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Lettres sur l'histoire de France

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LETTRE XIII
Sur l’affranchissement des communes.

Parmi tous les mots de la langue politique du moyen âge qui se sont conservés jusqu’à nous, le mot commune est peut-être celui qui a le plus complétement perdu sa première signification. Réduit à exprimer une simple circonscription rurale sous des autorités dépendantes, il ne produit plus sur les esprits aucune espèce d’impression, et nous avons besoin d’efforts pour replacer sous ce signe, en quelque sorte discrédité, les grandes idées qu’il rappelait il y a plusieurs siècles. Aussi la révolution que nos historiens désignent par le nom d’affranchissement des communes ne prend-elle point, dans leur récit, son véritable caractère. Les faibles débris de l’ancienne organisation municipale des villes de France conservés jusqu’en 1789 ont contribué, je n’en doute pas, à refroidir l’imagination des écrivains modernes, à les tromper sur l’état primitif de ces villes et sur la nature du changement social qui s’opéra au douzième siècle. Je ne sais quelle idée de sollicitation humble de la part des bourgeois, et de mansuétude paternelle de la part des rois signataires des chartes de communes, jette un jour confus sur tous les événements qui ont précédé ou suivi la signature de ces chartes. Au lieu de raconter en détail ces événements, nos historiens se contentent de reproduire quelques lambeaux de dissertations inexactes. Se fiant sur ce que le protocole des chartes porte en général : concessi, « j’ai octroyé, » ils attribuent à la politique des rois les résultats de l’insurrection populaire, et travestissent en réforme administrative l’un des mouvements les plus énergiques de l’esprit de démocratie[243].

[243] La justice me commande d’excepter de cette censure, comme de beaucoup d’autres, l’ouvrage de M. de Sismondi. Cet auteur est entré, à mon avis, dans les véritables voies de l’histoire ; mais, malheureusement, les opinions accréditées par Mézeray, Velly, Anquetil et leurs disciples, prévalent encore dans le public, et c’est à elles que je m’attaque.

En effet, avant d’avoir vu, comme nous, le terrible réveil de ce vieil esprit, dans un temps d’ordre et d’obéissance volontaire, pouvait-on décrire avec exactitude, ou même simplement comprendre la révolte, l’association jurée contre le pouvoir établi, et tout ce grand travail de dissolution qui accompagne les changements politiques ? Comment ne pas faire émaner, dans le passé comme dans le présent, tous les priviléges municipaux du bon plaisir de l’autorité souveraine ? Comment se défendre de l’illusion que produisent les mêmes mots appliqués à des choses toutes différentes de celles qu’ils exprimaient jadis ? Un historien du dix-septième siècle, peu connu, il est vrai, mais assez intelligent pour l’époque, dit qu’ayant rencontré dans de vieilles coutumes ces paroles : « Si un seigneur dit à son homme lige : Venez-vous-en avec moi, car je veux guerroyer monseigneur le roi, » cela lui parut si étrange qu’il n’osait en croire ses yeux[244].

[244] Annales de l’église de Noyon, par Jacques Le Vasseur. Paris, 1633.

C’est un préjugé du même genre qui, s’appliquant à d’autres objets, a faussé, dans les récits modernes, l’histoire de l’établissement des communes. D’abord l’idée que ces écrits nous donnent d’une commune du douzième siècle est tout à fait inexacte. D’après eux, nous nous représentons soit le régime municipal abâtardi qui subsistait à la révolution de 1789, soit un gouvernement local bien pondéré, à la fois libre et dépendant, comme celui qu’avait projeté d’établir l’Assemblée constituante. Nous nous figurons Louis VI, dit le Gros, en partie par bienveillance, en partie par intérêt, concevant le projet d’affranchir toutes les villes qui existent depuis le cours de la Somme jusqu’à la Méditerranée, et léguant à ses successeurs cette noble tâche à poursuivre. Louis le Gros devient ainsi, dans notre opinion, le promoteur de l’émancipation communale, le patron des libertés bourgeoises, le régénérateur du tiers état. Ces beaux titres lui sont même confirmés par le préambule de notre charte constitutionnelle ; mais l’autorité de cette charte, souveraine en matière politique, est de nulle valeur en fait d’histoire[245].

[245] « Nous avons considéré que, bien que l’autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, nos prédécesseurs n’avaient point hésité à en modifier l’exercice, suivant la différence des temps ; que c’est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation de l’extension de leurs droits à saint Louis et à Philippe le Bel. » (Préambule de la charte constitutionnelle de 1814.) — Ce passage a été écrit en 1827.

Pour apprécier au juste la part qu’eut Louis le Gros à ce qu’on appelle, d’un nom beaucoup trop modeste, l’affranchissement des communes, il faut d’abord examiner dans quelles limites territoriales un roi de France, au commencement du douzième siècle, exerçait la puissance législative. En se dégageant de toute illusion et en examinant les faits, on trouvera que le pouvoir royal ne régissait alors qu’une partie, et une très-petite partie, de la France actuelle. Au nord de la Somme on entrait sur les terres du comte de Flandre, dont le vasselage était purement nominal ; la Lorraine, une partie de la Bourgogne, la Franche-Comté, le Dauphiné, étaient sous la suzeraineté de l’empire d’Allemagne. La Provence, tout le Languedoc, la Guienne, l’Auvergne, le Limousin et le Poitou étaient des États libres, sous des ducs ou des comtes qui ne reconnaissaient de suzerain que pour la forme, et en changeaient à volonté. La Bretagne était de même un État libre ; la Normandie obéissait au roi d’Angleterre, et enfin l’Anjou, quoique soumis féodalement au roi de France, ne relevait en aucune manière de son autorité administrative. Il n’y avait donc pas lieu pour Louis VI d’affranchir par des ordonnances les villes de ces différents pays, et les grandes vues qu’on lui prête ne pouvaient se réaliser qu’entre la Somme et la Loire. Or, comment se fait-il, si c’est ce roi qui est le législateur des communes, qu’on les voie s’établir dans toute l’étendue de la Gaule, et en plus grand nombre dans les provinces indépendantes de la couronne, par exemple dans celles du midi ? Bien plus, dans ces dernières provinces, le régime communal, avec tous ses caractères, se révèle à une époque antérieure à la date des sept ou huit chartes où figure le nom de Louis le Gros. Il est vrai que personne ne s’avise d’attribuer positivement à ce roi la fondation des communes d’Arles, de Marseille, de Nîmes, de Toulouse, de Bordeaux, de Rouen, de Lille, de Cambrai, etc. ; mais nos écrivains, groupant tous les faits autour de la personne des rois, négligent l’histoire de ces communes, tant qu’elles ne relèvent point de la couronne. C’est seulement lorsqu’une conquête ou un traité les agrége au royaume de France, et qu’une charte scellée du grand sceau vient reconnaître et non créer leurs franchises, qu’on juge à propos d’en faire mention. Ainsi des libertés immémoriales prennent l’air de concessions récentes ; toute commune semble une pure émanation de la volonté royale, et Louis le Gros, comme premier en date, a l’honneur de l’initiative. De là vient que Beauvais et Noyon passent pour les deux plus anciennes communes de France : assertion vraie, si l’on réduit le nom de France à ses limites du douzième siècle, et fausse, si on l’applique à tout le territoire sur lequel il s’étend aujourd’hui.

Après avoir circonscrit dans ses véritables bornes l’influence législative de Louis le Gros, il s’agit d’examiner si, dans ces bornes mêmes, ce roi a été, comme on le prétend, le fondateur des communes, et si c’est à lui qu’appartient l’idée de ce genre d’institutions. Cette opinion se fonde a priori sur l’intérêt qu’on suppose à Louis VI de faire de la puissance des bourgeois un contre-poids à celle des nobles ; mais, en fait d’intérêt, la classe bourgeoise en avait un bien autre à l’érection des villes en communes. On devrait donc, d’après cette manière d’argumenter, lui accorder encore la plus grande part dans la création de ce nouvel ordre de choses, qui donnait à chaque ville affranchie une magistrature élective, le droit de guerre et de paix, presque tous les droits des anciennes républiques[246]. Mais il ne s’agit pas d’argumentation logique, et l’histoire est là pour attester que, dans le grand mouvement d’où sortirent les communes ou les républiques du moyen âge, pensée et exécution, tout fut l’ouvrage des marchands et des artisans qui formaient la population des villes. Dans la plupart des chartes de communes, on ne saurait guère attribuer aux rois autre chose que le protocole, la signature et le grand sceau ; évidemment les dispositions législatives sont l’œuvre de la commune elle-même. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner et de comparer entre eux ces actes, dont on raisonne beaucoup trop sur la foi d’autrui.

[246] Le mot respublica est quelquefois employé par les historiens du moyen âge pour désigner une commune.

Quoique les communes du moyen âge aient eu pour principe la municipalité des derniers temps de l’empire romain, autant cette dernière institution était dépendante, autant l’autre, dès son origine, se montra libre et énergique. L’enthousiasme républicain des vieux temps se communiquait de proche en proche, et produisait des révolutions partout où il se trouvait une population assez nombreuse pour oser entrer en lutte avec la puissance féodale. Les habitants des villes que ce mouvement politique avait gagnées se réunissaient dans la grande église ou sur la place du marché, et là ils prêtaient, sur les choses saintes, le serment de se soutenir les uns les autres, de ne point permettre que qui que ce fût fît tort à l’un d’entre eux ou le traitât désormais en serf. C’était ce serment ou cette conjuration, comme s’expriment les anciens documents, qui donnait naissance à la commune. Tous ceux qui s’étaient liés de cette manière prenaient dès lors le nom de communiers ou de jurés, et, pour eux, ces titres nouveaux comprenaient les idées de devoir, de fidélité et de dévouement réciproques, exprimées, dans l’antiquité, par le mot de citoyen[247].

[247] Statutum est itaque et sub religione confirmatum quod unusquisque jurato suo fidem, vim, auxiliumque præbebit. (Charte de commune, dans le Recueil des Ordonnances des rois de France, passim.)

Pour garantie de leur association, les membres de la commune constituaient, d’abord tumultuairement, et ensuite d’une manière régulière, un gouvernement électif ressemblant, sous quelques rapports, à l’ancien gouvernement municipal des Romains, et s’en éloignant sous d’autres. Au lieu des noms de curie et de décurion, tombés en désuétude, les communes du midi adoptèrent celui de consul, qui rappelait encore de grandes idées, et les communes du nord ceux de juré et d’échevin, quoique ce dernier titre, à cause de son origine teutonique, fût entaché pour elles d’un souvenir de servitude[248].

[248] Skepen, dans la langue des Franks, signifiait un juge. C’est le mot latinisé dans les capitulaires par celui de Scabini. — Dans les Considérations sur l’histoire de France, chap. V et VI, j’ai fait de ce double mouvement révolutionnaire une étude plus approfondie, plus exacte et plus détaillée.

Chargés de la tâche pénible d’être sans cesse à la tête du peuple dans la lutte qu’il entreprenait contre ses anciens seigneurs, les nouveaux magistrats avaient mission d’assembler les bourgeois au son de la cloche, et de les conduire en armes sous la bannière de la commune. Dans ce passage de l’ancienne civilisation abâtardie à une civilisation neuve et originale, les restes des vieux monuments de la splendeur romaine servirent quelquefois de matériaux pour la construction des murailles et des tours qui devaient garantir les villes libres contre l’hostilité des châteaux. On peut voir encore, dans les murs d’Arles, un grand nombre de pierres couvertes de sculptures provenant de la démolition d’un théâtre magnifique, mais devenu inutile par le changement des mœurs et l’interruption des souvenirs.

Dans le midi de la Gaule, où les anciennes villes romaines subsistaient en plus grand nombre, et où, plus éloignées du foyer des invasions et de la domination germanique, elles avaient mieux conservé leur population et leurs richesses, les tentatives d’affranchissement furent, sinon plus énergiques, du moins plus complétement heureuses. C’est là seulement que les cités affranchies atteignirent à la plénitude de cette existence républicaine, qui était en quelque sorte l’idéal auquel aspiraient toutes les communes. Dans le nord, la lutte fut plus longue et le succès moins décisif. Une circonstance défavorable pour les villes de cette dernière contrée, c’était la double dépendance où elles se trouvaient sous le pouvoir de leurs seigneurs immédiats et la suzeraineté du roi de France ou de l’empereur d’Allemagne. Au milieu de leur lutte contre la première de ces puissances, la seconde intervenait pour son profit, et souvent rétablissait le combat lorsque tout semblait décidé. Ce rôle d’intervention est le seul qu’aient réellement joué les rois de France dans les événements qui signalèrent la naissance des premières communes dans leur petit royaume ; et ce qui les déterminait à se déclarer pour ou contre les villes, il faut le dire, c’était l’argent que leur offrait l’une ou l’autre des deux parties[249]. Neutres entre le seigneur et la commune, leur appui était au plus offrant, avec cette différence qu’ils ne donnaient guère aux villes que des garanties verbales ou de simples promesses de secours, et que, lorsqu’ils étaient contre elles, ils agissaient effectivement.

[249] … Regius, ut dixi, appetitus ad potiora promissa deflectitur… omnia sacramenta sua… sine ulla honestatis… respectione, cassantur. (Guibert. abbat. de Novigent., de Vita sua, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 252.) — Voyez ci-après l’Histoire de la commune de Laon, Lettre XVI, p. 250.

On pourrait croire, d’après quelques mots des historiens du douzième siècle, que Louis VII, dit le Jeune, envisageait la révolution communale sous un point de vue moins matériel. Il cherchait à établir en principe que toute ville de commune relevait immédiatement de la couronne ; mais, malgré l’intérêt qu’il s’était ainsi créé à l’établissement de nouvelles communes, dans les lieux qui n’étaient pas de son domaine, sa politique, à l’égard des bourgeois affranchis par insurrection, ne fut pas toujours impartiale. Soit par des raisons qu’il n’est plus possible d’apprécier, soit par des scrupules religieux, il annula des chartes qu’il avait signées, et détruisit par force des communes qui avaient acheté son appui. Lorsque le chagrin d’être privés d’une liberté chèrement acquise poussait les bourgeois à de nouvelles révoltes, il les châtiait d’une manière dure et quelquefois cruelle[250]. Voici un passage qui le concerne, et que fort mal à propos, à mon avis, l’on a quelquefois cité comme preuve de l’initiative royale dans l’affranchissement des communes :

[250] Voyez ci après les détails relatifs aux communes de Sens et de Vézelay.

« Gui, comte d’Auxerre (en 1167), voulut, avec l’assentiment du roi, instituer de nouveau une commune ; mais l’évêque s’opposa hardiment à son projet, et entreprit d’aller plaider sur ce point devant la cour du roi, non sans péril et sans de grandes dépenses d’argent. Il encourut presque la malveillance du très-pieux roi Louis, qui lui reprochait de vouloir enlever la ville d’Auxerre à lui et à ses héritiers ; car il regardait comme lui appartenant toutes les villes où il y avait des communes. Enfin, après que la cause eut été longtemps débattue, inspection faite des chartes et priviléges de l’église d’Auxerre, et le roi, ainsi que les gens de sa cour, s’étant radouci au moyen d’une bonne somme d’argent, l’évêque gagna son procès. Il obtint une ordonnance royale portant que, sans son aveu et sans sa permission, il ne serait en aucune façon loisible au comte, ni à qui que ce fût, d’établir une commune dans la ville[251]. »

[251] Hist. episcop. Autissiodor., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 304.

Si les intentions des rois de France avaient été, aussi pleinement qu’on le croit, favorables à l’érection des communes, c’est dans les villes de la couronne qu’on les aurait vues se manifester de la manière la plus éclatante. Eh bien, pas une de ces villes, les plus florissantes du royaume, n’obtint un affranchissement aussi complet que celui des villes seigneuriales : c’est que tout projet d’insurrection y était aussitôt déjoué par une puissance de beaucoup supérieure à celle des plus grands seigneurs. Paris n’eut jamais de commune, mais seulement des corps de métiers et une justice bourgeoise sans attribution politique. Orléans entreprit, sous Louis le Jeune, de s’ériger en commune ; mais une exécution militaire et des supplices châtièrent, disent les Chroniques de Saint-Denis, « la forsennerie de ces musards qui, pour raison de la commune, faisaient mine de se rebeller et dresser contre la couronne[252]. »

[252] Chroniques de Saint-Denis, apud ibid., p. 196.

En refusant à nos rois l’initiative dans la révolution communale, une justice qu’on doit leur rendre, c’est d’avouer qu’ils ne détruisirent point les communes dans les villes seigneuriales qu’ils ajoutèrent successivement à leur domaine, surtout avant le quatorzième siècle : ils sentaient qu’il est plus difficile d’anéantir une liberté depuis longtemps acquise que de l’étouffer à son berceau. La reconnaissance du gouvernement républicain des villes du Languedoc, dans les premiers temps qui suivirent la conquête de ce pays, était de nécessité indispensable pour le maintien de cette conquête. Il en fut de même pour les grandes communes de Normandie, d’Anjou, de Bretagne, de Guienne et de Provence. La raison d’État fit respecter en elles des priviléges qu’il eût été dangereux d’attaquer violemment, mais qui furent minés à la longue et pour ainsi dire démolis pièce à pièce. Quant aux villes françaises du second et du troisième ordre, les rois montrèrent à leur égard une assez grande libéralité, et, pour un peu d’argent, ils leur octroyèrent le droit de commune, parce qu’ils ne craignaient pas qu’elles s’en prévalussent pour devenir indépendantes. Alors, comme aujourd’hui, c’était peu de chose qu’un droit de liberté nominal, sans puissance pour le faire valoir. Aussi les mêmes rois accordaient-ils souvent à des bourgades insignifiantes un titre et des institutions qu’ils avaient refusés aux plus grandes villes.

L’état de commune, dans tout son développement, ne s’obtint guère qu’à force ouverte et en obligeant la puissance établie à capituler malgré elle. Mais quand, par suite de l’insurrection et des traités qui la légitimèrent, le mouvement de la bourgeoisie vers son affranchissement fut devenu l’impulsion sociale, et, pour me servir d’une expression toute moderne, une des nécessités de l’époque, les puissances du temps s’y prêtèrent avec une bonne grâce apparente, toutes les fois qu’elles y entrevirent quelque profit matériel sans aucun péril imminent. De là vint l’énorme quantité de chartes seigneuriales et royales octroyées durant le treizième siècle. Il n’y eut d’opposition systématique à cette révolution, continuée d’une manière paisible, que de la part du haut clergé, partout où ce corps possédait l’autorité temporelle et la seigneurie féodale. Aussi l’histoire des communes du nord de la France présente-t-elle le tableau d’une guerre acharnée entre les bourgeois et le clergé.

En général, les communes les plus libres étaient celles dont la fondation avait coûté le plus de peine et de sacrifices, et la liberté fut peu de chose dans les lieux où elle n’était qu’un don gratuit octroyé sans effort, et conservé paisiblement. L’état politique de ces associations bourgeoises offrait ainsi une foule de degrés et de nuances, depuis la cité républicaine, qui, comme Toulouse, avait des rois pour alliés, entretenait une armée et exerçait tous les droits de la souveraineté, jusqu’aux rassemblements de serfs et de vagabonds auxquels les rois et les seigneurs ouvraient un asile sur leurs terres. Ces asiles donnèrent naissance à un grand nombre de villes neuves, qui le plus souvent se peuplaient aux dépens des seigneuries voisines, dont les paysans désertaient. Un auteur du douzième siècle reproche à Louis VII d’avoir fondé plusieurs de ces nouvelles villes, et d’avoir ainsi diminué l’héritage des églises et des chevaliers[253]. Le prévôt de Villeneuve-le-Roi, près de Sens, se trouvait fréquemment en querelle à ce sujet avec les abbayes du voisinage. Le gouvernement de ces communes de la dernière classe était toujours subordonné à un prévôt du roi ou du seigneur, et ne garantissait aux habitants que la jouissance de quelques droits civils. Mais c’en était assez pour engager les ouvriers ambulants, les petits marchands colporteurs et les paysans serfs de corps et de biens, à y fixer leur domicile. La charte qui octroyait le droit de bourgeoisie aux nouveaux domiciliés était rédigée et scellée par le fondateur, lorsque l’existence de la ville n’était encore qu’un projet. Il la faisait publier au loin, pour qu’elle fût connue de tous ceux qui voulaient devenir bourgeois et propriétaires de terrains moyennant un prix modique et une taille raisonnable. Voici un exemple de ces sortes de chartes :

[253] Quasdam etiam villas novas ædificavit, per quas plures ecclesias et milites de propriis suis hominibus ad eas confugientibus exhæreditasse non est dubium. (Fragm. histor., vitam Ludovici VII summatim complectens, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 286.)

« Moi, Henri, comte de Troyes, fais savoir à tous présents et à venir que j’ai établi les coutumes ci-dessous énoncées pour les habitants de ma Villeneuve (près Pont-sur-Seine) entres les chaussées des ponts de Pugny :

« Tout homme demeurant dans ladite ville payera, chaque année, douze deniers et une mine d’avoine pour prix de son domicile ; et s’il veut avoir une portion de terre ou de pré, il donnera par arpent quatre deniers de rente. Les maisons, vignes et prés pourront être vendus ou aliénés à la volonté de l’acquéreur. Les hommes résidant dans ladite ville n’iront ni à l’ost ni à aucune chevauchée, si je ne suis moi-même à leur tête[254]. Je leur accorde, en outre, le droit d’avoir six échevins qui administreront les affaires communes de la ville, et assisteront mon prévôt dans ses plaids. J’ai arrêté que nul seigneur, chevalier ou autre, ne pourrait tirer hors de la ville aucun des nouveaux habitants, pour quelque raison que ce fût, à moins que ce dernier ne fût son homme de corps, ou n’eût un arriéré de taille à lui payer.

[254] Les mots ost et chevauchée sont synonymes d’armée et campagne de guerre.

« Fait à Provins, l’an de l’Incarnation 1175[255]. »

[255] Recueil des Ordonnances des rois de France, t. VI, p. 319 et 320.

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