Lettres sur l'histoire de France
LETTRE XX
Histoire de la commune de Reims.
La ville de Reims, célèbre dès les temps les plus reculés par sa grandeur et son importance, fut, parmi les cités du nord de la Gaule, celle qui conserva le mieux, après la conquête franke, l’organisation municipale qu’elle avait reçue des Romains. C’était, durant le moyen âge, une tradition populaire à Reims que le privilége d’être jugé par des magistrats de leur choix remontait, pour les habitants de cette ville, jusqu’à une époque antérieure à saint Remi, qui convertit et baptisa l’armée des Franks. Cette vieille institution n’avait pu, sans s’altérer beaucoup, traverser un si long espace de temps ; les magistrats municipaux, réduits quant au nombre, avaient perdu leurs attributions politiques : il ne leur était demeuré que le droit de justice dans les causes qui n’entraînaient pas de peine capitale. Enfin, au lieu de l’ancien titre collectif de curies que leur donnaient les lois romaines, ils avaient reçu, sous la seconde race, un nom germanique, celui de skepene ou juges, devenus scabini dans le latin des actes officiels, et dont s’est formé le mot échevins dans le dialecte roman du Nord.
Le pouvoir, dont les empiétements successifs diminuèrent, à Reims, les prérogatives des magistrats civils élus par les citoyens, fut celui des archevêques. D’abord magistrats eux-mêmes et défenseurs de la cité[400], ils transformèrent, à la longue, cet office de patronage légal en une domination absolue, comme celle des seigneurs féodaux. A mesure que ce changement se prononça, la justice municipale ou l’échevinage, seule garantie des citoyens contre la puissance des archevêques, entra en lutte avec eux et avec leurs officiers de police administrative ou judiciaire. Cette longue querelle est obscure et de peu d’importance jusqu’à l’époque où le mouvement imprimé par la révolution communale se fit sentir dans le voisinage de Reims, à Noyon, à Beauvais, à Laon, à Amiens et à Soissons. L’exemple de ces villes inspira aux citoyens de Reims de nouvelles idées politiques et un plus haut degré d’énergie. Ils résolurent de reconstituer, par un effort commun, et de rendre, à l’avenir, inattaquables les garanties de liberté dont les débris s’étaient conservés chez eux pendant plusieurs siècles[401].
[400] Voyez, sur l’office de défenseur (defensor) dans les villes romaines, et sur les pouvoirs municipaux attribués aux évêques, les Essais de M. Guizot sur l’histoire de France, premier Essai.
[401] Marlot, Metropolis Remensis Hist., éd. de 1666, t. II, p. 327.
Ce fut dans l’année 1138, dix ans après la promulgation de la charte de Laon, qu’une association politique se forma, pour la première fois, parmi la bourgeoisie de Reims. Cette association prit le nom de compagnie, alors synonyme de celui de commune. La vacance du siége épiscopal, causée par la mort de l’archevêque Renaud, avait facilité ce mouvement, sur lequel il reste trop peu de détails. Tout ce qu’apprennent les courtes notes éparses dans les anciens registres des églises, c’est que les bourgeois se conjurèrent pour établir une république. Par ce mot, l’on n’entendait point désigner une tentative différente de celle qu’avaient faite, avec plus ou moins de succès, les habitants des villes voisines. A Reims, on ne connaissait pas mieux qu’ailleurs et l’on ne regrettait pas davantage les formes de gouvernement de l’antiquité ; mais, sans rapporter ce qu’ils voulaient établir à aucune théorie politique, les conjurés aspiraient à s’organiser en société indépendante, non de l’autorité spirituelle, mais de la puissance temporelle des archevêques.
Durant la vacance du siége de Reims, l’église métropolitaine était sous le patronage du roi, qui en percevait les revenus et en exerçait la seigneurie. Louis VII, qui régnait alors depuis près d’un an, était en querelle avec le pape Innocent II, et leur mésintelligence retardait l’élection d’un nouvel archevêque. Cette circonstance diminua beaucoup les obstacles que les bourgeois de Reims devaient rencontrer dans l’établissement de leur commune. Le roi n’avait aucun intérêt à dissoudre cette association et à les ramener malgré eux sous la dépendance de l’église. Tout l’espoir du chapitre métropolitain, pour le rétablissement de ses droits seigneuriaux, était dans une prompte élection, acte qui ne pouvait s’accomplir sans le congé du pape et l’agrément du roi. Bernard, fondateur et premier abbé du monastère de Clairvaux, près de Bar-sur-Aube, homme que l’Église vénère aujourd’hui comme saint, et qui, de son temps, jouissait d’un immense crédit, à cause de son zèle religieux, de son éloquence et de son activité politique, s’entremit dans cette affaire, et écrivit soit au roi, soit au pape, un grand nombre de lettres, dont je ne citerai que la suivante :
« A son très-aimé père et seigneur Innocent, souverain pontife, le frère Bernard de Clairvaux, appelé abbé, ce qui est peu de chose.
« L’église de Reims tombe à sa perte ; une cité glorieuse est livrée aux opprobres : elle crie à ceux qui passent par le chemin qu’il n’y a pas de douleur semblable à sa douleur, car au dehors est la guerre, au dedans la crainte, et de plus, au dedans la guerre, car ses fils combattent contre elle, et elle n’a pas de père qui puisse la délivrer. Son unique espérance est dans Innocent, qui essuiera les larmes de ses joues. Mais jusqu’à quand, Seigneur, tarderez-vous à étendre sur elle le bouclier de votre protection ? Jusqu’à quand sera-t-elle foulée aux pieds et ne trouvera-t-elle personne qui la relève ? Voici que le roi s’est humilié, et que sa colère contre vous s’est apaisée : que reste-t-il donc, sinon que la main apostolique vienne soutenir l’affligée, apportant des soins et un appareil pour ses blessures ? La première chose à faire, c’est de presser l’élection, de crainte que l’insolence du peuple rémois ne ruine le peu qui subsiste encore, à moins qu’on ne résiste, le bras levé, à sa fureur. Si l’élection était solennisée, avec les cérémonies d’usage, nous avons confiance que, dans tout le reste, le Seigneur nous donnerait faveur et succès[402]. »
[402] Epistola S. Bernardi, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XV, p. 394, in nota c.
La cour de Rome commençait à prendre l’alarme sur les progrès de cette révolution communale, qui, gagnant l’une après l’autre les villes épiscopales, tendait à ruiner partout la puissance temporelle des évêques. Aussi le pape mit-il en oubli ses griefs contre le roi de France, pour ne plus songer qu’à l’église de Reims et au péril dont elle était menacée[403]. Afin d’engager Louis le Jeune à détruire ce qu’avaient fait les bourgeois, et à les châtier de leur rébellion, il lui adressa une lettre pleine de paroles affectueuses et qui se terminait de la manière suivante : « Puisque Dieu a voulu que tu fusses élu et sacré roi pour défendre son épouse, c’est-à-dire la sainte Église rachetée de son propre sang, et maintenir ses libertés sans atteinte, nous te mandons par cette lettre apostolique et t’enjoignons, pour la rémission de tes péchés, de dissiper par ta puissance royale les coupables associations des Rémois, qu’ils nomment compagnies, et de ramener tant l’église que la ville en l’état et liberté où elles étaient au temps de ton père d’excellente mémoire[404]. »
[403] Epistolæ Innocentii II, papæ, apud ibid.
[404] Epistolæ Innocentii II, papæ, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XV, p. 394, in nota c.
Selon toute probabilité, cette lettre arriva trop tard, et trouva la commune de Reims déjà légitimée, en quelque sorte, par le consentement du roi. Ce fut en l’année 1139 que Louis VII fit sceller de son grand sceau une charte par laquelle il accordait aux habitants de Reims la constitution municipale de Laon : « Acquiesçant à votre humble requête et à vos supplications, nous vous avons octroyé une commune sur le modèle de la commune de Laon, sauf le droit et les coutumes de l’archevêché et des autres églises[405]… » Ces réserves, énoncées en termes vagues et qui ne fixaient point d’une manière précise les bornes où devait s’arrêter la puissance bourgeoise, ne pouvaient manquer de produire bientôt de nouvelles disputes et de nouveaux troubles. La passion d’indépendance qui animait les habitants de la cité de Reims, c’est-à-dire de la partie de la ville renfermée dans l’enceinte des murs, avait gagné ceux des quartiers extérieurs et de quelques paroisses rurales. Ces gens, vassaux ou serfs de corps, soit du chapitre métropolitain, soit de l’abbaye de Saint-Remi, soit des autres églises, désiraient entrer dans la commune, c’est-à-dire obtenir pour eux-mêmes les franchises garanties par la charte royale. Mais le chapitre et les églises soutenaient que la concession du roi n’avait de valeur que pour les habitants de la cité ; et ces derniers, pensant que leur commune gagnerait en force si elle devenait plus nombreuse, travaillaient de tout leur pouvoir à étendre sa juridiction hors des murs. De là naquirent beaucoup de débats et une seconde guerre civile entre les partisans des libertés bourgeoises et ceux de la seigneurie épiscopale.
[405] Cette phrase est extraite d’une lettre écrite par Louis VII, postérieurement à la rédaction de la charte de commune, qui ne s’est point conservée jusqu’à nous. (Voyez Epist. Ludovici VII ad majorem et communiam Remensem, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 5.) — Les douze échevins qui existaient à Reims depuis un temps immémorial devinrent alors le gouvernement de la commune, et ainsi la constitution municipale se composa de deux éléments : l’un traditionnel, et l’autre révolutionnaire.
Les chefs du parti populaire se nommaient Aubri et Simon ; malheureusement les documents originaux ne fournissent aucun détail sur leur compte, si ce n’est qu’ils avaient avec eux un prêtre condamné par les tribunaux ecclésiastiques, auquel ils firent célébrer la messe, un jour de la Toussaint, dans l’église Saint-Symphorien[406]. Cette messe, qui fut regardée par le clergé comme un acte de sacrilége, et à cause de laquelle l’église fut de nouveau consacrée, eut lieu, probablement, à l’ouverture d’une assemblée générale de tous les membres de la commune. La cloche de Saint-Symphorien servait à Reims de beffroi communal ; et cette circonstance semble prouver que le grand conseil des bourgeois tenait ses séances dans l’église même. D’autres villes offraient, à la même époque, l’exemple de cet usage introduit par nécessité, faute de locaux assez vastes pour mettre à couvert une assemblée nombreuse. Aussi, l’un des moyens que la puissance ecclésiastique employait, pour gêner l’exercice du droit de commune, était de faire défense de se réunir dans les églises pour un autre motif que la prière, et de sonner les cloches à une autre heure que celle des offices[407].
[406] Necrolog. S. Symphoriani, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 5, in nota a.
[407] Confirmation, par Louis VI, des règlements faits pour la commune de Saint-Riquier. (Recueil des Ordonnances des rois de France, t. XI, p. 184.)
Les différents corps du clergé de Reims, alarmés des progrès rapides que l’esprit d’insurrection faisait hors des murs de la ville, adressèrent de grandes plaintes à cet égard aux évêques suffragants du diocèse, aux légats du saint-siége et au roi. La commune n’avait encore qu’une seule année d’existence ; mais l’ardeur et l’opiniâtreté de ses membres en rendaient la destruction impossible sans beaucoup de violence et une grande effusion de sang. Louis VII n’essaya point de revenir sur ce qu’il avait accordé ; mais il adressa au maire et à toute la commune de Reims une lettre où il se plaignait qu’on eût excédé les bornes posées par la charte de Laon. « Prétendant, disait-il, que le droit des églises n’est point un droit, et que les coutumes établies en leur faveur, dès les temps anciens, ne sont pas des coutumes, vous envahissez par violence les prérogatives et les possessions des églises. » Le roi enjoignait aux magistrats et aux bourgeois de laisser en paix toutes les églises, et spécialement celles de la Bienheureuse Marie et de Saint-Remi, les avertissant que si, à l’avenir, ces églises lui criaient merci, il ne voudrait ni ne pourrait leur dénier justice[408]. Cette lettre, conçue en termes vagues et assez doux, ne fut suivie d’aucun effet. Menacée par la ligue de tous les petits seigneurs ecclésiastiques qui l’entouraient, la commune avait besoin d’envahir sur eux pour n’être point écrasée ; les bourgeois le sentaient, et ce sentiment les poussait à l’obstination et à l’audace, quelque péril qu’il y eût pour eux. Les plaintes réitérées du clergé contraignirent donc bientôt le roi d’adresser aux habitants de Reims un avertissement plus sévère :
[408] « … Alioquin illi ecclesiæ, et aliis post nos miserabiliter clamantibus, a justitia deesse nec volumus, nec debemus, nec etiam possumus… » (Epist. Ludovici VII ad majorem et communiam Remensem, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 5.)
« Au maire et à la commune de Reims, Louis, par la grâce de Dieu, roi des Français et duc des Aquitains, salut et faveur.
« Il nous est très-pénible de voir que vous faites ce qu’aucune autre commune n’a osé faire. Vous excédez en tous points les bornes de la commune de Laon qui vous a été donnée pour modèle, et ce que nommément nous vous avons défendu, savoir, de faire entrer dans votre commune les quartiers et les villages du dehors, vous le faites avec audace et assurance. Les revenus coutumiers des églises, possédés par elles depuis plusieurs siècles, ou vous les leur enlevez vous-mêmes, ou vous défendez aux sujets de les payer par l’autorité de votre commune. Vous détruisez entièrement ou vous diminuez les libertés, coutumes et justices appartenant aux églises de Reims, et spécialement celles des chanoines de l’église de Sainte-Marie, qui maintenant est en notre main, et n’a d’autre défenseur que nous. En outre, vous avez contraint à rançon les sergents des chanoines qui sont sous la même liberté que leurs maîtres ; vous en avez emprisonné plusieurs, et quelques-uns même n’osent sortir de l’église, par la peur qu’ils ont de vous. Pour tous ces excès nous vous avons déjà mandé, et maintenant vous mandons et ordonnons de les laisser aller en paix, de leur restituer ce que vous leur avez pris, et de conserver entièrement aux églises et aux chanoines leurs justices, coutumes et franchises. Adieu[409]. »
[409] Altera epist. Ludovici VII ad majorem et communiam Remensem, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 5.
En l’année 1140, le siége vacant fut rempli par la consécration d’un nouvel archevêque, nommé Sanson de Malvoisin. Ni cet événement, ni les menaces du roi n’arrêtèrent la fermentation des esprits, et, sept ans après, une insurrection éclata hors des murs de la ville, dans le quartier populeux qu’on appelait le ban de Saint-Remi. Le mot ban, qui, dans la langue du moyen âge, signifiait proclamation ou ordonnance, s’appliquait aussi à l’étendue respective de chaque juridiction seigneuriale.
C’est dans ce sens qu’on donnait à la cité de Reims le nom de ban de l’archevêque, tandis que le faubourg, sur lequel l’abbé de Saint-Remi exerçait le droit de justice, se nommait ban de Saint-Remi. Ce faubourg, réuni depuis à la ville par une même enceinte de murs, en était séparé, au douzième siècle, par des prairies et des jardins. Les habitants, trop peu nombreux pour espérer de former une commune capable de se défendre, souhaitaient vivement de se réunir en un seul corps avec ceux du ban de l’archevêque. Ils commencèrent par chasser de leur quartier les officiers et les partisans de la juridiction abbatiale, et descendirent tumultueusement dans la cité, où tous ceux qui désiraient la réunion s’armèrent et se joignirent à leur troupe. Tous ensemble marchèrent vers le palais épiscopal, pour présenter leur requête à l’archevêque et le contraindre d’y faire droit. Sanson les harangua d’une fenêtre, et tâcha de leur persuader de renoncer à ce qu’ils demandaient ; mais, loin de céder, ils devinrent plus audacieux, maltraitèrent les officiers de l’archevêque, pillèrent leurs meubles et démolirent leurs maisons. Obligé de se renfermer dans son palais et d’y rester comme en prison par crainte des ressentiments populaires, l’archevêque Sanson écrivit à Suger, abbé de Saint-Denis, alors régent du royaume à cause du départ du roi pour la Terre sainte, le priant de lui envoyer du secours. En effet, des troupes furent dirigées sur Reims ; et en même temps Joscelin, évêque de Soissons, accompagné de saint Bernard, partit pour être médiateur entre les bourgeois et l’archevêque. A l’approche des troupes, l’émeute cessa, et le ban de Saint-Remi demeura séparé de la commune, mais toujours prêt à se soulever pour la réunion, quand un nouvel incident causait du trouble dans la ville[410].
[410] Anquetil, Hist. civile et politique de la ville de Reims, 1756, t. I, p. 291 et suiv.
Durant les treize années qui s’écoulèrent entre cette révolte et la mort de Sanson, cet archevêque ne cessa de lutter contre la commune de Reims et de travailler, quoique sans succès, à sa ruine. Dans les petits combats auxquels ces discordes donnaient lieu, soit dans les rues, soit hors des murs, les bourgeois eurent toujours l’avantage. Mais en l’année 1160 les événements changèrent de face. Sanson de Malvoisin eut pour successeur le propre frère du roi, Henri de France, ci-devant évêque de Beauvais, qui avait déjà signalé dans cette ville sa haine contre les communes. Attaquant dans leur essence même les droits de celle de Beauvais, il avait voulu faire rentrer tous les habitants sous sa juridiction absolue, et restreindre la compétence des magistrats municipaux au seul cas de déni de justice. Pour mieux réussir dans son entreprise et imposer silence aux bourgeois, il avait invité son frère à se rendre dans la ville, et, durant son séjour, il avait obtenu de lui le décret suivant :
« Louis, par la grâce de Dieu, roi des Français et duc d’Aquitaine, à tous nos fidèles à perpétuité.
« Il convient à l’excellence de notre sceptre de protéger les droits de tous ceux qui sont sous notre sujétion, et spécialement des églises, qui deviendront la proie de la violence des méchants si le glaive matériel et royal ne se porte à leur secours. Sachent tous nos fidèles, présents et à venir, que Henri, notre frère, nous a porté plainte contre les citoyens de Beauvais, ces hommes qui, à l’occasion de leur commune, prenant une audace nouvelle et illicite, ont usurpé les droits de l’évêque et de l’église de Beauvais, ainsi que la justice possédée par l’évêque sur chacun et sur tous. Pour cette cause ledit évêque nous a fait venir à Beauvais, et, en notre présence, la plainte ayant été débattue, et la charte de la commune lue en public, les citoyens ont reconnu enfin que la justice sur toute la ville appartenait à l’évêque seul ; qu’en cas d’excès ou de forfaiture, c’est à l’évêque ou à son official que la réclamation doit être portée. Nous statuons donc, d’après l’excellence de notre autorité, que les plaintes seront toujours adressées à l’évêque, et ordonnons que nul ne soit assez présomptueux pour s’entremettre à Beauvais dans le droit de faire justice, qui appartient à l’évêque, et à l’église, tant que ce droit sera en effet exercé par l’évêque. Mais si, ce qu’à Dieu ne plaise, il reste en demeure à cet égard, alors les habitants auront licence de rendre la justice à leurs concitoyens, parce qu’il vaut mieux que justice soit faite par eux, que de ne pas l’être du tout[411]. »
[411] Recueil des Ordonnances des rois de France, t. XI, p. 198.
Le nouvel archevêque entreprit d’arracher aux bourgeois de Reims un pareil aveu de ses droits absolus de justice et de seigneurie ; mais cela devait être plus difficile qu’à Beauvais, à cause des traditions populaires sur l’antiquité de l’échevinage. Les Rémois adressèrent d’abord au prélat des remontrances respectueuses, le suppliant de les traiter avec justice, et de les laisser vivre sous la loi par laquelle la ville avait été régie depuis le temps de saint Remi, apôtre des Franks[412]. Ils négocièrent même avec lui, et offrirent de payer une somme de deux mille livres, s’il voulait renoncer à ses projets. L’archevêque refusa tout, et mit tant de dureté dans son obstination, qu’une partie du clergé métropolitain et plusieurs de ses vassaux nobles ne purent s’empêcher de le condamner et de prendre parti pour les bourgeois. On disait qu’il voulait imposer à la ville une servitude nouvelle et insupportable, et il se forma, pour lui résister, une association sous le serment, dans laquelle entrèrent des clercs et des chevaliers[413].
[412] Legibus vivere pateretur, quibus civitas continuo usa est, a tempore sancti Remegii Francorum apostoli. (Epist. Johann. Saresb., apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 392 et seq.)
[413] Conspiraverant enim cives de clericorum consilio et auxilio militum… novas quasdam, indebitas et intolerabiles servitutes volebat imponere. (Ibid., p. 391.)
Les membres de cette ligue prirent les armes, et, s’emparant des maisons fortes et des tours des églises, ils contraignirent les partisans de l’archevêque à sortir de la ville. Dans le péril où il se trouvait, Henri de France eut recours à son frère ; il le supplia de venir en grande hâte dissiper la conjuration formée contre lui et tirer vengeance des coupables. Le roi vint en effet à Reims avec des troupes. Une députation des citoyens se présenta devant lui pour lui exposer le véritable état des choses. Il paraît qu’au fond du cœur Louis VII donnait tort à son frère ; mais comme celui-ci, emporté par la passion, ne voulut consentir à aucun arrangement, le roi prononça, quoiqu’à regret, la condamnation du parti populaire[414]. La plupart des bourgeois s’enfuirent à cette nouvelle, et ceux qui ne purent trouver d’asile au dehors se cachèrent dans les bois, sur la montagne entre Reims et Épernay. Le roi fit démolir une cinquantaine de maisons appartenant aux plus opiniâtres, et après cette exécution il se retira. Quand les bourgeois rentrèrent et qu’ils virent les maisons abattues, leur haine et leur emportement redoublèrent. Ils démolirent par représailles les hôtels des chevaliers qui tenaient pour l’archevêque, et le contraignirent lui-même à se renfermer dans une forteresse voisine de son palais.
[414] Rex autem dolens, sed tamen fratris satisfaciens voluntati… (Epist. Johann. Saresb., apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 392.)
Menacé pour la seconde fois d’être assiégé par les révoltés, Henri de France ne s’adressa pas à son frère, qu’il trouvait trop tiède, mais à un souverain étranger, le comte de Flandre. Il l’invita à venir à Reims avec une troupe de mille chevaliers, ce qui, en comptant les sergents d’armes dont chaque chevalier était accompagné, devait faire environ six mille hommes. Les membres de la commune, n’ayant point de forces suffisantes pour résister à cette armée, prirent une seconde fois le parti de sortir de la ville, qui fut occupée par les Flamands[415]. Alors l’archevêque se conduisit en adroit politique ; il fit porter aux émigrés des paroles de conciliation, promettant d’oublier toutes les offenses et de réduire à quatre cent cinquante livres la somme due en réparation des dommages qu’il avait soufferts dans ses biens. Ruinés eux-mêmes par deux occupations militaires, et désespérant de leur cause, les émigrés acceptèrent un traité qui, au prix des droits qu’ils ne pouvaient plus défendre, leur garantissait du moins le retour en paix dans leurs foyers et de grandes décharges pécuniaires. Ce traité, dont le détail ne nous est point parvenu, enleva aux habitants de Reims leur juridiction immémoriale ; l’échevinage fut supprimé, ou, cessant d’être à la nomination des citoyens, il n’appartint plus dès lors au gouvernement municipal ; on ne peut dire ce qu’un pareil changement laissa subsister de la commune.
[415] Sed illi præsentientes adventum comitis iterato cesserunt… (Epist. Johann. Saresb., apud Marlot, Hist. metropol. Remensis, t. II, p. 392.)
Henri de France, pour rendre moins sensible aux bourgeois de Reims le coup d’État qui les avait frappés dans leurs franchises héréditaires, donna tous ses soins à la prospérité matérielle de la ville. Il établit une foire annuelle et assura par des postes armés la sécurité des routes ; mais il ne put habituer les esprits au régime de la seigneurie absolue, et, dès qu’il fut mort, les citoyens revendiquèrent comme un droit leur magistrature élective. Son successeur, Guillaume de Champagne, homme d’une conscience rigide et d’un caractère généreux, ne crut pas qu’il lui fût permis de conserver un surcroît de pouvoir qui était le fruit de la violence. Avant que les réclamations des Rémois eussent dégénéré en menaces, il leur rendit l’échevinage et il en fixa les droits par une charte dont le préambule est extrêmement remarquable :
« De même que les princes de la terre, en respectant les droits et la liberté de leurs sujets, peuvent acquérir l’amour de Dieu et du prochain, de même aussi, en violant ou altérant des priviléges obtenus depuis de longues années, ils peuvent encourir l’indignation du Très-Haut, perdre la faveur du peuple et charger leurs âmes d’un fardeau éternel. Nous donc, déterminé par ces motifs, et considérant la soumission et le dévouement que vous, nos chers fils et nos fidèles bourgeois, vous nous avez témoignés jusqu’à ce jour, nous avons jugé à propos de restituer et de confirmer pour toujours, par la garantie de notre autorité, à vous et à vos descendants, les coutumes octroyées il y a longtemps, mais mal gardées, à cause des changements de seigneurs.
« Nous voulons que les échevins soient restitués à la ville, qu’ils soient élus au nombre de douze, entre les habitants de notre ban, par votre consentement commun, qu’ils nous soient ensuite présentés et soient renouvelés chaque année, le jour du vendredi saint ; enfin qu’ils prêtent serment de vous juger selon la justice, et de garder fidèlement nos droits en tant qu’il leur appartiendra[416]… »
[416] Marlot, Hist. metropol. Remensis, éd. de 1666, t. II, p. 417.
En même temps que les citoyens de Reims réclamèrent le rétablissement de la partie ancienne de leur constitution municipale, ils sollicitèrent pour la nouvelle, c’est-à-dire pour la commune qui n’avait jamais été reconnue par les archevêques, un acte d’autorisation. Tout porte à croire que Guillaume de Champagne inclinait à cette condescendance qui eût complété son ouvrage et prévenu de nouveaux conflits entre la bourgeoisie et l’église, mais l’opposition du chapitre métropolitain qu’il devait consulter l’arrêta. Il ne fit dans sa charte aucune mention de la commune, qui, toujours désavouée par les dignitaires ecclésiastiques, se maintint d’elle-même et n’en fut que plus ombrageuse et plus hostile[417]. Un autre défaut de cet acte libéral, ce fut qu’en élevant peut-être d’un degré l’ancienne juridiction de l’échevinage, en lui reconnaissant toute justice, haute, moyenne et basse, il attribua, sans jugement, aux officiers de l’archevêque, la punition des crimes manifestes, réserve qui ouvrit la porte à de grands abus et à des violences colorées de prétextes judiciaires[418].
[417] La charte de Guillaume de Champagne fut donnée en 1182 ; seize ans plus tard, les chanoines de son église, soupçonnant toujours ses dispositions bienveillantes, tirèrent de lui la promesse écrite de n’autoriser entre les bourgeois de Reims ni commune, ni association jurée, ni aucun lien de fraternité, sans le consentement du chapitre. (Voyez les Archives administratives de la ville de Reims, publiées par M. Varin, t. I, p. 435.)
[418] Ad hæc si quis bannalium nostrorum furtum, vel murtrum, vel proditionem commiserit, et forisfactum manifestum fuerit, ipse et res ipsius in voluntate nostra erunt… (Marlot, Hist. metropol. Remensis, t. II, p. 418.)
En rétablissant l’échevinage sans donner son adhésion au nouveau principe populaire du régime municipal, Guillaume de Champagne n’avait qu’en partie répondu aux désirs et à l’espérance des bourgeois de Reims : ce n’était pas assez pour eux et c’était beaucoup trop pour les partisans immodérés de la seigneurie ecclésiastique. Voulant tout accommoder, il ne contenta personne et il eut à souffrir de la désaffection du peuple et de la défiance du chapitre métropolitain. Le chapitre, qui avait une autorité indépendante et une juridiction distincte de celle des archevêques, leur faisait une opposition quelquefois aussi incommode pour eux que l’hostilité du corps municipal. Attristé de voir ses bonnes intentions et ses mesures conciliantes produire peu de bien, Guillaume de Champagne s’en plaignait, à ce qu’il semble, dans les lettres qu’il écrivait à ses amis. On peut croire que de telles confidences furent la cause de cette curieuse plaisanterie que lui adressa l’un d’entre eux, Étienne, évêque de Tournai : « Il y a en ce monde trois choses criardes et une quatrième qui ne s’apaise pas facilement : c’est une commune de vilains qui font les maîtres, une assemblée de femmes en dispute, un troupeau de porcs grognant de concert et un chapitre divisé d’opinions. Nous combattons la première, nous rions de la seconde, nous méprisons la troisième et nous supportons la quatrième. De celle-ci et de la première, délivrez-nous, Seigneur[419]. »
[419] Tria sunt murmurantia super terram, et quartum quod facile non quiescit : communia rusticorum dominantium… capitulum diversa vota sectantium. Cum primo pugnamus, secundum irridemus, tertium contemnimus, quartum sustinemus : a primo et quarto libera nos, Domine. (Stephani Tornacensis episcopi Epistolæ, ed. Du Molinet, 1679, p. 297.)
C’était un singulier état pour les habitants de Reims que la coexistence de ces deux gouvernements, dont chacun tendait sans relâche à subjuguer et à ruiner l’autre. On ne savait, à proprement parler, à qui appartenait la ville ; car tantôt la commune y paraissait maîtresse, nommait les commandants du guet et de la garde, et avait en son pouvoir les clefs des portes ; tantôt l’archevêque reprenait la garde des clefs et l’exercice de l’autorité militaire. Il s’élevait à ce sujet de violents débats, où chacune des deux parties, avant de recourir à la force, tâchait de faire valoir ses raisons. Les archevêques s’appuyaient sur l’ancienneté de leur seigneurie, et les bourgeois disaient que la garde de la ville appartenait naturellement à ceux qui y avaient le plus d’intérêt[420]. En l’année 1211, dans une contestation de ce genre, les échevins s’obstinèrent à soutenir leurs droits contre l’archevêque Aubry de Humbert. L’archevêque, ne se sentant pas assez fort pour user de contrainte, adressa ses réclamations au roi Philippe-Auguste, qui se prononça contre les bourgeois, comme on le voit par la lettre suivante :
[420] … Dictitantes urbium custodiam penes esse eos debere, quorum maxime interesset. (Marlot, Hist. metropol. Remensis, éd. de 1666, t. II, p. 478.)
« Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Français, à ses amés les échevins et citoyens de Reims, salut et amitié.
« Nous vous mandons et ordonnons strictement de rendre, sans contradiction ni retard, à notre amé et féal l’archevêque Aubry, les clefs des portes de la ville de Reims qu’il tient de nous, d’obéir à ses bans de la même manière qu’ils ont été observés au temps de ses prédécesseurs ; enfin de ne point recevoir dans la ville, sans sa permission, les personnes qu’il aura bannies, mais de vous conduire, envers l’archevêque votre seigneur, de telle sorte qu’il n’ait plus lieu de nous adresser des plaintes sur votre compte : car nous ne pouvons lui manquer et ne pas lui garantir la possession de ce qu’il tient de nous[421]. »
[421] Marlot, Hist. metropol. Remensis, éd. de 1666, t. II, p. 478.
L’année suivante, de nouvelles doléances furent adressées au roi par l’archevêque de Reims. Il se plaignait de ce que les bourgeois refusaient d’obéir à ses ordonnances, à moins qu’il ne les eût rendues d’après l’avis et le consentement des magistrats municipaux. Aubry de Humbert s’irrita de ce refus et des prétentions de la commune, qui, selon lui, faisaient autant de tort au roi qu’à lui-même, puisqu’elles tendaient à diminuer les priviléges d’un des grands fiefs de la couronne. Philippe-Auguste jugea dans le même sens et adressa aux bourgeois de Reims des injonctions plus impératives. « Nous vous ordonnons, leur disait-il, d’observer avec humilité les bans de l’archevêque ; que si vous les trouvez déraisonnables, remontrez-le-lui paisiblement, comme à votre seigneur, et requérez-le d’amender ce qui devra être amendé, ne vous mettant point en contradiction avec ses ordres ; mais l’avertissant et le requérant comme un seigneur, afin qu’il pourvoie comme il le doit au péril qui pourrait advenir ; que si, en ayant été requis, il refuse de le faire, et que vous nous adressiez, sur ce point, vos remontrances, nous ferons avec plaisir, à cet égard, tout ce qui est de notre devoir[422]. »
[422] Marlot, Hist. metropol. Remensis, éd. de 1666, t. II, p. 478.
Cette promesse vague d’une protection qui jusqu’alors ne s’était guère étendue que sur leurs adversaires ne pouvait décider les bourgeois de Reims à s’abandonner à la merci du pouvoir épiscopal. Ce qui se passait journellement entre eux et les agents de ce pouvoir était bien autrement grave que ne le ferait croire le style doucereux des dépêches officielles. Les archevêques de Reims possédaient, à l’extrémité septentrionale de la ville, une forteresse bâtie, à ce que l’on croit, par Henri de France. Ils y entretenaient une garnison nombreuse de chevaliers et d’archers. Du côté de la campagne, les fortifications consistaient en quelques tours élevées sur le fossé même de la ville et communiquant avec le dehors par un pont-levis ; mais le côté opposé présentait des défenses formidables. Les murailles étaient plus épaisses, les fossés plus larges et plus profonds, et les remparts, bien terrassés, étaient garnis de machines ; tout indiquait que cette citadelle avait pour destination, non de protéger la ville contre des attaques extérieures, mais de contenir et d’effrayer les habitants. On l’appelait le château de Porte-Mars, parce qu’un ancien arc de triomphe consacré au dieu Mars, et qui autrefois servait de porte à la ville, se trouvait enclos dans ces nouvelles constructions. Au pied des murs, dans la campagne, les archevêques avaient un hôtel orné de jardins : ils l’occupaient ordinairement, mais, à la moindre alarme, ils le quittaient pour se renfermer dans le fort.
C’était au château de Porte-Mars que se tenaient les plaids de la cour épiscopale. On tremblait d’être cité devant elle, car une fois entré dans la forteresse, personne n’était sûr d’en sortir. Abusant des dispositions de la charte de Guillaume de Champagne pour le cas de délit manifeste, les officiers de l’archevêque enlevaient au jugement des échevins la plupart des causes criminelles[423], et ils multipliaient ces causes en qualifiant de félonie la moindre plainte contre leurs sentences ou leurs excès d’autorité. Quiconque obéissait à leur mandat de comparution n’avait que deux alternatives : ou une amende exorbitante, ou un emprisonnement illimité. Si quelqu’un refusait de se rendre aux sommations de leurs sergents, ils fondaient sur la ville à la tête d’une troupe armée, parcouraient les rues, fouillaient les maisons, et, s’ils ne trouvaient pas le défaillant, s’emparaient du premier venu et le retenaient prisonnier jusqu’à ce qu’on leur remît en échange l’homme qu’ils demandaient. Le sort tombait ordinairement sur un bourgeois riche, ayant des parents considérables, qui, afin de le sauver, se faisaient persécuteurs de l’accusé pour lequel on le gardait comme otage. Acharnés contre ce malheureux, ils le cherchaient, le poursuivaient de retraite en retraite, l’enlevaient des bras de sa femme et de ses enfants et le livraient aux officiers de l’archevêque[424].
[424] Anquetil, Hist. de la ville de Reims, t. II, p. 22 et suiv.
Ceux-ci, maîtres du fugitif, aussitôt condamné, lui infligeaient sous le nom d’amende le payement d’une rançon. Pour l’obtenir de lui ou de sa famille, ils le soumettaient aux épreuves du cachot, des fers, et quelquefois même de la faim. Si la famille, instruite de l’état du prisonnier, ne se tenait pas pour avertie, ils avaient recours aux tortures, et souvent la rançon venait trop tard. Telles furent les plaintes adressées à Louis IX par les habitants de Reims, sous un archevêque dont le nom va bientôt figurer dans cette histoire[425]. Comme remède à de si étranges violences, ils demandèrent, mais inutilement, que l’ancien palais des archevêques redevînt le chef-lieu de leur seigneurie temporelle, et que personne cité en justice ne fût obligé de comparaître au château de Porte-Mars[426].
[425] Henri de Braine. (Voyez ci-après, p. 341 et suiv.) — Histoire de la ville de Reims, par Anquetil, t. II, p. 27.
[426] Precepimus eciam (sic), quod cives Remenses vocati sive citati a dicto archiepiscopo, vel ejus mandato, veniant ad domum suam que dicitur Porta-Martis, et ibidem placitent, et jura audiant, et alia faciant quecumque facerent in palacio Remensi… (Sentence portée par Louis IX, en 1236, Archives administratives de la ville de Reims, publiées par M. Varin, t. I, part. II, p. 609.)
De pareils faits suffisent pour expliquer l’existence orageuse des communes et l’ardeur avec laquelle une population de marchands et d’artisans se jetait dans la guerre civile. Accoutumés par les habitudes paisibles de notre civilisation à voir dans le nom de bourgeois l’opposé de celui de soldat, nous avons peine à comprendre ces héros de l’industrie naissante, qui maniaient les armes presque aussi souvent que les outils de leurs métiers, et frappaient de crainte jusque dans leurs donjons les fils des nobles et des preux, quand le son du beffroi annonçait au loin que la commune allait se lever pour la défense de ses franchises.