← Retour

Mes cahiers rouges au temps de la Commune

16px
100%

EUGÈNE VERMERSCH

Altorf

Décembre 1874. Vermersch arrive ce soir. Voici une dizaine de jours qu’il a été expulsé de Belgique. Il s’est réfugié à Maastricht, puis à Aix-la-Chapelle. C’est de là qu’il vient de me télégraphier.

Trois heures. Au débarcadère du bateau à vapeur du lac des Quatre-Cantons, à Fluelen. Le bateau est en vue. Je braque ma lorgnette sur le pont. Je n’ai pas revu Vermersch depuis les derniers jours de la Commune. Je me fais une fête de l’embrasser. La bateau aborde. Le voilà, avec sa femme et son jeune enfant.

—Tes bagages?

—Mes bagages?

Et il me présente, en riant, sa petite famille.

Une maigre valise. Et c’est tout.

Dès qu’il m’a annoncé son arrivée, en même temps qu’il m’apprenait son expulsion, je me suis mis en route pour lui découvrir un logis.

Sur les confins de la petite ville, une petite maison, au milieu d’un verger. J’ai loué le premier et seul étage. Le rez-de-chaussée occupé par le propriétaire. Un prêtre.

Un brave curé, qui vit là, dans la retraite et le silence.

—Votre ami ne fera pas de bruit?

—Oh! non. Il est toute la journée dans ses livres. Un poète...

—Ah! Eh bien, nous causerons ensemble... D’où vient-il, votre ami?... Est-ce qu’il est comme vous... de Paris?

Tout le monde, à Altorf, sait que j’ai été de la Commune.

—Non. Il vient de Belgique.

Ma foi, je n’ai pas osé avouer au curé que son nouveau locataire était, lui aussi, un communard.

Peut-être eût-il été effrayé, le digne homme, de sentir désormais près de lui, sous le même toit, jour et nuit, un de ces bandits qui avaient fusillé les otages...

Ce soir, Vermersch logera chez moi. Le lendemain, quand tout son monde sera frais et dispos, il ira voir son curé. A lui de se débrouiller, s’il veut faire ses confidences.

J’ai invité à dîner, pour la circonstance, un ami qui n’a pas été de la Commune, mais qui a revêtu, pendant la guerre, le costume de chef de bataillon des gardes nationales lyonnaises. Dès mon arrivée ici, nous avons été amis. Il écoute sans sourciller le récit de nos aventures. Il crie volontiers, avec moi, au cours de nos promenades, un «Vive la Commune!» que l’écho des montagnes renouvelle. A Altorf, ça ne fait de mal à personne.

Cet ami a nom Lautard. Mais sa ressemblance étonnante avec Napoléon III fait que nous l’appelons Badinguet.

Nous sommes, à Altorf, une demi-douzaine de Français attachés à l’entreprise de percement du grand tunnel du Gothard. Lautard dirige le magasin alimentaire installé sur les chantiers du grand tunnel, à Gœschenen. Il vient nous voir à Altorf aux jours de fête. Le soir, on danse dans la grande salle de la Clef d’or. Et la joie de Lautard, quand le bal bat son plein, est de faire son apparition en frac, la moustache cirée, les cheveux ramenés sur les tempes, le large ruban rouge de la Légion d’honneur barrant la poitrine. Il salue, majestueux et souriant, les danseurs.

—C’est bien lui! Vive l’empereur! Vive Badinguet! Vive Lautard!

Il y a pourtant, hors ce bon Lautard, quelques communards à Altorf, ou, du moins, au Gothard.

A Airolo, à l’embouchure sud de la galerie, mon vieil ami J.-B. Dumay, qui est aux ateliers de réparation des machines. Il y resta jusqu’à l’amnistie. A Gœschenen, c’est un ancien huissier de la Commune—la Commune nomma des huissiers—qui tient la cantine. Marcelin Chain fut nommé huissier par Protot, par arrêté du 28 avril 1871. Il se fait appeler là-bas Rambaud. Il a, pour aide, un ancien capitaine fédéré, Michaut, qu’il tarabuste et qu’il envoie faire les commissions. Michaut renâcle et grogne:

—M’envoyer chercher le lait... Moi... Un ancien officier!...

Aux ateliers des machines de Gœschenen, Fernand Bourgeat, qui commanda la canonnière la Liberté, l’ancienne canonnière Farcy du siège.

Des amis passent. Les uns qui traversent la montagne pour s’en aller en Italie. D’autres qui viennent pour affaires ou par simple but de promenade.

Un beau matin de juillet, on frappe à ma porte. Un beau vieillard, à l’œil vif, droit dans sa haute taille. Le père Beslay. L’ancien président de la Commune.

Le père Beslay habite Neuchâtel. Il n’y a pas bien longtemps que je me suis assis à sa table.

—Bonjour, jeune citoyen.

L’excellent homme entre, s’assied.

—Vous ne savez pas pourquoi je viens vous déranger si matin? Je tiens à visiter les travaux du tunnel. Vous savez, j’ai été ingénieur, entrepreneur, moi aussi. Je viens vous demander une lettre de recommandation.

—Vous allez bien déjeuner avec nous?

—Non. Non. Je pars tout de suite.

—Vous avez votre voiture?

—Ma voiture, s’exclame en riant le vert vieillard... Ma voiture... Mais j’y vais à pied...

—A pied! Mais, d’ici à Gœschenen, c’est au moins trente kilomètres...

—Oui, je sais... C’est pour cela que je pars tout de suite... Je me reposerai à mi-chemin, à Amsteg.

Le père Beslay avait alors près de quatre-vingts ans.

Vermersch fit vite la conquête de son curé. Quelques jours après son installation, j’allai le voir. Je le trouvai, causant dans le jardin avec le prêtre, qui lui nommait les glaciers voisins et lui disait les vieilles légendes du pays d’Uri.

Vermersch est le plus casanier des hommes. Tout le jour plongé dans son dictionnaire latin. Il traduit alors Juvénal, qu’il ne quitte que pour s’installer à l’ingrate besogne qui lui permet de vivre. Il rédige presque en entier, pour l’éditeur Madre, de la rue du Croissant, le Grelot, journal hebdomadaire illustré. Quand il a fini son Grelot, il abat du roman, du gros roman-feuilleton, les Amants de la Guillotine, ou autres machines terrifiantes. Je lui en vis faire au moins une demi-douzaine.

Son seul passe-temps, mais un passe-temps qui est pour lui une passion, c’est la cuisine.

Vermersch est devenu cuisinier émérite. Déjà, quand j’habitais Genève, il m’envoyait de Londres la bonne recette pour le plum-pudding. A Altorf, il a longuement étudié l’art d’accommoder la poule faisane, ce gibier exquis des forêts alpestres. Je ne manque jamais, quand je vais au Gothard, de m’en procurer une. C’est jour de fête pour Vermersch.

La table dressée et ses convives assis, lui ne quitte pas ses fourneaux. Il tient à servir lui-même. Je le vois toujours faire son apparition, le tablier blanc noué autour de la taille, le nez en trompette rieur, le chef surmonté d’un bonnet de papier blanc semblable à ceux que se confectionnent les peintres, soutenant des deux mains, avec vénération,—tel un saint-sacrement,—le plat délicieux...

Le lendemain, il retourne à son Juvénal—et, hélas!, aussi au Grelot et aux gros romans pour livraisons à deux sous.

Parfois, le soir, il vient me prendre, et nous allons nous asseoir dans quelque petit cabaret obscur. Il me récite ses vers nouvellement éclos. Nous parlons des vieux jours. Facile à s’émécher, il se lève, frappe sur la table:

—Vois-tu, mon vieux... Eh bien... On dira ce qu’on voudra... Nos noms sont gravés sur le bronze de l’Histoire.

Il se rassied, tirant de sa pipe d’énormes bouffées, frisant, d’un geste familier, sa moustache blonde de Flamand.

Et les bons Suisses qui nous entourent regardent d’un air curieux ce Parisien qu’ils voient passer chaque jour, allant faire ses provisions à la boucherie.

Pourquoi diable fait-il, ce soir-là, tant de tapage?...

—Tu sais, me dit Vermersch une après-midi, Lonclas[267] arrive demain.

Lonclas, le membre de la Commune du douzième. Je ne l’ai pas connu à Paris.

Le lendemain, Vermersch m’amène un gros garçon, à l’allure réjouie. Il ne reste à Altorf que quelques jours. Il se rend à Vienne, pour affaires.

Lonclas a un désir impérieux. Celui de visiter la Furka. Les glaciers d’où sort le Rhône.

Je retrouve, dans le paquet de lettres de Vermersch que j’ai conservées, quatre lignes:

Nous avons arrêté une voiture. Rendez-vous demain matin, à la Tour, sur la grand place. A six heures précises. Nous viendrons, Lonclas et moi, te chercher, ce soir, à huit heures, à moins que tu ne veuilles nous devancer, chez Wiget.

Wiget, c’est la brasserie, le Schützengarten, où nous allons bavarder le soir.

En voyage donc pour la Furka. A Gœschenen, nous accrochons Radinguet. Toute une caravane.

En route, nous descendons de nos voitures pour soulager l’attelage.

Lonclas, qui parcourt pour la première fois la montagne, s’émerveille à chaque pas. Il arrache aux rochers des touffes de roses des Alpes, qu’il lie à son alpenstock, comme autrefois, aux avant-postes, les lilas au bout des fusils. Le bâton sur l’épaule, il marque le pas avec la chanson de route du siège, la même que scandaient, rue de Belleville, ceux qui conduisirent les otages jusqu’au mur de la rue Haxo:

Y a la goutte à boire là-bas,
Y a la goutte à boire...

Quoi! ce bon garçon, travailleur et joyeux, c’est ce même Lonclas de qui les journaux ont dit mille horreurs. Jusqu’à imprimer—cela a été reproduit dans un livre édité en 1871—que Lonclas a tenu, avec son collègue Philippe,[268] une et même deux maisons de prostitution!

Que tout cela est loin! Je n’ai plus revu Lonclas. Trois années après cette gaie excursion à la Furka, une mort affreuse terrassait Vermersch.

la mort

San Pier d’Arena (Italie). Octobre 1878.—Une lettre. Encadrée de noir... Vermersch mort. Délivré plutôt. Mort... Mon cœur se serre... Toute une vie se représente à ma mémoire. Nos causeries au quartier. La brasserie Saint-Séverin. Le Père Duchêne. Ses lettres de Londres, après la défaite. Lettres exaspérées... Son séjour, près de nous, à Altorf. Sa vie calme des premiers mois, là-bas, hors la petite ville, chez le curé... Puis, un changement subit... Un soir, il est venu me prendre, comme d’habitude, pour aller, dans quelque petite brasserie, bavarder devant nos verres... Brusquement, au cours d’une explication, il s’est dressé devant moi... Que voulait-il? Pourquoi me menaçait-il?... Ah! je comprends, maintenant...

J’ai toujours à la main la lettre encadrée de noir.

Madame veuve Eugène Vermersch, née Delphine de Somer, ses enfants, parents, frères, sœurs et beaux-frères, ont la douleur de vous faire part de la perte cruelle qu’ils viennent d’éprouver dans la personne de leur bien-aimé mari, père, gendre et beau-frère,

EUGÈNE VERMERSCH
journaliste et docteur ès-lettres[269]
NÉ A LILLE (FRANCE)
mort à Londres, le 9 octobre 1878, à l’âge de 33 ans et deux mois, après une longue et pénible maladie.

L’enterrement civil aura lieu à New South Gate, au Great Northern Cemetery, le dimanche 13 octobre, à trois heures.

Depuis que, en octobre 1875, moins d’un an après être venu m’y retrouver, Vermersch avait quitté Altorf, je n’avais que de loin en loin de ses nouvelles. Je savais qu’il avait abandonné Genève pour retourner à Londres. Ce fut Caria qui, le 10 août 1878, m’apprit, le premier, l’état, déjà désespéré, de notre pauvre ami. Caria m’écrivait:

Londres, 10 août 1878.

Citoyen Vuillaume,

Je crois devoir vous donner connaissance de la position malheureuse dans laquelle se trouve Vermersch.

Depuis huit jours, il est au lit, atteint d’une maladie dont nous désespérons pouvoir le sauver.

Il fut atteint dimanche dernier des premiers symptômes. Les premières paroles qu’il prononça, quand il revint à lui, furent: «Vuillaume... Avec toi... Vuillaume... Qu’il vienne me voir...»

C’est à la misère, et aux calomnies, qu’il doit cette position malheureuse...

Il faut vous dire que, depuis quelque temps, le Grelot ne le payait plus que 75 francs par mois. Ce coup fut tellement fort pour lui que cela l’a tué...

Recevez, citoyen, une cordiale poignée de main.

Léopold Caria.

La lettre de Caria m’avait trouvé à San Pier d’Arena, près Gênes, où j’habitais, non loin de la plage, une petite villa. Je répondis à Caria que Vermersch, dès qu’il serait rétabli, pouvait venir m’y rejoindre. Loin des soucis qui l’accablaient, il se rétablirait. Et, après, nous aviserions. Aussitôt ma lettre reçue, Caria m’écrivait:

Londres, 19 août 1878 (lundi 9 h. 1/2 soir).

Cher citoyen Vuillaume,

Il y a une heure que j’ai votre lettre. Comme vous le désirez, je réponds de suite, et je vais vous donner tous les renseignements que vous me demandez...

C’est de son chevet, à une heure du matin, que je vous ai écrit ma première lettre. Cette nuit fut bien pénible pour moi. Il avait le délire...

Vous me demandez ce qu’il faut faire. Pour l’instant, attendre.

Il est toujours à Londres, dans une maison de santé, à dix minutes de chez moi. Comme je ne puis le voir que tous les mardis, je ne puis vous donner de nouvelles fraîches. Vendredi, il allait un peu mieux. Mardi dernier, je le vis le matin, à six heures un quart. Il m’a reconnu aussitôt que je suis entré dans la chambre, et il me causa environ cinq minutes. Dans la journée il dit à d’autres personnes que j’avais été le voir le matin.

S’il était tranquille, loin de tous tracas, je suis convaincu qu’il guérirait rapidement. Mais il aura toujours devant lui la position pécuniaire qui le tourmentera. Voila à quoi il faut que nous pensions.

Citoyen Vuillaume, puisque vous avez une maison au bord de la mer, aussitôt qu’il sera en état de voyager, nous ferons tout notre possible pour qu’il aille vous rejoindre...

Il a été convenu ici entre les quelques amis que nous sommes, de lui établir un petit pécule pour, quand il sera rétabli, faire ce qu’il désirera. Par ce moyen, il aura l’argent nécessaire pour aller vous joindre. Mais cela ne sera pas avant deux mois au moins...

Dans huit jours, je vous récrirai pour vous tenir au courant de sa guérison, ou des complications qui pourraient survenir.

Recevez, cher citoyen, l’assurance de mes amitiés sincères.

Léopold Caria.

Le 20 et le 21 août, je reçois deux lettres de madame Vermersch. Elles sont, l’une et l’autre, désolées. Le 2 septembre, nouvelle lettre. Le pauvre malade va mieux. Ou du moins, ses proches veulent espérer.

... Nous sommes allés, mon père, ma mère et moi—m’écrit madame Vermersch—le voir, et l’avons trouvé mieux. Hier, nous avons trouvé un si grand changement que j’ose le croire complètement guéri...

D’autres nouvelles m’arrivent bientôt par Edmond Levraud, que j’avais vu, quelques mois auparavant, à Genève.

Londres, 9 septembre 1878.

Mon cher Vuillaume,

Caria, qui m’a donné votre adresse, vous a raconté l’état dans lequel se trouve Vermersch.

J’ai été le voir hier... Chose étrange, il passe son temps à faire des vers.

Il est on ne peut mieux dans un établissement qui est parfaitement situé. Le médecin et le directeur sont très bons pour lui. C’est Vermersch qui me l’a dit...

Malheureusement, je crains fort qu’il ne guérisse que bien lentement.

Enfin, pour le moment, il est aussi bien soigné que possible...

Je vous serre bien les mains de tout cœur.

Edmond Levraud.

Je ne conservais pas beaucoup d’espoir. Une lettre de Caria vint m’enlever le peu qui m’en restait.

Londres, 1er octobre 1878.

Cher citoyen Vuillaume,

Pour la seconde fois depuis ma dernière lettre, j’ai vu Eugène dimanche. Regnard aussi est venu le voir. Nous l’avons trouvé dans l’état le plus déplorable. Il ne pouvait plus parler, et pleurait à chaque instant. Tout espoir est donc perdu. J’ai bien de la peine à croire qu’il verra le mois de janvier.

J’ai vu bien des amis mourir. Mais jamais je ne me suis trouvé aussi affecté que dimanche, en voyant ce pauvre ami souffrir, et me prier de le sortir de cette maison où il a conscience qu’il va mourir. Car il me l’a dit. C’est le cœur bien serré que l’on revient d’une visite comme celle-là.

Recevez, cher citoyen, une cordiale poignée de main de votre dévoué

Léopold Caria.

Quelques jours encore, et la triste nouvelle me sera annoncée par Edmond Levraud.

Londres, 13 octobre 1878.

Mon cher Vuillaume,

Vermersch est mort. L’enterrement a lieu aujourd’hui.

Ne sachant pas si Caria vous a annoncé cette triste nouvelle, je vous écris ces deux mots à la hâte. Car je pars à l’enterrement.

A vous d’amitié.

Edmond Levraud.

Une dernière lettre de Caria.

Londres, 19 octobre 1878.

Citoyen Vuillaume,

Vous avez appris par Levraud la mort de ce pauvre Eugène. Je ne suis pas sensible, mais il faut vous avouer que, malgré ma fermeté, il m’a fallu verser un pleur à son enterrement. C’est mon meilleur ami que j’ai perdu.

Nous avons ouvert une souscription pour lui élever un petit monument sur sa tombe.[270] C’est Regnard qui est trésorier.

Recevez, citoyen, l’assurance de mon dévouement.

Léopold Caria.

Ces vers de Vermersch dont me parlait Edmond Levraud, je les ai devant moi, pendant que j’écris ces lignes, tels que les a copiés, pour me les envoyer, sur l’original, la veuve de mon pauvre ami. Les voici:

.............. je le veux bien.
Plus d’un sage envierait ma vie,
Qui vraiment est digne d’envie;
Car je vis à ne faire rien.

L’excellent docteur qui me soigne
Comme un fils, ayant le frisson
Que de lui trop tôt je m’éloigne,
Me donne un jardin pour prison.
Dans ces premiers jours de septembre,
Des arbres le feuillage vert
S’emplit de feuilles couleur d’ambre
Annonçant le prochain hiver.
Mais le temps est si doux encore
Qu’on se croirait en fin de mai,
Que j’ai vu se lever l’aurore
Dans un grand ciel couleur de lait.
Un de ces ciels que l’Italie
Toute seule m’avait montré,
Et que jamais, même en folie,
Un peintre n’avait rencontré.
Dernier sans doute de l’année,
Hier je vis voler, tremblant,
Autour d’une rose fanée
Un papillon autrefois blanc.
Ce beau de la saison passée,
Ce marquis poudré, somptueux,
Sans doute à cette trépassée
Psalmodiait de longs aveux.
Connaissant (?) leurs amours entières,
Les moineaux, ces parisiens,
Cancanent comme des portières,
Brochant sur mille et mille riens.
Mais les légères alouettes
Allant se perdre dans le ciel,
Dans leurs harmonieuses strettes
Chantaient le printemps éternel,
Qui réveillera toutes choses,
Avec son sourire vermeil,
Les papillons avec les roses
Dans la jeunesse du soleil (?)

Vermersch n’est plus. Ce sont maintenant les lettres, toutes mouillées de larmes, de celle qui reste après lui.

... Il ne faut pas croire, mon cher Vuillaume—m’écrit la veuve en deuil—que notre ami a quitté la terre sans penser à vous. Le 3 août, il a repris un moment connaissance, et, voyant quelqu’un dans sa chambre, il dit: «Est-ce toi, Vuillaume?» et, ensuite: «Toi, Wieland?»[271] C’est après vous deux qu’il a demandé avant tout...

Puis, un peu plus loin, les souvenirs de notre vie, les uns près des autres, à Altorf:

... Quand je pense à ces bons jours d’Altorf, les larmes me viennent aux yeux...

Le 12 novembre, une dernière lettre:

Jamais je n’aurais cru qu’il aurait fait un si grand vide. Je ne puis l’oublier...

Chargement de la publicité...