Véritables mémoires de Cagliostro
PRÉFACE
Lecteur,
Tu es peut-être en droit de nous demander si ces Mémoires sont réellement authentiques.
Ils le sont.
Ou du moins nous ne voyons pas de raison pour qu’ils ne le soient pas en effet, puisque les circonstances qu’ils relatent sont conformes aux mœurs véritables et au caractère de l’illustre comte de Cagliostro.
Accepte-les donc pour l’œuvre personnelle du Grand-Cophte.
Si tu nous demandais par quelle suite d’aventures le manuscrit de ces Confessions est arrivé entre nos mains, tu en serais puni par une histoire que nous te raconterions.
Une bonne vieille, du nom de Lorenza, vivait encore à Rome en 1649, à l’époque de l’occupation française. Elle demeurait dans une de ces petites rues qui avoisinent San Bartolomeo, dans l’île Tibérine. Tous les jours de soleil, — ces jours-là sont fréquents à Rome, — la vieille sortait de sa maison et venait s’asseoir au bord du Tibre, sur une petite chaise qu’elle traînait après elle. Elle écoutait le babil d’un bateau de blanchisseuses voisin, et se réjouissait des éclats de rire de cette jeunesse. Le soleil lui chauffait le dos, le rire lui chauffait le cœur.
Nous aimions aussi les blanchisseuses. Elles nous saluaient sans se retourner, rajustant sur leurs cheveux défaits leur mouchoir de tête. Nous nous plantions bravement au bord de l’eau, servant de cible à leurs quolibets, quelquefois à leurs sourires. Les Romains aiment les compliments en face ; il eût été impertinent de ne pas l’être. La vieille s’amusait à ces joutes galantes et entreprenait quelquefois de nous soutenir par de bons propos. Elle parlait bien, comme une personne qui a vu le monde. On disait qu’elle avait été autrefois la femme d’un fameux magicien ; elle se mêlait elle-même de dire la bonne aventure et vivait de sa sorcellerie.
C’était une sorcière bienveillante ; une belle vieille qui avait du être une jeune belle. Elle nous empruntait volontiers quelques baïoques pour acheter du tabac dont elle se bourrait le nez. Cela nos avait fait amis.
Un soir qu’elle se plaignit d’une de ses jambes qui ne voulait pas la suivre, nous lui offrîmes notre bras et l’accompagnâmes chez elle, aux bravos un peu moqueurs des lavandières qui nous félicitaient de notre conquête. Nous les laissâmes rire. Nous eûmes le courage de notre charité. Lorenza en fut touchée. Elle nous dit son nom, nous montra des lettres et des papiers qu’elle avait dans un tiroir. Ils étaient curieux. La bonne vieille ne savait pas lire. Elle nous les prêta. Les voici.