Véritables mémoires de Cagliostro
X
L’arrêt et ce qui s’en ensuivit.
Cet arrêt, on le connaît. Je fus déchargé de toute accusation, et quoi de plus juste ! car, enfin, j’étais fort innocent de tout ce qui était arrivé ; le cardinal de Rohan et la belle Nicole furent mis hors de cour ; mais la pauvre comtesse fut condamnée à être, nue et ayant la corde au cou, fustigée de verges et flétrie d’un fer chaud en forme de V sur les deux épaules, par le bourreau, devant la Conciergerie, avant d’être renfermée à perpétuité à la Salpêtrière.
Le cardinal parvint à se soustraire à une ovation que je n’évitai pas. Plus de dix mille personnes m’attendaient à la porte de la Bastille. Ce fut une explosion d’ivresse, une émeute d’enthousiasme. On me porta en triomphe jusque dans ma maison du boulevard Saint-Antoine, avec des clameurs qui me touchaient jusqu’au fond de l’âme. Les exempts qui essayaient de s’opposer à ce débordement de joie étaient foulés, repoussés, meurtris, et disparaissaient dans les flots du populaire. Lorenza m’enlaçait de ses bras. Au moment où je mettais le pied sur le seuil de ma porte, des fanfares éclatèrent. Toutes les musiques du quartier me donnaient la sérénade. Les dames de la Halle arrivèrent avec de gros bouquets ; j’embrassai celles qui me parurent jolies, et même les autres, mais moins profondément. Un faiseur d’odes monta chez moi, ouvrit ma fenêtre, et lut à la foule une cantate en mon honneur où je déclare qu’il y avait de beaux vers. Toutefois, je lançai aux applaudisseurs, par dessus ses épaules, quelques centaines de louis ; la poésie n’en fut que mieux accueillie. Ce n’est que vers l’heure de minuit que ces réjouissances prirent fin, et Dieu sait quel moment ce fut, quand, les dernières portes fermées, après huit mois de séparation, de captivité, de souffrance, je me trouvai libre en face de ma Lorenza bien-aimée ! Elle était plus belle que jamais. Nous nous tendions les bras sans oser avancer, presque avec effroi, craignant d’expirer dans l’extase de notre premier enlacement. Je n’en dirai pas davantage. Cœurs sensibles qui me lirez, — si jamais j’ai d’autres lecteurs que le digne Pancrazio, mon geôlier et ami, — vous devinerez mieux que je ne pourrais le dire quelles furent, après une pareille absence, les jouissances ineffables d’un amour partagé !
Le lendemain, je recevais l’ordre de quitter la France, et je faisais mes paquets. Voici ce qu’on chantait dans les rues de Paris :
Pour en finir avec ce triste disciple, je dirai que la colère royale ne se lassa pas de le poursuivre.
Vainement il demanda vingt fois à revenir à la cour, il y perdit son encre et ses bassesses, et la comtesse de Marsan une partie de son crédit. Le prince dut se résigner à vivre loin de Versailles mais il en prit son parti, grâce à une belle Anglaise qu’il fit venir à la Chaise-Dieu, et qu’il avait toujours sur ses genoux, ce qui était d’un fâcheux exemple pour ses moines.