée quand on lui a appris à jouer de la prunelle et à pêcher à la ligne un mari. Tous les secrets de la minauderie, l’art de rouler les yeux et de faire la bouche en cœur, avaient été démontrés par principes à la jeune Emmeline. Le moment venu, sa mère aidant, elle amorça son hameçon et le jeta dans un parage poissonneux. Le fretin accourut, on le rejeta à l’eau avec dédain. Enfin un vrai poisson mordit à l’appât. Les deux femmes chantèrent victoire ; elles crurent voir dans M. Mirveil un brochet de la plus belle taille ; il se trouva que ce n’était qu’une grosse carpe. L’art de jeter de la poudre aux yeux fleurit au Levant ; mais si M. Mirveil n’était pas un Crésus, le bonhomme adorait sa femme, qui finit par s’attacher à lui. Il l’amena en Europe ; à deux ans de là, il mourut d’une chute de cheval. Elle ne le pleura pas longtemps ; une idée fixe, une idée folle s’empara d’elle comme une fièvre et la galopait le jour et la nuit ; elle en perdit le boire et le manger. A chaque heure, à chaque minute, elle se répétait : « Ma chère, il ne tient qu’à vous de devenir marquise de Lestang. » Elle ne put se tenir d’en écrire à sa mère, qui donna à plein collier dans ses visions et ne l’appelait dans ses lettres que sa chère marquise.
Elle confessa à Mme d’Estrel que ce qui la désespérait, c’est qu’elle ne pouvait reprocher à M. de Lestang de l’avoir trompée. « Il ne m’a jamais donné la moindre espérance, dit-elle. Je me crus habile, l’amour s’en mêlant, je ne fus que facile, et je me perdis. Je vous défie de vous représenter ce que je ressentis à la nouvelle de son mariage ; je ne parlais de rien moins que de défigurer ou d’assassiner mon heureuse rivale. Je la vis et me calmai : il me parut qu’elle ne me valait pas, et certainement elle est moins jolie que moi. Convenez-en, chère madame. Je me persuadai que M. de Lestang avait fait un coup de tête dont il ne tarderait pas à se repentir. Dans mes rêves, je le voyais se jetant à mes pieds, me conjurant de le consoler de son erreur, et je me promettais de le tourmenter par une impitoyable coquetterie, de jouer avec son désespoir comme une chatte avec une souris. Que je le connaissais mal ! Il vint me voir et me traita en petite fille déraisonnable qu’on corrige avec une chiquenaude et qu’on console ensuite avec des gâteaux… Et puis un soir que, selon ma coutume, portes et fenêtres ouvertes, je m’étais assoupie dans un fauteuil… Non, je n’ai pas rêvé, c’était bien lui !… Sa figure m’épouvanta. Qu’elle était étrange ! Il avait escaladé un balcon, et il se présentait non en suppliant, mais en maître, en vainqueur ! Que voulait-il ? qu’espérait-il ? Pour qui donc me prenait-il ? »
Et à ces mots elle se remit à pleurer comme une Madeleine ; elle se désolait tout à la fois, au dire de Mme d’Estrel, et de ce que Max s’était flatté de réussir, et de ce que croyant tout pouvoir, au dernier moment il n’avait plus voulu.
« Cette visite nocturne me bouleversa, poursuivit-elle. M. de Lestang pouvait s’imaginer que j’avais été à la merci de son caprice. Moi qui avais rêvé de le voir à mes pieds, demandant grâce et désespéré de mes refus ! Je lui écrivis lettre sur lettre ; j’aurais voulu à tout prix le revoir pour désabuser sa fatuité. Point de réponse. Ma fureur était telle que je me glissai à plusieurs reprises dans le parc de Lestang, espérant l’y rencontrer et l’accabler de mes mépris. Plus sage que moi, le hasard ne m’accorda pas la rencontre que je cherchais. Au lieu du marquis, j’aperçus un jour sa femme. Je la savais aussi malheureuse que moi ; je n’avais plus aucune raison de la haïr, et je la pouvais regarder de sang-froid. Elle était seule et semblait accablée par son chagrin. Je persiste à croire qu’elle est moins jolie que moi ; ce n’est pas étonnant, je chasse de race : je suis une enfant de la balle et je sais mon métier ; mais il y avait dans son air, dans son maintien… Que vous dirai-je ? Il se passa en moi quelque chose de bien étrange : pour la première fois de ma vie, je me jugeai.
« En rentrant chez moi, je me mis au lit ; le lendemain, je n’eus pas le courage de me lever ; je rougissais de moi-même et de la triste figure que je faisais dans le monde. Comme une chatte estropiée qui va cacher son agonie dans le coin le plus sombre d’un grenier, j’éprouvais le besoin de me dérober à tous les regards. Je passai deux mois dans une chambre obscure, rêvassant et pleurant. Mais si la chatte estropiée ne meurt pas, il faut bien que tôt ou tard elle quitte son grenier. Je me réveillai un matin, possédée du désir de voir quelqu’un qui me voulût du bien. Je me suis rappelé qu’autrefois vous m’aviez marqué quelque amitié, témoin vos conseils si mal suivis, vos reproches si mal reçus. Si j’ai lassé votre bon vouloir par mes légèretés, considérez que j’ai bien changé ; madame, tendez-moi la main, secourez-moi, conseillez-moi. »
Et là-dessus, avec l’exagération ordinaire des caractères légers, se remettant à genoux, elle donna des marques d’humilité si outrées que Mme d’Estrel la rudoya un peu et la gronda. L’ayant forcée de se relever : « Vous m’intéressez, lui dit-elle ; vous valez mieux que je ne croyais ; il y a toujours quelque chose de rare dans une âme qui a la force de se juger. Séchez vos larmes, soyez sage ; sinon, je vous abandonne. Voyons, songeons à l’avenir ; que comptez-vous faire ?
— Ma mère m’engage à retourner au Levant. Elle veut revoir sa chère marquise, car jusqu’à sa mort je serai sa chère marquise. Dieu sait les histoires qu’elle a contées dans le quartier franc ! Je ne la démentirai sur rien ; il sera entendu que mon mari le marquis est mort. Quant à mon marquisat, le voici ! » et elle montrait ses deux mains vides.
Mme d’Estrel lui conseilla de se rendre aux prières de sa mère et de s’en aller faire la marquise au Levant. « Autrement, lui dit-elle, il ne vous reste qu’à épouser M. de Malombré, et c’est un parti que je n’ose vous recommander.
— Épouser M. de Malombré ! plutôt épouser une grille ! Vingt fois j’ai consenti, vingt fois je m’en suis dédite. Sans compter qu’il m’a poussée à bout par ses perpétuels espionnages, je n’ai jamais pu me faire à sa personne. Ah ! franchement, je suis un morceau trop friand pour lui. Que penserait ma mère de sa chère marquise ? Oui, vous avez raison, il faut que je parte ; mais je ne peux m’en aller les mains vides, et vous savez que le plus clair de mon avoir est le petit domaine que m’a laissé M. Mirveil. Mon argus lui fait les yeux doux, et il ne disputerait pas sur le prix pour acquérir cette enclave, qui donne droit de passage sur sa propriété. Malheureusement il a mis dans sa chienne de tête d’acquérir à la fois la femme et la terre, car il a besoin d’une mignonne qui le dorlote. Peut-être va-t-il refuser de faciliter mon départ en achetant ma vigne, qui n’a de valeur que pour lui… »
« Je lui promis, me dit Mme d’Estrel, de l’assister dans cette affaire, d’entreprendre M. de Malombré, et s’il faisait la sourde oreille, de le menacer d’acheter pour mon compte. La pauvrette se jeta à mon cou, pleurant d’un œil, riant de l’autre, me déclara que j’étais la meilleure des femmes, que je lui sauvais la vie, mais au moment de me quitter : « Je n’aurai qu’un regret en partant, s’écria-t-elle, celui de ne m’être pas vengée. Heureusement Mme de Lestang s’en chargera. »
« Ce dernier mot me fit dresser l’oreille ; je voulus la faire s’expliquer, mais je n’en tirai rien. « Point de mauvais sentiments ! lui dis-je ; mon alliance est à ce prix. »
« Le lendemain, je reçus la visite de M. de Malombré. Ma maison est le réservoir où se déversent tous les chagrins du canton de Grignan. Privilége de vieille femme qui regarde la vie d’un œil désintéressé ! Jamais mon voisin n’avait eu l’air si sombre, jamais il n’avait poussé de si bruyants soupirs. C’était vraiment le chevalier de la Triste-Figure. Aussi bien avait-il sujet de se plaindre ; en dépit de sa lunette, pendant deux mois, sa prisonnière s’était dérobée à ses recherches ; il venait de la retrouver ; il avait volé auprès d’elle, lui portant un cœur d’hidalgo dont rien ne peut rebuter la constance, et il avait essuyé des refus obstinés qui ne lui laissaient aucun espoir. Je compatis à sa douleur et m’efforçai de le consoler. Je lui représentai qu’il ne devait rien regretter, qu’une odalisque n’eût été dans sa vie qu’une inutilité coûteuse, qu’une bonne ménagère était mieux son fait. « D’ailleurs, lui dis-je, à défaut de la femme, la vigne vous reste, car je ne suppose pas qu’Emmeline veuille l’emporter au Levant ; acceptez de bonne grâce cette consolation. »
« Il me répondit en grimaçant : « Achète la vigne qui voudra ! Je ne me souciais que de la femme. » Et il me récita de nouveau toute la litanie de son amoureux martyre. Je suis persuadée qu’il était de bonne foi ; les Malombré sont de ces gens qui se croient toujours eux-mêmes sur parole.
« Vous me mettez à l’aise, repris-je, car cette vigne m’a toujours tentée, et à votre refus j’entrerai en marché avec Mme Mirveil. »
« Il fit un geste de surprise, mais ne releva pas le propos. Il était tout entier à son dépit, qui se tourna en une véritable rage. Il se répandit en récriminations contre M. de Lestang, « l’infâme artisan, disait-il, qui avait ourdi toute la trame de son infortune. » Et bientôt, ce qui me surprit davantage, il vous enveloppa dans ses invectives et s’exprima sur votre compte avec une aigreur, une violence… Quel grief a-t-il donc contre vous ?
« Cette belle marquise ! s’écria ce mouton enragé, n’a pas l’air d’y toucher ; ce n’est au fond qu’une coquette, et bien m’en prend, je peux me reposer sur elle du soin de ma vengeance. »
« Ce propos me remit en mémoire celui de Mme Mirveil ; je voulus en avoir le cœur net. Je montai sur mes grands chevaux et sommai M. de Malombré d’avoir à s’expliquer ou à se rétracter. Il était trop exaspéré pour tenir sa langue en bride, et il me conta qu’à plusieurs reprises il avait aperçu M. Dolfin se glissant dans votre parc, qu’ayant lié connaissance avec ce jeune homme, il avait eu soin de lui parler de vous et l’avait vu rougir en prononçant votre nom, que plus tard il l’avait rencontré cheminant tête-à-tête avec vous dans votre coupé, que tout récemment il était retourné à Réauville, que, ne trouvant pas M. Dolfin chez lui, il avait demandé à l’attendre, que, laissé seul dans sa chambre, le premier objet qui avait attiré ses yeux fureteurs était un ruban feuille-morte passé au cou d’une statuette de la Vierge. « Je donne ma tête à couper, s’écria-t-il, que ce ruban a appartenu à Mme de Lestang. La dernière fois que je l’ai vue, elle avait une robe feuille-morte. Cette couleur lui plaît, c’est la couleur de son âme ; mais les hirondelles sont en train de revenir. Notre petit jeune homme en est déjà aux menues faveurs ; ce ruban est une promesse, peut-être un souvenir. Laissez-moi croire qu’il n’a plus rien à désirer… A propos, que sont-ils devenus pendant quelques jours ? Ils avaient disparu l’un et l’autre. Est-il bien sûr que Mme de Lestang soit allée voir son père ? Ah ! monsieur le marquis, vous m’avez volé mon bien ; c’est de moi que vous apprendrez ce que devient le vôtre en votre absence !
« J’étais indignée et le traitai en conséquence ; je lui dis dans quelle occasion vous aviez vu chez moi M. Dolfin, et lui déclarai que toutes ses conjectures étaient d’odieuses et ridicules visions.
« Quant au mari, ajoutai-je, croyez-moi, ne vous attirez pas son courroux ; vous n’êtes pas de force, mon brave homme, à vous mettre sur les bras un pareil adversaire. »
« Et je lui récitai la fable du pot de terre et du pot de fer ; mais de l’humeur dont il était, je ne gagnai rien sur lui : la colère transforme les lièvres en preux. Le pacifique Malombré roulait des yeux terribles, comme s’il eût appelé en champ clos Maures et Castillans, et il me quitta de l’air d’un homme qui se dispose à mettre flamberge au vent… »
« Et maintenant, continua-t-elle, à nous deux, ma très-chère Isabelle. Dites-moi, de grâce, s’il y a quelque chose de vrai dans les extravagances que m’est venu conter ce pauvre hère. C’est moi qui vous ai fait connaître M. Dolfin. En vous présentant ce jeune homme, dont le caractère est encore pour moi un problème, je voulais vous procurer une distraction, vous enlever pour quelques heures à vous-même ; mais je ne pouvais m’imaginer qu’un futur trappiste allât se brûler comme un papillon à la flamme de vos beaux yeux. Dites-moi ce qui en est ; parlez-moi sincèrement, car je ne me consolerais pas si mes bonnes intentions avaient eu de si graves conséquences. »
Je l’avais écoutée sans mot dire.
« En vérité, lui répondis-je avec le plus grand calme, de quoi allez-vous vous soucier ? que vous importe ? »
Elle me regarda attentivement.
« M. Dolfin est-il venu ici ? me demanda-t-elle d’un ton pressant. L’avez-vous revu ?
— Oui, madame, lui répondis-je.
— Et serait-il vrai qu’il vous aime ?
— Je n’en sais rien.
— Et l’aimez-vous ?
— Je n’en sais rien non plus, mais quand je le saurais, vraiment où serait le mal ? »
Elle garda quelques instants le silence.
« Prenez-y garde, ma chère enfant, reprit-elle avec quelque vivacité ; le pas est glissant. Vous savez si j’entre dans vos chagrins, dans vos ressentiments ; mais je crains qu’ils ne vous entraînent à quelque coup de tête ou de cœur dont vous vous repentiriez cruellement. Dites-vous qu’il arrive bien vite, l’âge où une femme qui a failli achèterait au prix de tous les plaisirs, de toutes les joies de l’amour, un peu de cette considération que donne un passé sans tache. Oh ! comme la pauvre créature voudrait forcer les respects, tuer les souvenirs, se mettre à l’abri de ce qui se dit et de ce qui ne se dit pas, de certains sourires qui la font trembler ! La considération ! tant qu’on est jeune et que la passion parle, il semble que ce n’est rien ; mais à peine avons-nous un cheveu blanc, notre bonheur dépend de l’opinion, et nous voudrions effacer de notre vie tout ce qui fait obstacle au respect. Dites-vous encore qu’une honnête femme n’a rien de mieux à faire que de rester honnête : c’est le seul métier qu’elle fasse bien ; elle n’a pas de talent pour autre chose ; on est toujours gauche dans le mal quand on est embarrassé d’une conscience. Dites-vous aussi (je vous parle avec une entière conviction) que, quels que soient les torts de Max, et Dieu me garde de les atténuer ! tôt ou tard il vous reviendra. De grâce, ne mettez rien entre le bonheur et vous !
— Quel chaleureux avocat, quelle amie sûre et dévouée Max a trouvée en vous, madame ! lui dis-je avec amertume. Je l’en félicite de tout mon cœur ; mais ne soyez pas plus royaliste que le roi. J’ai de ses nouvelles ; je sais qu’il use à Paris de toute sa liberté et qu’il n’aurait garde de vouloir me gêner dans l’usage que je puis faire de la mienne.
— Mon Dieu ! s’écria-t-elle, que les maris sont de sots animaux, et qu’ils sont loin de se douter de ce que peut dire et faire une honnête femme en colère !… Ma chère Isabelle, poursuivit-elle, vous vous mettez en révolte ; je relève le gant et vous préviens que je m’en vais de ce pas à Réauville surprendre le lièvre au gîte.
— Allez, chère madame, lui dis-je, et ne manquez pas d’instruire M. de Lestang du zèle avec lequel vous épousez ses intérêts ; mais je doute fort qu’il y soit sensible : il a vraiment de bien autres affaires en tête. »
Elle remonta en voiture, et, deux heures plus tard, en repassant devant Lestang, elle me fit remettre un petit billet écrit au crayon, qui contenait ces mots :
« Je m’étais sottement alarmée. Oh ! la belle peur que j’ai eue ! Vous vous êtes moquée de moi, et vous avez eu raison. J’ai appris à Réauville que M. Dolfin fait une retraite à la Trappe. Adieu, chère enfant. Votre vieille amie vous embrasse. »