Lettres sur l'histoire de France
LETTRE XI
Sur le démembrement de l’empire de Karl le Grand[175].
[175] A propos de ce nom, je dois dire que je ne prétends pas supprimer celui de Charlemagne, mais seulement l’interpréter, laissant chacun libre de se conformer à l’usage. Les noms célèbres qui, par l’histoire, sont entrés dans la langue nationale font partie de cette langue, je le reconnais, et j’accorde qu’on écrive Charlemagne, Charles Martel, et même Clovis, pourvu qu’on sache bien ce qu’on fait, et qu’on ait l’attention, une fois au moins, de le faire savoir au lecteur.
Si vous voulez comprendre le véritable sens des troubles qui suivirent la mort du premier empereur de race franke, oubliez un instant vos lectures et reportez votre attention sur un événement récent, la chute de l’empire français. Lorsque vous avez vu la moitié de l’Europe gouvernée par les membres d’une seule famille, et les villes de Rome, d’Amsterdam et de Hambourg devenir des chefs-lieux de département, avez-vous cru que cela pût durer ? Quand ensuite la guerre a détruit ce que la guerre avait créé, quand les Italiens, les Illyriens, les Suisses, les Allemands, les Hollandais ont cessé d’être sujets du même empereur, cette séparation vous a-t-elle frappé comme un bouleversement de la société ? Enfin, n’est-ce pas dans la nature même de la puissance impériale que vous avez reconnu les causes de sa ruine ? Cette catastrophe, arrivée sous nos yeux, du vivant même du fondateur de l’empire, fait un singulier contraste avec nos conjectures historiques sur la durée de la domination franke, si Charlemagne eût vécu plus longtemps, ou si son fils lui eût ressemblé.
Peut-être, avant la grande et triste expérience que nous avons faite il y a treize ans[176], et à l’aide des seules idées fournies par la vue de l’Europe sous l’ancien régime, était-il impossible de discerner la véritable raison des mouvements politiques où fut entraînée la famille de Charlemagne. Le maintien de l’empire frank ne dépendait pas, comme tant d’historiens l’ont dit, en copiant Montesquieu, du sage tempérament mis entre les ordres de l’État, de l’occupation donnée à la noblesse pour l’empêcher de former des desseins, et de la soumission filiale des enfants du prince. Il ne s’agissait ni d’ordres de l’État, ni de noblesse, ni des autres classifications sociales de la monarchie moderne ; il s’agissait de retenir sous une sujétion forcée plusieurs peuples étrangers l’un à l’autre, et dont quelques-uns surpassaient de beaucoup le peuple conquérant en civilisation et en habileté pour les affaires. Nous savons aujourd’hui quels phénomènes moraux résultent nécessairement de toute domination établie par conquête. A l’enivrement de gloire militaire qu’éprouve, sous les drapeaux du conquérant, une armée composée d’hommes de races diverses, se joint une haine profonde de la domination étrangère, passion plus durable que l’autre, qui s’accroît en silence et finit par tout entraîner. Le moment fatal pour les grands empires n’arrive, le plus ordinairement, qu’à la mort de leur fondateur, parce que, en général, les peuples hésitent à s’aventurer, et attendent qu’un dérangement quelconque leur fournisse soit une occasion, soit un prétexte de révolte. Cette loi, source de tant de jugements défavorables prononcés par l’histoire contre les fils des monarques les plus admirés, n’est cependant point absolue. Nous en avons eu la preuve dans la destinée d’un homme de génie, dont l’immense domination fut démembrée de son vivant, lorsqu’il n’avait rien perdu de ses talents militaires et de son énergie politique. Sans doute, il ne suit pas de cet exemple que les enfants de Charlemagne doivent être absous du jugement d’incapacité qui pèse sur eux ; mais c’est un avertissement pour les historiens d’aller chercher les causes des révolutions de ce monde ailleurs que dans le plus ou le moins de mérite des têtes couronnées.
[176] Écrit en 1827.
C’est aussi une erreur de croire que toujours la chute d’une grande puissance produise l’anarchie sociale. Souvent le renversement du pouvoir n’est autre chose que la restauration de l’ordre et de l’indépendance naturelle des peuples, restauration laborieuse, à laquelle on n’arrive qu’après de longs essais, et lorsque plusieurs générations ont péri au milieu des troubles. Si, dans la réaction des puissances européennes contre la domination française, tout s’est terminé en peu de temps, si une paix générale a promptement suivi l’explosion, c’est que les nations détachées de l’empire n’ont fait que rentrer, pour ainsi dire, dans leurs anciens cadres et sous un régime auquel, pour la plupart, elles s’étaient habituées de longue main. Or, l’état des choses n’était pas le même lorsque, vers le milieu du neuvième siècle, la Gaule et l’Italie commencèrent à réagir comme puissances politiques contre l’empire des Teutskes[177] ou Teutons. Les indigènes de ces deux pays démembrés depuis quatre siècles de l’empire romain, et depuis ce temps exploités plutôt que gouvernés par des conquérants de race étrangère, avaient perdu leurs traditions nationales. Ils ne voyaient dans le passé aucune situation politique à laquelle ils pussent revenir ; ils avaient tout à créer : et voilà pourquoi la lutte fut longue, pourquoi il fallut plus de cinquante ans de guerre avant que s’accomplît le démembrement définitif du nouvel empire en neuf États séparés l’un de l’autre, soit par des limites naturelles et le souvenir non encore éteint d’une antique nationalité, soit par des différences de race, de langue ou de dialecte[178].
[177] Ce nom, différemment orthographié à cause du changement arbitraire du d en t, est un adjectif dérivé du mot Teut, Theod ou Thiod, qui signifie peuple dans les anciens dialectes germaniques. Toutes les populations de cette race, quel que fût leur nom, Franks, Alamans, Goths, Longobards, etc., donnaient à leur idiome originel le nom de Teutske, c’est-à-dire national, par opposition aux langues étrangères. Cette désignation, d’abord appliquée à la langue seule, fut adoptée ensuite comme nom de nation par toutes les tribus réunies au royaume des Franks. Le mot latin Teutones prouve qu’anciennement une partie au moins de la population germanique employait dans le même sens le substantif Teut.
[178] La Germanie, la Lorraine, la France, la Bretagne, l’Italie, la Bourgogne transjurane, la Bourgogne cisjurane, l’Aquitaine et la Marche d’Espagne.
Une chose digne de remarque, c’est l’espèce d’ordre avec lequel, au milieu d’une confusion apparente, les événements marchèrent vers ce grand but, comme s’il eût été aperçu d’avance. Il semble qu’à travers toutes les fluctuations causées par les chances de la guerre, un instinct de bon sens ramenait toujours les peuples au mode de démembrement le plus conforme à leur division naturelle. Dès le commencement des guerres civiles entre l’empereur Lodewig ou Louis[179] et ses enfants, guerre où le père et les fils étaient poussés à leur insu par des mouvements nationaux, une grande divergence d’opinion politique se laisse apercevoir entre les Franks vivant au milieu de la population gauloise, et ceux qui sont demeurés sur l’ancien territoire germanique. Les premiers, ralliés, malgré leur descendance, à l’intérêt du peuple vaincu par leurs ancêtres, prirent en général parti contre l’empereur, c’est-à-dire contre l’empire, qui était, pour les Gaulois indigènes, un gouvernement de conquête. Les autres s’unirent, dans le parti contraire, avec toutes les peuplades tudesques, même anciennement ennemies des Franks. Ainsi tous les peuples teutons, ligués en apparence pour les droits d’un homme, défendaient leur cause nationale en soutenant, contre les Gallo-Franks et les Welskes[180], une puissance qui était le résultat des victoires germaniques. Selon le témoignage d’un contemporain, l’empereur Lodewig se défait des Gallo-Franks, et n’avait de confiance que dans les Germains. Lorsqu’en l’année 830 les partisans de la réconciliation entre le père et le fils proposèrent, comme moyen d’y parvenir, une assemblée générale, les malintentionnés travaillèrent pour que cette assemblée eût lieu dans une ville de la France romane : « Mais l’empereur, dit le même historien, n’était pas de cet avis, et il obtint, selon ses désirs, que le peuple fût convoqué à Nimègue : toute la Germanie s’y rendit en grande affluence afin de lui prêter secours[181]. »
[179] Il y a quelque fondement dans l’usage introduit par les premiers historiens en langue française, de faire succéder, à cette époque, le nom de Louis à celui de Clovis. Sous la seconde race, l’aspiration, que les anciens Franks plaçaient devant les lettres l et r, tomba en désuétude : ainsi les noms de Hldowig, Hloter, Hrodebert, etc., se changèrent en Lodewig, Lother, Rodebert, etc. On peut faire dater de la même époque la substitution de l’e muet aux autres voyelles dans les syllabes non accentuées.
[180] Welske ou Welsche était le nom que les peuples germains donnaient à tous les Occidentaux, Bretons, Gaulois ou Italiens. Ils appelaient langue welsche la langue latine, et population welsche, les indigènes de la Gaule, au milieu desquels vivaient les Franks. On a tort d’employer aujourd’hui ce mot dans le sens de barbare ; car, dans la langue d’où il provient, il servait à désigner des peuples dont la civilisation était fort avancée.
[181] … Diffidens quidem Francis, magisque se credens Germanis… Ommnisque Germania eo confluxit, imperatori auxilio futura. (Vita Ludovici Pii, cap. XLV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VI, p. 111.)
Peu de temps après, la Germanie elle-même, jusqu’alors si fidèle à l’empire, sépara sa cause nationale de celle des nouveaux césars. Lorsque Lodewig Ier, en mourant, eut laissé la domination franke partagée entre ses trois fils, Lother, Lodewig et Karl, quoique le premier eût le titre d’empereur, les nations teutoniques s’attachèrent davantage au second, qui n’était que roi. Bientôt la question de la prééminence de l’empire sur les royaumes se débattit à main armée entre les frères ; et, dès le commencement de la guerre, les Franks orientaux, les Alamans, les Saxons et les Thuringiens prirent parti contre le Keisar[182].
[182] C’est ainsi que les Franks orthographiaient le nom de césar, qu’ils employaient pour empereur. En allemand moderne, on écrit Keiser.
Réduit, en fait, au gouvernement de l’Italie, de l’Helvétie, de la Provence et d’une petite portion de la Gaule Belgique, l’empereur Lother eut aussi peu de partisans sur les bords du Rhin et de l’Elbe que sur ceux de la Seine et de la Loire. « Sachez, » mandait-il à ses frères qui le priaient de les laisser en paix chacun dans son royaume, « sachez que le titre d’empereur m’a été donné par une autorité supérieure, et considérez quelle étendue de pouvoir et quelle magnificence doivent accompagner un pareil titre[183]. » Cette réponse altière était, à proprement parler, un manifeste contre l’indépendance nationale dont les peuples sentaient le besoin ; ils y répondirent d’une manière terrible par cette fameuse bataille de Fontanet, près d’Auxerre, où les fils des Welskes et des Teutskes combattirent sous les mêmes drapeaux, pour le renversement du système politique fondé par Karl le Grand. L’espèce de recueillement religieux avec lequel l’armée des confédérés se prépara à ce combat, comme au jugement de Dieu, prouve que, dans la conviction des contemporains, il devait s’y décider autre chose qu’une querelle domestique.
[183] … Mandat fratribus suis, quoniam scirent illi imperatoris nomen magna auctoritate fuisse impositum… (Nithardi Hist., lib. II, cap. X, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 22.)
« Tout espoir de justice et de paix paraissant enlevé, Lodewig et Karl firent dire à Lother que, s’il ne trouvait rien de mieux, il eût à recevoir leurs propositions, sinon qu’il sût que le lendemain même, à la deuxième heure du jour, ils en viendraient au jugement de Dieu tout-puissant. Lother, selon sa coutume, traita insolemment les envoyés, et répondit qu’on verrait bien ce qu’il savait faire. Au point du jour, Lodewig et Karl levèrent leur camp, et occupèrent, avec le tiers de leur armée, le sommet d’une hauteur voisine du camp de Lother : ils attendirent son arrivée et la deuxième heure du jour, comme les envoyés l’avaient juré. A cette heure, en effet, un grand et rude combat s’engagea sur les bords d’une petite rivière… Lother, vaincu, tourna le dos avec tous les siens… Après l’action, Lodewig et Karl délibérèrent, sur le champ de bataille même, sur ce qu’on devait faire des fuyards. Les uns, remplis de colère, conseillaient de poursuivre l’ennemi ; les autres, et en particulier les deux rois, prenant pitié de leur frère et de son peuple, étaient d’avis de leur témoigner en cette occasion la miséricorde de Dieu. Le reste de l’armée y ayant consenti, tous cessèrent de combattre et de faire du butin, et rentrèrent dans leur camp vers le milieu du jour. Ils résolurent de passer le lendemain, qui était un dimanche, en cet endroit. Et ce jour-là, après la célébration de la messe, ils enterrèrent également amis et ennemis, fidèles et traîtres, et soignèrent également tous les blessés selon leur pouvoir. Ils envoyèrent après ceux qui s’étaient enfuis leur dire que, s’ils voulaient retourner à leur foi, toute offense leur serait pardonnée. Ensuite les rois et l’armée, affligés d’en être venus aux mains avec un frère et avec des chrétiens, interrogèrent les évêques sur ce qu’ils devaient faire à cause de cela. Tous les évêques se réunirent en concile, et il fut déclaré dans cette assemblée qu’on avait combattu pour la seule justice, que le jugement de Dieu l’avait prouvé manifestement, et qu’ainsi quiconque avait pris part à l’affaire, soit par conseil, soit en action, comme instrument de la volonté de Dieu, était exempt de tout reproche ; mais que si quelqu’un, au témoignage de sa propre conscience, avait conseillé ou agi dans cette guerre par colère, ou haine, ou vaine gloire, ou quelque autre vice, il devait avouer sa faute en confession, et faire la pénitence qui lui serait imposée[184]… »
[184] Nithardi Hist., lib. II et III, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 22 et 23.
Cette alliance formée entre deux grandes masses d’hommes, qui, par une circonstance bizarre, ne s’unissaient momentanément qu’afin d’être à l’avenir séparés d’une manière plus complète, fut confirmée l’année suivante (842) par des serments publics. Louis et Charles se réunirent à Strasbourg avec leurs armées, dont l’une était composée d’hommes de toutes les tribus teutoniques, l’autre de Gaulois septentrionaux, commandées par des seigneurs franks, et de méridionaux, sous des chefs indigènes. Afin de prouver au peuple que la guerre où ils étaient engagés de nouveau ne serait pas un jeu politique, les deux rois se jurèrent mutuellement de maintenir, contre l’empereur, la séparation nationale, et de ne point faire de paix avec lui au détriment l’un de l’autre. Louis, comme l’aîné, prit le premier la parole en présence des deux armées, et prononça en langue tudesque[185] le discours suivant :
[185] Teudisca lingua. (Nithardi Hist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 22 et 23.)
« Vous savez combien de fois, depuis la mort de notre père, Lother s’est efforcé de poursuivre et de faire périr moi et mon frère ici présent. Puisque ni la fraternité, ni la chrétienté, ni aucun moyen, n’ont pu faire qu’il y eût paix entre nous sans blesser la justice, contraints enfin, nous avons remis la chose au jugement de Dieu tout-puissant, afin que chacun de nous se contentât de ce que sa volonté lui attribuerait. Dans ce combat, comme vous le savez, et par la miséricorde de Dieu, nous avons été vainqueurs. Lui, vaincu, s’est réfugié avec les siens où il a pu. Alors, émus d’amitié fraternelle et compatissant aux maux du peuple chrétien, nous n’avons pas voulu les poursuivre et les détruire ; mais, de même qu’auparavant, nous avons demandé que chacun fût assuré dans ses justes droits. Néanmoins, n’acceptant point l’arrêt de Dieu, il ne cesse de poursuivre à main armée mon frère et moi : il désole notre peuple par des incendies, des rapines et des meurtres. C’est pourquoi, forcés par la nécessité, nous nous réunissons aujourd’hui ; et parce que nous craignons que vous ne doutiez de la sincérité de notre foi et de la solidité de notre union fraternelle, nous avons résolu de nous prêter serment l’un à l’autre en votre présence. Ce n’est point une ambition injuste qui nous fait agir ainsi ; mais nous voulons, si Dieu, par votre aide, nous donne enfin le repos, que l’avantage commun soit garanti. Si jamais, ce qu’à Dieu ne plaise, je violais le serment que j’aurais prêté à mon frère, je délie chacun de vous de toute soumission envers moi, et de la foi que vous m’avez jurée[186]. »
[186] Nithardi Hist., lib. III, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 26 et 27.
Après que Louis, tourné du côté de ceux dont la langue teutonique était l’idiome maternel, eut achevé cette harangue, Charles, se tournant vers l’armée gauloise, la répéta en langue romane[187]. Lorsque le roi des Gallo-Franks eut cessé de parler, celui des Teutons, élevant la voix, prononça le serment d’union contre Lother, non dans l’idiome des peuples qu’il gouvernait, mais dans celui des Gaulois, qui avaient besoin de prendre confiance dans la bonne foi de leurs nouveaux alliés. Voici la formule de ce serment, dont le langage, pour ne pas être d’une barbarie indéfinissable, doit être accentué à la manière des dialectes méridionaux :
[187] Cumque Karolus hæc eadem verba romana lingua perorasset… (Ibid., p. 27.) — De cette langue vulgaire des indigènes de la Gaule, qu’on appelait alors langue rustique romaine ou simplement romaine, sont sortis plus tard deux idiomes distincts : le roman provençal, parlé dans toutes les provinces situées au midi de la Loire, et le roman wallon, en usage au nord de ce fleuve, et d’où provient la langue française.
« Pro Deo amur, et pro christian poblo, et nostro commun salvament, dist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meo fradre Karlo, et in ajuda et in cadhuna cosa, si cum, om per dreit son fadra salvar dist, in o quid il mi altre si fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karl, in damno sit[188]. — Pour l’amour de Dieu et pour le peuple chrétien, et notre commun salut, de ce jour en avant, en tant que Dieu me donnera de savoir et de pouvoir, je soutiendrai mon frère Karl ici présent, par aide et en toute chose, comme il est juste qu’on soutienne son frère, tant qu’il fera de même pour moi. Et jamais avec Lother je ne ferai aucun accord qui de ma volonté soit au détriment de mon frère. » Ensuite Charles, parlant aux hommes d’origine teutonique, répéta la même formule traduite littéralement dans leur langue : « In Godes minna ind um tes christianes, folches ind unser beidero gealtnissi, fon thesemo dage framwordes, so fram so mir got gewissen inde mahd furgibit, so halde in tesan minan bruoder, soso man mit rehtu sinan bruoder scal[189]… »
[188] En lisant ce serment dans l’auteur qui le rapporte, il faut se rappeler que cet auteur était Frank de naissance, et qu’il a appliqué à la langue romane, qu’on n’écrivait guère alors, l’orthographe de sa propre langue. De là vient le grand nombre de terminaisons en o et en us qui donnent à cet échantillon du langage parlé en Gaule au neuvième siècle une physionomie antigrammaticale, celle d’un latin rempli de barbarismes et de solécismes. A l’époque de la seconde race, le son des voyelles germaniques, par une espèce d’adoucissement de la langue, avait cessé d’être aussi fort, aussi nettement distinct que dans l’idiome primitif. L’u avait quelquefois le son d’o fermé ; l’u et l’o sans accent se prononçaient eu, l’i avait le son d’e fermé, et l’a s’écrivait pour l’e dans les syllabes non accentuées. C’est pour cette raison qu’on trouve dans le texte roman les variantes Deo et Deu, amor et amur, in avant et en avant, io et eo, Karlo et Karle, ciste et cest, non et nun. Je crois que la prononciation probable répond à la manière suivante d’orthographier : pro Deu amor et pro christian poble et nostre commun salvament, d’est di en avant, en quant Deus saver et poder me donnet, et salvarai-ieu cest meon fradre Karle, etc.
[189] La preuve de l’irrégularité d’orthographe que j’ai remarquée dans le texte roman se trouve dans celui-ci, car il offre des permutations de voyelles et des variantes complétement analogues : indi et inde, fur et for, Lodhuig et Lodhuwig, dage et rehtu, oba et ob. Je pense que, quel qu’ait pu être le son de la langue teutonique à une époque antérieure, la prononciation de ce passage, dans la bouche de l’écrivain du neuvième siècle, devait répondre à l’orthographe suivante : in godes minne end um tes christianes folches end unser beidere gehaltnisse, fon theseme dage framwerdes, se fram so mir got gewissen ende mahd fergibet, so halde in tersen minem brueder, etc.
Les deux rois s’étant ainsi engagés solennellement l’un envers l’autre, les chefs dont l’idiome roman était la langue maternelle, ou l’un d’entre eux en leur nom, prononcèrent les paroles suivantes : « Si Loduuigs sagrament que son fradre Karlo jurat, conservat, et Karlus, meos sendra, de suo part non lo stanit, si io returnar non l’int pois, ne io, ne neuls cui eo returnar int pois in nulla ajuda contra Loduwig non li fuer[190]… — Si Lodewig garde le serment qu’il a prêté à son frère Karl, et si Karl, mon seigneur, de son côté, ne le tient pas, si je ne puis l’y ramener, ni moi ni aucun autre, je ne lui donnerai nulle aide contre Lodewig. » Les Teutons répétèrent la même formule, en changeant seulement l’ordre des noms : « Oba Karl then eid, then er sinemo bruoder Ludhuwige geswor, geleistit, ind Ludhuwig min herro then er imo geswor forbrichit[191]… »
[190] M. Raynouard, dans sa Grammaire romane, a fort bien expliqué pourquoi le nominatif, à l’exclusion de tous les autres cas du singulier, se terminait par un s dans les anciennes langues provençale et française. C’est pour cette raison qu’on trouve ici Lodewigs et Karlus ou Karles au nominatif, Lodewig et Karl au datif. Quant au mot sandra, le seul moyen de se rendre compte d’une pareille altération est de supposer que l’auteur frank, manquant de lettres dans son alphabet national pour rendre le son que les Français ont représenté par gn, et les Provençaux par nh, s’est servi par approximation de l’n suivi d’un d, et au lieu de segnier, a écrit sandra, mot que tout lecteur frank devait prononcer sendere. (Voyez Mémoires de l’Acad. des inscriptions et belles-lettres, t. XXVI, p. 638.)
[191] Nithardi Hist., lib. III, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 27.
Après la conclusion de ce traité d’alliance, il y eut des réjouissances et des fêtes militaires. On se plut surtout à mettre aux prises, dans un combat simulé, des guerriers qui appartenaient aux différentes nations que Charlemagne avait le plus souvent fait combattre les unes contre les autres, comme les Franks orientaux et les Bretons, les habitants des bords du Weser et ceux du pied des Pyrénées. En dépit des ressentiments nationaux, produits d’un côté par les invasions et de l’autre par les révoltes, la volonté de maintenir ce bon accord, qui devait leur procurer l’indépendance, était si forte dans l’esprit des peuples, qu’on n’apercevait plus la moindre trace de leur ancienne hostilité. Ils paraissaient bien mieux unis par leur intérêt mutuel qu’ils ne l’avaient été durant leur soumission au même pouvoir. « C’était un spectacle digne d’être vu, dit un contemporain, à cause de sa magnificence, et du bon ordre qui y régnait. Car, dans une si grande foule et parmi tant de gens de diverse origine, il n’y eut personne de blessé ou d’insulté, comme il arrive si souvent dans des réunions de gens de guerre peu nombreux et qui se connaissent[192]. »
[192] … Primum pari numero Saxonorum, Wasconorum, Austrasiorum, Britannorum… alter in alterum veloci cursu ruebat… Non enim quispiam in tanta multitudine ac diversitate generis… alicui aut læsionis aut vituperii quippiam inferre audebat. (Nithardi Hist., lib. III, cap. VI, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 27.)
Pendant ce temps, l’empereur Lother était à Aix-la-Chapelle, où il tenait sa cour en grande pompe, à la manière de Karl le Grand, pour essayer si l’appareil et l’ancien prestige de cette puissance ne lui gagneraient pas des partisans en Gaule et en Germanie. Il avait posté des corps de troupes pour arrêter les confédérés au passage de la Moselle ; mais à l’approche de l’armée ennemie tous ses soldats prirent la fuite ; et lui-même apprenant que ses deux frères marchaient sur la capitale de l’empire, il l’abandonna en grande hâte, après avoir enlevé le trésor et les ornements impériaux[193]. Suivi de peu de monde, il se rendit à Troyes, et de là à Lyon, pour se mettre en sûreté derrière le Rhône, et faire de nouvelles recrues d’Italiens et de Provençaux. Il ne tarda pas à sentir qu’aucune nation n’était disposée à se dévouer pour la cause de la prééminence impériale ; et, résolu de ne point courir les chances d’une nouvelle bataille, il envoya vers ses deux frères des messagers pour traiter de la paix.
[193] Annales Bertiniani, apud ibid., p. 61.
Les envoyés dirent « que le roi Lother, reconnaissant son offense envers Dieu et envers ses frères, ne voulait pas qu’il y eût de plus longues discordes entre les peuples chrétiens ; qu’il se contenterait à l’avenir du tiers du royaume, si les rois Lodewig et Karl accordaient seulement quelque chose en sus, à cause du nom d’empereur que lui avait donné leur père, et de la dignité impériale que leur aïeul avait ajoutée à la couronne des Francs[194] ; qu’autrement, ils lui laissassent au moins le tiers du royaume, en exceptant du partage le nord de l’Italie qui devait lui rester, l’Aquitaine pour Karl, et la Bavière pour Lodewig ; qu’alors, avec l’aide de Dieu, chacun d’eux gouvernerait de son mieux sa part ; qu’ils se porteraient mutuellement secours et amitié ; qu’ils maintiendraient leurs lois, chacun dans ses États, et qu’une paix éternelle serait conclue entre eux[195]. »
[194] Si vellent, aliquid illi supra tertiam partem regni propter nomen Imperatoris quod illi pater illorum concesserat, et propter dignitatem Imperii, quam avus regno Francorum adjecerat, augere facerent. (Nithardi Hist., lib. IV, cap. III, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 30.)
[195] Ibid.
La réserve de la haute Italie, le seul pays où l’empereur eût des partisans liés à sa cause par une sorte d’esprit national, donna lieu, dans le traité définitif, à un partage assez bizarre sous le rapport géographique, mais qui remplit l’objet de la guerre, en séparant, d’une manière invariable, l’intérêt de la Gaule, comme puissance, de celui de la Germanie. Cent dix commissaires furent employés au démembrement de l’empire. Toute la partie de la Gaule située à l’ouest de l’Escaut, de la Meuse, de la Saône et du Rhône, avec le nord de l’Espagne jusqu’à l’Èbre, fut laissée au roi Charles surnommé le Chauve. Les pays de langue teutonique jusqu’au Rhin et aux Alpes furent donnés en partage à Louis. Lother réunit à l’Italie toute la partie orientale de la Gaule, comprise, au sud, entre le Rhône et les Alpes, au nord, entre le Rhin et la Meuse, et entre la Meuse et l’Escaut jusqu’à l’embouchure de ces fleuves. Cette longue bande de territoire, comprenant quatre populations et quatre langues différentes, formait une division entièrement factice et de nature à ne pouvoir se perpétuer ; tandis que les deux autres divisions, fondées sur la distinction réelle des races et des existences nationales, devaient se prononcer de plus en plus. Il est probable que c’est alors que s’introduisirent dans le langage les dénominations de nouvelle France, pour désigner le royaume de Karl, et d’ancienne France, pour désigner celui de Lodewig[196]. Quant au royaume de Lother, trop morcelé pour prendre le titre d’aucune ancienne division politique, on le désigna simplement par le nom de famille de ses chefs. Ce nom resta dans la suite attaché à une partie des provinces septentrionales de l’ancienne Gaule, qu’on appelait en langue tudesque Lotheringherike, royaume des enfants de Lother, et en latin Lotharingia, dont nous avons fait Lorraine.
[196] Francia nova… Francia quæ dicitur antiqua… (Monachus Sangallensis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. V, p. 115 et 116.) — Les Saxons établis en Angleterre donnaient pareillement le nom d’ancienne Saxe, Eld-Saxne, au pays dont leurs aïeux avaient émigré. Il est probable qu’en langue franke, le mot Alt-Franken remplaça dès lors celui d’Ost-Franken, ou Franks orientaux.
Cette révolution, dont les historiens modernes ne parlent qu’avec le ton du regret, fut une cause de joie pour les peuples, qui s’applaudissaient de leur ouvrage, mais affligea, comme il arrive toujours, ceux qui, par intérêt ou par système, tenaient au gouvernement établi. Quelques esprits assez éclairés pour l’époque, mais incapables de concevoir la nécessité des réactions politiques, et qui croyaient que les nations ne pouvaient survivre à la monarchie, furent saisis d’une profonde tristesse, et désespérèrent de tout, parce qu’il y avait trois royaumes au lieu d’un. Un diacre de l’église métropolitaine de Lyon écrivit alors, sur le démembrement de l’empire, une complainte en vers latins, dont quelques passages offrent l’expression naïve des sentiments de ceux qui avaient rêvé l’éternité du système de Karl et de la soumission des peuples méridionaux au gouvernement tudesque :
« Un bel empire florissait sous un brillant diadème ; il n’y avait qu’un prince et qu’un peuple ; toutes les villes avaient des juges et des lois. Le zèle des prêtres était entretenu par des conciles fréquents ; les jeunes gens relisaient sans cesse les livres saints, et l’esprit des enfants se formait à l’étude des lettres. L’amour d’un côté, de l’autre la crainte, maintenaient partout le bon accord : aussi la nation franke brillait-elle aux yeux du monde entier. Les royaumes étrangers, les Grecs, les Barbares et le sénat du Latium lui adressaient des ambassades. La race de Romulus, Rome elle-même, la mère des royaumes, s’était soumise à cette nation : c’était là que son chef, soutenu de l’appui du Christ, avait reçu le diadème par le don apostolique. Heureux s’il eût connu son bonheur, l’empire qui avait Rome pour citadelle et le porte-clefs du ciel pour fondateur[197] ! Déchue maintenant, cette grande puissance a perdu à la fois son éclat et le nom d’empire ; le royaume naguère si bien un est divisé en trois lots, il n’y a plus personne qu’on puisse regarder comme empereur ; au lieu de roi on voit un roitelet, et au lieu de royaume, un morceau de royaume. Le bien général est annulé ; chacun s’occupe de ses intérêts : on songe à tout ; Dieu seul est oublié. Les pasteurs du Seigneur, habitués à se réunir, ne peuvent plus tenir leurs synodes au milieu d’une telle division. Il n’y a plus d’assemblée du peuple, plus de loi ; c’est en vain qu’une ambassade arriverait là où il n’y a point de cour. Que vont devenir les peuples voisins du Danube, du Rhin, du Rhône, de la Loire et du Pô ? Tous, anciennement unis par les liens de la concorde, maintenant que l’alliance est rompue, seront tourmentés par de tristes dissensions. De quelle fin la colère de Dieu fera-t-elle suivre tous ces maux ? A peine est-il quelqu’un qui y songe avec effroi, qui médite sur ce qui se passe, et s’en afflige : on se réjouit au milieu du déchirement de l’empire, et l’on appelle paix un ordre de choses qui n’offre aucun des biens de la paix[198]. »
(Flori diac. Lugdun. Querela de divisione imperii, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 302.)
(Ibid., p. 303 et seq.)
L’impression une fois donnée pour la séparation des différents intérêts nationaux, le mouvement des masses ne s’arrêta pas ; et quand il n’y eut plus d’empire, commença le démembrement des royaumes où se trouvaient associées ensemble des populations diverses d’origine et de langage. La nouvelle France était dans ce cas : elle comprenait trois grandes divisions, la France proprement dite, la Bretagne et l’Aquitaine, qui avaient pu se réunir ensemble pour secouer le joug de l’empire, mais qui n’en demeuraient pas moins séparées par d’anciennes distinctions nationales. Les Bretons, ennemis naturels des Gallo-Franks, et ne voulant pas plus être gouvernés par eux que par les Franko-Teutons, reprirent aussitôt leurs hostilités. Ils envahirent tout le pays voisin du leur jusqu’à la Loire et à la Villaine, battirent en plusieurs rencontres les armées de Charles le Chauve, et ne firent de paix avec lui que lorsqu’il leur eut garanti leurs conquêtes et reconnu leur chef comme roi, en leur envoyant de son trésor le sceptre et la couronne[199]. Après les Bretons, ce furent les Aquitains, ou gens de la langue romane méridionale, qui s’insurgèrent et travaillèrent à se détacher de la nouvelle France aussi complétement qu’ils l’étaient de l’ancienne. D’un autre côté, les Provençaux, distingués aussi, par leur dialecte, des nations qui habitaient au delà des Alpes, se révoltèrent dans le même but contre le roi Lother et ses enfants. Les villes de Toulouse et de Vienne, qui étaient le principal foyer de ce nouveau mouvement national, furent plus d’une fois assiégées, prises et reprises tour à tour par les armées des rois et par les partisans de l’insurrection[200]. Enfin, en l’année 888, après quarante-cinq ans de nouvelles guerres, qui, dans leurs scènes variées et confuses, présentèrent plus d’une fois les Gaulois méridionaux ligués avec la puissance des Germains contre celle des Gaulois du nord, arriva le démembrement final auquel tout avait tendu depuis la mort de Karl le Grand.
[199] Voyez le tome VII du Recueil des historiens des Gaules et de la France, passim, aux années 851 et suivantes.
[200] Voyez le tome VII du Recueil des historiens des Gaules et de la France, passim, aux années 860-888.
Si le principe le plus actif de cette révolution fut la répugnance mutuelle des races d’hommes associées mais non fondues ensemble par la conquête, son résultat ne pouvait être une division absolue d’après la descendance ou l’idiome, une sorte de triage à part de toutes les familles humaines que le flot des invasions avait jetées çà et là au milieu de familles étrangères ; tout devait se dénouer et se dénoua en effet d’une manière plus large et moins complexe. La race dominante quant au nombre, dans chaque grande portion de territoire, forma comme un centre de gravitation dont les différentes minorités n’eurent pas le pouvoir de se détacher. Ainsi le système des lois personnelles, loin d’être rétabli dans son ancienne force, reçut au contraire le premier coup par la fondation de nouveaux États où la nationalité résultait non d’une complète unité d’origine, mais de l’unité territoriale et des convenances géographiques.
L’Italie, séparée de ses anciennes annexes, et bornée par la chaîne des Alpes, devint un royaume à part, que se disputèrent des prétendants de race germanique, mais naturalisés italiens depuis plusieurs générations[201]. Tout le pays compris entre les Alpes, le Jura et les sources du Rhin, forma, sous le nom de Burgondie ou Bourgogne supérieure, un nouveau royaume, dont la capitale était Genève, et dont les chefs se faisaient couronner au couvent de Saint-Maurice en Valais. Un troisième royaume, sous le nom de Bourgogne inférieure ou cisjurane, eut pour limites le Jura, la Méditerranée et le Rhône. Un roi d’Aquitaine, dont le pouvoir et les prétentions s’étendaient de la Loire aux Pyrénées, fut inauguré à Poitiers. Entre le Rhin, la Meuse et la Saône, on vit s’élever le petit royaume des Lotheringhe ou de Lorraine. Enfin, entre les frontières de ces différents États et celles de la basse Bretagne, se trouva resserrée, d’une manière fixe, la puissance dont le territoire conserva depuis lors le nom de France, à l’exclusion de tous ceux auxquels ce nom avait appartenu autrefois[202].
[201] Le duc de Spolète et le duc de Frioul, que les hommes de langue teutonique appelaient Wido et Berengher, mais qu’on nommait en Italie Guido et Beringhiero.
[202] Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. VII et VIII, passim.
De ce dernier démembrement de l’empire des Franks date, à proprement parler, l’existence de la nation française ; et tous les faits qui s’y rapportent, loin d’être envisagés avec dégoût comme des événements funestes, devraient être recherchés soigneusement et détaillés avec intérêt, car c’est sur eux que reposent véritablement les bases de notre histoire. Nos anciennes institutions, nos mœurs et notre langue sont un produit de deux révolutions politiques par lesquelles ont été séparés l’un de l’autre, d’abord les pays de langue romane et de langue tudesque, ensuite ceux de la langue d’oui et de la langue d’oc. Le berceau du peuple français n’est ni la patrie des Franks au delà du Rhin, ni la Gaule dans toute son étendue, mais le pays d’entre Meuse et Loire. La position centrale du royaume compris entre ces limites devait lui fournir à la longue les moyens d’envahir et de s’assimiler en quelque sorte les États formés autour de lui sur l’ancien territoire gaulois. Tous les gouvernements qui se succédèrent en France depuis le dixième siècle, quelque différents qu’ils aient été par leur constitution et le degré de leur puissance extérieure, tendirent également à ce but. Il ne fut atteint complétement qu’après bien des siècles ; et de toutes les réunions territoriales opérées soit par la guerre, soit par la politique et les alliances, sortit enfin la nation actuelle, diverse d’origine, non-seulement pour ce qui regarde le mélange des Franks et des Gaulois, mais à cause de la différence primitive des souverainetés, des langues et des traditions provinciales.