Mes cahiers rouges au temps de la Commune
A BRÉVANNES
Septembre 1909.—Nous sommes allés en promenade, Lucien Descaves, le docteur Crepel et moi, à Brévannes,[282] où Descaves a un vieil ami, Mathey, qui commanda pendant une quinzaine de jours, en mai, le fort de Vanves.
Mathey, qui fut lié avec Félix Pyat, a quatre-vingt-cinq ans sonnés. Toujours alerte, il nous accompagne dans une promenade dans le parc.
—Vous savez, nous dit-il brusquement, Oudet est toujours ici.
Oudet... Le membre de la Commune, élu par les onze mille électeurs des Buttes-Chaumont, à la presque unanimité des voix... Membre de la commission de sûreté générale... Un des plus violents, le plus violent peut-être de l’assemblée de l’Hôtel de Ville. Blessé le vendredi matin, il est rue Haxo, couché sur un canapé, quand on y amène les cinquante otages...
J’ai peu vu Oudet pendant la Commune. Mais, je me souviens d’une nuit passée, en 1870,—une nuit blanche—avec Oudet, chez Vallès, qui demeurait alors rue de Tournon, en face de la caserne des municipaux. Oudet, que nous avions rencontré rue Saint-Séverin, chez Glaser, se croyait poursuivi par la police. Vallès lui avait offert asile—un asile peu sûr, Vallès étant lui-même menacé—et nous avions passé la nuit à causer et à bâtir des plans d’insurrection.
—Il est là-haut, nous dit Mathey, montrant de la main les fenêtres du bâtiment de l’infirmerie. Oh! il est très mal... Il est fini.
Nous montons. Des files de lits blancs. Des vieillards. Et des vieillards encore.
Étendu sur un lit, Oudet. Le masque, jaune, émacié. Les yeux clos. Un cadavre...
—Il a quatre-vingt-six ans, nous dit l’infirmière qui le veille... Il ne peut plus bouger... Il y a deux mois, on pouvait encore le lever... Il n’y voit plus... Et puis, la tête a déménagé... Continuellement, il radote...
—Oui, il radote, dit un vieillard assis sur le lit voisin... Il parle tout le temps...
—Et que dit-il?
—Ah! c’est bien difficile de le comprendre... Rochefort... Rochefort... Vaillant...
Jusqu’au dernier souffle, le vieil insurgé songe encore, dans son cerveau obscurci, aux jours héroïques... Vaillant... la Commune... Rochefort... Les jours de bataille de l’Empire...
Un mois à peine après notre visite, Oudet rendait le dernier soupir. Pauvre comme Gouhier, le membre du comité central, pensionnaire, lui aussi, de Brévannes, où il mourut en 1904. Pauvre comme tous ceux de la Commune qui sont venus abriter, sous les grands arbres de l’asile municipal, ou—les moins heureux—dans quelque salle d’un hospice parisien, la misère de leurs vieux jours.
FIN