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Lettres sur l'histoire de France

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LETTRE XII
Sur l’expulsion de la seconde dynastie franke.

Un fait extrêmement remarquable, c’est que dès l’époque où, à parler rigoureusement, commence la nation française, il se prononce dans cette nation nouvelle un vif sentiment de répugnance pour la dynastie qui, depuis un siècle et demi, régnait sur le nord de la Gaule. A la révolution territoriale de 888 correspond, de la manière la plus précise, un mouvement d’un autre genre, qui élève sur le trône un homme entièrement étranger à la famille des Karolings. Ce roi, le premier auquel notre histoire devrait donner le titre de roi de France, par opposition au roi des Franks, est Ode, ou, selon la prononciation romane qui commençait à prévaloir, Eudes[203], fils du comte d’Anjou Rodbert le Fort. Élu au détriment d’un héritier qui se qualifiait de légitime, Eudes fut le candidat national de la population mixte qui avait combattu cinquante ans pour former un État par elle-même ; et son règne marque l’ouverture d’une seconde série de guerres civiles terminées, après un siècle, par l’exclusion définitive de la race de Karl le Grand. En effet, cette race toute germanique, se rattachant, par le lien des souvenirs et les affections de parenté, aux pays de langue tudesque, ne pouvait être regardée par les Français que comme un obstacle à la séparation sur laquelle venait de se fonder leur existence indépendante. L’idiome de la conquête, tombé en désuétude dans les châteaux des seigneurs, s’était conservé dans la maison royale. Les descendants des empereurs franks se faisaient honneur de comprendre cette langue de leurs ancêtres, et accueillaient des pièces de vers composées par les poëtes d’outre-Rhin[204]. Mais loin d’augmenter le respect pour l’ancienne dynastie, cette particularité de mœurs ne servait plus qu’à lui donner une physionomie étrangère qui blessait le peuple, et l’inquiétait, non sans raison, sur la durée de son indépendance.

[203] Ode, Ote ou Othe signifiait riche dans tous les anciens dialectes de la langue tudesque. On disait, dans la langue romane, Odes ou Eudes pour le nominatif, et Odon ou Eudon pour les autres cas.

[204] Tel est le chant triomphal composé en l’honneur du roi Louis fils de Louis le Bègue, après une victoire remportée sur les Normands, près de Seulcour en Vimeu. En voici les quatre premiers vers :

Einen Kuning weiz ich
Heisset herr Ludwig,
Der gerne Gott dienet,
Weil er ihms lohnet.

« Je connais un roi, son nom est le seigneur Ludwig, qui sert Dieu volontiers, parce qu’il l’en récompense, etc. » (Voyez le tome IX du Recueil des historiens des Gaules et de la France, p. 99 et suiv.)

La suprématie des Germains sur tout l’Occident n’existait plus ; mais elle était remplacée par des prétentions politiques fondées sur le droit de conquête, qui pouvaient aisément servir de prétexte à de nouvelles invasions, et menaçaient surtout la France, d’abord comme voisine, et ensuite comme seconde patrie des Franks. L’instinct de la conservation devait donc porter ce nouvel État à rompre entièrement avec les puissances teutoniques et à leur ôter pour jamais tout moyen de s’immiscer dans ses affaires. Ce ne fut point par caprice, mais par politique, que les seigneurs du nord de la Gaule, Franks d’origine, mais attachés à l’intérêt du pays, violèrent le serment prêté par leurs aïeux à la famille de Pepin, et firent sacrer roi, à Compiègne, un homme de descendance saxonne[205]. L’héritier dépossédé par cette élection, Karl, surnommé le Simple ou le Sot[206], ne tarda pas à justifier son exclusion du trône, en se mettant sous le patronage d’Arnulf, roi de Germanie. « Ne pouvant tenir, dit un ancien historien, contre la puissance d’Eudes, il alla réclamer, en suppliant, la protection du roi Arnulf. Une assemblée publique fut convoquée dans la ville de Worms ; Karl s’y rendit, et, après avoir offert de grands présents à Arnulf, il fut investi par lui de la royauté dont il avait pris le titre. L’ordre fut donné aux comtes et aux évêques qui résidaient aux environs de la Moselle de lui prêter secours, et de le faire rentrer dans son royaume, pour qu’il y fût couronné ; mais rien de tout cela ne lui profita[207]. »

[205] Saxonici generis vir… (Script. rer. gallic. et francic., t. IX, p. 136.)

[206] On trouve dans les historiens originaux simplex, stultus, et quelquefois sottus.

[207] Carolus vires Odonis ferre non valens, patrocinia Arnulphi supplex exposcit… Sed neutrum horum illi quicquam profuit. (Annal. Mett., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 73.)

Le parti des Carolingiens, soutenu par l’intervention germanique, ne réussit point à l’emporter sur le parti qu’on peut nommer français. Il fut plusieurs fois battu avec son chef, qui, après chaque défaite, se mettait en sûreté derrière la Meuse, hors des limites du royaume. Charles le Simple parvint cependant, à force d’intrigues, et grâce au voisinage de l’Allemagne, à obtenir quelque puissance entre la Meuse et la Seine : ce qui fait dire à plusieurs historiens que le royaume fut divisé en deux par le cours de la Seine, et que Charles devint roi au nord, tandis qu’Eudes l’était au midi[208]. Un reste de la vieille opinion germanique, qui regardait les Welskes ou Wallons comme les sujets naturels des fils des Franks, contribuait à rendre cette guerre de dynastie populaire dans tous les pays voisins du Rhin. Sous prétexte de soutenir les droits de la royauté légitime, Swintibold, fils naturel d’Arnulf, et roi de Lorraine, envahit le territoire français en l’année 895. Il parvint jusqu’à Laon avec une armée composée de Lorrains, d’Alsaciens et de Flamands, tous gens de langue tudesque ; mais bientôt il se vit forcé de battre en retraite devant l’armée du roi Eudes[209]. Cette grande tentative ayant ainsi échoué, il se fit à la cour de Germanie une sorte de réaction politique en faveur de celui qu’on avait jusque-là qualifié d’usurpateur. Eudes fut reconnu roi, et l’on promit de ne plus donner à l’avenir aucun secours au prétendant[210]. En effet, Karl n’obtint rien, tant que son adversaire vécut ; mais à la mort du roi Eudes, lorsque le changement de dynastie fut remis en question, le keisar prit de nouveau parti pour le descendant des rois franks. La puissance impériale, pesant sans contre-poids sur le petit royaume de France, contribua fortement, quoique d’une manière indirecte, à amener une restauration.

[208] Tunc divisum est regnum in duas partes. A Rheno usque ad Sequanam fuit regnum Karoli ; et a Sequana usque ad Hispaniam fuit regnum Odonis… (Brev. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 253.)

[209] … Qui cum Karolo erant, conferunt se ad Zuendebolchum… uti… juvet Karolo. (Annal. Vedast., apud ibid., p. 91.) — … Collecto immenso exercitu… Lugdunum venit… (Annal. Mett., apud ibid., p. 74.)

[210] Arnolfus rex cum Odone Galliarum rege, ad se veniente, pacem firmat, Karoloque filio regis Ludovici Balbi… munera offerenti, auxilium denegat. (Hermanni Contracti Chron., apud ibid., p. 249.)

Charles le Simple, proclamé roi en 898 par une grande partie de ceux qui avaient travaillé à l’exclure, régna d’abord vingt-deux ans sans aucune opposition. C’est durant cet espace de temps que, pour se ménager un nouvel appui contre le parti qu’il redoutait toujours, il abandonna au chef normand Rolf, ou Roll[211], tous ses droits sur le territoire voisin de l’embouchure de la Seine, et lui conféra le titre de duc ; mais cette fondation d’un nouvel État sur le territoire gaulois eut, à la longue, des résultats tout différents de ceux que le roi Charles s’était promis. Le duché de Normandie servit, pour ainsi dire, à flanquer le royaume de France contre les attaques de l’empire germanique et de ses vassaux lorrains ou flamands. Les nouveaux ducs, politiques habiles et guerriers infatigables, ne tardèrent pas à intervenir aussi dans la querelle de dynastie. Indifférents à l’avantage personnel de la postérité de Charlemagne ou de ses compétiteurs, en s’immisçant dans les disputes qui leur étaient étrangères, ils ne cherchaient qu’une occasion soit de reculer leurs frontières aux dépens de la France, soit de devenir plus indépendants à l’égard de cette couronne dont ils s’étaient reconnus vassaux. Aucun motif national ne les entraînait, comme les rois de la Germanie, vers l’un des deux partis rivaux : ils balancèrent donc quelque temps avant de se décider. Roll, premier duc de Normandie, fut fidèle au traité d’alliance qu’il avait fait avec Charles le Simple, et le soutint, quoique assez faiblement, contre Rodbert ou Robert[212], frère du roi Eudes, élu roi en 922 par le parti de l’exclusion. Son fils Wilhialm[213] ou Guillaume Ier suivit d’abord la même politique ; et lorsque le roi héréditaire eut été déposé et emprisonné à Laon, il se déclara pour lui contre Radulf ou Raoul[214], beau-frère de Robert, élu et couronné roi en haine de la dynastie franke. Mais peu d’années après, changeant de parti, il abandonna la cause de Charles le Simple et fit alliance avec le roi Raoul. En 936, espérant qu’un retour à ses premiers errements lui procurerait plus d’avantages, il appuya d’une manière énergique la restauration du fils de Karl, Lodewig, surnommé d’Outre-mer.

[211] Ce nom paraît être une contraction de celui de Rodulf. En langue romane, on disait Roul ou Rou.

[212] Le nominatif roman était Roberz, et Robert ne s’écrivait que pour les autres cas.

[213] Cette forme appartient à l’idiome scandinave ; dans la langue tudesque, on disait Wilhem, protégeant volontiers.

[214] Dans l’ancienne langue française, on écrivait au nominatif Raouls ou Raoulx, et Raoul aux autres cas.

Le nouveau roi, auquel le parti français, soit par fatigue, soit par prudence, n’opposa aucun compétiteur, poussé par un penchant héréditaire à chercher des amis au delà du Rhin, contracta une alliance étroite avec Otho, premier du nom[215], roi de Germanie, le prince le plus puissant et le plus ambitieux de l’époque. Cette alliance mécontenta vivement les seigneurs, qui avaient une grande aversion pour l’influence teutonique. Le représentant de cette opinion nationale, et l’homme le plus puissant entre la Seine et la Loire, était Hug ou Hugues, comte de Paris, auquel on donnait le surnom de Grand, à cause de ses immenses domaines[216]. Dès que les défiances mutuelles se furent accrues au point d’amener, en 940, une nouvelle guerre entre les deux partis qui depuis cinquante ans étaient en présence, Hugues le Grand, quoiqu’il ne prît point le titre de roi, joua, contre Louis d’Outre-mer, le même rôle qu’Eudes, Robert et Raoul avaient joué contre Charles le Simple. Son premier soin fut d’enlever à la faction opposée l’appui du duc de Normandie ; il y réussit, et, grâce à l’intervention normande, il parvint à neutraliser les effets de l’influence germanique. Toutes les forces du roi Lodewig et du parti frank se brisèrent, en 945, contre le petit duché de Normandie. Le roi, vaincu en bataille rangée, fut pris avec seize de ses comtes et enfermé dans la tour de Rouen, d’où il ne sortit que pour être livré aux chefs du parti national, qui l’emprisonnèrent à Laon[217].

[215] Otho, Othe, dans le dialecte saxon, comme Odo, Ode, dans le dialecte franko-tudesque, signifiait riche. La terminaison en o appartient à la forme la plus ancienne. L’n dont on fait suivre ce nom est étrangère à la langue germanique. Autrefois on écrivait Othes pour le nominatif, et Othon pour les autres cas.

[216] Hug signifie prévoyant. La forme romane de ce nom était Hues pour le nominatif, et Huon pour les autres cas.

[217] … In arcem Rotomagi servandus missus est. (Order. Vital., apud Script. rer. gallic. et francic., t. IX, p. 12.) — Postea nempe Hugo Magnus Parisiensis comes et Theobaldus Carnotensis cum proceribus Franciæ contra Ludovicum rebellant : et a ducibus suis circumventus capitur, et Laudunum missus publicæ custodiæ mancipatur. (Hist. reg. Franc., apud ibid., p. 44.)

Pour rendre plus durable la nouvelle alliance de ce parti avec les Normands, Hugues le Grand promit de donner sa fille en mariage à leur duc. Mais cette confédération des deux puissances gauloises les plus voisines de la Germanie attira contre elle une coalition des puissances teutoniques, dont les principales étaient alors le roi Othon et le comte de Flandre. Le prétexte de la guerre devait être de tirer le roi Louis de sa prison ; mais les coalisés se promettaient des résultats d’un autre genre. Leur but était d’anéantir la puissance normande, en réunissant ce duché à la couronne de France, après la restauration du roi leur allié : en retour ils devaient recevoir une cession de territoire, qui agrandirait leurs États aux dépens du royaume de France[218]. L’invasion, conduite par le roi de Germanie, eut lieu en 946. A la tête de trente-deux légions, disent les historiens du temps, Othon s’avança jusqu’à Reims. Le parti national, qui tenait un roi en prison et n’avait point de roi à sa tête, ne put rallier autour de lui des forces suffisantes pour repousser les étrangers. Louis d’Outre-mer fut remis en liberté, et les coalisés s’avancèrent jusque sous les murs de Rouen ; mais cette campagne brillante n’eut aucun résultat décisif. La Normandie resta indépendante, et le roi délivré n’eut pas plus d’amis qu’auparavant. Au contraire, on lui imputa les malheurs de l’invasion ; et, menacé bientôt d’être une seconde fois déposé, il retourna au delà du Rhin pour implorer de nouveaux secours[219].

[218] Ludovicus siquidem ut hos magnarum virium duces (Richardum scilicet et Hugonem) amoris vinculo connexos esse didicit, timens ne eorum conatu deponeretur a culmine regni, misit Arnulphum Flandrensem… ad Othonem Transrhenanum regem : mandans quoniam, si Hugonem Magnum omnino contereret, et Normannicam terram suo dominio subigeret, procul dubio Lothariense regnum illi contraderet… (Willelm. Gemet. Hist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 266.)

[219] … Rex Ludovicus deprecatur regem Othonem ut subsidium sibi ferat contra Hugonem et cæteros inimicos suos… (Frodoardi Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 203.)

En l’année 948, les évêques de la Germanie s’assemblèrent, par ordre du roi Othon, en concile à Ingelheim, pour traiter, entre autres affaires, des griefs de Louis d’Outre-mer contre le parti de Hugues le Grand. Le roi des Français vint jouer le rôle de solliciteur devant cette assemblée étrangère. Assis à côté du roi de Germanie, après que le légat du pape eut annoncé l’objet du synode, il se leva et parla en ces termes : « Personne de vous n’ignore que des messagers du comte Hugues et des autres seigneurs de France sont venus me trouver au pays d’outre-mer, m’invitant à rentrer dans le royaume qui était mon héritage paternel. J’ai été sacré et couronné par le vœu et aux acclamations de tous les chefs de l’armée de France. Mais, peu de temps après, le comte Hugues s’est emparé de moi par trahison, m’a déposé et emprisonné durant une année entière ; enfin je n’ai obtenu ma délivrance qu’en remettant en son pouvoir la ville de Laon, la seule ville de la couronne que mes fidèles occupassent encore. Tous ces malheurs qui ont fondu sur moi depuis mon avénement, s’il y a quelqu’un qui soutienne qu’ils me sont arrivés par ma faute, je suis prêt à me défendre de cette accusation, soit par le jugement du synode et du roi ici présent, soit par un combat singulier[220]. » Il ne se présenta, comme on pouvait le croire, ni avocat ni champion de la partie adverse pour soumettre un différend national au jugement de l’empereur d’outre-Rhin, et le concile, transféré à Trèves, sur les instances de Leudulf, chapelain et délégué du keisar, prononça la sentence suivante : « En vertu de l’autorité apostolique, nous excommunions le comte Hugues, ennemi du roi Lodewig, à cause des maux de tout genre qu’il lui a faits, jusqu’à ce que ledit comte vienne à résipiscence et donne pleine satisfaction devant le légat du souverain pontife. Que s’il refuse de se soumettre, il devra faire le voyage de Rome pour recevoir son absolution[221]. »

[220] Frodoardi Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 202.

[221] Ibid., p. 175.

Cette sentence ecclésiastique ne fut point capable de détruire un parti qui avait résisté à l’invasion la plus formidable que la France eût encore subie. Toutefois, il se passa bien des années avant que les adversaires de la dynastie franke vinssent à bout de la renverser complétement, et de rompre le dernier fil qui rattachait le nord de la Gaule à la Germanie. A la mort de Louis d’Outre-mer, en l’année 954, son fils Lother lui succéda sans opposition apparente. Deux ans après le comte Hugues mourut, laissant trois fils, dont l’aîné, qui portait le même nom que lui, hérita du comté de Paris, qu’on appelait aussi duché de France. Son père, avant de mourir, l’avait recommandé à Rikhard ou Richard, duc de Normandie, comme au défenseur naturel de sa famille et de son parti[222]. Ce parti sembla sommeiller jusqu’en l’année 980. Durant ce long intervalle de temps, non-seulement il n’y eut point de guerre civile, mais le roi Lother, s’abandonnant à l’impulsion de l’esprit national, rompit avec les puissances germaniques et tenta de reculer jusqu’au Rhin la frontière de son royaume. Il entra à l’improviste sur les terres de l’empire, et séjourna en vainqueur dans le palais d’Aix-la-Chapelle. Mais cette expédition aventureuse, qui flattait la vanité française, ne servit qu’à amener les Germains, au nombre de soixante mille, Allemands, Lorrains, Flamands et Saxons, jusque sur les hauteurs de Montmartre, où cette grande armée chanta en chœur un des versets du Te Deum[223]. L’empereur Othon, qui la conduisait, fut plus heureux, comme il arrive souvent, dans l’invasion que dans la retraite. Battu par les Français au passage de l’Aisne, ce ne fut qu’au moyen d’une trêve avec le roi Lother qu’il put regagner sa frontière. Ce traité, conclu, à ce que disent les chroniques, contre le gré de l’armée française, ranima la querelle des deux partis, ou plutôt fournit un nouveau prétexte à des ressentiments qui n’avaient point cessé d’exister[224].

[222] … Richardo duci filium suum nomine Hugonem commendare studuit, ut, ejus patrocinio tutus, inimicorum fraudibus non caperetur. (Willelm. Gemet. Hist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 267.)

[223] Accitis quampluribus clericis, Alleluia, te martyrum, in loco qui dicitur Mons-Martyrum, in tantum elatis vocibus decantari præcepit, ut attonitis auribus ipse Hugo et omnis Parisiorum plebs miraretur. (Balderici Chron., apud ibid., p. 283.)

[224] Pacificatus est Lotharius rex cum Ottone rege Remis civitate contra voluntatem Hugonis et Hainrici fratris sui, contraque voluntatem exercitus sui. (Hugonis Floriac. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 324.)

Menacé, comme son père et son aïeul, par les adversaires implacables de la race des Karolings, Lother tourna les yeux du côté du Rhin pour obtenir un appui en cas de détresse. Il fit remise à la cour impériale de ses conquêtes en Lorraine et de toutes les prétentions de la France sur une partie de ce royaume. « Cette chose contrista grandement, dit un auteur contemporain, le cœur des seigneurs de France[225]. » Néanmoins ils ne firent point éclater leur mécontentement d’une manière hostile. Instruits par le mauvais succès des tentatives faites depuis près de cent ans, ils ne voulaient plus rien entreprendre contre la dynastie régnante, à moins d’être sûrs de réussir. Le roi Lother, plus habile et plus actif que ses deux prédécesseurs, si l’on en juge par sa conduite, se rendait un compte exact des difficultés de sa position, et ne négligeait aucun moyen de les vaincre. En 983, profitant de la mort d’Othon II et de la minorité de son fils, il rompit subitement la paix qu’il avait conclue avec l’empire, et envahit derechef la Lorraine, agression qui devait lui rendre un peu de popularité. Mais le sentiment instinctif de l’indépendance nationale, profondément enraciné dans le cœur des Gallo-Franks, ne pouvait faire une longue trêve avec cette famille condamnée d’avance, et dont la ruine était inévitable. Jusqu’à la fin du règne de Lother, aucune rébellion déclarée ne s’éleva contre lui. Mais chaque jour son pouvoir allait en décroissant ; l’autorité, qui se retirait de lui, pour ainsi dire, passa tout entière aux mains du fils de Hugues le Grand, Hugues, comte de l’Ile-de-France et de l’Anjou, qu’on surnommait Capet, ou Chapet, dans la langue française du temps. « Lother n’est roi que de nom, » écrivait dans une de ses lettres l’un des personnages les plus distingués du dixième siècle. « Hugues n’en porte pas le titre, mais il l’est en fait et en œuvres[226]. »

[225] Dedit autem Lotharius rex Ottoni regi in beneficio Lotharium regnum : quæ causa magis contristavit corda principum Francorum. (Ibid.)

[226] Lotharius rex Franciæ prælatus est solo nomine, Hugo vero non nomine, sed actu et opere. (Gerberti Epist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. X, p. 387.)

Sans doute, dans les événements qui suivirent, en 987, la mort prématurée de Lodewig, fils de Lother, il faut faire une grande part à l’ambition personnelle et au caractère du fondateur de la troisième dynastie. Dans ses projets contre la postérité de Karl le Grand, Hugues Capet songeait plutôt à lui-même et à sa famille qu’à l’intérêt du pays, dont l’indépendance exigeait, pour dernière garantie, l’expulsion de la race de Karl. Néanmoins on peut affirmer que cette ambition de régner, héréditaire depuis un siècle dans la famille de Robert le Fort, fut entretenue et servie par le mouvement de l’opinion nationale. Les expressions mêmes des chroniques, toutes sèches qu’elles sont à cette époque de notre histoire, donnent à entendre que la question du changement de dynastie n’était point regardée alors comme une affaire personnelle. Selon elles, il s’agissait d’une haine invétérée, d’une entreprise commencée depuis longtemps dans la vue de déraciner du royaume de France la postérité des rois franks[227]. Cette révolution, qui dans ses flux et reflux avait causé tant de troubles, se termina sans aucune violence. La grande majorité des seigneurs et du peuple se rangea autour du comte Hugues, et le prétendant à titre héréditaire demeura seul avec quelques amis, pendant que son compétiteur, élu roi par l’acclamation publique, était couronné à Noyon.

[227] Hugo vero Capet more patrum suorum odio motus antiquo, genus Caroli cupiens eradere de regno Francorum… (Chron. Sithiens., apud Script. rer. gallic. et francic., t. X, p. 298.)

Cette élection n’eut point lieu avec des formes régulières ; on ne s’avisa ni de recueillir ni de compter les voix des seigneurs : ce fut un coup d’entraînement, et Hugues Capet devint roi des Français parce que sa popularité était immense. Quoique issu d’une famille germanique, l’absence de toute parenté avec la dynastie impériale, l’obscurité même de son origine, dont on ne retrouvait plus de trace certaine après la troisième génération, le désignaient comme candidat à la race indigène, dont la restauration s’opérait en quelque sorte depuis le démembrement de l’empire[228]. Tout cela n’est point formellement énoncé dans les histoires contemporaines ; mais l’on ne doit pas en être surpris. Les masses populaires, lorsqu’elles sont en mouvement, ne se rendent point un compte bien net de l’impulsion qui les domine ; elles marchent d’instinct, et tendent vers le but sans chercher à le bien définir. A ne les considérer que d’une manière superficielle, on croirait qu’elles suivent en aveugles les intérêts particuliers de quelque chef, dont le nom seul fait du bruit dans l’histoire : mais cette importance même des noms propres vient de ce qu’ils ont servi de mot de ralliement pour le grand nombre, qui, en les prononçant, savait ce qu’il voulait dire, et n’avait pas besoin, pour le moment, d’une façon de s’exprimer plus exacte.

[228] Fuit enim hic Hugo (Magnus) filius Roberti Parisiorum comitis, qui videlicet Robertus brevi in tempore rex constitutus, et ab exercitu Saxonum est interfectus. Cujus genus idcirco adnotare distulimus, quia valde inante reperitur obscurum. (Glabri Rodulphi Hist., apud ibid., p. 5.) Ces paroles sont d’un auteur contemporain. Un écrivain postérieur de deux siècles ajoute un degré à cette généalogie, et remonte jusqu’à Robert le Fort ; mais il déclare ne pouvoir aller plus loin : « Ulterius nesciverunt de illius genere historiographi dicere. » (Alberici monachi Chron., apud ibid., p. 236.)

L’avénement de la troisième race est, dans notre histoire, d’une bien autre importance que celui de la seconde ; c’est, à proprement parler, la fin du règne des Franks et la substitution d’une royauté nationale au gouvernement fondé par la conquête. Dès lors, en effet, l’histoire de France devient simple ; c’est toujours un même peuple qu’on suit et qu’on reconnaît, malgré les changements qui surviennent dans les mœurs et la civilisation. L’identité nationale est le fondement sur lequel repose, depuis tant de siècles, l’unité de dynastie. Un singulier pressentiment de cette longue succession de rois paraît avoir saisi l’esprit du peuple, à l’avénement de la troisième race. Le bruit courut qu’en 981 saint Valeri, dont Hugues Capet, alors comte de Paris, venait de faire transférer les reliques, lui était apparu en songe et lui avait dit : « A cause de ce que tu as fait, toi et tes descendants, vous serez rois jusqu’à la septième génération, c’est-à-dire à perpétuité[229]. » Cette légende populaire est répétée par tous les chroniqueurs sans exception, même par le petit nombre de ceux qui, n’approuvant point le changement de dynastie, disent que la cause de Hugues est une mauvaise cause, et l’accusent de trahison contre son seigneur et de révolte contre les décrets de l’Église[230]. C’était une opinion répandue parmi les gens de condition inférieure, que la nouvelle famille royale sortait de la classe plébéienne ; et cette opinion, qui se conserva durant plusieurs siècles, ne fut point nuisible à sa cause[231]. Elle trouva un point d’appui extérieur dans l’alliance de la Normandie, qu’elle eut soin de se ménager tant que le royaume fut menacé du côté du nord.

[229] Willelmi Nangii Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. X, p. 300.

[230] Hic Hugo malam causam habuisse videtur, qui… contra dominos suos continuo rebellavit… contra prohibitionem Ecclesiæ… regnum… obtinuit ; nec tamen honeste, sed proditorie… (Chron. Sithiens., apud ibid., p. 298.)

[231] Hugonem Capeti quidam vulgares et simplices credunt fuisse plebeium… quod non est ita… (Chron. Sithiens., apud ibid., p. 297.)

Les difficultés de tout genre que présentait, en 987, une quatrième restauration des Karolings, effrayèrent les princes d’Allemagne : ils ne firent marcher aucune armée au secours du prétendant Karl, frère de l’avant-dernier roi et duc de Lorraine sous la suzeraineté de l’empire. Réduit à la faible assistance de ses partisans de l’intérieur, Charles ne réussit qu’à s’emparer de la ville de Laon, où il se maintint en état de blocus, à cause de la force de la place, jusqu’au moment où il fut trahi et livré par l’un des siens. Hugues Capet le fit emprisonner dans la tour d’Orléans, où il mourut. Ses deux fils Lodewig et Karl, nés en prison et bannis de France après la mort de leur père, trouvèrent un asile en Allemagne, où se conservait à leur égard l’ancienne sympathie d’origine et de parenté[232].

[232] Et expulsi sunt filii ejus a Francis, et erant morantes apud imperatorem Romanorum. (S. Genulfi translatio, apud Script. rer. gallic. et francic., t. IX, p. 145.)

Ces deux noms sont, dans notre histoire, les derniers pour lesquels il convienne d’employer l’orthographe de la langue teutonique ; car, après la dépossession de la famille qui ralliait autour d’elle les vieux souvenirs de la conquête, il n’y eut plus trace en France de l’idiome qui d’abord avait été celui de tous les conquérants, quel que fût leur grade, ensuite celui des grands seigneurs, et enfin celui de la maison royale. En 948, au concile d’Inghelheim, où Louis d’Outre-mer s’était rendu pour adresser à Othon Ier ses plaintes contre Hugues le Grand, une lettre du pape, que ni le roi de France ni celui de Germanie ne pouvaient comprendre parce qu’elle était en latin, fut traduite par eux en langue tudesque[233]. Il est douteux qu’une pareille traduction eût été, pour Hugues Capet, plus intelligible que l’original. A partir de son règne, les princes d’Allemagne, de Lorraine et de Flandre furent obligés de faire accompagner par des interprètes leurs ambassadeurs en France[234]. Dès ce règne, les noms français doivent entièrement remplacer les noms tudesques ; mais il faut encore une attention particulière pour retrouver ces noms sous l’orthographe invariable des chroniques latines.

[233] Post quarum litterarum recitationem, et earum propter reges juxta Teotiscam linguam interpretationem… (Frodoardi Chron., apud ibid., t. VIII, p. 203.)

[234] … Dux (Lotharingiæ) Theodoricus (circa annum 1002) eum (Nanterum scilicet)… ad quoscumque regni principes dirigebat legatum, et maxime ad consobrinum suum regem Francorum : quoniam noverat eum in responsis acutissimum et linguæ Gallicæ peritia facundissimum. (Chron. monast. S. Michaelis, apud J. Mabillon, Vetera Analecta, éd. de 1723, p. 353.)

Si nos historiens modernes ont eu le tort de transporter dans la période franke l’orthographe des époques françaises, et d’appeler Thierri, Louis et Charles les rois des deux premières races, ils commettent sans scrupule une autre faute, celle d’écrire, après le dixième siècle, des noms tels que ceux-ci : Alberic, Adalric, Balderic, Rodolphe, Reginald. Le propre de la langue romane était d’altérer et d’adoucir les noms originairement tudesques, d’une manière conforme, à peu de chose près, à notre prononciation actuelle. Cette altération précéda, pour les habitants de race gauloise, l’expulsion de la dynastie franke : il serait bon de la faire sentir, même avant cette époque, lorsqu’on en trouve quelques signes dans les chroniques contemporaines[235]. Mais quand il n’y a plus dans le royaume de France qu’un seul idiome, et que la différence des races ne se marque plus par celle des langues, l’histoire doit présenter exclusivement des noms à physionomie française. Il faut éviter avec soin l’orthographe demi-barbare, demi-latine, introduite dans un temps où il n’existait ni science ni critique historique, et écrire franchement des noms tels que ceux-ci : Aubri, Baudri, Aubert, Imbert, Thibauld, Rigauld, Gonthier, Berthier, Meynard, Bodard, Séguin, Audoin, Regnouf, Ingouf, Rathier, Rathouis[236].

[235] Les noms tudesques romanisés, si l’on peut s’exprimer ainsi, se rencontrent de très-bonne heure dans les documents relatifs à l’histoire des provinces méridionales. Dès les premiers temps de la seconde race, les noms des ducs d’Aquitaine ont perdu leur pureté germanique. Cette altération ne devient sensible, pour le nord de la Gaule, que vers la fin du neuvième siècle.

[236] Voici ces noms sous leur forme originelle : Albrik, Baldrik, Albert, Ingbert, Theodebald, Rikhald, Gunther, Berther, Magenhard, Baldhard, Sigwin, Odwin, Reghenulf, Ingulf, Rather, Rathwig.

Pour éviter un autre genre de confusion, l’on doit donner aux noms méridionaux une orthographe conforme à celle de la langue parlée en Aquitaine et en Provence. A la fin du dixième siècle, les pays de la langue d’oc étaient séparés du royaume de France par une aversion nationale aussi prononcée que pouvait l’être celle qui existait entre les Français et les Allemands, ou, comme on disait sur la frontière des deux langages, entre les Wallons et les Thiois[237]. Par une contradiction dont l’histoire offre beaucoup d’exemples, pendant que la France travaillait avec tant d’énergie à assurer contre les Germains son indépendance, elle tendait à étouffer celle des États qui s’étaient formés au sud entre le cours de la Loire et la Méditerranée. Si les habitants de l’Allemagne se croyaient maîtres dépossédés de la Gaule et de l’Italie, les Français, invoquant aussi les traditions de la conquête franke, prétendaient dominer sur le reste des Gaulois jusqu’au pied des Alpes et des Pyrénées. Dans la nouvelle opinion nationale, l’idée de domination au sud était inséparable de celle d’affranchissement du côté du nord. Aussi chaque élection d’un roi étranger à la famille de Charlemagne, depuis Eudes jusqu’à Hugues Capet, fut-elle presque immédiatement suivie d’une guerre sur la frontière du midi, aux bords de la Loire, de la Vienne ou du Rhône. L’expression de cette vanité nationale se retrouve dans un diplôme du roi Raoul, où il s’intitule : « Roi, par la grâce de Dieu, des Français, des Bourguignons et des Aquitains, invincible, pieux, illustre et toujours auguste, pleinement roi par la soumission volontaire tant des Aquitains que des Gascons[238]. »

[237] Ces deux mots de la vieille langue française répondaient aux mots franks Walle et Teutske, et servaient à distinguer, en Belgique et en Lorraine, ceux qui parlaient roman de ceux qui parlaient allemand. Walle ou Wale est le substantif d’où dérive l’adjectif walsk ou welsk. Ce mot est employé dans les anciennes gloses de la loi salique pour traduire le mot latin Romani.

[238] Quum autem ad plenum regnemus, et tam Gothi, quam Aquitani nostro subjaceant sponte principatui… (Rodulfi regis Diplomata, apud Script. rer. gallic. et francic., t. IX, p. 580.)

Pour répondre à ces jactances, les Gascons et les Aquitains inscrivaient en tête de leurs actes publics la formule : « Sous le règne du Christ, en attendant un roi[239]. » Ils qualifiaient d’usurpateurs tous ceux qui obtenaient la royauté au mépris du droit héréditaire ; puis, à chaque nouvelle restauration, ils n’en traitaient pas moins en souverain étranger l’héritier de Karl le Grand. Dans la première année de son règne, Hugues Capet renouvela, mais sans aucun succès, les hostilités en Poitou. Forcé par Guilhem, duc d’Aquitaine, de battre en retraite jusqu’à la Loire, il livra, sur les bords de ce fleuve, une grande bataille qui ne servit qu’à faire éclater la haine violente des deux populations l’une contre l’autre[240]. Non-seulement les chefs des petits États méridionaux conservèrent leur indépendance, mais ils firent des conquêtes vers le nord. Aldebert, comte de Périgueux, assiégea et prit Tours vers l’an 990. Inquiet de ce progrès, et n’osant cependant l’attaquer à main armée, Hugues Capet lui adressa, dans un message, cette question : « Qui t’a fait comte ? » — « Qui t’a fait roi ? » furent les seuls mots que répondit le comte Aldebert. Cette réponse, sujet de stupeur pour les historiens du dix-septième siècle, et plus tard commentée dans un sens républicain, ne contenait aucune allusion à la royauté élective : elle signifiait simplement qu’un comte de Périgord était souverain à aussi bon titre et aussi pleinement qu’un roi de France[241].

[239] Christo regnante, rege expectante.

[240] … In gravi prælio decertantes Francorum et Aquitanorum animositates, multo sanguine alterna cæde fuso, superiores Franci exstiterunt ; et sic reversi sunt. (Ademari Cabanensis Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. X, p. 145.)

[241] … Hoc ei mandavit : « Quis te comitem constituit ? » Et Aldebertus remandavit ei : « Quis te regem constituit ? » (Ademari Cabanensis Chron., apud ibid., p. 146.) Ce fameux trait d’histoire a été falsifié, comme beaucoup d’autres, par les historiens modernes, qui font dire au comte de Périgord : « Ceux qui t’ont fait roi. » Réponse absurde, parce qu’elle détruit la séparation nationale entre les Français et les Aquitains.

La France, si nous prenons ce mot dans sa véritable acception nationale, n’a point commencé par être grande : bornée d’abord au pays qui s’étend de la Meuse à la Loire, de l’Epte et de la Villaine aux montagnes de l’ancienne Bourgogne, elle a eu de faibles commencements. Mais, depuis qu’elle existe comme État au centre de la Gaule, elle n’a jamais fait de pas rétrograde, et c’est par des conquêtes successives qu’elle a reculé ses limites jusqu’aux rivages des deux mers. Ces conquêtes, d’une tout autre nature que les invasions des Franks, ont produit des résultats durables, parce qu’elles étaient politiques, parce qu’elles n’avaient pas pour objet le simple partage des richesses et des terres, mais le gouvernement du pays subjugué. Un événement qu’on peut regarder comme fortuit, l’extinction du titre de roi dans tous les États formés en Gaule autour du royaume central, en Lorraine, en Bourgogne, en Bretagne et en Aquitaine, contribua surtout à rendre moins violente cette agrégation successive des différentes parties du sol gaulois. L’idée d’une hiérarchie des domaines et des territoires, introduite par le système féodal, prépara d’avance la réunion, en accoutumant par degrés les seigneurs des duchés et des comtés à ne point se croire les égaux de leur voisin aux fleurs de lis. Ainsi l’état de fief est, dans l’histoire de nos provinces, une sorte de point intermédiaire entre l’époque du partage en plusieurs souverainetés distinctes, et celle de la fusion en un seul corps.

Il ne faut pas que ce mot de fief nous induise en erreur sur la nature des résistances que les rois de la troisième race eurent à vaincre pour étendre la monarchie jusqu’aux bornes de l’ancienne Gaule. Partout où ils portèrent la conquête sous un prétexte ou sous un autre, ils rencontrèrent une opposition nationale, l’opposition des souvenirs, des habitudes et des mœurs. Ce n’est qu’après avoir été brisées à plusieurs reprises, après avoir employé inutilement les révoltes, les protestations et les murmures, que les populations se turent, et que tout se rangea sous l’unité d’obéissance qui forme, depuis le seizième siècle, le caractère de la monarchie française[242].

[242] Voyez l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, t. IV, conclusion.

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