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Mes cahiers rouges au temps de la Commune

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NOS APRÈS-MIDI

I

une patriote

Inoubliables jeunes années...

Maintenant, c’est la fournaise, où nous allons tous trois nous jeter à corps perdu.

Le soir est consacré au journal. L’après-midi, il y a toujours une visite à recevoir ou à rendre.

Un bataillon qui revient des avant-postes et qui envoie cinq ou six de ses hommes saluer, dans son échoppe de la rue du Croissant, ce Père Duchêne qui fait la joie des terribles soirées aux avant-postes.

—Tiens! nous le croyions plus vieux que cela, le Père Duchêne!

Et les braves gens serraient nos mains. Parfois, on allait trinquer au comptoir ou au café voisins.

Une après-midi, j’étais seul au Père Duchêne. On frappe à la porte. Une femme. Pour sûr, une citoyenne. Je le vois tout de suite.

—Citoyen, vous ne me connaissez pas. Je suis factrice à la Halle. Le Père Duchêne a dit l’autre jour qu’il fallait payer les Prussiens pour qu’ils fichent le camp et que nous redevenions une nation libre. Moi, je n’ai pas d’argent. Mais si vous voulez accepter cela, je vous le donne.

Et la citoyenne, qui tenait à la main une petite boîte, la dépose sur ma table.

—Ouvrez, citoyen, ouvrez.

Je soulève le couvercle.

—Des bijoux! Et que voulez-vous que nous en fassions?

—Ce que vous voudrez. Vendez-les. Et versez le produit de la vente à l’Hôtel de Ville.

Je m’efforce de démontrer à la citoyenne que ce n’est pas sa modeste offrande qui pourra avancer d’un seul pas le départ du vainqueur. Elle insiste. Finalement, elle me tend la main et s’esquive.

Je veux la rappeler. Elle a disparu.

Dans la boîte, je trouve:

Une petite cuiller en argent,

Un rond de serviette en argent,

Une paire de boucles d’oreilles en or,

Une chaîne de femme en or.

Je referme la boîte. Je la mets en lieu sûr—ou que je crois sûr—dans un tiroir qui nous sert de caisse, espérant bien qu’un jour ou l’autre, je pourrai rendre à notre visiteuse son petit trésor.

Hélas! je ne la revis plus.

La défaite vint. Et j’ignore encore en quelles mains sont tombés les bijoux de la brave citoyenne.[138]

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