Véritables mémoires de Cagliostro
II
Pourquoi mon oncle Tomaso me mit dans un couvent où
je devais me rendre moine, et comment j’y devins alchimiste.
« J’ai passé ma première enfance dans la ville de Médine, en Arabie, élevé sous le nom d’Acharat, nom que j’ai conservé dans mes voyage d’Afrique et d’Asie. J’étais logé dans le palais du muphti Salahaym, avec mon maître Althotas… »
Quelle est cette distraction ? Hélas ! c’est ainsi que commençait l’apologie que je fis paraître en France, après qu’on m’eut mis à la Bastille. Personne n’osa la révoquer en doute, mais jamais Pancrazio n’en voudrait croire un mot, ni Lorenza, ni moi… Il est extrêmement difficile de dire la vraie vérité. Cela est presque impossible.
Tant mieux ! Ne suis-je pas un faiseur de miracles ?
Je suis né à Palerme, le juin 1743, d’une jolie brune, Félicia Braconieri, et d’un marchand passementier appelé Pierre Balsamo.
Ma mère avait de grands yeux doux et savait de belles chansons ; mais je n’ai conservé aucun souvenir de mon père.
En revanche, je me rappelle très distinctement mon oncle Tomaso, qui distribuait plus de soufflets que de bénédictions, et mon oncle Cagliostro, qui était mon parrain et de qui j’ai gardé le nom.
Je ne sais pas grand’chose de plus sur mes débuts dans la vie. Je passais pour un bel enfant, et comme j’étais paresseux, sale, gourmand, et voleur à mes moments perdus, mon oncle Tomaso me destina à l’état ecclésiastique.
On me mit au couvent de Saint-Roch, de Palerme, d’où je m’échappai en escaladant les murs ; mais on me reprit et je fus claquemuré dans le cloître des Ben-Fratelli, à Castelgirone, d’où je ne m’échappai point, si fort que j’en eusse envie, parce que les murailles étaient très hautes et les portes bien fermées. Je n’avais pas encore le don des prodiges.
A Castelgirone, la règle était très rigoureuse ; il fallait devenir savant et se comporter comme un saint ; cette dernière condition me chagrinait beaucoup.
On me confia à l’apothicaire du couvent, espèce de vieux moine médecin, qui m’employa à piler des drogues et à faire des mixtures. Je passais mes journées dans son laboratoire, où je me plaisais bien plus qu’à l’église et au confessionnal. Puis, j’allais avec lui soigner les malades au dehors. Cela rompait ma clôture et me donnait quelques distractions. Je me plaisais avec les fiévreux, je m’intéressais aux moribonds. Je regardais volontiers le trépas en face, ne le trouvant pas de mauvaise compagnie. Le révérend père, qui ne se gênait pas avec moi, me montrait le fort et le faible de la science, et, de moi-même, je m’aperçus bien vite que les bonnes paroles qu’il débitait étaient pour plus de moitié dans ses cures.
Oui, je compris des lors la puissance du verbe humain ; en outre, j’aidais quelquefois les gens à mourir, et cela me fit une sorte de philosophie.
Mais le moine, — qui fut mon véritable Althotas, — n’était pas seulement médecin ; il se piquait aussi d’alchimie. Il employait des soirées, et souvent des nuits, à compulser de gros vieux livres jaunis qu’il ne me défendait pas d’ouvrir. Je n’y compris rien d’abord. Pourtant, je m’associai avec une passion singulière aux travaux du vieux moine. A côté des cornues où nous distillions les herbes médicinales, nous avions presque toujours un creuset sur un fourneau à lampe, et cette dernière cuisine n’était pas celle qu’on soignait le moins.
A vrai dire, comme Althotas soufflait beaucoup et causait peu, je n’ai jamais su précisément ce qu’il cherchait ; cela ne m’a pas empêché plus tard de déclarer aux hommes que je l’avais trouvé. Et les hommes m’ont cru. Or, puisque, toute conviction sincère engendre une espèce de réalité, il est certain que j’avais trouvé quelque chose en effet.
Quoi donc ? Je serais curieux de l’apprendre.
Cependant, tandis que je devenais médecin et alchimiste, je devenais aussi un grand garçon, et je commençais à m’en apercevoir.