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Au cœur de l'Auvergne

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CHAPITRE XI

François Mainard. — A la cour et aux champs. — Le courtisan sous les rochers de la province. — Les roses du Parnasse et les épines de la chicane. — A l’ambassade de Rome. — Les ambitions déçues. — Les amitiés de Toulouse. — Renoncement et renouveau. — La belle vieille. — Conseiller d’État et Académicien. — L’édition de 1646. — Adieu Paris. — Donec optata

Arsène Vermenouze ne fut pas le premier à habiter dans cette étroite et montante rue d’Aurinques où, presque en face de son magasin de liqueurs, trois cents ans plus tôt, François Mainard pestait contre l’ingratitude du siècle, derrière le portail sculpté au-dessus duquel il avait fait graver l’inscription toujours lisible :

Donec optata veniat[38]

[38] En attendant la mort, qui sera bienvenue.

Le sage qui ne voulait pas que les passants fussent seuls à méditer sur sa détresse, — s’ils savaient le latin — avait répété, plus explicitement, dans son cabinet de travail :

Las d’espérer et de me plaindre
Des Muses, des grands et du sort,
C’est ici que j’attends la mort,
Sans la désirer ni la craindre…

Ce quatrain désabusé, figurant aussi au logis de Saint-Céré où se transportait le poète président Mainard, à tous loisirs, et ils étaient nombreux, de sa charge, il s’ensuit que la Camarde ne devait pas être exactement renseignée sur l’endroit où la conviait le célèbre faiseur d’épigrammes. Céré, où il naquit et dont il fit son principal séjour ; Aurillac où était le siège de son présidial, Toulouse qu’il fréquenta pour ses études, Rome où il suivit l’ambassade du comte de Noailles, — sa pensée n’y était jamais, — toute demeurée à Paris et à la Cour.

Il n’y a guère d’exemple de personnalité ayant échappé aussi complètement à l’ambiance. François Mainard n’était pas sorti de province avant vingt ou vingt-deux ans. Il aurait été présenté à Henri IV, au cours d’un voyage du roi en Limousin, en 1605. Il devint secrétaire des Commandements de la reine divorcée, avec quatre cents écus d’appointements. Collaborateur de Marguerite de Valois, il débutait dans le cercle brillant de l’hôtel de Sens, où Malherbe le distingue. Il se fait des protecteurs puissants. Mais l’assassinat d’Henri IV ruine tous ses projets. Il faut vivre, se créer une situation. François Mainard n’a pas trente ans ; il n’a vécu que de 1605 à 1610 à Paris ; cela aura suffi pour le marquer à jamais ; il n’achèvera qu’avec la mort d’intriguer pour reprendre pied dans la société brillante où il avait cru pouvoir se fixer en de hautes destinées.

Il épouse demoiselle Gaillarde de Boyer, une voisine de sa paroisse de Toulouse. Il l’installe à Saint-Céré, et avec les huit mille livres de dot, commence de négocier pour l’acquisition du présidial d’Aurillac. Il organise sa nouvelle existence. Tantôt en Auvergne, tantôt dans le Quercy, il présidera là aux séances des juges et du lieutenant criminel ; ici, il surveillera ses prés et ses vignes. Il a renoncé à la pompe et aux grandeurs, dira-t-il. Il brûle ce qu’il a adoré. Loin des parures trompeuses, des vaines apparences :

Hélène, Oriane, Angélique,
Je ne suis plus de vos amants,
Loin de moi l’éclat magnifique
Des noms puisés dans les romans.
. . . . . . . . . . .
Ma passion, quoi qu’amour fasse,
Ne fera plus son paradis
Des beautés qui mettent leur race
Plus haut que celle d’Amadis.

C’est la nature, toute franche, que prisera désormais M. le Président :

Vive Barbe, Alix et Nicolle
Dont les simples naïvetés
Ne furent jamais à l’escolle
Des ruses et des vanitez.
. . . . . . . . .
Sans donner bal ny musique,
Sans emprunter chez les marchands,
Et sans débiter rhétorique,
Je plais aux Calistes des champs.
. . . . . . . . . . . .
Adieu, pompeuses demoiselles
Que le fard cache aux yeux de tous,
Et qui ne fûtes jamais belles
Que d’un beau qui n’est pas à vous.
. . . . . . . . . . . . .
J’en veux aux femmes de village,
Je n’aime plus en autre part.
La nature en leur beau visage
Fait la figue aux secrets de l’art.

Malgré ces professions de foi, persistera le regret des espérances anciennes ! A la veille de quitter le monde, François Mainard n’adressera-t-il pas ses vers les plus touchants à la blonde Cloris, qui lui avait refusé sa main, et, veuve, ne se laissera pas fléchir, trente ans après !

Certes, François Mainard a vanté la paillardise rustique et ne détestait pas « la galanterie de table » qu’exalte sa verve bachique. Sans doute, le président aimait la bonne chère du château de Castelnau où le comte de Clermont-Lodève l’invitait avec l’évêque de Saint-Flour, avec le bon Flotte : « biberon » fameux, comme le baptisait Balzac !

Mes chers amis, je vous convie,
Ce bon vin dissipe l’ennuy,
Qui n’aura goinfré de sa vie
Doit commencer aujourd’hui.
Faisons durer la Guerre
De la soif et du verre.

En vérité, plus que les larges beuveries et les réunions joyeuses, c’est la noble compagnie qui lui plaisait. Il divertissait le grand seigneur, au dam des hobereaux de la contrée, les « petits gentilshommes à lièvre » (c’est-à-dire vivant chichement du produit de leur chasse), les Gascons bretteurs, les « brutaux de province ». Mais les hauts châtelains ralliaient la Cour, et le courtisan reprenait sa morne existence de va-et-vient d’Aurillac à Saint-Céré : « En compagnie, je suis gay et dis toujours le mot pour rire, mais lorsque je suis seul, mon humeur tombe entre les mains de la mélancolie ». François Mainard se sentait étouffé « sous les rochers de sa province » ; ils ne l’inspiraient guère, son activité poétique était toute tournée vers Paris. Il s’y rendait fréquemment. Il s’y perfectionnait dans le commerce des beaux esprits. Il y festoyait aussi abondamment, toujours prêt à faire chère-lie et carrousse. Mais les délices de la table n’allaient pas sans une extrême licence de penser et d’écrire ; les pièces gaillardes et scabreuses de François Mainard excitaient les menées de la cabale dévote, qui dénonçait ses stances et épigrammes du Parnasse Satyrique, comme répréhensibles au point de vue de l’honnêteté publique. François Mainard en fut quitte pour la peur ; cependant, il devint prudent, quand il vit Théophile condamné au bannissement pour athéisme et libertinage.

F. Mainard va-t-il franchir le seuil du Louvre ? En 1612, il composa des pièces de circonstance pour les doubles fiançailles du dauphin avec l’infante Anne d’Autriche et d’Élisabeth de France avec Philippe d’Espagne. En 1615, il fournit encore des vers pour un ballet en l’honneur de Mme Élisabeth. Puis, il approche le prince de Condé. Quelques gratifications, et ce fut tout, alors que le Président d’Aurillac espérait une charge bien rétribuée, ou rêvait d’être pensionné par leurs Majestés.

Les années s’assombrissent. Le poète n’en peut plus de la province : « Je ne marche pas toujours sur les roses du Parnasse ; les épines de la chicane piquent quelquefois mes pieds. » Il abandonne sa charge. Il court tenter la destinée auprès de Richelieu. Des odes nombreuses encensent le « divin, l’incomparable ministre » ; L’État n’aura rien à craindre « tant que ce grand homme en tiendra le timon » ; F. Mainard est reçu à Rueil. Il exulte. Il regagne Saint-Céré, convaincu que son heure est imminente ! On l’oublie. La fortune le persécute, gémit-il, dans un placet au Cardinal :

Elle me tient loing de mon Prince,
Entre des brutaux de province
Dignes d’estres soulés de foin.
Quel secours faut-il que j’appelle
Si Richelieu ne prend le soing
De me mettre bien avec elle ?

Il n’apparaît pas que le Cardinal ait été ému de la supplique. Pourtant, par la suite, F. Mainard fut de l’Académie, qui s’organisait, mais avec des avantages exclusivement honorifiques : l’ancien président avait compté sur les émoluments. L’évêque de Saint-Flour, Charles de Noailles, intercéda pour lui obtenir une nouvelle place de président, en création. Sans succès. A son corps défendant, il doit accepter, sur l’entremise pressante de son protecteur, de suivre, en qualité de secrétaire, à l’ambassade de Rome, François de Noailles. C’est que les nuages se sont épaissis au-dessus de la tête du poète vieillissant. Déjà, prématurément, sa fille aînée était morte : « Un père qui pleure trop opiniâtrement les enfants qu’il a perdus offense ceux qui luy sont demeurés », écrit-il. Il avait des motifs de consolation, — avec une famille de cinq filles et trois garçons. Cependant, la tristesse de l’irréparable l’avait envahi :

Mon noir chagrin est un mal sans remède ;
La Parque avare a volé tout mon bien.
Ma fille est morte et l’Église possède
L’aimable Esprit qui possédait le mien.
Celle qui fut tout l’espoir de ma vie
Est exposée à la merci des vers.
Le sort, rempli de malice et d’envie,
L’a seulement montrée à l’Univers.
. . . . . . . . . . . . .
Que deviendrai-je après un tel naufrage ?
Qui tâchera de modérer mon deuil ?
Qui soutiendra le faible de mon âge
Et promettra des fleurs à mon cercueil ?
. . . . . . . . . . . . . .
O ciel, auteur de ma noire aventure,
Mon cœur soumis ne t’a pas offensé ;
Et cependant l’ordre de la nature
Est, pour me nuire, aujourd’hui renversé.
Hâte ma fin que ta rigueur diffère ;
Je hais le monde et n’y prétends plus rien.
Sur mon tombeau ma fille devrait faire
Ce que je fais maintenant sur le sien.

Dix ans après, la fin de son fils aîné, dans des souffrances cruelles, d’un fils dont il espérait beaucoup, rouvrit son affliction. Sa femme était depuis longtemps alitée. C’est dans ces conditions, pour fuir aussi les lieux abhorrés, qu’il accepte de rejoindre François de Noailles. Après « un mois sur les chemins » avec la « maudite chère » des hôtelleries italiennes, il sera à Rome : tous les chemins mènent à Paris, et l’incorrigible courtisan ne songe qu’à entrer à la Cour, avec de puissants protecteurs, favoris de Richelieu. Car F. Mainard demeurera aussi imperméable aux splendeurs artistiques de Rome et à la grandeur de ses ruines qu’il fut insensible à la beauté farouche de la montagne cantalienne ! « Il vaut mieux être misérable à Paris que riche à Rome », écrit-il. Il s’y ennuie autant qu’à Aurillac. La chaleur l’accable : « J’ai un éventail qui lasse les mains de quatre valets et fait un vent en ma chambre qui ferait des naufrages en mer. » Toutefois, il a recruté des compagnons avec qui, buvant « le vin et l’eau investis de neige », il lutte contre la sécheresse. La table merveilleuse de l’Ambassade le remet de sa détestation de la cuisine des Princes de l’Église qui ont « force estaffiers » mais pas un cuisinier. De Rome, F. Mainard ne tire aucune exaltation intellectuelle. Seul, l’attire, le Saint-Père, dispensateur de faveurs et de largesses. Le courtisan se retrouve « à la Cour prélatesque ». D’autant mieux qu’Urbain VIII, lui-même, s’adonne à la poésie. F. Mainard fut adopté du monde ecclésiastique ; et, familier du Vatican, savoura la douceur des prévenances de Sa Sainteté à qui il prodiguait des odes saturées d’incroyables flatteries. Il lui en restait quand même pour les intimes du Pape, comme le Cardinal Guy Bentivoglio, l’historien de la Guerre des Flandres. Des livres, des tableaux, des statues, de charmantes libéralités prouvaient au poète la sympathie du « sujet papable ». Tout de même, la Cour d’Urbain VIII ne contentait pas l’ambition de F. Mainard. L’annonce du retour en France le combla d’aise. Hélas ! l’ambassadeur dut s’apercevoir bientôt qu’il était joué, et que son remplacement sentait la disgrâce. Le secrétaire fut accusé faussement, mais vilainement, d’avoir trahi son maître, qui n’était que trop disposé à écouter les envieux du poète et à faire tomber son humeur sur lui : devant la menace des coups, il dut fuir ! Au lieu d’une rentrée brillante à Paris, ce fut par le noir et glacial hiver, le plus lamentable échouage à Saint-Céré, où l’ambassadeur le poursuit d’une âpre rancune, le discrédite auprès de Richelieu — et le brouille avec l’évêque de Saint-Flour. Il est pauvre, avec d’énormes charges de famille.


Paris défendu, l’ancien président ne rencontre que du côté de Toulouse des amitiés qui se souviennent et se raniment. Il y est fêté à divers voyages et séjours. En 1638, comme au siècle précédent pour Ronsard ou de Baïf, les « Jeux Floraux », sans qu’il eût envoyé de vers, lui décernent un prix extraordinaire qui sera représenté par une Minerve d’argent. En 1639, nouveaux honneurs, F. Mainard est élu maître en la gaie science. Mais il attend et il attendra toujours, la « Minerve » promise, qu’il réclamait d’argile, à défaut d’autres :

Si le peuple est trop indigent
Par les dépenses de la guerre,
Gardez votre image d’argent,
Et m’en donnez une de terre !

L’académie de dame Clémence Isaure, non plus que celle de Richelieu, alors, ne nourrissaient leur homme !

Il semble, désormais, que F. Mainard n’ait plus d’ambition que littéraire. Il songe à une édition définitive de ses œuvres, à travers les soucis qui l’accablent, les procès, les deuils, la maladie de sa femme. Il précède dans leurs protestations nos célibataires d’Aurillac[39] qui se sont syndiqués contre les propositions de frapper les vieux garçons d’un impôt : « Le célibat n’est pas moins nécessaire aux poètes qu’aux prêtres et les Muses ne doivent pas s’embarrasser des soins d’une famille. »

[39] Aux célibataires de France. L’union des célibataires cantaliens, qui protestait dernièrement contre le projet d’impôt sur les célibataires, reçoit, paraît-il, de partout des encouragements et des adhésions. Voici l’ordre du jour qui a été voté à la réunion tenue à Aurillac :

L’union des célibataires cantaliens, réunie dans la salle de la mairie d’Aurillac, encouragée par les nombreuses adhésions qui lui parviennent du pays tout entier, et en présence du projet gouvernemental tendant à frapper le célibat d’un impôt de 20 %, adresse un appel pressant à tous les célibataires de France pour qu’ils forment des syndicats qui, rattachés à une fédération des célibataires français, constitueront un puissant et efficace moyen de défense contre l’établissement d’un impôt antirépublicain, parce qu’attentatoire à la liberté individuelle.

D’autre part, l’union cantalienne a organisé en septembre un grand banquet auquel ont assisté des délégations de Thiers, Châlons, Amiens, etc. (1913).

Aussi, le pays est troublé. A la suite du Complot des Princes (1641), le château de Saint-Céré est occupé par les troupes royales, tout le Haut-Quercy saccagé pour châtier le duc de Bouillon. Enfin, la paix se fit et le calme revint dans la contrée, et les divertissements reprirent chez les grands seigneurs où fréquentait toujours le poète, François de Crussol, duc d’Uzès, marquis de Bournazel, surtout à Castelnau où le muscat réputé de Languedoc arrosait les saumons de la Dordogne, les cerfs et les sangliers des chasses du comte de Clermont. F. Mainard fait encore entendre ses chansons, mais tournoiements de tête, rhumatisme, troubles gastriques le condamnent à se soigner. Il s’est vu au bord du tombeau, à la veille « du grand départ ». Il n’avait point cessé de croire, malgré les apparences. Avec la détresse de l’âge, les infirmités, les désillusions, toutes les épreuves, la foi reparaît, illumine ses jours sombres :

Mon âme, il faut partir. Ma vigueur est passée,
Mon dernier jour est dessous l’horizon,
Tu crains ta liberté. Quoy ? n’es-tu pas lassée
D’avoir souffert soixante ans de prison ?
Tes désordres sont grands, tes vertus sont petites,
Parmi tes maux on trouve peu de bien.
Mais « si le bon Jésus te donne ses mérites »
Espère tout et n’appréhende rien.
Mon âme reprends-toi d’avoir aimé le monde
Et de mes yeux fais la source d’une onde
Qui touche de pitié le Monarque des Rois.
Que tu serais courageuse et ravie
Si j’avais soupiré durant toute ma vie
Dans le désert, sous l’ombre de la Croix.

C’est le renoncement définitif, peut-on croire, qui s’exprime avec tant de sagesse, de résignation et de grandeur, aussi, dans l’Ode à Alcippe.

Alcippe, reviens dans nos Bois.
Tu n’as que trop suivi les Rois
Et l’infidèle espoir dont tu fais ton idole.
Quelque bonheur qui seconde tes vœux,
Ils n’arrêteront pas le Temps qui toujours vole
Et qui, d’un triste blanc, va poudrer tes cheveux.

Après deux ans de cette vaste mélancolie, aussi païenne que chrétienne, où l’âme harmonieuse et rude du poète se manifeste avec un tel accent profond, c’est un dernier assaut, du Malin, sans doute… F. Mainard se redresse, comme devant. De nouveau, il veut secouer le joug de la province ; sa femme est morte ; il est harassé de solitude ; le duc de Noailles a reconnu l’inanité de ses griefs ; avec la santé recouvrée, des velléités combatives le ressaisissent, de parvenir… : « La démangeaison de la Cour m’a pris et, tout chenu que je suis, je songe à reprendre un métier que j’ai toujours assez mal fait et qui ne m’a pas réussi. » Incurablement, il souffre de n’être point en place, avec de l’argent et des honneurs.

Bien mieux, le cœur du vieux Président recommençait de battre. Il en fait la confidence à Balzac, l’ami fidèle dont il va égayer la solitude en Charente. Balzac s’enthousiasme pour ce renouveau de sentiment et de désir qui dicte au sexagénaire des vers impérissables. Cloris, que, dans la flamme de la jeunesse, il avait demandée en mariage et qui en avait épousé un autre, est veuve. Le poète n’a jamais oublié. Vainement, Balzac intervient, d’une plume chaleureuse. Cloris, orgueilleuse et riche, n’abaisse pas son regard vers le suppliant, de médiocre extraction et sans revenus, — mais qui, pour parler de « la belle vieille », modulait ainsi sa plainte contenue et passionnée :

Cloris, que dans mon temps j’ai si longtemps servie
Et que ma passion montre à tout l’univers,
Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie,
Et donner de beaux jours à mes derniers hivers ?
N’oppose plus ton deuil au bonheur où j’aspire.
Ton visage est-il fait pour demeurer voilé ?
Sors de ta nuit funèbre et permets que j’admire
Les divines clartés des yeux qui m’ont brûlé.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis ta conquête ;
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris.
Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour adoucir l’aigreur des peines que j’endure,
Je me plains aux rochers, et demande conseil
A ces vieilles forêts dont l’épaisse verdure
Fait de si belles nuits en dépit du soleil.
Regarde sans frayeur la fin de toutes choses,
Consulte le miroir avec des yeux contents.
On ne voit point tomber ni tes lis ni tes roses,
Et l’hiver de ta vie est ton second printemps.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Balzac ne pouvait accepter que la dame résistât à de tels accents. Il considérait l’hyménée comme conclu : « Je vous souhaite à l’un et à l’autre, écrivait-il à Cloris, une longue et parfaite félicité à la charge que cette belle vie sera toujours fertile en beaux vers, et que le prophète ne s’assoupira pas de telle sorte entre les bras de la nymphe qu’il y oublie à prophétiser. Il faut qu’il rende des oracles à l’accoutumée, et qu’il chante ses contentements comme il a chanté ses espérances. Mais il faut pour cela que vous disiez oui. Il ne tiendra donc qu’à votre consentement que nous n’ayons bientôt votre épithalame et je vous demande au nom de toute la France un poème qui ne se peut faire sans vous. »


Malgré les vers de F. Mainard, malgré la prose de Balzac, il n’y eut pas consentement. Depuis longtemps, pour notre perpétuel exilé, il n’y avait plus de contentements ! Quant à ses espérances indéfectibles, elles prenaient leur dernier vol, qui fut court. A son retour de Charente, il trouvait à Saint-Céré un brevet de Conseiller d’État, que ses amis lui avaient obtenu du Chancelier Séguier. Ce n’était qu’un titre, qui ne rapportait rien, mais qui conférait la noblesse, dont le poète fut investi, en août 1644. F. Mainard ne doutait pas que son heure fût enfin échue ; il hâta son départ pour Paris, où il n’était pas retourné depuis douze ans :

Quand dois-je quitter les rochers
Du petit Désert qui me cache
Pour aller revoir les clochers
De Saint-Pol et de Saint-Eustache !
Paris est sans comparaison,
Il n’est plaisir dont il n’abonde ;
Chacun y trouve sa maison,
C’est le pays de tout le monde.
Apollon, faut-il que Maynard,
Avec les secrets de ton art,
Meure en une terre sauvage ;
Et qu’il dorme, après son trépas,
Au cimetière d’un village
Que la carte ne connaît pas.

Voici F. Mainard tout ragaillardi et remis en appétit. Il avait redouté la soixante-troisième année, « son an climatérique », aujourd’hui franchi. Il n’a plus peur de rien :

Je suivrai les Galants, je quitterai les Sages,
Les désirs voleront après les beaux visages :
Cloris en sera prise, et je ferai le vain.
Adieu, Caducité débile et méprisée ;
Je suis cher à la Parque, et sa fatale main
Va du fil de mes jours faire une autre fusée.

Il renoue avec ses protecteurs d’autrefois, mais il fréquente surtout à l’hôtel Séguier, où le chancelier donnait l’hospitalité à l’Académie Française ; élu en 1634, F. Mainard n’y paraissait qu’en 1645, où il travaille au Dictionnaire ; par ailleurs, il est reçu chez les précieuses. Mais, dans la ruelle de Mme de Choisy comme aux séances de la docte Compagnie, F. Mainard rencontre l’étonnement d’une autre génération, il est d’une autre époque.


Les œuvres de Mainard parurent en juin 1646, en in-quarto, avec portrait du poète par Pierre Doret. Mais la flatterie ni l’adulation les plus excessives ne valurent au poète l’inscription tant souhaitée de son nom comme pensionnaire de l’État. Ce n’est point son existence parmi les brutaux du Quercy et de l’Auvergne qui aurait pu lui conserver les belles manières dont il manquait en sa jeunesse ; il était de plus en plus inhabile et lourd. Le doute l’assiège, il commence à s’apercevoir qu’il fait fausse route :

Adieu Paris, adieu pour la dernière fois.
Je suis las d’encenser l’Autel de la Fortune.
Et brûle de revoir mes rochers et mes bois,
Où tout me satisfait et rien ne m’importune.

F. Mainard, enfin, devait se rendre à l’évidence : il n’avait rien à obtenir, le découragement l’accablait, il se le confesse sans détour :

Déserts où j’ai vécu dans un calme si doux,
Pins qui d’un si beau vert couvrez mon hermitage,
La Cour, depuis un an, me sépare de vous,
Mais elle ne saurait m’arrêter davantage.

Il rentre à Saint-Céré : « Le cher président est encore mieux dans sa cabane qu’à la porte du Palais », écrit Balzac, le 22 octobre. Le 28 décembre 1636, un cortège funèbre descendait du haut faubourg des Cabanes, à l’église paroissiale de Saint-Céré. On portait, avec les cérémonies religieuses accoutumées, « à petit bruit et le visage couvert, dans le tombeau de famille, devant l’autel dédié à la Vierge, le corps de François Mainard ».


Ainsi s’achève l’admirable étude de M. Charles Drouhet, à qui j’ai fait le plus large emprunt, pour conter la vie de l’habitant de la rue d’Aurinques, dont je ne savais pas grand’chose, ni Vermenouze non plus, au temps où nous fîmes connaissance. Il ne me semble pas qu’Aurillac porte guère d’attention à l’ancien Président au présidial et au poète dont l’œuvre personnelle et sincère comporte des chefs-d’œuvre et mérite le plus vert laurier.

Sans doute, l’Auvergne lui est demeurée fermée. Dans ses trajets d’Aurillac à Saint-Céré, il ne s’attardait pas au chaos fantastique des Gorges de la Cère. Le « sublime » du paysage lui échappait ; ce n’était pas de son époque. L’Auvergne n’avait à lui offrir que la tumultueuse grandeur de son noir basalte. Il préférait la riante campagne du Lot, caressée d’un soleil déjà méridional.

Mais, d’ici ou de là, sa pensée était le plus souvent absente, envolée vers Paris. Tout de même, F. Mainard a habité cette rue d’Aurinques. Pendant quinze ans, au moins, il a chevauché de château en château, et son originale figure hante toute la contrée.

Pourquoi tant d’oubli ? N’a-t-il pas laissé des stances inoubliables ?

Qu’importe ses flatteries aux puissants et ses courbettes. De quel âpre accent n’a-t-il pas dépouillé le vieil homme ! Sans doute comme le dit Voltaire : « Il nous aurait paru plus grand en ne songeant même pas s’il y a des grands au monde ! » Mais comment traverser Aurillac sans un souvenir mélancolique pour le poète qui, au bout de son œuvre de priapées violentes, d’épigrammes de Cour et de Ville, de pièces maniérées, tira de son propre cœur, de sa seule douleur, de sa tristesse ou de sa révolte, une poésie directe, simple, probe et touchante. Si la fréquentation « des brutaux de province » n’avait point assoupli le jarret du courtisan ni limé les aspérités de son caractère, la solitude n’avait pas nui à l’écrivain ; il avait perdu l’afféterie et le précieux de la Cour et des ruelles ; il avait gagné en vigueur de pensée, en netteté d’expression, jusqu’à devenir méconnaissable ; les pauvres gentillesses de Paris avaient été balayées par le vent des sommets…


Pourtant, nulle mémoire de F. Mainard, en Aurillac ! N’a-t-il pas mérité son médaillon au mur de ce logis, le poète qui, lui-même, jugeait sévèrement le courtisan incorrigible, au retour de ses vaines expéditions vers la Cour. Toulouse, Saint-Céré, Aurillac, voilà où sa lyre frissonnait d’un souffle épuré, vibrait d’un accent inoubliable :

Que j’aime ces forêts, que j’y vis doucement,
Qu’en un siècle troublé j’y dors en assurance,
Qu’au déclin de mes ans j’y rêve heureusement,
Et que j’y fais des vers qui plairont à la France.
Depuis que le village est toutes mes amours,
Je remplis mon papier de tant de belles choses
Qu’on verra les savants, après mes derniers jours,
Honorer mon tombeau de larmes et de roses.
Ils diront qu’Apollon m’a souvent visité,
Et que pour ce désert les Muses ont quitté
Les fleurs de leur montagne et l’argent de leur onde.
Ils diront qu’éloigné de la pourpre des Rois,
Je voulus me cacher sous l’ombrage des bois
Pour montrer mon esprit à tous les yeux du monde !

Honorons l’hôtel où F. Mainard attendait que vînt — Donec optata veniat — qui ? l’Amour, ou la Mort ?…

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