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Mes cahiers rouges au temps de la Commune

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QUAND NOUS FAISIONS
le «Père Duchêne»


LA RÉPUBLIQUE OU LA MORT!

I

je rencontre Vermersch

Fin février 1871.—Boulevard Saint-Michel. Je rencontre Vermersch. Je n’ai point entendu parler de lui depuis les premiers jours du siège. Il est en vareuse d’aide-major. D’où vient-il? Je me rappelle qu’il a quelque peu fait sa médecine. Je m’explique son uniforme. Tout le monde n’a-t-il pas un uniforme? Gill[118] lui-même, le bon Gill, qui n’est cependant pas belliqueux, n’est-il pas apparu, un soir, à notre brasserie de la rue Saint-Séverin, coiffé d’un superbe képi à bande de velours vert sur laquelle se détache un serpent d’Esculape brodé d’argent? Gill était rayonnant.

—D’où diable sors-tu avec ce képi?

Gill, tordant sa moustache:

—Mon cher, je suis aide-pharmacien de mon bataillon.

Gill pharmacien!

Vermersch m’explique que, dès le commencement des hostilités, il s’est engagé dans le corps d’ambulanciers créé par Monseigneur Bauer, un évêque qui fit pas mal de bruit autour de lui, et qui caracolait aux avant-postes, en soutane et en bottes à l’écuyère.

—Veinard. Tu n’as pas eu faim!

Bras dessus bras dessous, nous descendons le boulevard. Un bataillon passe, musique en tête, jouant la Marseillaise. Derrière le commandant, un sergent-major porte une large couronne. Sur le nœud rouge, l’inscription en lettres d’or:

—La République ou la mort!

—Où allez-vous?

—A la Bastille!

Allons à la Bastille.

Sur le parcours, tout le long de la rue de Rivoli, ce ne sont qu’acclamations.

—Vive la République!

—Vive la Commune![119]

D’autres bataillons sont rencontrés. A chaque coin de rue, la file s’allonge. Cela fait bientôt un régiment. Les passants suivent, hommes, femmes, enfants, mêlés aux rangs.

Rue Saint-Antoine, sur le pas des portes, les spectateurs battent des mains.

Devant nous la colonne se dresse, le génie d’or fleuri de banderoles rouges.

colonne en fête

La place est noire de monde. Depuis le 24, cela ne désemplit pas. Tout le jour, c’est un défilé ininterrompu. Aux drapeaux tricolores coiffés de bonnets rouges, se mêlent les bannières ornées du temple d’or et du compas symboliques.

Nous parvenons à percer la foule. Le bataillon que nous avons suivi est arrivé au pied du monument. Partout des couronnes d’immortelles. Le fût de bronze en est constellé.

Le commandant monte sur le socle.

—Citoyens, jurons de défendre la République jusqu’à la mort! Honte à l’Assemblée de Bordeaux! A bas les monarchistes!

La foule répond par un grondement formidable. Les mains se tendent. Les bouches grandes ouvertes hurlent. Aussi loin que le regard peut porter, on ne voit que képis qui s’agitent, baïonnettes qui s’éclairent, bannières qui claquent. Des femmes élèvent au-dessus de leurs têtes leurs enfants, pour qu’ils conservent à jamais le souvenir du merveilleux spectacle.

Tout près de moi, un gros garde national pleure à chaudes larmes.

—Ah! citoyen, c’est plus fort que moi. Je ne suis pourtant guère sensible. Mais voyez-vous, ça me prend là...

Je crois bien, que moi aussi, mes yeux vont se mouiller.

—Tonnerre! me dit Vermersch en se penchant à mon oreille. Quel riche tableau... Ça devait être comme ça, la Fédération... Mais, mon vieux, nous sommes en pleine Révolution! Et dire qu’ils songent à désarmer ces gens-là!... Ils sont fous!

Nous serrons la main du commandant. Un autre l’a remplacé déjà.

—Restons ici, dis-je à Vermersch.

Tard dans la soirée, nous sommes demeurés là tous deux. La foule se renouvelait toujours. Ces hommes, pressés les uns contre les autres, ces drapeaux fébrilement agités, ces couronnes, ces visages tendus, prenaient dans l’obscurité de la place des formes étranges et mystérieuses.

Sur le socle de la colonne, le tas de couronnes montait toujours. Les serments se multipliaient. Il semblait que ce délire de tout un peuple ne dût jamais finir.

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