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Lettres sur l'histoire de France

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LETTRE XXIII
Suite de l’histoire de la commune de Vézelay.

Ce n’était pas tout pour la commune de Vézelay d’être constituée par le serment mutuel de ses membres et par la nomination de ses magistrats ; elle avait avec l’abbaye, propriétaire du sol, des rapports qu’on ne pouvait rompre et qu’il fallait régler pacifiquement ; ce fut le premier souci des consuls. Ils songèrent à négocier pour obtenir de l’abbé Pons une remise sur ses droits domaniaux, remise par laquelle aurait lieu le partage des droits qui devaient subsister comme anciens et inhérents au domaine, et de ceux qui, abandonnés à la ville, seraient pour elle une première source de revenus communs. Il y avait alors à Vézelay deux légats du saint-siége, venus pour pacifier la querelle entre le comte de Nevers et l’abbaye[487] ; c’est à eux que les chefs de la commune, s’appuyant de l’autorité dont ils venaient d’être investis, s’adressèrent d’abord en sollicitant leur entremise[488]. Mais admis auprès des cardinaux, les consuls de Vézelay ne reçurent d’eux qu’une réponse adroitement évasive. Alors, n’espérant plus d’intermédiaire, ils se présentèrent devant l’abbé et lui firent directement leurs demandes au nom de la justice et de la paix. Ils le trouvèrent calme d’esprit, modéré de langage, mais inébranlable dans son refus de rien accorder tant que subsisterait la commune. « Vous abusez, leur dit-il, de la force que vous donne votre coupable confédération ; je ne vous ferai aucune remise, maintenant que vous avez le pouvoir de m’y contraindre. Mais si vous renoncez au mauvais pacte que vous avez fait, ce n’est pas une réduction seulement, c’est l’abandon entier de mes droits que vous aurez lieu d’attendre de ma mansuétude pour vous[489]. » A cette proposition, qui dut leur sembler dérisoire, les magistrats municipaux, élevant la voix, s’écrièrent : « Nous n’en ferons rien, nous entrerons plutôt en révolte armée contre l’église[490]. »

[487] Jean, cardinal légat en Angleterre, et Jordan, cardinal légat en Gaule.

[488] Ingressi denique majores natu, quique capita populi esse videbantur ad cardinales, freti auctoritate perfidiæ suæ postulabant remitti sibi quasdam consuetudines, quas novitatis et tyrannidis esse dicebant… (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 529, col. 2.) — Le sens des mots majores natu et auctoritate perfidiæ suæ est éclairci par cet autre passage du même historien : Misit itaque tyrannus majoribus conspiratæ proditionis, et futuræ concordiæ jussit eos interesse. (Ibid., p. 531, col. 2.) L’auteur, ennemi de la commune, affecte de ne pas la nommer et la désigne vaguement par les mots conspiration, trahison, perfidie.

[489] Verum si funditus relinquatis quod male pasti estis, non tantum remissionem, sed et condemnationem, uti nostram mansuetudinem decet, merebimini. (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 530, col. 1.)

[490] Ibid.

Ne pouvant obtenir de gré à gré ce qui lui était nécessaire pour fonder sa propriété collective, la commune de Vézelay fut réduite à se faire elle-même sa part de droits sur le domaine seigneurial. Des assemblées, soit du consulat, soit de la bourgeoisie entière, qui se tenaient de jour et même de nuit, selon l’urgence des mesures à prendre, décidèrent cette prise de possession. Plusieurs fermes du monastère, déclarées biens communaux, furent envahies, et une partie de ses revenus fut transportée à la ville[491]. Ce que de pareils actes avaient en soi de violent se trouva encore aggravé par l’inexpérience administrative des chefs de la commune et par l’effervescence populaire. Il y eut des destructions de meubles et d’immeubles, des dévastations, des pillages, tous les genres d’excès qui accompagnent les révolutions grandes ou petites[492]. Enfin l’esprit de vengeance contre le pouvoir qu’on venait de briser devenant chez quelques-uns de la fureur, un complot se forma dans la ville pour tuer l’abbé s’il sortait du couvent.

[491] … Invaserunt colonias, etiam monasterii jura sive debitos redditus usurpaverunt… Et erant per dies et noctes consilia in conciliabulis malignantes… (Ibid., col. 2.) — L’historien mêle ces faits d’usurpation de biens avec d’autres violences qui n’eurent lieu que postérieurement, telles que la profanation de l’église et le blocus du monastère ; mais une lettre du pape Adrien IV au roi Louis VII établit clairement l’ordre des circonstances : il y eut d’abord saisie de terres et de revenus, les actes de sacrilége ne vinrent qu’après la sentence d’excommunication. (Voyez ci-après, p. 386.)

[492] … Domos plurimas ecclesiæ diruerunt, prædia, molendinos, omnemque supellectilem diripuerunt, mobilibus et immobilibus furia invecti non pepercerunt… (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 530, col. 1.) — Une note des ravages faits dans les domaines de l’abbaye, et des bourgeois qui y participèrent, se trouve jointe au manuscrit de l’histoire de Hugues de Poitiers, conservée sous le no 106 dans la bibliothèque publique d’Auxerre. Cette curieuse liste de noms a été publiée pour la première fois dans le Bulletin de la Société des sciences de l’Yonne, 1848, p. 544.

Pendant que ces choses se passaient, un commencement de négociation avait lieu entre les cardinaux et le comte de Nevers, et des conférences pour l’examen de la querelle étaient fixées à Chablis. Quand le jour de s’y rendre fut arrivé, les deux légats quittèrent Vézelay avec de grandes appréhensions, emmenant l’abbé, qu’ils firent placer entre eux pour lui servir de sauvegarde[493]. Les conférences de Chablis n’eurent aucun succès ; le comte ne voulut rien céder de ses prétentions et repoussa toute espèce d’arrangement malgré les menaces d’excommunication que lui faisaient les cardinaux. L’abbé Pons, après cette tentative inutile, ne reprit point le chemin de Vézelay ; il se dirigea vers le monastère de Cluny, où il reçut l’hospitalité. Dans cette retraite, il se mit à travailler activement contre la commune qui avait répudié son pouvoir et qui usurpait ses domaines ; il écrivit au roi, aux archevêques et aux principaux évêques de France pour solliciter leur appui. Il invita le pape à écrire lui-même au roi Louis le Jeune, et détermina, par ses instances, le légat pontifical des Gaules à prononcer l’excommunication contre les bourgeois de Vézelay[494].

[493] … Cardinales egressi sunt cum magno tremore, medium abbatem deducentes ob infidelium conspirationem, qui mortem illius devoverant. (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 530, col. 1.) — Hugues de Poitiers place le départ de l’abbé avant la saisie et le pillage des domaines de l’abbaye par les bourgeois : Et cognito quod clam ab eis declinaverit abbas… (Ibid., col. 2.) Mais la lettre déjà citée du pape Adrien IV témoigne contre lui à cet égard : … Diripere bona ecclesiæ, et ipsum quoque abbatem exinde expellere præsumserunt… (Ibid., lib. I, p. 516, col. 2.)

[494] … Visum est cardinalibus ita ut abbas implorabat expedire. Data ergo sententia, malefactores illos atque sacrorum violatores, suique proditores, a corpore Christi, quod est Ecclesia catholica, anathematis gladio præciderunt… (Ibid., lib. III, p. 530, col. 2.)

L’ordre de promulguer cette sentence étant parvenu aux prêtres des églises paroissiales du bourg, ils se réunirent dans celle de Saint-Pierre, et firent leur publication devant une grande foule de peuple. Selon la teneur de l’arrêt, il y avait anathème lancé nominativement contre les chefs de la révolte et les principaux de la commune ; le reste des habitants était soumis en masse à l’interdiction des offices et des sacrements de l’Église, qui devaient cesser dans la ville, sauf le baptême des enfants nouveau-nés et la confession des mourants. Cette lecture, écoutée avec stupeur par la plus grande partie des assistants, excita chez les autres une colère furieuse. Ils se précipitèrent sur le prêtre qui venait de proférer la sentence, et ils l’auraient mis à mort, si des personnes plus calmes ne l’avaient aidé à se réfugier près de l’autel[495]. Le lendemain, ce même prêtre eut le courage d’enlever les deux battants des portes de l’église et d’obstruer le passage avec des ronces, ce qui était le signe de l’interdit ; mais Hugues de Saint-Pierre et un autre bourgeois, tous deux probablement magistrats municipaux, firent ôter les ronces et rétablir les portes[496].

[495] Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., p. 530, col. 1.

[496] Sequenti denique die, quum sublatis valvis aditum ecclesiæ ipsius spinis obstruxisset ; incentores omnis malitiæ Hugo et Petrus, uterque de Sancto-Petro cognominatus, abstulerunt spinas, et valvas restituerunt. (Ibid.)

Ce jour-là il y eut dans toute la ville de grandes clameurs contre les moines de Sainte-Madeleine, restés, en l’absence de leur abbé, sous le gouvernement d’un prieur. Plusieurs bourgeois pénétrèrent de force dans le monastère, et, entrant avec bruit dans l’appartement du prieur, ils l’accablèrent d’invectives, s’en prenant à lui de leur excommunication et le sommant de leur accorder une trêve. Le prieur répondit qu’il n’avait pas qualité pour les absoudre d’une sentence portée par le légat du siége apostolique, et que d’ailleurs il lui était impossible de faire aucune convention avec eux sans l’ordre exprès de l’abbé, son supérieur. Les bourgeois redoublèrent d’emportement et s’écrièrent : « Puisque vous nous excommuniez contre toute justice, nous agirons en excommuniés, et désormais nous ne vous payerons plus ni dîmes, ni cens, ni aucune rente quelconque[497]. »

[497] … Unanimiter responderunt : « Quia, inquiunt, nos excommunicatis immeritos, faciemus ut excommunicati videamur. Decimas itaque et censum, seu alios reditus consuetos, jam amplius vobis non persolvemus. » (Ibid., p. 531, col. 1.)

Quelle que fût la véhémence de leurs passions politiques, les habitants de Vézelay n’en étaient pas moins accessibles aux craintes et aux scrupules religieux. Profondément affectés de se voir sous le poids de la plus grave des censures ecclésiastiques, et d’être privés, sans recours prochain, des sacrements et des grâces de l’Église, ils envoyèrent au comte de Nevers pour se plaindre, et lui demander s’il ne pourrait pas les faire relever de l’arrêt d’excommunication. Mais le comte, qui commençait à être lui-même inquiété par les menaces et les messages des cardinaux, répondit avec brusquerie : « Je n’y puis absolument rien, et s’il leur plaît ils en feront tout autant contre moi[498]. » Les députés de la ville, interdits à cette réponse, gardèrent un moment le silence, puis reprenant la parole : « Où donc moudrons-nous notre blé, dirent-ils, où donc ferons-nous cuire notre pain, si les meuniers et les fourniers de l’abbaye ne veulent plus communiquer avec des excommuniés ? — Eh bien, reprit le comte, allez au four banal, chauffez-le avec votre bois, et si quelqu’un veut s’y opposer, jetez-le tout vivant dans le four ; quant au meunier, s’il fait résistance, écrasez-le vif sous sa meule[499]. »

[498] Quibus ille : « Non possum, inquit, aliud : ita etiam de me facient si voluerint. » (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., p. 531, col. 1.)

[499] … Ite, et de lignis vestris clibanum succendite, et coquite. Si quis obstiterit, vivum incendite : sed et si molinarius obstat, vivum similiter mola comminuite. (Ibid.)

En effet, les membres de la nouvelle commune, tout affranchis qu’ils étaient par leur constitution municipale, se trouvaient encore sous la dépendance du manoir abbatial, à cause de leur longue habitude de n’avoir ni moulins, ni fours, ni pressoirs particuliers. Ces différentes industries avaient été jusque-là exercées au profit de l’abbaye par ses serviteurs, clercs ou laïques, et comme il fallait du temps pour qu’un changement total se fît à cet égard, les bourgeois furent obligés d’entrer en querelles journalières avec les moines et leurs gens. Dans ces disputes et dans d’autres conflits amenés par la seule haine, les serviteurs étaient tués ou chassés de leurs maisons, et les moines accablés d’injures et de coups[500]. Le prieur, ne voyant plus pour les siens d’autre recours que dans la générosité du comte de Nevers, le supplia de s’interposer entre la commune et l’abbaye, et de faire que les bourgeois, devenus libres, consentissent à user de modération. Mais le comte, avec une dureté de paroles qui ne laissait pas la moindre espérance, répondit : « Ils ont bien fait ; pourquoi votre abbé les a-t-il excommuniés ? » Et il ajouta : « Je voudrais que vous fussiez tous partis et que votre couvent fût renversé de fond en comble. » Puis, arrachant un poil de la fourrure qui doublait son justaucorps, il dit du ton le plus insolemment dédaigneux : « Quand toute la montagne du Vézelay devrait être abîmée dans un gouffre, je ne donnerais pas cela pour l’empêcher[501]. »

[500] … Ita factum est, ut quidquid vellent damni, injuriæ, adversitatis, monasterio inferrent, pueros ecclesiæ de domibus suis expellerent, verberibus afficerent, et cum magna jactantia se adeo afflicturos monachos devoverent, quod absolutionem ipsorum pedes requirerent. (Ibid., p. 354, col. 1.)

[501] … Ille prava et perversa promittens, eos bene fecisse respondit, et exaggerando proloquutus sic dicebat… et monasterium funditus esset dirutum ! quare excommunicavit eos ? Et abstracto pilo vestis qua operiebatur, addidit : « Si mons Vizeliaci totus in abyssum usque foret præcipitatus, pilum istum non darem. » (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., p. 354, col. 1.)

Vers le même temps, un des bourgeois nominativement désignés dans la sentence d’excommunication étant mort sous l’anathème, ses concitoyens l’enterrèrent sans l’assistance d’aucun prêtre, menant le corps à sa sépulture, et sonnant les cloches pendant la marche du convoi[502]. Familiarisés en quelque sorte avec cette excommunication qui leur avait paru si redoutable, ils s’emparèrent de l’église de Sainte-Madeleine et en firent leur citadelle et leur arsenal, plaçant dans les deux tours une garde, des provisions et des armes. De ce poste, ils surveillaient les moines et les tenaient comme assiégés dans les bâtiments de l’abbaye, d’où personne ne pouvait sortir sans leur permission et sans être accompagné[503]. Ils ne se contentèrent bientôt plus de ces précautions, et comme le monastère était un château fort, ils en abattirent les clôtures et les murailles extérieures[504]. Tous ces faits, extrêmement graves dans un temps où le respect pour les choses religieuses était poussé si loin, s’aggravaient encore par les récits inexacts qu’on en faisait dans les villes voisines et à la cour du roi de France. On disait que les moines, attaqués à main armée par les bourgeois, avaient soutenu un siége en forme dans les tours de leur église ; que, durant ce long siége, le pain leur ayant manqué, ils avaient été contraints de manger de la viande, et de violer ainsi la règle de leur ordre[505].

[502] Accidit autem ut quemdam sub anathemate defunctum ipsi absque sacerdote signa pulsantes sepelirent… (Ibid., t. II, p. 531, col. 1 et 2.)

[503] … Sententiam super eos datam tanquam pro nihilo habebant, et minime ab ingressu ecclesiæ sanctæ sese cohibebant… (Ibid., col. 1.) — Mox sacrosancto violato templo occupaverunt turres ejus, ponentes in eis custodes et escas et arma… servos Dei monachos et dominos suos turpiter injuriaverunt, et bonis omnibus privatos, atque omni humano destitutos auxilio, infra muros monasterii recludentes abdiderunt, ut absque externo conductu quoquam progredi nemini liceret. (Ibid., p. 530, col. 2.)

[504] … Mœnia vel clausuras monasterii solo tenus confregerunt… (Ibid.) — Ces actes de sacrilége, que le récit de Hugues de Poitiers place avant l’excommunication, lui sont évidemment postérieurs. J’ai suivi à cet égard un témoignage officiel, la lettre du pape Adrien IV au roi Louis VII, qui, après avoir rappelé comme des faits déjà anciens le pillage des biens de l’abbaye, la fuite de l’abbé et l’anathème prononcé contre les bourgeois, ajoute : « Nuper etiam in ipsam ecclesiam facto impetu irrumpentes, fregerunt portas… » (Hist. Vizeliac. monast., lib. I, apud Luc d’Achery, Spicileg., p. 516, col. 2.)

[505] Hist. Ludovici VII, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 132.

Ces nouvelles faisaient grand bruit, et l’on en parlait dans différents sens. Chacun, selon son état ou ses affections personnelles, prenait parti soit pour l’abbé Pons, soit pour le comte de Nevers et la commune de Vézelay. Le comte avait pour amis et pour soutiens de sa cause plusieurs évêques qui n’aimaient pas les établissements religieux affranchis de la juridiction ordinaire et soumis immédiatement au saint-siége ; il était même favorisé en secret par l’abbé de Cluny, jaloux, à ce qu’il paraît, pour son couvent, de la célébrité de celui de Vézelay. Cette circonstance détermina l’abbé Pons à quitter Cluny pour se rendre à la cour du roi Louis VII, qui alors résidait à Corbeil[506]. L’abbé se présenta devant le roi et fit sa plainte des vexations toujours croissantes que la commune de Vézelay exerçait contre son église. Déjà sollicité par les légats pontificaux à prendre parti dans cette affaire, le roi envoya l’évêque de Langres au comte de Nevers le sommer par sa foi comme vassal de conclure la paix avec l’église de Vézelay, d’abandonner les bourgeois et de dissoudre leur commune[507]. Le comte ne fit à cette sommation que des réponses évasives. Il ne changea rien à sa conduite, comptant sur son crédit auprès des conseillers du roi[508], et peut-être eût-il réussi à traîner les choses en longueur et à sauver la commune, sans l’arrivée d’une lettre pontificale adressée au roi par le pape Adrien IV, et contenant ce qui suit :

[506] … Et regem Ludovicum Corbeiæ demorantem celeriter adiit. Cui querelam suam deponens, super injusta inquietatione Vizeliacensis communiæ ei proclamavit. (Ibid.)

[507] … Lingonensem episcopum ad comitem Nivernensem, qui prædictam communiam manu tenebat, destinavit ; et mandavit ei ut pacem ecclesiæ reformaret, et communiam dissipari faceret. (Ibid.)

[508] Comes vero regio mandato obtemperare negligens, in sua perversitate homines Vizeliacenses perdurare non prohibuit. (Hist. Ludovici VII, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 132.)

« Adrien évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son très-cher fils en Jésus-Christ, Louis, illustre roi des Français, salut et bénédiction apostolique. Bien que tu étendes, ainsi que tu le dois, l’appui de ton pouvoir royal sur toutes les églises établies dans ton royaume, nous désirons que tu te montres d’autant plus zélé pour celle de Vézelay, qu’elle appartient plus spécialement au bienheureux Pierre, et que la perfidie de ses bourgeois lui fait souffrir de plus grands maux. Ta prudence n’ignore pas comment, il y a quelques années, ces bourgeois, avec l’aide du comte de Nevers, ont conspiré contre notre très-cher fils Pons, abbé de Vézelay ; comment ils ont osé s’emparer des biens de l’église et en expulser l’abbé lui-même : par quoi ils ont mérité d’être séparés du corps de Jésus-Christ et de la communion des fidèles. Récemment encore, se jetant sur l’église même, ils en ont forcé les portes ainsi que celles du monastère, pillé les habits et les provisions des moines, répandu leurs vins et enlevé les ornements de la sacristie ; enfin, par un dernier excès d’audace, ils ont maltraité violemment les moines eux-mêmes et les serviteurs de la maison[509]. Puisque leur malice n’a pu être arrêtée par le plus sévère des jugements ecclésiastiques, la répression en est réservée à tes mains, et c’est à ta force royale qu’il appartiendra de corriger ce que les censures canoniques n’ont pu amender jusqu’à ce jour. Nous prions donc ta magnificence, nous t’avertissons et t’exhortons au nom du Seigneur, nous t’enjoignons pour la rémission de tes péchés, de t’avancer vers Vézelay avec une armée, et de contraindre les bourgeois à abjurer la commune qu’ils ont faite, à rentrer sous la sujétion de notre cher fils l’abbé Pons, leur légitime seigneur, à restituer intégralement ce qu’ils ont pris, et à faire pleine réparation pour les dommages qu’ils ont causés. Nous t’enjoignons enfin d’exercer sur les auteurs de ces troubles une telle vindicte, que leur postérité n’ose plus dorénavant lever la tête contre son seigneur, ni commettre un semblable attentat contre le sanctuaire de Dieu[510]. »

[509] Nec enim ignorat tua prudentia, qualiter ab aliquot annis adversus dilectum filium nostrum Pontium Vizeliacensem abbatem favore Nivernensis comitis conspirati, diripere bona ecclesiæ, et ipsum quoque abbatem exinde expellere, præsumserunt : unde et corpore Domini, quod est ecclesia, fieri meruerunt extorres. Nuper etiam in ipsam ecclesiam facto impetu irrumpentes… (Hist. Vizeliac. monast., lib. I, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 316, col. 2.) — Cette lettre est datée du 20 mai 1155, ce qui donne trois ans passés depuis l’établissement de la commune.

[510] … Quatenus justitiæ zelo succensus, et afflictione supra dicti monasterii, ac nostris exhortationibus provocatus in manu valida Vizeliacum accedas et burgenses abjurare communiam quam fecerunt, et ad fidelitatem atque subjectionem dilecti filii nostri Pontii Vizeliacensis abbatis tanquam domini sui redire compellas ; ablata etiam eos restituere, et irrogata damna facias resarcire… (Hist. Vizeliac. monast., lib. I, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 316 col. 2.)

Les conseillers du roi Louis VII, peu empressés jusque-là de terminer une affaire qui devait leur attirer beaucoup d’argent de chacune des parties adverses, jugèrent qu’il fallait céder à l’injonction du chef de l’Église. On rassembla donc une armée, à la tête de laquelle se mit le roi en personne, accompagné de l’archevêque de Reims et de plusieurs autres prélats. Les troupes sortirent de Paris en l’année 1155, et se dirigèrent sur le comté de Nevers par la route de Fontainebleau[511]. Le comte, qui ne se croyait point assez fort pour soutenir la guerre contre le roi, envoya en grande hâte l’évêque d’Auxerre dire qu’il était prêt à exécuter tout ce que son seigneur déciderait au sujet de la commune de Vézelay, après l’avoir entendu, lui et les principaux de cette commune[512]. Le roi reçut ce message dans le bourg de Moret, à deux lieues de Fontainebleau, et il s’y arrêta pour attendre le comte de Nevers, qui ne tarda pas à venir. Plusieurs bourgeois de Vézelay, chargés de représenter leurs concitoyens, se rendirent aussi au même lieu. Quand les débats furent ouverts devant le roi et sa cour, l’abbé, comme plaignant, parla le premier. Il fit un récit sommaire de la révolte des habitants de Vézelay, des usurpations de la commune, des profanations et des violences faites ou tolérées par elle, et il demanda, contre les bourgeois solidairement, des dommages-intérêts pour toutes ses pertes, et justice entière des crimes commis durant la rébellion[513]. Le comte de Nevers, prenant la défense des accusés, s’exprima ainsi :

[511] Cujus contumacia auribus regis relata, ipse tantam indignationem comprimere digne cogitans, exercitum congregavit. Quo adunato, adversus prædictum comitem equitabat. (Hist. Ludovici VII, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 132.)

[512] Quod ille audiens, episcopum Autissiodorensem ad regem dirigens, mandavit ei quod secundum suam voluntatem de prædicta communia faceret. (Ibid.)

[513] Versi in seditionem homines isti qui præsto sunt mecum fratribus et pueris meis oppetierunt, fugatisque nobis et improvisis et insperatis, claustra monasterii violaverunt… rapinam bonorum omnium fecerunt, sanctuaria conculcantes contaminaverunt, cædem in monachos, et famulos nostros exercuerunt, et me ad mortem petierunt… Proinde adstans æqualitatis tuæ judicio, sanguinem meum et meorum, mortemque meam de manu istorum requiro… (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 532, col. 1 et 2.)

« On sait que la ville de Vézelay est peuplée de plusieurs milliers d’hommes de toute sorte, n’ayant pas les mêmes mœurs ni la même conduite, parce que la plupart sont des étrangers venus de différents lieux ; il serait donc injuste d’imputer à l’élite des indigènes, aux gens éprouvées en toute honnêteté, les excès que la multitude a pu commettre dans son emportement. Ce qu’il faut, sous le bon plaisir du roi, c’est que l’abbé désigne par leur nom ceux qu’il accuse de crimes, afin que les innocents soient absous et que justice soit faite des coupables[514]. » Ces paroles adroites, seul appui que le comte pût maintenant prêter à des hommes qui avaient tout osé, sur la foi de son patronage, furent vivement réfutées par les avocats de la partie adverse. « Les bourgeois de la haute classe, dirent-ils, sont aussi coupables que les autres, car leur devoir était de prendre en main la défense de leur seigneur. Ils sont complices de tout le mal, puisqu’ils n’ont rien fait pour l’empêcher. » Cette opinion fut celle qui prévalut, et la cour rendit son arrêt dans les termes suivants : « Tout homme du bourg de Vézelay qui, au départ de son seigneur l’abbé Pons de Montboissier, n’est point sorti avec lui, ou ne s’est point réuni aux frères assiégés dans le monastère, et ne leur a point prêté secours selon son pouvoir, est déclaré convaincu de trahison, de félonie, de parjure, de sacrilége et d’homicide[515]. »

[514] … Non est jure imputandum electis indigenis, et in omni lege et honestate probatis, quidquid erroneum vulgus per excessum deliquisse comprobatur… Quapropter si regio placet moderamini, denominentur ab abbate auctores sceleris, ut innoxiis absolutis justitiæ censura in reos decernatur. (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II. p. 532, col. 2.)

[515] Tunc omnes pariter qui cum abbate ab Vizeliaco non exierunt, vel fratribus in monasterio obsessis non se adjunxerunt, vel auxilium non tulerunt, adjudicati sunt rei proditionis, infidelitatis, sacrilegii, perjurii, atque homicidii. (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 532, col. 2.)

Après cette sentence criminelle vint le jugement des intérêts civils qui déclarait tous les condamnés solidaires pour la réparation des dommages éprouvés par l’abbé et par son église. Interrogé sur la somme de ses réclamations pécuniaires, l’abbé dit qu’elle s’élevait à 160,000 sous, non compris le dégât causé dans les forêts et sauf les amendes pour la trahison, le sang versé par les séditieux et la violation des lieux saints[516].

[516] … Quum abbas referret summam probationis suæ, dixit eam esse centenorum sexagenorum millium solidorum, præter detrimenta nemorum et aquarum, et præter injuriam proditionis, et præter sanguinem occisorum, et præter sacrilegium invasæ et violatæ sacrosanctæ ecclesiæ. (Ibid., p. 533, col. 1.) — Il est probable que la monnaie ayant cours à Vézelay était alors celle des évêques d’Auxerre, un peu moins forte que celle de Tours. Or, la valeur intrinsèque de 160,000 sous tournois est 672,000 grammes d’argent, c’est-à-dire 134,000 fr. de notre monnaie actuelle, somme qui, multipliée par six, à cause du pouvoir de l’argent au douzième siècle, donne pour le montant des dommages-intérêts 806,400 fr.

La preuve par témoin de cette estimation fut remise à l’un des jours suivants ; mais les députés des bourgeois de Vézelay n’attendirent pas ce jour. Frappés de consternation, et se regardant comme livrés à la vengeance de leur ancien maître, ils partirent à l’insu du roi et allèrent jeter l’alarme parmi leurs concitoyens. Cette fuite, par laquelle ils se dérobaient à la justice, fit rendre une nouvelle sentence contre eux. La cour décida qu’ils seraient ramenés de force devant elle, et que l’arrêt serait exécuté par le comte de Nevers, qui en reçut l’injonction, en ces termes, de la bouche de l’archevêque de Reims : « Nous ordonnons que le comte de Nevers, ici présent, ait à se saisir de vive force des traîtres et profanateurs de Vézelay, et à les amener par-devant le roi, au lieu qui lui sera désigné, pour qu’ils y soient punis. En outre, ledit comte de Nevers livrera intégralement à l’abbé Pons tous leurs biens, tant meubles qu’immeubles, en restitution des dommages qu’ils lui ont causés[517]. »

[517] … Ut comes Nivernensis, qui de fidelitate regis præsens adest, profanos illos proditores vi comprehendat, et puniendos regi ubi jussus fuerit adducat. Res porro eorum tam mobiles quam immobiles ex integro pro restitutione illati damni abbati tradat. (Hist. Vizeliac. monast., lib. III, apud Luc d’Achery, Spicileg., t. II, p. 533, col. 1.)

On demanda au comte s’il acceptait cette sentence, et il répondit : « Je l’accepte ; » puis il pria la cour d’accorder aux condamnés un délai que lui-même leur avait promis, comptant sur la clémence du roi. Mais le roi, de sa propre bouche, répondit : « Je vous commande, par mon autorité royale et par la foi que vous me devez, d’accomplir ce qui vient d’être arrêté et de ne rien omettre de la sentence. Quant aux délais, ce sera votre affaire ; passé le terme d’une semaine, je n’en accorde aucun, ni à ces gens, ni à vous[518]. »

[518] De induciis autem tua intererit ; nam a me nec tibi nec illis aliquæ conceduntur, quin sequenti dominica perticiatur quod definitum est. (Ibid.)

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